Le médecin généraliste et romancier Baptiste Beaulieu publie un essai autobiographique, dans lequel il dénonce l’homophobie et le sexisme qui existe en France.
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00:00Et votre invité, Hélène Filly, est médecin et écrivain, il vient nous parler de son
00:04dernier livre « Tous les silences ne font pas le même bruit » paru aux éditions
00:08l'Iconoclaste.
00:09Bonjour Baptiste Beaulieu, on est ravis de vous retrouver à ce micro, vous qui étiez
00:13encore il y a quelques mois chroniqueur dans l'émission Grand Bien Bouffasse, vous avez
00:16l'habitude de parler de votre quotidien de médecin, de vos patients, au micro, dans
00:21vos romans.
00:22Et bien aujourd'hui on va parler de vous, parce que votre dernier livre c'est votre
00:26histoire, c'est un essai autobiographique, et vous l'écrivez à la deuxième personne
00:30du singulier.
00:31Pourquoi ce « tu » qui nous saisit en tant que lecteur ?
00:34Le but c'était vraiment de prendre le lecteur et de l'obliger à mettre ses pieds dans
00:38mes chaussures quoi, de vivre ce qu'on vit en tant que personne minorisée dans cette
00:43société, de le vivre à l'adolescence, à la période de mes études de médecine,
00:49la faculté de médecine, de vivre avec moi la paternité, la parentalité, et de se dire
00:55à la fin du livre « ok, j'ai mis mes pieds dans ses chaussures, est-ce que ce
00:58qu'il a vécu est bon ? Est-ce que c'est juste ? Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que
01:03c'est mérité ? ». Si toutes les réponses à ça sont non, alors peut-être qu'une
01:08partie du cœur du lecteur a commencé à changer de regard sur tout ça.
01:12Du petit garçon de 8 ans en pyjama devant le film du dimanche soir à votre vie, aujourd'hui
01:17d'homme marié, de jeune père, vous avez toujours été confronté à l'homophobie ?
01:22Mais c'est le cas de toutes les personnes en situation de minorité, où ça commence
01:28très tôt.
01:29Est-ce qu'on se rend compte quand même que dans notre société, l'insulte la plus
01:31proférée dans les cours d'école c'est « sale pédé ». On estime qu'en général
01:35un adolescent l'entend jusqu'à 15 fois par jour.
01:37Comment est-ce qu'on se constitue futur citoyen, futur adulte, quand on entend 15
01:42fois par jour que ce qu'on est, ou que ce qu'on pense être peut-être, est la pire
01:46des insultes ? Et qu'on vous balance ça 15 fois par jour ? C'est d'une violence
01:50inimaginable.
01:51On est dans une construction identitaire comme ça.
01:53Est-ce qu'il y a du reproche aussi dans ce « tu » qui s'adresse au lecteur,
01:59à celui qui a subi, à celui qui n'a rien dit dans cette cour de récré ?
02:03Il y a du reproche.
02:05Un des premiers lecteurs du livre m'a dit « j'ai l'impression que tu m'engueules
02:09». J'ai dit « non en fait, je sais ce qui ne te va pas, c'est juste que tu n'aimerais
02:12pas être à ma place et que je t'oblige à l'être un petit peu ». Et je trouve
02:16que c'est important parfois de demander aux gens de se décentrer un petit peu.
02:20Il n'y a pas de reproche, il y a juste une volonté de dire aux gens « regardez, ne
02:27détournez pas le regard et puis soyez avec nous ». Il n'y a pas de reproche, il y
02:33a de la colère.
02:34Et du reproche vis-à-vis de vous, est-ce qu'il y en a ?
02:36Il y en a bien sûr.
02:37On en sent un peu à travers les lignes.
02:40On a de l'homophobie intériorisée, on se débat en permanence.
02:43Moi quand j'ai l'assistante parentale qui s'occupe de notre bébé qui nous dit
02:46que le premier couple qui devait déposer son enfant avec le nôtre a fait demi-tour
02:53en apprenant que leur enfant serait gardé avec l'enfant d'un couple homoparental
02:56et qu'ils ont refusé finalement de laisser leur enfant avec notre assistante parentale
02:59et qu'ils ont décidé d'en prendre une autre.
03:01Je me corrige en permanence, je me dis « non, c'est pas à cause de mon homosexualité,
03:06c'est à cause de l'homophobie de ces parents-là ». Mais oui, on intègre énormément
03:10d'homophobie en nous et c'est terrible et on est les enfants de cette société aussi.
03:16Et vous-même, toi-même, écrivez-vous dans ce livre, vous vous gardez parfois d'intervenir
03:20quand vous êtes enfant, quand vous êtes jeune, l'âge que tu es, écrivez-vous,
03:25y compris lorsque, enfant que vous étiez, vous croyez avoir abandonné un ami parce
03:32que vous n'avez pas réussi à dire comme lui, par exemple, les agressions subies par
03:36un prof de sport.
03:37Oui, parce qu'il y a cette peur d'être découvert et puis parce qu'on mélange
03:42tout avec la société, qu'on imagine qu'on est homosexuel ou qu'on a peut-être…
03:49Parce que vous avez été victime d'agressions.
03:52Quand j'avais dix ans, mais est-ce qu'on se rend compte quand même qu'être un jeune
03:59LGBT dans notre société, c'est risquer jusqu'à huit fois plus d'agressions
04:03sexuelles dans l'enfance ? C'est des chiffres en fait et derrière ces chiffres, il y a
04:07des vies comme la mienne, comme celle de ce camarade, on a vécu l'enfer, on est
04:14des milliers à le vivre et j'ai l'impression que tout le monde s'en fiche, huit fois
04:18plus d'enfants LGBT sont victimes d'agressions sexuelles dans l'enfance, avec cette peine
04:23au carré qui est quand même de… On va toujours nous faire porter le chapeau de notre
04:28sexualité sur ce qu'on a vécu enfant, sous-entendu « ah mais il est homosexuel
04:32parce qu'il a été agressé quand il était enfant » ou « elle est lesbienne par détestation
04:35des hommes parce qu'elle a été agressée par un homme quand elle était enfant ». On
04:37ne va jamais aller voir Martine 50 ans et lui dire « je pense que tu es hétérosexuel
04:40parce qu'un homme t'a agressé quand tu avais 10 ans ». Pourquoi nous on fait porter
04:44sur nos intimités, sur nos sexualités, qui est une des joies de la vie quand même,
04:48ce saut de la malédiction de ce qu'on a vécu et de dire « voilà, ça t'a marqué
04:51quand t'étais enfant et ça te marquera toute ta vie, y compris avec les gens que
04:54tu aimes dans l'intimité ».
04:55C'est un récit très intime en effet, celui que vous faites, très fort, bouleversant
05:00qui percute le lecteur qui le lit, c'est un récit que vous avez voulu politique ?
05:04Bien sûr, mais parce que tout est politique.
05:07Vous savez, quand j'ai une patiente qui vient au cabinet médical et qui me dit « voilà,
05:10j'ai 16 ans, je suis lesbienne, est-ce que je dois me faire vacciner contre le papillomavirus
05:13? ».
05:14Alors ça c'est incroyable parce qu'à ce moment-là, quand elle vient vous voir cette
05:16patiente, vous ne savez pas répondre à cette question.
05:18Non, je ne sais pas répondre à cette question parce qu'on ne me l'a pas appris à la
05:20fac et comme tous les jeunes médecins, on ne nous a pas appris à traiter les minorités.
05:24Et je m'aperçois du coup en faisant des études que les femmes lesbiennes sont 4 fois
05:27moins vaccinées contre le papillomavirus que les femmes hétérosexuelles.
05:30Alors c'est juste un chiffre, mais moi, là, ce matin à l'antenne, je veux qu'on pense
05:33à toutes ces femmes lesbiennes qui sont mortes d'un cancer du col de l'utérus parce
05:37qu'elles n'étaient pas vaccinées, parce que notre société s'en fiche de la santé
05:40des minorités.
05:41Ces femmes, elles n'avaient pas vocation à mourir plus jeunes, elles avaient une vie
05:44qui les attendait.
05:45Le papillomavirus se transmet de femme à femme.
05:49Bien sûr.
05:50Et puis, ces femmes, elles n'avaient pas vocation à mourir plus jeunes.
05:54Qui rendra justice à ces destins avortés ?
05:56Qui en parlera ?
05:58Il y a un problème de formation des soignants, des médecins que vous êtes.
06:01On se dit souvent que derrière la blouse blanche, les préjugés ne peuvent pas exister.
06:05On est soigné de la même manière.
06:06Il y a cette idée qui est totalement absurde qu'à partir du moment où on met une blouse
06:09blanche, d'un seul coup, on n'est plus les véhicules des stéréotypes ou des préjugés
06:14de la société.
06:15Bien sûr qu'on continue à l'être.
06:16C'est ce qui explique d'ailleurs par exemple que 50% des personnes LGBT ont déjà refusé
06:20d'aller consulter un médecin parce qu'elles ont peur du jugement.
06:23C'est une perte de chance sanitaire aussi pour ces patients.
06:27Tout ça, c'est des chiffres.
06:28Mais derrière, il y a des vies, il y a des existences et il y a des personnes qui meurent
06:33peut-être plus jeunes ou se situent dans un angle mort de la médecine qui est un angle
06:38mort mortel pour elles.
06:39Mais vous, vous avez constaté qu'on apprenait mal à soigner les minorités quand vous étiez étudiant.
06:44Mais bien sûr, ça va du syndrome méditerranéen qui permet de dévaluer la douleur pour peu
06:49que la personne vienne d'une région de la Méditerranée.
06:51Vous savez, le fameux syndrome méditerranéen qui a causé la mort de Naomi Musanga.
06:56Mais d'autres exemples comme ça, il y en a plein.
06:58Il y a des statistiques qui montrent que, par exemple, aux Etats-Unis, quand les enfants
07:03noirs ont deux à trois fois plus de risques de mort dans la première année qui suit
07:09leur naissance que les enfants blancs et que cette différence s'efface quand ils sont
07:13pris en charge par des médecins noirs.
07:14On va me dire, mais c'est les Etats-Unis, en France, le racisme n'est pas le même.
07:18Oui, en attendant, tous les médecins ne sont pas homophobes ou racistes, mais tous les
07:21médecins homophobes et racistes exercent sur Terre.
07:23On ne va pas dire aux gens, prenez un risque sur votre santé.
07:25Vous avez encore ce double poste d'observation, Baptiste Bollieux, avec votre métier de médecin
07:30généraliste que vous continuez à exercer.
07:33Ce récit est très intime, très poignant, je le disais.
07:36Il est aussi très lumineux parce que vous nous racontez aussi votre quotidien.
07:41Et moi, je retiens notamment deux mots, voire à un moment donné, vous écrivez, il y a
07:45des mots qui obligent.
07:46Mon mari, par exemple, quel pouvoir ont-ils ces deux mots ?
07:51À partir du moment où on le dit, il y a chez beaucoup de gens, quand on prononce
07:56ce mot, un petit vacillement, comme ça, et on sent que ça dit beaucoup de choses à
08:03la personne.
08:04Et nous, ce que ça dit, c'est que la loi nous a permis maintenant de nous marier et
08:07que c'est légal et que ça plaise ou pas à la personne.
08:10C'est comme ça et c'est ce que permet ce mot, ce que performe ce mot.
08:14Et donc, oui, parfois, on se régale à l'envoyer.
08:17Une vie complètement ordinaire, permise par la loi, il y a eu des grandes victoires, mais
08:21le combat continue.
08:22C'est ce que dit votre livre.
08:24Merci beaucoup, Baptiste Boullion, d'avoir été ce matin l'invité de France Inter.
08:28Je rappelle le titre de votre livre, « Tous les silences ne font pas le même bruit ».
08:32Il est paru aux éditions l'Iconoclast.