• il y a 15 heures
Cet épisode explore la question fascinante des relations humaines, en particulier la possibilité de transformer des ennemis en amis. À travers des discussions approfondies et des exemples tirés de l'histoire et de la psychologie, les intervenants analysent les dynamiques de conflit et de réconciliation. Les témoignages d'individus ayant réussi à surmonter des rivalités et à établir des liens positifs avec leurs anciens adversaires illustrent les défis et les bénéfices de cette démarche. Cet épisode incite les téléspectateurs à réfléchir sur les notions de pardon, d'empathie et de compréhension dans nos interactions quotidiennes.
Transcription
00:00Ce faire du mal est l'un des grands talents de l'humanité.
00:08Cela va de la bagarre comique et sans conséquence au conflit armé-meurtrier.
00:14Mais ensuite, quand les armes se taisent enfin, que se passe-t-il ?
00:23Les ennemis d'hier peuvent-ils devenir les amis de demain ?
00:26Les études montrent que souvent, les accords de paix sont rompus
00:31et que de nouveaux conflits violents éclatent.
00:35Le risque, c'est que la colère, la rancœur et les traumatismes perdurent de génération en génération.
00:42Alors comment faire pour que des pays ou des communautés qui se sont déchirées puissent renouer des liens ?
00:48Se réconcilier suppose d'aborder les aspects émotionnels du conflit.
00:53Voir deux adversaires poser les armes et prendre un nouveau départ
00:56semble parfois relever du petit miracle.
00:59Ou du grand.
01:01Alors comment arriver à une réconciliation réussie et durable ?
01:18Commençons par un exemple qui parlera à tout le monde.
01:21Un simple conflit de voisinage.
01:25La querelle commence avec un bac à compost malodorant,
01:28s'envenime avec des nuisances sonores jusqu'à culminer avec l'abattage d'un pommier.
01:34La solution est à portée de main.
01:37Les excuses font des miracles.
01:39Elles peuvent immédiatement arranger les choses.
01:43Pour une excuse en bonne et due forme, il faut d'abord reconnaître sa responsabilité.
01:48Ce n'est pas dire je suis désolé que tu aies été blessé,
01:51mais je suis désolé de t'avoir blessé.
01:56Et même s'il n'est pas toujours facile pour l'offenseur de faire amende honorable,
02:00il vaut mieux éviter de le forcer à s'excuser.
02:02Comme dans un poisson nommé Vanda.
02:13Si on a tant de mal à faire son mea culpa,
02:16c'est souvent parce qu'on refuse de reconnaître ses torts
02:19et qu'il est bien plus confortable de se poser en victime.
02:27Pourtant, un repentir sincère peut avoir d'étonnantes vertus.
02:34Pourquoi ?
02:35Il y a deux angles de réponses à cette question.
02:38Le premier, c'est que présenter ses excuses peut permettre de changer son schéma cognitif.
02:44Par exemple, si on regarde ce dessin dans ce sens, on voit trois bâtons.
02:49Mais si on le regarde dans ce sens-là, on voit quatre bâtons.
02:53Il faut donc adopter un autre point de vue.
02:56C'est-à-dire qu'il y a un autre point de vue.
02:59Mais si on le regarde dans ce sens-là, on voit quatre bâtons.
03:03Il faut donc adopter un autre point de vue.
03:06Quand celui qui m'a fait du tort me demande pardon,
03:09je peux regarder d'un autre œil ce qui s'est passé.
03:12Je n'attribue plus forcément ces actes à sa personnalité,
03:16en considérant que c'est une mauvaise personne et point final.
03:19Mais je comprends que l'autre était sous pression
03:22ou qu'il manquait de sommeil,
03:24ce qui l'a rendu irritable et agressif.
03:28Donc ça change ma compréhension de ce qui a causé l'offense.
03:34Une autre théorie considère que présenter des excuses
03:37permet de rétablir un équilibre.
03:41Une offense laisse la victime dans une position vulnérable.
03:45Elle se sent faible, humiliée.
03:48Elle porte une lourde charge émotionnelle.
03:51En s'excusant, l'offenseur montre qu'il est prêt
03:54à partager cette charge émotionnelle avec la victime
03:57parce que lui aussi ressent le poids de la culpabilité,
04:00du remords et de la honte pour ce qu'il a fait.
04:03Ainsi, les deux parties impliquées sont davantage
04:06sur un pied d'égalité.
04:09Quelques mots d'excuse peuvent réparer une relation.
04:12Mais ce qui marche entre deux personnes
04:15fonctionne-t-il aussi à grande échelle ?
04:18Que peut-on attendre d'excuses officielles
04:21après une guerre ou un conflit violent ?
04:26L'une des difficultés avec les excuses politiques,
04:29c'est qu'on demande souvent pardon
04:32pour quelque chose d'impardonnable.
04:38Le préjudice est tel qu'on peut se dire
04:41que des excuses n'y changeront rien.
04:44Mais il y a des cas où elles ont porté leurs fruits.
04:48Exemple avec l'Irlande du Nord,
04:51où la paix règne désormais après une guerre civile sanglante
04:54de plusieurs dizaines d'années parce qu'une partie
04:57de l'Irlande du Nord voulait appartenir au Royaume-Uni
05:00alors que l'autre voulait rejoindre la République d'Irlande.
05:0338 ans après le funeste Bloody Sunday,
05:06jour où l'armée britannique a tué 14 civils,
05:09le Premier ministre David Cameron a présenté des excuses officielles.
05:18La plupart des gens ont pensé qu'il allait ajouter un mais.
05:21Mais c'était la guerre, mais nous étions en plein conflit.
05:24Et il ne l'a pas fait.
05:27Ses excuses ont fonctionné parce qu'elles ne comportaient pas de mais.
05:32Aujourd'hui, si vous reparlez aux habitants d'Irlande du Nord
05:35de ce discours de Cameron, ils auront retenu ces mots
05:38« ni justifié, ni justifiable ».
05:42Ainsi, en politique comme dans la sphère privée,
05:45une excuse ne peut être prise au sérieux que si l'auteur reconnaît
05:48sans détour sa faute et en assume la responsabilité.
05:51Même 38 ans plus tard.
05:54D'ailleurs, quand un chef d'État s'excuse,
05:57c'est souvent pour des actes remontants à plusieurs générations.
06:00Il a fallu attendre 2022 pour que le roi belge exprime
06:03ses regrets quant au passé colonial de son pays.
06:07Même s'il s'agit de crimes remontants au passé,
06:10on en porte la responsabilité.
06:15Je pense en particulier au colonialisme,
06:18qui a permis à l'Europe d'atteindre la prospérité dont on jouit aujourd'hui.
06:21Notre continent doit sa richesse à l'exploitation
06:24des colonies à l'époque.
06:27Ce qu'on est aujourd'hui, notre mode de vie,
06:30on le doit en grande partie aux actes de nos ancêtres.
06:33En ce sens, il n'est jamais trop tard pour s'excuser.
06:36Ou plutôt, mieux vaut tard que jamais.
06:39Comme en 1970, lorsque le chancelier allemand Willy Brandt
06:42s'agenouille devant le mémorial des morts du ghetto de Varsovie,
06:45soit 25 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah.
06:52Ce qui a rendu ce geste si impressionnant et touchant,
06:55c'est qu'il est apparu très authentique.
06:58Sans dire le moindre mot,
07:01il a exprimé un profond remords
07:04et un fort sentiment de honte et de culpabilité.
07:07Mais peut-on pardonner de quelque manière que ce soit
07:10la guerre d'extermination menée par le Troisième Reich
07:13et le génocide de plus de 6 millions de juifs ?
07:16Je ne crois pas qu'on puisse pardonner aux officiers nazis.
07:19Mais il est possible de pardonner à la nation allemande,
07:22parce que ce n'est pas la même situation
07:25qu'un crime interpersonnel.
07:28L'autre point important,
07:31c'est que ces excuses n'étaient qu'une composante
07:34d'un processus plus long et plus sérieux,
07:37incluant des réparations financières
07:40pour les victimes de la Shoah.
07:43Est-ce que ça aurait fonctionné en 1946 ?
07:46Probablement pas, parce que l'Allemagne n'avait pas encore
07:49réparé ses fautes, ni démontré sa bonne foi
07:52pour construire un avenir différent.
07:55Des excuses officielles peuvent être un geste fort et symbolique
07:58qui aide à panser les plaies,
08:01à la condition que ce geste s'accompagne d'autres mesures.
08:04Et souvent, la repentance formelle
08:07vient seulement dans un second temps.
08:10Alors par quoi peut-on entamer le travail de rapprochement ?
08:13Si on observe les sociétés d'après-guerre,
08:16on constate que très peu d'entre elles
08:19dirait qu'elles se sont réconciliées.
08:22Parmi les exemples positifs, il y a la France et l'Allemagne.
08:25Trois guerres meurtrières ont laissé des blessures profondes,
08:28au point que de nombreux Français et Allemands
08:31se considéraient comme des ennemis jurés.
08:34En 1945, l'image de l'autre comme ennemi héréditaire est extrêmement forte.
08:42Les Français sortent de la guerre, de l'occupation.
08:45Après le débarquement allié en Normandie,
08:48il y a eu des massacres commis par la Wehrmacht,
08:51par les soldats allemands,
08:54qui ont été tout à fait dramatiques.
08:57De part et d'autre, la haine et le ressentiment
09:00sont extrêmement forts.
09:03Mais contre toute attente, les deux pays se sont réconciliés.
09:06Sinon, il n'y aurait ni cette émission, ni cette chaîne de télé.
09:09Pourquoi et comment sont-ils parvenus à accomplir
09:12ce que les générations précédentes jugeaient impossible ?
09:15Il y a évidemment des arguments pour chacun des deux pays
09:18de vouloir cette paix.
09:21L'Allemagne a été mise au banc des nations.
09:24Pour les Allemands, il s'agissait de regagner
09:27le camp des nations, de la civilisation,
09:30d'être accepté par les autres nations.
09:33Et pour les Français, mais plus généralement
09:36pour tous les pays européens, c'était d'avoir maintenant
09:39la paix sur le continent, la paix en Europe.
09:42Afin de concrétiser cet idéal de paix,
09:45les Français ont une idée.
09:48En mai 1950, le ministre des Affaires étrangères, Robert Schuman,
09:51propose de fonder la Communauté européenne
09:54du charbon et de l'acier.
09:57La CECA a été l'une des premières institutions supranationales
10:00qui ont participé à la construction de l'Union européenne.
10:03L'objectif était d'établir une coopération économique fertile
10:06entre la France et l'Allemagne
10:09pour prévenir tout nouveau conflit.
10:12Le traité de l'Elysée, signé en 1963,
10:15vient sceller cette réconciliation entre les deux pays.
10:1818 ans après la dernière guerre, la France et l'Allemagne
10:21s'engagent à une coopération étroite et régulière
10:24sur les questions de politique étrangère, européenne et de défense.
10:27Et pour porter loin cette vision commune
10:30d'une Europe unie et pacifiée,
10:33le traité de l'Elysée pense aux générations futures,
10:36notamment avec la création de l'Office franco-allemand pour la jeunesse.
10:39Depuis 1963, cette organisation a permis
10:42à près de 10 millions de jeunes Français et Allemands
10:45de nouer des liens amicaux.
10:48Au départ, nous avons les ruines de la guerre.
10:51Il faut une vision commune
10:54et de part et d'autre, deux personnalités,
10:57notamment deux personnalités politiques
11:00qui partagent cette vision.
11:03Mais ça ne suffit pas.
11:06Il faut le soutien de la société civile,
11:09de part et d'autre.
11:12Reprenons. Au départ,
11:15il faut un intérêt solide à la réconciliation,
11:18puis une vision constructive d'un avenir commun juste et pacifique.
11:21Entre voisins, c'est pareil.
11:24Il faut que les deux aspirent véritablement à faire la paix
11:27et partagent la même vision d'une relation fraternelle.
11:30Mais soyons honnêtes.
11:33Si on pouvait éviter le voisin en déménageant sur une île lointaine,
11:36on se soucierait moins de se rabibocher.
11:39Et quand on partage une clôture et a fortiori une frontière,
11:42ce n'est pas possible.
11:45La situation au Proche-Orient témoigne d'une difficulté supplémentaire.
11:48En cas de conflit entre deux puissances,
11:51d'autres viennent souvent s'en mêler avec leurs propres intérêts en jeu.
11:54L'un des points qui rend si difficile
11:57la résolution du conflit israélo-palestinien,
12:00c'est qu'il implique plus que deux acteurs.
12:03Ce n'est pas un conflit local,
12:06c'est un conflit mondial qui se cristallise dans cette région.
12:12De quoi compliquer les choses.
12:15Toujours est-il que cheminer vers l'apaisement est bien plus facile
12:18si toutes les parties impliquées veulent la paix comme horizon.
12:21Mais un instant, n'oublions-nous pas quelque chose.
12:24Se tourner vers l'avenir, c'est bien beau,
12:27mais qu'en est-il des crimes de guerre, par exemple ?
12:30On ne peut pas simplement les balayer sous le tapis.
12:33La réconciliation est un paradoxe
12:36parce qu'il faut regarder derrière soi
12:39pour pouvoir aller de l'avant.
12:42Un peu comme ce jouet qu'il faut tirer en arrière
12:45pour qu'il puisse s'envoler.
12:48Se confronter au passé est essentiel pour se tourner vers l'avenir.
12:51Reprenons le cas de l'Allemagne et de la France,
12:54ce modèle de réconciliation.
12:57Au début, l'idée était plutôt de faire table rase du passé,
13:00quitte à laisser de nombreux coupables s'en tirer.
13:03Au départ, le point de vue le plus majoritaire
13:06a été de dire que le passé est trop sombre, regardons l'avenir.
13:09Finalement, c'est assez tardivement
13:12que des procès très importants, comme le procès de Klaus Barbie,
13:15qui avait été le chef de la Gestapo à Lyon,
13:18ont pu avoir lieu en France à la fin des années 80.
13:25S'il est rare que tous les coupables comparaissent,
13:28c'est aussi pour d'autres raisons.
13:31Au sortir d'une guerre ou d'un conflit armé,
13:34les bourreaux sont si nombreux
13:37qu'il est difficile de traîner chacun d'entre eux devant les tribunaux.
13:40Et de surcroît,
13:43après un conflit meurtrier,
13:46il arrive souvent que les institutions,
13:49et surtout le système judiciaire, soient en ruine.
13:52Et si les mêmes personnes occupent les mêmes postes,
13:55c'est difficile de se remettre en question,
13:58de reconnaître les fautes et de regarder le passé en face.
14:01C'est aussi pour cette raison
14:04qu'une sorte de tribunal universel a été créé,
14:07la Cour pénale internationale,
14:10qui a son siège à La Haye.
14:13Elle n'est compétente que pour juger les plus grands criminels,
14:16accusés de crimes de guerre, de génocide,
14:19de crimes contre l'humanité ou de crimes d'agression.
14:22L'origine de la Cour pénale internationale
14:25remonte au procès de Nuremberg en Allemagne.
14:28C'est là que, pour la première fois de l'histoire,
14:31la communauté internationale traduit en justice
14:34des criminels de guerre.
14:37La justice et les procès peuvent aussi contribuer
14:40au processus de réconciliation.
14:43Après 1945, il y a eu le procès de Nuremberg,
14:46qui n'a concerné que les plus grands criminels de guerre allemands.
14:49Pour la France, c'était extrêmement important
14:52d'être présente au tribunal de Nuremberg.
14:55Le procès de Nuremberg a concerné 209 accusés
14:58et les procédures se sont étalées sur 4 ans.
15:01La Cour pénale internationale, elle,
15:04ne peut poursuivre qu'un petit nombre de criminels
15:07et pour les crimes les plus graves.
15:10Sans compter que des pays comme les Etats-Unis,
15:13la Russie ou la Chine n'ont toujours pas reconnu son autorité.
15:16La communauté internationale est d'avis
15:19que les procès sont importants,
15:22mais en aucun cas ils ne suffisent à mener à la réconciliation.
15:25D'autres mesures sont nécessaires
15:28qui complètent les poursuites pénales.
15:31À lui seul, un procès ne fait pas tout.
15:34D'autant plus que souvent, les procédures traînent en longueur
15:37et ne remplacent pas un travail de fond sur le passé,
15:40dont les victimes meurtries par une guerre ou un conflit armé
15:43ont particulièrement besoin.
15:46Alors que faut-il encore pour pouvoir tourner la page ?
15:49Entre deux personnes, c'est facile à imaginer.
15:52Idéalement, on se met autour d'une table
15:55pour discuter de ce qui s'est passé.
15:58Chacun expose calmement son point de vue.
16:01Mais à l'échelle d'un pays, comment faire ?
16:04À la fin de l'apartheid, en 1991,
16:07l'Afrique du Sud a eu une idée novatrice.
16:10La commission de Nelson Mandela a créé la commission
16:13« Vérité et réconciliation », chargée de recenser et examiner
16:16tous les crimes commis au cours de l'apartheid.
16:19Pendant les longues années de ce régime discriminatoire,
16:22la minorité blanche avait imposé une ségrégation brutale
16:25et opprimé des millions de personnes,
16:28ce qui avait failli mener le pays à la guerre civile.
16:31L'objectif premier de la commission ?
16:34Mettre au jour la vérité.
16:37Les victimes étaient supprimées, torturées ou tuées
16:40dans des circonstances troubles et par des auteurs inconnus.
16:43Il s'agissait donc de permettre aux victimes de s'exprimer,
16:46que leur souffrance soit entendue,
16:49mais aussi qu'elles apprennent enfin ce qui était arrivé à leurs proches.
16:52Des milliers de gens ont raconté leur calvaire
16:55lors d'audiences souvent publiques.
16:58L'idée était qu'on ne pouvait pas se faire une image complète du passé
17:01sans entendre la parole des coupables et des victimes.
17:04Pour les bourreaux à se confesser ouvertement,
17:07on leur promet l'amnistie.
17:10Les coupables ont révélé beaucoup d'informations
17:13qui n'auraient pas été obtenues par un procès classique.
17:16Le deuxième but de la commission ?
17:19Que les victimes et les coupables s'écoutent mutuellement,
17:22de sorte que les deux camps ennemis puissent plus tard se rapprocher.
17:25De nombreuses audiences ont été retransmises à la télévision nationale.
17:29Ici, un tortionnaire montre les terribles méthodes employées.
17:50Plus de téléspectateurs regardaient le rapport hebdomadaire
17:53de la commission de vérité que le journal télévisé.
17:57Le résultat final ? Un rapport de plusieurs tomes,
18:00avec des informations détaillées sur les crimes commis
18:03et les violations des droits humains.
18:06Aujourd'hui, l'avis quant au bilan de la commission est mitigé.
18:09Le problème, c'est ce qui s'est passé ensuite,
18:12ou plutôt ce qui ne s'est pas passé.
18:16Beaucoup de Sud-Africains aujourd'hui ont une opinion négative de la commission,
18:19très différente de celle qui prévalait dans les années 1990,
18:22parce qu'il n'y a pas eu de procès consécutif,
18:25ni de réparation adéquate.
18:28C'est pourtant la deuxième étape nécessaire du processus,
18:31les indemnisations et réparations.
18:34Comme à petite échelle, il faut réparer ce qui a été cassé.
18:38Dans les conflits interpersonnels,
18:41il est souvent possible de proposer des réparations,
18:44d'essayer de recoller les morceaux de vaisselle brisés.
18:47Mais pour les conflits à l'échelle d'une société,
18:50c'est totalement impossible.
18:53C'est un viol, un crime, un meurtre.
18:56Alors comment faire ?
18:59Comment fixer le prix d'une vie humaine,
19:02qu'on ne peut ni peser ni mesurer ?
19:05Puisque la seule réparation suffisante serait de ramener les victimes à la vie,
19:08il ne reste que la dimension symbolique.
19:11Et c'est toute la difficulté des réparations.
19:16Un symbole indispensable à la réconciliation,
19:19et qui doit prendre en compte les besoins individuels des victimes.
19:23Pour que les réparations fonctionnent,
19:25les victimes doivent avoir le sentiment d'avoir été consultées.
19:31En Afrique du Sud, le faible montant des réparations accordées
19:34n'a pas permis de compenser les injustices structurelles et économiques
19:37engendrées par l'apartheid.
19:43De nombreux citoyens continuent d'en subir les conséquences.
19:49Si l'un est très puissant alors que l'autre est très faible,
19:52ça posera une difficulté supplémentaire pour la réconciliation,
19:55surtout pour le groupe défavorisé.
20:00Beaucoup considèrent tout de même la Commission sud-africaine
20:03comme une étape bénéfique pour rétablir une unité nationale.
20:06Et l'expérience a fait école à l'étranger.
20:11Il existe aujourd'hui plus de 40 commissions du même type dans le monde.
20:15En 2006, par exemple, le Canada a décidé d'enquêter
20:18sur les actes des pionniers, les colons,
20:21envers les Premières Nations, les peuples autochtones du pays.
20:26En Colombie, après des années d'un conflit armé interne,
20:29la Commission pour la vérité a rendu son rapport
20:32sur les responsabilités des différentes parties impliquées.
20:37En Tunisie, l'instance Vérité et Dignité,
20:40créée à la suite du printemps arabe,
20:43a examiné les crimes commis pendant la révolution tunisienne,
20:46mais surtout avant cela, pendant le mandat du dictateur Ben Ali.
20:52Pour l'archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix
20:55et président de la Commission sud-africaine,
20:58il y avait un autre élément-clé à la réconciliation,
21:01le pardon. Il l'exprimait ainsi.
21:13Même quand on souhaite tourner la page,
21:16pardonner n'est pas un acte facile.
21:19Faut-il vraiment attendre des victimes qu'elles consentent au pardon
21:22plutôt que de vouloir châtier les coupables ?
21:25Pardonner, ce n'est pas écarter la culpabilité de l'autre,
21:28ce n'est pas oublier,
21:31c'est se montrer prêt à aller de l'avant
21:34malgré le souvenir de ce qui s'est passé.
21:38Selon Desmond Tutu, le pardon peut aussi être libérateur
21:41pour la victime elle-même.
22:01Un bel acte de grâce.
22:04Mais comment y arriver ?
22:07Prenons l'exemple du Proche-Orient.
22:11Le fils de Robbie, une Israélienne, a été tué par un Palestinien.
22:14Mais tous deux plaident pour la réconciliation.
22:17Pourquoi ?
22:40Arabe et Robbie sont parvenus à dépasser leur ressentiment mutuel.
22:43Robbie a même pardonné au meurtrier de son fils.
23:10Pardonner, c'est aussi parvenir à se mettre à la place de l'autre
23:13et reconnaître son humanité.
23:16Comment y arriver ?
23:34L'une des choses essentielles pour les deux acteurs d'un conflit,
23:37c'est de reconnaître que tous les deux ont beaucoup souffert
23:40et ont subi une forte injustice.
23:46Cette identité commune en tant que victime
23:49peut être le pilier d'une réconciliation.
23:54Le problème, c'est que souvent,
23:57on refuse à l'autre le statut de victime
24:00et qu'on l'endosse soi-même.
24:03Chaque protagoniste ressent intensément sa propre souffrance
24:06et son propre statut de victime.
24:09Mais la souffrance de l'autre, on ne l'aperçoit pas de la même façon.
24:12Alors souvent, on est en compétition pour le statut de victime,
24:15ce qu'on appelle la victimisation concurrentielle.
24:23Robbie et Arabe sont membres d'une organisation
24:26où tous ont perdu un proche tué par l'autre camp.
24:29Un drame commun qui les a rapprochés
24:32et qui les a aidés à s'ouvrir à l'autre.
24:36Mais c'est souvent un long et difficile processus.
25:01Le pardon est un cheminement personnel.
25:04Au bout duquel, dans le meilleur des cas,
25:07il y a la réconciliation avec l'ancien ennemi.
25:10Mais peut-on transposer ce processus
25:13à une société toute entière ?
25:16Quand on parle de génocide ou de violation
25:19des droits humains à grande échelle,
25:22je pense que c'est injuste de demander ça aux victimes.
25:26La réconciliation est un idéal important.
25:29Mais il est impossible d'y contraindre qui que ce soit.
25:32La violence politique et les formes extrêmes de violence
25:35laissent un lourd héritage à une société.
25:38Une méfiance entre les communautés,
25:41une perte de confiance envers les institutions,
25:44une crainte des autres, de l'État
25:47ou de certains groupes qui étaient armés.
25:50De larges fossés se creusent au sein d'une société
25:53qui a subi la violence politique.
25:56Comment refermer ces fossés ?
25:59L'un des mécanismes,
26:02c'est la justice transitionnelle.
26:05La justice transitionnelle désigne
26:08un ensemble de mesures structurelles
26:11qui aident un pays à réussir la transition
26:14d'un état de guerre à celui de paix.
26:17La justice transitionnelle vise à rendre justice
26:20pour des actes commis par le passé.
26:23Cela passe par des commissions de vérité,
26:27des jugements à la suite de procès,
26:32des réparations et indemnisations,
26:38et ça comprend aussi des réformes des institutions
26:41ou du système judiciaire, etc.,
26:44afin de prévenir le retour de la violence.
26:47Face à un fossé qui s'est creusé,
26:50si on a un processus judiciaire juste et efficace,
26:53même si tout le monde n'est pas poursuivi,
26:56le fossé se réduit.
26:59S'il y a une vraie recherche de la vérité,
27:02le fossé se réduit.
27:05S'il y a des réparations adéquates,
27:08le fossé se réduit.
27:11Il y a ceci d'intéressant néanmoins,
27:14que le fossé ne se refermera jamais totalement.
27:17C'est plutôt un entonnoir avec un petit trou.
27:20Parce qu'on ne peut pas ressusciter les morts,
27:23on ne peut pas effacer des violations massives des droits humains.
27:26Mais chaque pas du processus
27:29aide à réduire le fossé créé par la violence politique.
27:34Pour rétablir le vivre-ensemble à l'échelle de tout un pays,
27:37la route est longue.
27:40Les différentes étapes peuvent être impulsées par le monde politique,
27:43mais le soutien de la société civile est essentiel.
27:46Toute justice transitionnelle doit être complétée
27:50La réconciliation est un projet de société
27:53où tous les efforts pour la paix importent.
27:56La paix ou la réconciliation
27:59peuvent être encouragées par des mouvements populaires
28:02et des initiatives personnelles.
28:05Il y a de discrets bâtisseurs de paix, partout et tout le temps.
28:10La guerre fait des ravages en un rien de temps,
28:13alors que la réconciliation est un processus au long cours.
28:16Elle demande des efforts considérables et continus
28:19sur plusieurs générations.
28:22Créer une paix durable est l'un des plus grands défis
28:25qui se posent à l'humanité.
28:28Par chance, on peut toujours compter sur des modèles de courage.

Recommandations