Nous sommes entrés dans un monde hyper-industriel [Pierre Veltz]

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Le covid nous a appris notre dépendance par rapport à des usines situées en Mongolie extérieure. La montée des populismes nous a montré les dégâts politiques de la désindustrialisation. Aujourd’hui, un consensus s’est créé autour de l’impératif de réindustrialisation. C’est une bonne nouvelle, après des décennies de négligence. [...]

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Transcription
00:00Le Covid nous a appris notre dépendance considérable par rapport à des usines situant en Mongolie extérieure.
00:15La montée des populismes nous a montré les dégâts politiques et pas seulement économiques de la désindustrialisation.
00:22Aujourd'hui, un consensus s'est créé autour de l'impératif de réindustrialisation de la France et de l'Europe.
00:29C'est une bonne nouvelle, après des décennies de négligence, voire de léger mépris pour la chose industrielle de la part de nos décideurs.
00:37L'idée est de recréer en France et en Europe des noyaux industriels résilients, comme on dit,
00:43affirmant notre place vis-à-vis de la Chine et de l'Amérique,
00:46tout en prenant à bras et corps l'urgence du climat et d'un rapport réinventé au monde vivant.
00:52Ça soulève deux questions. D'abord, l'articulation entre ces deux objectifs, souveraineté d'un côté, écologie de l'autre, est peu claire.
01:00Ensuite, je crois qu'on regarde trop l'avenir de l'industrie avec les lunettes du passé.
01:06La réindustrialisation ne sera pas la reprise de la trajectoire passée, malheureusement interrompue, mais un nouveau monde à inventer.
01:17En France, depuis quelques années, les ouvertures d'usines sont plus nombreuses que les fermetures.
01:21C'est en train de changer un peu. En même temps, les problèmes persistants de compétitivité, de compétences à trouver,
01:28et surtout aujourd'hui du coût de l'énergie, rendent les progrès très fragiles.
01:32En cette fin de 2024, la situation européenne est même devenue assez critique.
01:38La production industrielle a reculé, en France et encore plus en Allemagne.
01:42Ces sujets d'actualité sont très importants, mais ils ne doivent pas occulter une réflexion plus fondamentale sur ce que pourrait être, à moyen terme, l'industrie du futur.
01:53Nous avons une vision beaucoup trop étroite de ce qu'est l'industrie, limitée aux usines, limitée à la fabrication des objets.
02:00On nous a longtemps expliqué, en plus, que cette fabrication allait être résiduelle dans nos pays développés.
02:05On parle encore de société post-industrielle. Il faut oublier ce terme.
02:11Je prétends, au contraire, que nous entrons dans une société hyper-industrielle.
02:15Le mot n'est pas très joli, mais quelle est l'idée ?
02:18Pourquoi une société hyper-industrielle ? Au moins trois grandes raisons.
02:23D'abord, loin de tendre vers l'immatériel, notre économie et notre société, de manière générale, est de plus en plus vorace en ressources matérielles.
02:32L'urbanisation de la Chine, par exemple, a consommé en trois ans autant de ciment que les USA pendant un siècle.
02:41Le numérique, loin d'être aérien et léger, a un impact énergétique et matériel de plus en plus lourd, qui va encore s'envoler avec l'IA, l'intelligence artificielle.
02:53La France elle-même, quand on dit « désindustrialisée », beaucoup de gens pensent qu'on ne produit plus d'objets en France,
02:58fabrique en réalité de plus en plus d'objets, même si elle en importe encore davantage, avec, d'où le déficit de notre commerce international.
03:06La deuxième raison, c'est qu'on constate une fusion croissante entre l'univers industriel manufacturier, au sens traditionnel, et le monde des services, et celui du numérique.
03:17Oubliez ce que vous avez appris à l'école sur les secteurs primaires, secondaires, tertiaires.
03:22Tous ces domaines sont aujourd'hui complètement poreux les uns par rapport aux autres, et même complètement imbriqués.
03:29Les emplois dits « industriels » ne sont plus que minoritairement dans les usines.
03:34Les usines sont ultra automatisées et elles vont continuer à l'être.
03:38Ils sont dans toutes sortes d'activités de conception, de maintenance, de commercialisation, de logistique, activités qui sont toutes comptabilisées dans les services.
03:46Implanter des usines, comme par exemple les Gigafactory, qui se multiplient d'ailleurs dans le nord de la France, ça ne suffira pas si on ne développe pas aussi l'écosystème des services associés.
03:59Troisième changement est plus subtil et aussi plus profond, il est dans les modèles de création de valeur.
04:05L'économie des objets, pour le dire de manière schématique, enfin synthétique, devient une économie des usages et de l'expérience.
04:14L'économie de la propriété des objets évolue vers une économie de l'accès aux services que peuvent rendre ces objets.
04:21Les industriels d'ailleurs comprennent progressivement que leur avenir est de vendre des fonctionnalités d'usage, de garantir des performances, et pas seulement de placer des objets.
04:32Prenons l'automobile. Comme le disait le patron d'un grand constructeur, que l'on ne citerait pas le nom, la mobilité est un besoin essentiel, la voiture non.
04:41Demain, l'enjeu sera donc de répondre à des besoins complexes, demain et déjà aujourd'hui, à des besoins complexes de mobilité,
04:48de mobilité multimode, en lien avec les transports collectifs ou le vélo dans les grandes villes, et toutes sortes de nouveaux services comme la mobilité partagée.
04:56Cette nouvelle industrie, autre guillemet, de la mobilité, hyper-industrie de la mobilité, aura de ce fait d'ailleurs un rapport beaucoup plus organique avec les territoires.
05:06C'est dans ce déplacement que se joue la bataille économique aujourd'hui, mais aussi écologique.
05:12Comment consommer moins d'objets, mais enrichir la vie, créer de la valeur sociale par de nouveaux services, de nouveaux liens créés entre les personnes,
05:23a priori beaucoup moins demandeurs d'énergie et de matière que l'économie de profusion matérielle qui nous enveloppe et dans laquelle nous étouffons.

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