• il y a 2 mois

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00:00Il est 8h32 et vous êtes bien sur RMC et BFM TV. Bonjour Emmanuel Todd, merci d'être
00:10dans ce studio ce matin. Emmanuel Todd, vous êtes démographe, historien, sociologue et
00:16vous publiez La défaite de l'Occident. Vous dites même qu'on est à la veille d'un grand
00:22basculement du monde. Votre livre sort aujourd'hui aux éditions Gallimard. Vous avez choisi
00:27RMC et BFM TV pour votre premier entretien en direct. Je vous en remercie parce que ce
00:31livre est à la fois passionnant, un peu dérangeant. Je vais même dire qu'il y a à la fois du
00:36Houellebecq et du Onfray dans votre rapport au monde. Vous dites que l'Europe libérale
00:43est en quelque sorte responsable d'une forme de suicide de l'Occident, si je vous entends
00:47bien. C'est l'Occident lui-même qui a engagé sa propre défaite, une défaite morale et
00:55une défaite économique. Est-ce qu'elle est inéluctable, cette défaite ?
01:00Alors au cœur du problème, je mets plutôt les Etats-Unis et le monde anglo-américain.
01:04C'est un affrontement entre l'Occident et l'Est.
01:06Mais il y a une responsabilité européenne. Oui, j'ai cherché. En fait, je sais que je
01:16suis un peu décalé par rapport aux sensibilités actuelles. Je vois bien que mon attitude d'historien
01:23dépassionnée peut choquer ou peiner certains. Mais c'est ce que j'ai essayé de faire. C'était
01:30de regarder la guerre d'Ukraine, non pas simplement les yeux rivés sur les opérations militaires sur
01:38le terrain, mais en regardant la dynamique historique générale. Et ce qui m'a semblé
01:45percevoir, c'est une Russie tout à fait stable et effectivement en position défensive sur ses
01:53frontières, et un Occident qui est pris dans une trajectoire agressive un peu bizarre. Je pense que
02:01les gens n'ont pas vraiment compris le sens de l'effondrement de l'Union soviétique. Que vous
02:09aviez pronostiqué, et je le rappelle ici, parce que vous êtes considéré comme le devin, celui qui,
02:16ou plutôt le cassandre, celui qui avait prévu la chute de l'Union soviétique bien avant que
02:22qui que ce soit ne la pronostique, c'était en 1976, ça s'appelait la chute finale. Votre indice,
02:28c'était notamment la chute de natalité et la mortalité infantile, qui sont toujours pour vous
02:31des indices extrêmement importants à prendre en compte. Actuellement, le taux de mortalité, je sais
02:35qu'on dit des choses horribles sur la Russie de Poutine, mais le taux de mortalité infantile
02:39russe actuel est maintenant inférieur au taux de mortalité infantile américain. Mais ce qu'on
02:45n'avait pas vu à l'époque, c'est que l'Amérique elle-même était dans un processus de déclin
02:50éducatif, industriel, qui a démarré vers 1965. Et donc la Russie s'est effondrée, mais l'Occident
03:00était lui-même fort mal en points, s'affaiblissait en son centre, et tout le monde a cru que c'était
03:06une victoire du capitalisme. Et donc on a eu ce phénomène tout à fait extraordinaire d'une
03:11expansion vers l'Est, qui est allé provoquer la Russie dans son espace finalement, mais d'un monde
03:18occidental qui n'allait pas bien lui-même. Et on s'est trouvé, moi je n'ai pas du tout une vision
03:24machiavélique simple du comportement des Etats-Unis. Je montre dans le livre que d'une
03:29certaine manière, les Etats-Unis sont tombés dans un piège en Ukraine et se retrouvent affrontant
03:35une Russie. Piège tendue par la Russie ? Non, piège tendue par eux-mêmes et par le nationalisme
03:43ukrainien, c'est-à-dire par une illusion de disparition de la capacité russe et par une
03:51inconscience de la destruction de l'appareil industriel occidental et spécifiquement américain.
03:58Les Etats-Unis et derrière eux l'OTAN, nous, vous estimez qu'on est rentré dans ce piège et
04:05qu'on est en train d'y perdre et de faire perdre l'Ukraine, à qui on avait promis, on a imposé à
04:13l'Ukraine des souffrances abominables en entretenant l'Ukraine dans l'illusion que
04:20l'Occident avait les moyens industriels de soutenir la guerre. Mais actuellement, on est
04:25regardé les informations au jour le jour, les Etats-Unis nous disent qu'ils vont essayer de
04:31faire produire des missiles patriotes anti-aériens défensifs en Allemagne. Sans doute parce qu'ils
04:38ne sont plus capables de les produire eux-mêmes parce qu'ils n'ont plus la main d'oeuvre les
04:42ingénieurs, les ouvriers qualifiés qui permettent de faire ça. L'Allemagne qui d'ailleurs, et on va
04:46y revenir dans un instant parce que j'aimerais qu'on parle de l'Angleterre, de la France et de
04:49l'Allemagne, si je comprends bien, l'Allemagne s'en sort moins mal que nous, l'Angleterre en
04:53revanche pire que nous dans ce déclin, dans cette étape de la défaite. Mais si je comprends bien,
04:59vous avez presque l'air de dire qu'au fond, on a fait l'erreur de faire croire à l'Ukraine qu'on
05:05allait les aider, mais ça veut dire qu'on aurait dû laisser tomber dès le départ, leur dire non
05:09mais attendez, on ne peut rien pour vous. On aurait dû, on aurait dû. Alors, le livre n'est
05:13pas du tout dans le conseil ou dans le il faut faire, il aurait fallu faire. Le livre est un
05:20bouquin d'analyse historique qui cherche les causes. Si on me demande et si je redeviens
05:25citoyen, ce que je ne suis pas dans le livre ou je suis historien, je dirais bien sûr qu'on
05:29aurait dû négocier, bien sûr qu'on aurait dû intégrer la Russie à l'Occident. En fait, vous
05:34dites il y a bien longtemps déjà, nous n'aurions jamais dû couper les liens avec la Russie. Nous
05:39aurions dû amarrer, amarrer Europe et Russie pour en faire un grand Occident. Mais si vous voulez,
05:45le fait de dire il aurait fallu, il aurait fallu faire ceci, ça c'est de la politique au jour le
05:51jour. La Russie ne se serait pas enfermée dans une forme de conservatoire de l'Occident, d'une pureté
05:56de l'Occident. Elle avait fait des tas d'ouvertures au moment de la guerre d'Irak. Il y avait des
05:59conférences de presse communes de Chirac, Schröder et Poutine. C'est très proche. Mais dire
06:05il aurait fallu, il aurait fallu, ça n'a pas de sens parce que l'analyse...
06:09Mais moi c'est aussi les citoyens que j'ai envie d'entendre quand même, Emmanuel Todd,
06:11parce que vous êtes quand même un homme âgé.
06:12Oui, mais si vous voulez, je n'ai pas de vertu morale particulière. Ma compétence particulière
06:18est une compétence d'historien de la longue durée, formé par l'école des Annales et élève d'Emmanuel
06:25Ladurie. Donc ce que je peux faire, c'est dire, écoutez, regardez correctement les Etats-Unis,
06:31regardez cet effondrement industriel, essayez de comprendre pourquoi la globalisation économique
06:38nous a mis dans une telle situation d'infériorité économique. Donc je peux produire dans un chapitre
06:46complet un dégonflement du produit intérieur brut américain...
06:51Qui n'est qu'une bulle.
06:53Qui n'est qu'une bulle, qui est une fiction, qui est aussi une critique de l'économie politique.
06:57Et je peux surtout aller chercher, je dirais, à la racine, la cause du déclin occidental.
07:05Le livre est un... On me traite tout le temps de choses comme poutinophile, vous voyez.
07:13Parfois, il y a une complaisance vis-à-vis de moi. Allez-y, répondez.
07:17Non, non, un historien ne tombe pas amoureux d'un homme politique.
07:22J'utilise beaucoup Max Weber et son idée de ce que le protestantisme et l'ascension du protestantisme,
07:32c'est la base de l'ascension de l'Occident. Donc on pourrait me traiter de Weberophile ou de...
07:40Je suis un grand admirateur du sociologue Émile Durkheim. On pourrait me traiter de Durkheimophile
07:46ou de marxophile, à la rigueur, parce que j'ai une admiration pour le personnage de Karl Marx.
07:51Poutinophile, c'est absurde. Le diagnostic, la chose fondamentale du livre, en termes intellectuels,
07:58c'est de diagnostiquer, de dire... Weber avait correctement dit que l'ascension du protestantisme,
08:04c'était l'ascension de l'Occident. Et moi, je dis, j'analyse l'effondrement du protestantisme
08:08dans l'ensemble du monde anglo-américain. Et je dis, la chute de l'Occident,
08:11c'est l'effondrement du protestantisme, et surtout américain.
08:15Et la chute de la religion. Vous parlez même, pour ce qui est de l'Occident, Etats-Unis et Europe,
08:21d'un état zéro de la religion. Vous considérez qu'en ayant tué, en étant rentré dans une forme de nihilisme...
08:27C'est la percée intellectuelle du livre.
08:28En ayant tué l'idée même de religion, en ayant refusé la morale chrétienne.
08:37Vous parlez même de l'autorisation du mariage homosexuel comme d'un tournant.
08:41C'est, pour vous, la fin des règles de vie régies par une morale religieuse.
08:46Et c'est donc, ça a donc laissé une sorte de vide.
08:49C'est là que je parle d'une forme de suicide, pour vous.
08:51Oui, mais encore une fois, il ne faudrait surtout pas s'imaginer que j'ai une posture morale.
08:58C'est-à-dire, j'ai un rapport... Moi, je suis un historien de la longue durée, formé par l'école des Annales.
09:03Je ne crois pas du tout à l'importance des hommes politiques centraux dans l'histoire.
09:08Je vois des forces de très longue durée et qu'il faut observer, analyser, quantifier sans s'indigner, si vous voulez.
09:18Pour moi, constater le passage...
09:21Mais c'est un peu crépusculaire, quand même, votre livre.
09:23C'est un peu crépusculaire. Vous avez une attitude de fin du monde.
09:27Mais non, pas du tout. Dans le cas des États-Unis, par exemple, je note bien dans le livre
09:32l'association du protestantisme et du racisme le plus dur.
09:36Je note que l'Allemagne, qui était un pays à majorité protestante et dirigé par les protestants, avait produit le nazisme.
09:43Le racisme américain, anti-noir, qui était l'un des plus durs racismes du monde,
09:50était associé au protestantisme américain avec son idée de damnation d'une partie de l'humanité.
09:56Et je dis très clairement que l'effondrement du protestantisme, c'est l'effondrement de l'industrie,
10:02c'est la baisse du niveau éducatif, mais c'est aussi la disparition de ce racisme très dur.
10:08Vous voyez, l'histoire est complexe.
10:10Et au fond, je note bien pour l'ensemble des pays avancés,
10:16un état de faiblesse, je dirais, à s'organiser, à produire du collectif,
10:24que je situe aussi également en Russie.
10:28En Russie, c'est atténué par des traditions familiales communautaires,
10:31comme en Allemagne, par des traditions familiales autoritaires d'un autre genre.
10:36Mais vous savez bien que Poutine dit de l'Occident que c'est désormais une société de dégénéré.
10:40Mais ça, c'est Poutine, c'est pas moi.
10:44Vous pouvez, dans le livre, au début, je dis clairement que je vois bien la mésentente,
10:53l'incapacité à se comprendre des Occidentaux et des Russes.
10:59Une sorte de malentendu, c'est-à-dire qu'une vision fausse de la Russie,
11:05ou inexistante d'ailleurs de la Russie, par les Occidentaux,
11:09une démonisation de Poutine.
11:11Mais je dis aussi que Poutine n'a pas les clés pour comprendre
11:17ce qui le gêne dans le monde occidental.
11:20Donc moi, je n'emploie pas des concepts moraux.
11:22Et encore une fois, pour moi, la disparition de la religion,
11:26c'est pas une chose que j'ai à applaudir ou déplorer.
11:30C'est un fait, le passage de la religion d'un État actif,
11:34où les gens vont aux offices religieux, croient en Dieu, etc.
11:40Un État zombie, dans lequel ils ne vont plus à la messe,
11:44ils ne croient plus en Dieu, mais où subsistent des comportements
11:49et des attitudes collectives qui donnent de la cohérence aux sociétés.
11:54Puis un État zéro, où il n'y a plus rien qu'une angoisse
11:58qui produit ce concept central dans le livre,
12:01c'est le concept de nihilisme.
12:03Vous dites que la religion n'est plus là,
12:05mais l'être humain a toujours besoin de chercher un sens,
12:07et donc il va le chercher ailleurs.
12:08Emmanuel Todd, vous parlez aussi de la pratique...
12:10Le nihilisme est une valeur fondamentale,
12:12et j'en parle pour l'Europe,
12:14j'ai eu plus de mal à en parler pour les États-Unis,
12:16mais dans la mesure...
12:18Si vous me remettez en position de citoyen,
12:21puisque vous vouliez le faire,
12:23je veux dire, ma préoccupation fondamentale
12:26n'est pas du tout une invasion de l'Europe par l'armée russe,
12:29la Russie est démographiquement trop faible,
12:31ce n'est pas du tout les objectifs des Russes.
12:33Ce à quoi j'avertis,
12:35c'est à l'existence d'une puissante pulsion nihiliste aux États-Unis,
12:39une recherche de guerre, de violence,
12:42d'une société qui n'a plus de classe dirigeante autonome,
12:45qui a perdu sa matrice protestante,
12:47qui ne sait plus où elle va,
12:49qui décline et qui provoque un peu partout dans le monde
12:53ou qui envenime partout les conflits.
12:56Ça, c'est mon avertissement de citoyen.
12:58Emmanuel Todd, citoyen du monde,
13:00citoyen français,
13:02vous avez un rapport aussi à la pratique du pouvoir,
13:05vous dites d'ailleurs de la Russie
13:08qu'elle est aujourd'hui une forme de démocratie autoritaire,
13:10démocratie parce que, malgré tout, dites-vous,
13:13le peuple russe ne s'est pas vu imposer Vladimir Poutine,
13:16mais l'a choisi, même si là, en effet,
13:18une pratique du pouvoir autoritaire.
13:20J'ai quand même envie de vous interroger
13:22sur la pratique du pouvoir d'un Emmanuel Macron aujourd'hui,
13:25la question aussi du manque de majorité.
13:28Est-ce qu'aujourd'hui, il y a un rapport à la politique
13:31qui, quand même, crée un collectif ?
13:33Vous parlez finalement de ce que votre vision du monde,
13:36est-ce qu'elle s'applique aussi à la France,
13:38c'est-à-dire une société extrêmement divisée
13:41et dans laquelle il y a une difficulté à trouver un sens commun ?
13:44Oui, alors la France, honnêtement,
13:47la France dans le livre, c'est moi.
13:49Dans le livre, non, mais vous.
13:50La France dans le livre, c'est moi,
13:52puisqu'il a été écrit par un Français.
13:54Vous estimez, en 2022, je vais le préciser,
13:56vous estimez que le rapport d'Emmanuel Macron au français,
13:59c'est notamment au moment de la loi sur les retraites,
14:03vous avez dit d'Emmanuel Macron qu'il avait un rapport au français
14:05qui était celui d'un enfant excité
14:07qui teste les limites avec un adulte
14:09et attend que celui-ci l'arrête.
14:10Oui, ça resterait vrai, mais ce n'est pas le sujet.
14:12Pour moi, ce qui est important,
14:14c'est le passage du stade de la démocratie libérale
14:17à l'oligarchie libérale.
14:19C'est quoi l'oligarchie libérale ?
14:21L'oligarchie libérale, c'est un système...
14:23Quand les gens parlent de la guerre en automatique,
14:27sans réfléchir, ils emploient les mots,
14:29c'est la démocratie libérale.
14:30Franchement, on en entend énormément parler de la guerre,
14:31non seulement aux frontières,
14:32mais même dans la pratique du pouvoir.
14:33Et d'ailleurs, Emmanuel Macron, lorsqu'il nomme Gabriel Attal,
14:36il dit que c'est un premier ministre de réarmement.
14:38Oui, mais ça, c'est des mots.
14:40En fait, ce qui caractérise le système français actuellement,
14:44c'est une impuissance totale.
14:45Et quand on fait de la géopolitique,
14:47ça me gêne de le dire.
14:48Moi, je lis les géopoliticiens américains.
14:51Impuissance totale ?
14:52Je veux dire, la France n'existe pas.
14:54La France n'existe pas.
14:56Je veux dire, elle n'existe pas
14:57parce qu'elle est maintenant alignée sur les États-Unis.
15:00Elle est prise, elle est contrôlée par l'OTAN.
15:03Je dis très bien comment la classe politique oligarchique européenne
15:08qui aurait pu, qui a semblé s'émanciper,
15:11doit être surveillée de très près par la NSA américaine.
15:17Emmanuel, vous dites que la France a deux problèmes majeurs.
15:20Non, mais moi, je fais de la géopolitique
15:22et ce qui m'intéresse, c'est l'Allemagne.
15:24Vous dites justement que l'Allemagne...
15:26Moi, je ne m'en fous pas de la France.
15:27Et en l'occurrence, vous dites, Emmanuel,
15:28et vous n'en êtes longtemps pas foutu de la France,
15:30il faut être honnête,
15:32l'Allemagne s'en sort mieux que nous, dites-vous.
15:34L'Angleterre va encore plus mal.
15:35Et vos critères sont la stabilité économique,
15:38industrielle, démographique.
15:39Vous dites de la France qu'elle a deux problèmes majeurs,
15:42la désindustrialisation et la chute du niveau de vie
15:45liée à l'inflation.
15:46Sauf que vous êtes aussi démographe
15:48et c'est là que moi, je ne comprends plus
15:50parce que je pensais l'Allemagne vieillissante.
15:52Je pensais que les Allemandes n'avaient plus d'enfants.
15:54Mais j'étudie dans détail
15:57l'espèce de dynamique assez étrange de la société allemande
16:00que je définis comme une société machine
16:02qui n'a plus d'objectif réel
16:04mais qui continue de produire de la puissance économique
16:07et dont la population devrait diminuer
16:10à cause d'une fécondité très basse depuis longtemps,
16:13qui d'ailleurs est la même que la fécondité russe en fait,
16:161,5 enfants par femme,
16:18mais qui compense et au-delà cette crise démographique
16:23par un appel de main-d'oeuvre immigré
16:26qui semble-t-il est assez facilement intégré
16:29parce que le taux de chômage est très bas
16:31et parce que l'Allemagne a réussi à produire son industrie.
16:33Et c'est important en géopolitique
16:35parce que l'une des obsessions des Américains
16:38c'est d'empêcher, depuis le début,
16:40je pense que c'est ça les véritables objectifs stratégiques des Américains,
16:45c'est d'empêcher la coopération de l'Allemagne et la Russie.
16:49Un rapprochement Allemagne-Russie ?
16:52C'est la terreur des géopoliticiens américains.
16:55Mais ça va rater
16:57parce que la guerre va finir par cesser.
16:59Si je vous comprends bien, la Russie va finir par gagner cette guerre ?
17:03Mais ce n'est pas la Russie qui gagne,
17:05c'est l'Occident qui perd
17:07et c'est la réalité qui va gagner.
17:09La réalité, c'est qu'on n'est pas à l'époque de la guerre de 1914.
17:13A l'époque de la guerre de 1914
17:15ou à la veille de la guerre de 1914,
17:17on était dans un monde de nations en expansion démographique,
17:21la puissance économique, industrielle et militaire
17:26jaillissait de partout
17:28et tout le monde avait peur que son voisin
17:30soit plus rapide dans la croissance.
17:32Les Français avaient peur des Allemands,
17:34les Anglais avaient peur des Allemands,
17:36les Allemands avaient peur des Russes.
17:38Il y avait des ressources démographiques inépuisables
17:41et ça a permis d'entretenir deux guerres mondiales.
17:43Mais maintenant, ce qui caractérise le monde avancé,
17:46c'est le déficit démographique.
17:48C'est-à-dire qu'on est dans un monde,
17:50au sortir de cette guerre,
17:52on s'apercevra qu'on est dans un monde de puissance faible
17:56avec des populations déclinantes
17:58et un monde qui ne se fera plus la guerre.
18:01Et donc le monde d'après,
18:03on nous promet une Russie sous domination russe,
18:07pas du tout...
18:08Une Ukraine sous domination russe,
18:09un monde sous domination russe.
18:10Oui, pardon, excusez-moi.
18:11Et de toute façon, ce que je voulais dire,
18:13c'était une Europe sous...
18:15disons que j'étais à deux pas de la vérité linguistique.
18:18Et pas du tout.
18:20Ce qu'on aura après,
18:22c'est-à-dire qu'une fois que...
18:23Alors là, je le dis franchement, honnêtement,
18:25que les États-Unis auront accepté
18:28de se retirer de leur empire,
18:30de leur asile,
18:31de toutes ces régions où ils entretiennent des conflits.
18:33J'ai fait un postscript au livre
18:35pour dire qu'ils ont aussi contribué à envenimer
18:37la situation à Gaza
18:39dans des proportions considérables.
18:41Il y a à Washington une préférence,
18:43j'analyse en détail,
18:45je fais une sorte d'anthropologie,
18:46de la classe dirigeante américaine,
18:48des géopoliticiens américains,
18:49une classe qui est vide de morale,
18:51est à zéro de la moralité,
18:53de la religion, etc.
18:54Il ne reste qu'une préférence
18:56pour l'argent et la guerre,
18:57et une sorte de jouissance
18:59à mettre le désordre
19:01en eurasie.
19:03Et au contraire de ce que tout le monde pense,
19:05on se dit, qu'allons-nous devenir
19:07quand les États-Unis
19:09ne nous protégeront plus ?
19:10Mais vous vous dites, il ne se passera rien.
19:11Mais pas du tout !
19:12On sera en paix !
19:14La meilleure chose
19:16qui peut arriver à l'Europe,
19:18c'est la disparition des États-Unis.
19:20En fait, les États-Unis sont en quelque sorte
19:22belliqueux.
19:24C'est ce que j'appelle nihilisme,
19:26c'est le concept central du livre.
19:28C'est-à-dire que vous n'avez plus de religion,
19:30vous avez un état zéro des croyances,
19:32mais l'homme reste l'homme,
19:34il est angoissé, il n'y a plus rien,
19:36et tout ce que vous obtenez,
19:38c'est une déification du rien,
19:40et ça s'appelle le nihilisme.
19:42L'un de vos indices, c'est toujours cette question
19:44de la démographie du nombre
19:46d'enfants par femme.
19:48Vous le disiez, 1,8 en France,
19:511,5, on est déjà en dessous d'1,8 ?
19:53On est à 1,6, c'est fini.
19:55On était à 2,1, il y a encore peu de temps,
19:57ça va très vite.
19:59Autrefois, la démographie française
20:01était protégée par un statut assez élevé
20:03des femmes qui leur permettait
20:05de faire des études, de travailler
20:07et d'avoir des enfants.
20:09Mais actuellement, les conditions
20:11de travail
20:13et d'existence deviennent
20:15tellement difficiles pour les jeunes générations
20:17qu'ils n'y arrivent plus.
20:19C'est la question de l'inflation,
20:21c'est la question des salaires.
20:23La lutte des classes,
20:25une forme de retour d'une lutte des classes.
20:27Les pays scandinaves,
20:29la France, les pays anglo-américains
20:31où le statut de la femme était assez élevé,
20:33sont tous tombés
20:35à des fécondités de 1,6
20:37enfants par femme.
20:39Donc au moment où on se parle, le chiffre d'1,8
20:41est déjà largement gonflé.
20:43Ça, ce n'est pas l'Occident.
20:45Je souligne dans le livre
20:47qu'il n'y a pas de nostalgie,
20:49il n'y a aucune idéalisation
20:51du système russe.
20:53J'explique bien que l'orthodoxie russe
20:55est un concept agité par Poutine
20:57mais que ça n'a pas de réalité.
20:59Je dis bien que la Russie souffre à sa manière
21:01du même individualisme que la France.
21:03Et c'est pour ça que Poutine veut préserver
21:05la société civile.
21:07La Chine, elle, est à
21:091,3 de fécondité.
21:11Il y a un problème qui est commun
21:13à l'ensemble du monde développé.
21:15La défaite de l'Occident
21:17sort aujourd'hui aux éditions Gallimard.
21:19Merci Emmanuel Todd d'être venu ce matin
21:218h53 sur RMC BFM TV.