Un mois après sa nomination à Matignon, le discours de politique générale de Michel Barnier devant l’Assemblée nationale était attendue. Que pourrait dire un Premier ministre qui semble dépendre du bon vouloir de l’extrême droite ? Au final, une feuille de route sans grande originalité, un amoncellement de banalité, mais pour notre éditorialiste Thomas Legrand, ça aurait pu être pire, «le discours du Premier ministre était peut-être ce qu’on pouvait attendre de moins mauvais de la part du chef d’un gouvernement si à droite».
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00:00Le discours de Michel Barnier devant les députés, globalement, il était assez banal, sans aspérité.
00:06Mais pour toi, Thomas Legrand, qui est notre chroniqueur politique à Libération, c'était finalement assez rassurant.
00:13Salut Thomas.
00:15Salut, alors je dis bonjour, ou rassurant, c'est-à-dire que si on est éditorialiste, chroniqueur dans un journal de gauche
00:23et qu'on voit la composition de ce gouvernement et qu'on écoute les premières déclarations des ministres de ce gouvernement
00:32avant la déclaration de la politique générale, donc c'est un peu bizarre, mais normalement on parle pas avant,
00:36on avait de quoi être inquiet.
00:39Je vous fais une pause dans la discussion, s'il vous plaît, abonnez-vous à la chaîne YouTube de Libération,
00:43on vous propose des entretiens comme ça toutes les semaines, et partagez-nous votre avis en commentaire.
00:47D'ici là, je vous souhaite un bon visionnage.
00:49On avait de quoi être inquiet, parce qu'entre la nomination du gouvernement et le discours de politique générale,
00:58il y a eu l'évocation de l'AME, l'aide médicale d'État, qu'on allait peut-être supprimer ou réformer profondément.
01:08Il y avait la remise en cause de l'État de droit, je rappelle ce que c'est que l'État de droit,
01:12parce que c'est une notion compliquée et qui est un peu utilisée à toutes les sauces.
01:17Il faudrait que je fasse une émission sur l'État de droit sur France Inter pour expliquer tout ça.
01:23Mais l'État de droit, c'est l'ensemble des normes, la Constitution, les traités internationaux qu'on a signés,
01:30les lois, les grands principes sur lesquels le droit s'applique et sur lesquels la démocratie s'exerce.
01:38Mais avec en toile de fond cette idée, et c'est ça la spécificité de l'État de droit par rapport à la Constitution.
01:44La Constitution, c'est vraiment la règle du jeu de notre République.
01:47Mais l'État de droit, c'est cette idée que celui qui a le pouvoir ne peut pas tout faire.
01:54C'est ce qui limite finalement le pouvoir des gouvernants pour protéger l'individu et le citoyen.
02:05Et c'est quelque chose qui doit être un peu permanent, qui est dans l'essence même de la démocratie et en France, de la République.
02:17Et on dit que l'État de droit est sacré, et c'est juste quand tu dis de remise en cause de l'État de droit,
02:21c'est parce que Bruno Retailleau a dit que l'État de droit n'était pas sacré.
02:25Juste pour représenter Bruno Retailleau, notre ministre de l'Intérieur.
02:32En fait, il y a deux conceptions souvent de la démocratie qui s'opposent.
02:38Il y a la conception qu'on appelle libérale, alors au sens politique du terme, pas au sens économique.
02:44La conception libérale qui est d'origine de gauche, la gauche la défend, une partie de la droite aussi bien sûr,
02:52qui est de dire que la démocratie ce n'est pas simplement le jour des élections,
02:56ce n'est pas simplement le mandat que les électeurs donnent aux présidents ou aux députés,
03:01c'est-à-dire on vote pour un type, une femme, plus généralement un type,
03:06et puis à partir de ce moment-là, il fait ce qu'il veut, et puis il peut interpréter la volonté populaire,
03:12avec les sondages et tout ça, en disant je suis le représentant du peuple, le peuple veut que...
03:16Donc on fait ça, quelles que soient les lois, dans l'acceptation de la démocratie dite libérale et parlementaire,
03:28la démocratie c'est tous les jours, c'est avec les corps intermédiaires, c'est avec les procédures,
03:32des procédures qui protègent les abus, c'est avec des étapes, des étapes d'évaluation,
03:41et quand on vient d'être élu, et qu'on dit le peuple m'a donné comme mandat de faire ça,
03:50et moi je pense par exemple que l'immigration n'est pas une chance pour la France,
03:54le peuple veut, il se trouve que celui qui vient de dire ça au nom du peuple parce qu'il est ministre,
03:58il a eu 6% au premier tour, et au deuxième tour, les deux tiers des français se sont réunis,
04:04des gens de gauche ont voté à droite, des gens de droite ont voté à gauche,
04:07des gens du centre ont voté pour une autre famille que la leur,
04:11pour dire une seule chose, on ne veut pas de l'extrême droite, et donc de leur solution.
04:15Alors il y a beaucoup de gens qui disent que l'immigration n'est pas une chance pour la France,
04:21il y a beaucoup de gens, et sans doute une majorité des français,
04:23qui pensent qu'il faut limiter l'immigration drastiquement,
04:27mais ce qui compte c'est le vote, et les procédures, et ce n'est pas pour rien que les règles,
04:36disons ce qu'on appelle la loi fondamentale, c'est-à-dire la constitution par exemple,
04:41mais il en va de même pour des traités internationaux,
04:44ne peuvent pas être remis en cause par une simple loi,
04:48seule une loi peut défaire une loi, mais une loi ne peut défaire qu'une loi,
04:51pas la constitution, pas les grands principes sur lesquels nous sommes assis,
04:55le préambule de la constitution comporte depuis 1946, donc 4ème et 5ème républiques,
05:00la déclaration des droits de l'homme, et depuis le début des années 70,
05:06sous Giscard d'ailleurs, mais non un petit peu avant,
05:09le conseil constitutionnel a décidé que le préambule de la constitution
05:13faisait partie de ce qu'on appelle le bloc de constitutionnalité,
05:18c'est-à-dire qu'on doit prendre la déclaration des droits de l'homme
05:22comme des règles intangibles, et ça crée quand on est républicain et démocrate.
05:27Et ça crée contrairement à ce que Bruno Montelio a dit.
05:29Et donc Michel Barnier, on attendait ça, j'attendais ça et j'espérais que ça soit explicite,
05:35et ça l'a été, il a dit des trucs de droite, il faut réduire l'immigration,
05:42mais il a dit dans le respect de l'état de droit, et j'y tiens beaucoup,
05:46donc ça c'est essentiel, on ne peut pas lui reprocher de ne pas être de gauche, il est de droite.
05:50Bon, on peut reprocher au président de la République de l'avoir nommé,
05:53mais enfin il est là, et il est de droite, et moi j'imaginais un discours plus à droite,
05:58il est moins à droite, tant mieux.
06:00Est-ce que Michel Barnier, avec son discours de politique générale face aux députés,
06:04est plus à gauche que Gabriel Attal ?
06:06Non, il n'est rien du tout, il est très difficile à définir,
06:10je reviendrai sur la fable des littéralistes et de droite et de gauche,
06:15mais Michel Barnier, en fait, il n'a pas pu affirmer grand chose,
06:21il n'a pas pu être précis, parce qu'il n'a pas de majorité,
06:27et puis parce qu'il a été nommé comme ça.
06:30C'est-à-dire que normalement dans une démocratie parlementaire,
06:33et on le devient, puisqu'on dit que le barycentre maintenant de la vie politique, c'est le Parlement,
06:38bon, dans une démocratie parlementaire, ce qui se passe, et la logique veut ça,
06:44c'est que des parlementaires essayent de construire une majorité,
06:50qui dépasse leur cadre normal.
06:55Par exemple, le Front Populaire, qui n'a pas de majorité,
07:01mais qui est en tête en tant qu'ensemble politique,
07:04donc qui a une toute petite majorité relative, a proposé Lucie Castet,
07:11mais le problème, c'est qu'ils n'ont pas dit, voilà, nous on aimerait bien que ce soit Lucie Castet,
07:16mais on propose notre programme comme base de négociation d'un contrat de gouvernement avec d'autres,
07:22nos voisins idéologiques, et les voisins idéologiques, c'est les macronistes,
07:25il n'y en a pas de l'autre côté, donc c'est les macronistes,
07:28ils auraient dû dire, dans une démocratie normale,
07:31ils auraient dû dire, avec nos 28% et nos 290 députés,
07:35ça ne suffit pas du tout pour faire un gouvernement, on ne pourra rien faire voter,
07:38ils auraient dû dire, on se met autour d'une table et on amende,
07:42on fait un programme de gouvernement sur la base de notre programme,
07:45c'est-à-dire que dans les démocraties parlementaires,
07:49ceux qui se présentent aux élections, ils ne sont pas comme nous,
07:51nous, quand on se présente aux élections dans notre démocratie présidentielle,
07:56aux législatives, on dit, je veux que tout mon programme soit appliqué,
08:01et l'électeur, il va voter pour un parti en disant,
08:03je veux que tout ce programme soit appliqué et je veux que ce programme gagne.
08:06Dans tous les régimes parlementaires avec un scrutin proportionnel,
08:11les gens se présentent en se disant,
08:14je veux que mon programme soit la base de la négociation avec les autres.
08:17Personne ne se dit, je vais avoir la majorité à moi tout seul.
08:20En Allemagne, par exemple, si un parti disait,
08:23je veux avoir la majorité à moi tout seul, ça effraierait tout le monde,
08:26ils ont des souvenirs, ça effraierait tout le monde, on doit tout négocier.
08:31Et Lucie Castet, en tout cas le Front Populaire, a dit,
08:38on aura un gouvernement de Front Populaire,
08:40alors Mélenchon a dit tout notre programme, rien que notre programme,
08:42mais ça, ça a été dépassé, et Lucie Castet a été un peu plus ouverte,
08:45elle a dit, chaque loi sera négociée, mais ce n'est pas ça qu'il faut faire.
08:48Il faut faire un programme de gouvernement avec un nouveau programme.
08:51Si on dit chaque loi sera négociée, on réinvente le droit d'amendement,
08:53ça ne veut rien dire.
08:54Donc, Michel Barnier est arrivé comme ça, en lui disant,
09:00c'est à vous de trouver une majorité.
09:03Donc, il n'a pas de programme de gouvernement,
09:06il sait que tout se fera à l'Assemblée.
09:08Donc, si moi, éditorialiste d'un journal de gauche, je disais,
09:15il aurait dû affirmer des choses, il a été mou, il a été flou,
09:18ben non, s'il avait affirmé des choses, j'aurais dit, il bafoue le Parlement,
09:24c'est au Parlement que ça va se passer.
09:26Donc, ça ne m'a pas dérangé qu'il n'affirme pas grand-chose,
09:29et dans ce qu'il a affirmé, au point de vue des valeurs,
09:31ce n'était pas tout à fait les miennes, c'était de la droite de bonne loi,
09:35on n'a pas eu ce couplet.
09:37Il a commencé quand même par, il a fait plus longtemps sur l'écologie,
09:40même s'il n'a pas dit grand-chose sur l'écologie,
09:41et même s'il a dit des trucs un peu problématiques,
09:43comme la fin de la loi de zéro artificialisation nette,
09:47mais enfin, il a passé plus de temps sur l'écologie que sur l'immigration,
09:50il n'a pas fait des grands moulinets identitaires,
09:53il n'a pas fait des coups de menton à la Sarkozy,
09:55il n'a pas fait du pseudo Sarkozy, travailler plus pour gagner plus, à la Attal,
10:02donc, voilà, c'est pas mieux que rien, ça aurait pu être pire, voilà.
10:09Alors, Attal, on demandait si Attal...
10:11On demandait si Attal était plus à droite que Michel Barnier,
10:16ça dépend sur quoi, sur tout ce qui est économique et social,
10:19oui, franchement, pas augmenter les impôts,
10:24lui, il veut revenir sur le financement du chômage, des choses comme ça,
10:34et il est plus libéral au sens économique du terme.
10:39Mais maintenant, sur les questions sociétales,
10:43c'est parce que la tendance d'Attal au sein de la Macronie a dit
10:50attention, on ne touche pas à la PMA, à l'avortement,
10:54de toute façon, c'est dans la Constitution maintenant,
10:56mais à l'avortement et à toutes ces questions-là, aux droits LGBT,
11:00là, il est plus à gauche que Barnier,
11:03Barnier est assez indéfinissable sur ces trucs-là,
11:05mais en tout cas, il est plus à gauche que le barricade du gouvernement.
11:09Même s'il l'a évoqué, puisque dans son discours de politique générale,
11:12il le dit, il n'y aura pas de retour sur le mariage pour tous, l'IVG, etc.
11:17C'est un des aspects qui était effectivement rassurant,
11:23parce qu'avec des gens comme Retailleau et comme d'autres ministres
11:28qui avaient voté contre le mariage pour tous, qui étaient un peu réacs,
11:32on pouvait se dire, et puis avec la composition de l'Assemblée aussi,
11:36il tient bon là-dessus, peut-être par conviction, je ne sais pas,
11:40mais en tout cas, pour asseoir sa majorité.
11:44Ça, c'est des choses de gauche, entre guillemets, qui ne coûtent rien.
11:51Beaucoup de mesures de gauche coûtent de l'argent,
11:53donc il prend toutes les mesures de gauche qui ne coûtent rien
11:56pour pouvoir au moins sécuriser ce coin-là.
11:59En gros, il ne prend pas beaucoup de risques,
12:01mais là où moi je suis un petit peu moins rassuré,
12:04c'est qu'effectivement, il y a tous ces grands principes.
12:06Moi, j'ai été étonné que l'écologie, ce soit le deuxième point qu'il évoque,
12:09et que ça prenne autant de place, mais cela dit,
12:12je ne sais pas dans quelles mesures je peux être rassuré,
12:14étant donné que derrière ces belles paroles, il n'y a pas grand-chose.
12:17Contrairement aux autres discours de politique générale,
12:20Attal, etc., où il y a un set de mesures précis,
12:23là, Barnier, il n'y a rien, il n'y a pas de fond.
12:27C'est normal qu'il n'y ait pas de mesures précises, encore une fois,
12:29parce que ce sera à l'Assemblée de le faire,
12:31mais les seules choses qu'il a dites sur l'écologie sont un peu inquiétantes.
12:36Alors, c'est vrai que Michel Barnier, par exemple,
12:38il s'est beaucoup battu au sein du Parlement européen pour le Green New Deal.
12:42Et ça, la droite n'était pas tellement convaincue.
12:45Tu peux nous rappeler ce que c'est le Green New Deal ?
12:46Le Green New Deal, c'est tout un paquet d'investissements européens assez massifs
12:50pour aider les pays à transformer leur économie à la décarbonée.
12:56C'est des crédits qui vont directement dans les pays pour ça,
13:02et transformer aussi une partie de l'agriculture.
13:05Et la droite était assez contre, une grande partie de la droite était assez contre ce truc-là.
13:12Les écologistes, les socialistes, les macronistes aussi étaient pour,
13:19mais il faut dire que les macronistes au Parlement européen,
13:22c'est vraiment l'aile gauche de la macronie.
13:24C'est Pascal Canfin, des gens comme ça, qui sont d'ailleurs en rupture maintenant avec la macronie.
13:30Bref, dans ce cadre-là, Michel Barnier avait une réputation plutôt d'écologiste,
13:37enfin d'écologiste avec des guillemets.
13:39Mais là en France, et compte tenu de sa majorité, il y a des petits trucs, des petits détails.
13:45La loi zéro artificialisation nette, vous savez, c'est une loi qui impose,
13:49en tout cas qui incite fortement chaque municipalité à désartificialiser des sols
13:55quand elle doit en artificialiser.
13:57Il faut qu'à la fin d'une opération immobilière, il y ait zéro artificialisation nette.
14:03C'est-à-dire que ce qu'on a artificialisé, il faut le désartificialiser ailleurs.
14:07Ça coûte un peu d'argent, c'est un peu compliqué, c'est un peu contraignant,
14:10mais on sait et on voit bien, on l'a vu encore il y a deux semaines à Cannes,
14:14on voit bien avec les précipitations qui vont arriver,
14:17que l'artificialisation du sol français qui va galopant,
14:23qui continue à aller galopant,
14:25va être très compliqué pour des questions de réchauffement,
14:29parce qu'évidemment, moins il y a de verdure, de plantation,
14:33moins il y a de capteurs de carbone,
14:36et puis aussi pour que l'eau puisse s'imprégner dans le sol
14:40et puis éviter ces inondations qu'on a vues.
14:43Bref, là-dessus, il a cédé un peu,
14:45parce que c'est ce que demandaient beaucoup de gens sur la question du logement.
14:51On manque de logement et donc il faut arbitrer entre du social et de l'écologie.
14:57Moi, je pense qu'on peut sûrement, avec un peu d'imagination,
15:00arbitrer autrement et ne pas céder sur l'un et sur l'autre.
15:04C'est financièrement beaucoup plus avantageux de céder,
15:08donc il a cédé là-dessus.
15:09Il y a d'autres...
15:10Par exemple, quand il parle des énergies renouvelables,
15:13il dit qu'il faudra faire du nucléaire pour décarboner.
15:18OK, on est pour, on est contre, en tout cas, ça décarbone.
15:21Et il faudra faire des énergies renouvelables et des éoliennes
15:25en prenant bien soin de l'impact.
15:28C'est-à-dire qu'il met des bémols.
15:30Il met des bémols.
15:31Évidemment qu'il faut prendre soin de l'impact.
15:33Personne ne dit qu'il faut mettre des éoliennes devant le château de Chambord.
15:38Il y a évidemment des tas de règles qu'il faut peut-être renforcer un petit peu.
15:45Le fait de le préciser, c'est pour donner un peu de dégage
15:49à tous ceux qui veulent stopper les éoliennes.
15:51Et je rappelle que le Front National, le Rassemblement National,
15:54dans son programme, il y a non seulement un moratoire sur les éoliennes,
15:57mais ils veulent en démonter.
15:59Et une grande partie de LR ne veut plus d'éoliennes non plus.
16:03Donc, il a quand même dit qu'on veut des éoliennes.
16:07Évidemment, de notre point de vue un peu plus écolo,
16:10nous, on mettrait des éoliennes tout le long des autoroutes,
16:13dans toute la Beauce.
16:15Et on est très en retard par rapport aux autres pays européens,
16:18alors qu'on a la plus grande superficie des pays européens.
16:22Ça revient à ce que tu nous dis, ça aurait pu être pire.
16:26Dans son discours de politique générale,
16:30on est sauté par-dessus son premier point,
16:32qui était quand même l'économie.
16:34C'est le premier ministre d'Emmanuel Macron,
16:37pour qui l'économie est très importante.
16:39Est-ce qu'avec son discours de politique générale,
16:43Michel Barnier fait toujours du macronisme par rapport à l'économie ?
16:47On ne peut pas le savoir encore, parce qu'il n'a pas été assez précis.
16:51Le macronisme en économie, c'est quelque chose...
16:55Moi, je m'inscris en faux pour tous ceux qui disent
16:57que c'est de l'ultralibéralisme, etc.
16:59Non, ce n'est pas de l'ultralibéralisme.
17:01L'ultralibéralisme, c'est tout démanteler,
17:05privatiser au maximum.
17:09Il y a les pratiques libérales,
17:11comme par exemple l'utilisation des cabinets de conseil.
17:15D'ailleurs, il a dit qu'il n'allait plus utiliser les cabinets de conseil.
17:18Il a mis un petit point comme ça.
17:20Un petit mise en porte à faux de ce que Macron a fait ces dernières années.
17:23Voilà, il y en a eu plusieurs.
17:25Mais le sens profond de l'économie pour Emmanuel Macron,
17:33c'est de passer à la politique de l'offre,
17:35c'est-à-dire de faire...
17:37C'est l'histoire du ruissellement.
17:39On fait venir des financements en France,
17:41on fait venir des capitaux en France,
17:43en essayant de stabiliser les impôts
17:48de façon assez basse pour les entreprises,
17:51de faire une fiscalité assez avantageuse pour les entreprises
17:55et surtout de ne pas trop la bouger
17:57pour que les entreprises aient une visibilité.
18:00Et pense-t-il, grâce à ça,
18:03ça va faire des investissements en France,
18:05ça va faire de l'emploi
18:07et comme ça fait de l'emploi, ça fait des cotisations
18:09et comme ça, ça remplit les caisses.
18:11Il se trouve que ça n'a pas vraiment marché.
18:14Ça a marché d'un certain point de vue
18:16parce que l'emploi a baissé et maintenant stagne.
18:19Il y a eu beaucoup d'investissements.
18:21On n'est pas à la start-up nation,
18:23on est devenu un pays assez attractif pour les investisseurs.
18:28C'est assez discuté quand Londres,
18:30après le Brexit,
18:32pourquoi les investisseurs ont choisi la France
18:34plutôt que Stuttgart ?
18:37D'abord, ils ont beaucoup choisi Stuttgart
18:39plutôt que Paris,
18:41mais Paris a été plus attractif que prévu.
18:44Un petit peu peut-être et sans doute beaucoup
18:46par les mesures de Macron,
18:48beaucoup aussi quand vous quittez Londres
18:50et que vous êtes une grande boîte et un grand patron,
18:52vous avez le choix entre Paris et Stuttgart,
18:54vous regardez la fiscalité,
18:57la vie.
18:58Entre Paris et Stuttgart...
19:00Tu es en train de dire qu'il fait meilleur vivre à Paris
19:02que Stuttgart.
19:03Oui, c'est plus sympa.
19:05Je pense que c'est plus sympa.
19:07Tout simplement dire que le cœur de la politique de Macron,
19:11c'est de dire pas d'augmentation d'impôts,
19:15plutôt des baisses d'impôts
19:17et plutôt des baisses d'impôts
19:19en direction de ceux qui pourraient investir.
19:21Or, ceux qui pourraient investir
19:23ou ceux qui sont très riches en France,
19:26ils payent assez peu d'impôts
19:28et au moment où on a un fort déficit
19:30et un grand sentiment,
19:32c'est justifié, d'inégalité,
19:34c'est pas idiot de leur demander
19:36de payer un petit peu plus,
19:38surtout temporairement, c'est vraiment pas...
19:40Et ça, c'est pas macronisme.
19:42Et c'est justement l'un des points
19:44de ce discours de politique générale,
19:46c'est le fait que Barnier
19:48demande plus de contributions
19:50aux gens qui gagnent le plus.
19:52Ça veut dire un retour de l'ISF ?
19:54Non, parce qu'il n'a pas été précis du tout.
19:56C'est-à-dire qu'il dit ça
19:58pour se différencier de Barnier,
20:00pour qu'on explique
20:02ce que je viens d'expliquer,
20:04mais comme il précise pas,
20:06et il peut pas préciser parce que
20:08c'est pas lui qui a la main.
20:10C'est pas précis encore.
20:12Donc, ça peut sonner joliment
20:14à nos oreilles.
20:16Faut voir les chiffres
20:18en matière de fiscalité.
20:20C'est dans le détail
20:22la réalité de la mesure.
20:24En termes des différents points qu'il a évoqués,
20:26il y a l'économie, il y a l'écologie.
20:28En économie, comme tu l'as expliqué,
20:30il y a cette distinction
20:32par rapport à ce qu'a pu faire
20:34Emmanuel Macron en écologie.
20:36C'est pas très clair, c'est un peu vague,
20:38on comprend pas bien.
20:40L'un des points qu'on attendait,
20:42c'était notamment toutes les questions
20:44autour de la sécurité et l'immigration,
20:46puisque, on le sait,
20:48Michel Barnier dépend un peu
20:50de l'extrême droite. Si l'extrême droite choisit
20:52de voter une motion de censure avec la gauche, il saute.
20:54Donc, on se demandait ce qu'il allait bien pouvoir dire
20:56sur l'immigration.
20:58Qu'est-ce que Michel Barnier a dit sur l'immigration
21:00et comment tu l'analyses ?
21:02Sur l'immigration, il a eu des mots.
21:04Déjà, il y a ce qu'il n'a pas dit,
21:06ce qui est intéressant.
21:08Il n'a pas fait ses grandes envolées identitaires.
21:10Il n'a pas repris,
21:12même pas le début,
21:14du début de ce fantasme
21:16sur l'immigration est un problème
21:18de notre identité
21:20où on serait envahi.
21:22Il est resté sur une partie
21:24de l'immigration
21:26peut être un problème
21:28parce qu'on ne peut pas bien les accueillir
21:30et parce qu'on a des problèmes sociaux.
21:32Il n'y avait pas
21:34de racisme
21:36ou d'identitarisme.
21:38Et ça, c'est
21:40quand même pas mal.
21:42Mais, il y avait quand même
21:44cette idée
21:46que
21:50il faut construire des...
21:52Le problème, c'est que c'est un peu
21:54lié avec la sécurité.
21:56L'immigration est liée avec la sécurité.
21:58Même dans son discours.
22:00Il ne le fait pas de façon caricaturale.
22:02Il ne le fait pas à la Sarkozy
22:04ou encore moins à la Le Pen.
22:06Mais,
22:08ce qu'il a dit sur l'immigration
22:10est assez peu précis.
22:12Encore un point que je trouve
22:14positif, c'est qu'il a beaucoup parlé d'Europe.
22:16C'est-à-dire que c'est au niveau de l'Europe
22:18qu'on doit traiter ce sujet.
22:20Ce n'est pas un sujet nationaliste.
22:22C'est un sujet
22:24européen.
22:26Et donc, là-dessus,
22:28il n'a pas été non plus très précis. Il a été un peu plus précis
22:30sur les questions de sécurité.
22:32Et ça peut poser
22:34certains problèmes d'ailleurs, ce qu'il a dit.
22:36Mais, de mon point de vue.
22:38Sur l'immigration, il n'a pas encore été très précis.
22:40Moi, je note simplement qu'il n'est pas tombé
22:42sur tous les travers
22:44de la droite
22:46depuis quelques années.
22:48Qu'est-ce qui pose problème dans ce qu'il a mis en avant sur la sécurité, Michel Barnier ?
22:50Alors, en fait,
22:52contrairement à ce que je disais, il n'a pas été très précis.
22:54Mais, il a donné quelques petites
22:56indications
22:58qui sont un peu démagos
23:00et bidons quantitifs.
23:02Beaucoup de petites peines courtes de prison.
23:04On en est revenu
23:06depuis longtemps. Tous les professionnels
23:08de l'incarcération, tous ceux
23:10qui s'occupent de la réinsertion,
23:12savent que des petites peines courtes,
23:14ça ne permet pas la réinsertion.
23:16Ça ne permet rien du tout.
23:18C'est...
23:20Ça utilise
23:22beaucoup de moyens de l'administration
23:24pénitentiaire et de la police.
23:26Et puis, ça met en contact des gens.
23:28C'est une sorte
23:30de punition qui n'a aucun intérêt.
23:32Donc...
23:34Et même le réaménagement des peines,
23:36on parle toujours, c'est vrai qu'on parle toujours
23:38de celui qui a récidivé alors que
23:40sa peine avait été réaménagée.
23:42Mais la plupart
23:44des gens qui se voient
23:46réaménager leur peine parce qu'ils se sont
23:48bien conduits, se réinsèrent.
23:50On ne parle jamais de tous ceux qui se réinsèrent.
23:52Donc, comme on a
23:54un système médiatique fait de réseaux sociaux
23:56et de toute info qui suit les réseaux sociaux,
23:58les exceptions ont l'air
24:00de faire des règles,
24:02ont l'air d'être la règle,
24:04au lieu de
24:06nous indiquer que ce n'est pas la règle, justement.
24:08Et il est un peu tombé là-dedans.
24:10Quelque chose
24:12qui m'a rassuré
24:14parce qu'il ne l'a pas dit
24:16alors que c'est dans le programme
24:18du RN et de la droite,
24:20c'est les peines planchées.
24:22Cette idée
24:24qu'il y aurait des peines planchées,
24:26c'est-à-dire qu'on ne peut pas condamner quelqu'un
24:28à moins de tant de
24:30mois ou d'années de prison pour telle infraction.
24:32Ça, c'est quelque chose de très grave
24:34que la droite veut faire
24:36parce qu'en fait, ça veut dire que ça serait des peines
24:38automatiques. Or, le principe,
24:40et là, on en revient à l'état de droit,
24:42le principe du droit et le principe
24:44de la justice, c'est que chaque peine
24:46est individuelle. C'est-à-dire qu'on ne juge
24:48pas une infraction,
24:50on juge un homme qui a fait une infraction.
24:52Si on juge une infraction, là,
24:54c'est comme...
24:56Les infractions, on les juge,
24:58mais les crimes, non. C'est-à-dire que
25:00si vous dépassez le 50 en ville,
25:02on ne va pas vous demander
25:04quelles étaient
25:06votre enfance et pourquoi vous avez dépassé
25:0820. Voilà. Là, c'est normal.
25:10On juge le truc, vous avez dépassé
25:1250, c'est comme ça, il n'y a pas de jugement.
25:14Vous êtes condamné à
25:16payer votre amende.
25:18Quand il s'agit d'un crime
25:20ou d'une infraction pénale,
25:22il faut prendre en compte
25:24la personne,
25:26les circonstances, et donc,
25:28il ne peut pas y avoir de peine
25:30planchée.
25:32Même pour un crime,
25:34une femme qui tue son
25:36mari après
25:3850 ans où elle se fait
25:40bastonner, etc.
25:42Généralement, elle est condamnée
25:44parce qu'il faut condamner les crimes, mais à rien
25:46et elle ne fait pas de prison, etc. Là, s'il y avait
25:48des peines planchées, on
25:50désindividualiserait la peine.
25:52Et ça, c'est contre
25:54les droits de l'homme. Quand Nicolas Sarkozy
25:56avait instauré les peines planchées, parce qu'il l'a fait,
25:58en fait,
26:00c'était toujours comme ça avec Nicolas Sarkozy,
26:02il appelait ça peine planchée pour faire
26:04plaisir à la droite, mais il y avait dans la loi,
26:06pour que ça passe le Conseil constitutionnel,
26:08la loi, un petit truc,
26:10peine planchée, sauf si le juge considère
26:12qu'il y a des circonstances
26:14qui nécessitent...
26:16Ça n'existait pas.
26:18Pas du tout des peines planchées.
26:20Ce qui permettait d'ailleurs à Nicolas Sarkozy,
26:22parce qu'il a beaucoup agi comme ça pour beaucoup de choses,
26:24c'est comme il avait dit qu'il y avait
26:26un service minimum dans les services publics
26:28pour les grèves, mais en fait non, ce n'est pas du tout
26:30un service minimum.
26:32Ça permettait à l'opposition de hurler
26:34« Ah, Sarkozy ! » etc.
26:36Et puis ça permettait à Sarkozy
26:38de recommencer à chaque truc. « Je vais faire un service minimum.
26:40Je vais faire des peines planchées. »
26:42Et il pouvait annoncer comme ça
26:4410 lois de suite sur la sécurité, 10 lois de suite
26:46sur l'immigration, comme du temps de Sarkozy.
26:48Ce qui comptait dans une loi, c'était le moment où il était annoncé
26:50et non pas le moment où il était appliqué.
26:52Ça continuait. Il n'est pas rentré
26:54Michel Barnier
26:56dans cette logique de l'annonce
26:58du « tu payes, tu casses,
27:00tu répares » comme
27:02Gabriel Attal qui singe
27:04Nicolas Sarkozy.
27:06Il n'est pas rentré là-dedans. Il nous a fait un truc un peu
27:08pépère, classique.
27:10Alors, évidemment, c'est plutôt rassurant,
27:12mais en réalité, il ne pouvait pas faire autrement puisque
27:14ce n'est pas lui qui a la main, c'est l'Assemblée.
27:16Et puis, il est resté, comme on le disait,
27:18assez vague, donc rassurant.
27:20Par exemple, sur la sécurité, il a notamment
27:22dit qu'il fallait plus faire appel
27:24aux travaux d'intérêt général.
27:26Pareil, pourquoi pas,
27:28mais ça reste assez vague.
27:30Oui, ça reste vague. Et puis, il faut construire plus de
27:32places de prison aussi.
27:34Donc,
27:36c'est l'inverse. Il a un peu
27:38dit tout et n'importe quoi.
27:40Et là,
27:42on se dit heureusement qu'il
27:44dit ça parce que le
27:46ministre de l'Intérieur, c'est Bruno Retailleau.
27:48Le ministre de la Justice,
27:50lui, c'est Didier Migo
27:52qui a montré
27:54qu'il était un peu plus attaché à l'état de droit,
27:56mais je trouve qu'il l'a fait de façon un peu
27:58faiblarde.
28:00On peut s'attendre à un conflit assez
28:02classique entre le ministre de l'Intérieur
28:04et le ministre de la Justice, mais ça serait bien que Didier
28:06Migo l'ouvre un peu plus.
28:08En même temps, c'est un petit peu un
28:10mouton dans une bergerie
28:12remplie de loups puisqu'il y a énormément de gens très
28:14conservateurs dans son gouvernement.
28:16Donc, on va voir comment il va se débrouiller.
28:18On lui souhaite beaucoup de courage.
28:22Dans les choses qui m'ont marqué
28:24dans ce discours de politique générale, c'est tout plein de
28:26petites piques que
28:28Barnier a faites à l'encontre
28:30de l'action de Macron
28:32ces dernières années et même par la suite.
28:34Quand il y a eu toutes les questions,
28:36les différents discours, notamment
28:38il y a un truc qui est beaucoup ressorti,
28:40le fait que Barnier disait à Attal, j'attends toutes
28:42vos propositions sur la dépense publique.
28:44En gros, il a dit ça, vu ce que j'ai récupéré
28:46entre mes mains sur la dette,
28:48j'attends de voir ce que vous allez me proposer.
28:50C'est quoi les petites piques qui t'ont marqué
28:52dans le discours de Barnier ?
28:54Déjà, les petites piques. Il était obligé de faire
28:56les petites piques, il était obligé de se différencier parce que
28:58quand même,
29:00Emmanuel Macron a perdu les élections.
29:02Ce qui est compliqué, c'est que
29:04LR, c'est-à-dire
29:06le parti de
29:08Michel Barnier,
29:10a perdu aussi les élections. Donc, il est dans une
29:12situation politique et d'affichage
29:14très complexe.
29:16La première petite pique,
29:18c'est de ne jamais avoir cité
29:20le président de la République.
29:22Le président de la République
29:24est dans son coin.
29:26Il n'a pas du tout
29:28parlé de politique étrangère, au très peu.
29:30Donc, il laisse quand même à Emmanuel Macron
29:32la politique étrangère.
29:34Il a parlé un peu d'Europe,
29:36mais la politique étrangère, ce qui est du domaine
29:38non pas réservé mais partagé,
29:40il l'a laissé à Macron.
29:44C'est assez positif pour Emmanuel Macron,
29:46mais de toute façon, je ne pense pas qu'il y ait de grande différence
29:48sur ces questions-là.
29:50La pique majeure,
29:52c'est quand il répète à chaque fois
29:54« Moi, je fais confiance
29:56dans les gens du terrain.
29:58Je fais confiance dans les corps intermédiaires.
30:00Je demande aux syndicats
30:02leur avis. C'est à eux
30:04de réfléchir
30:06à la question.
30:08Je demande au Parlement de s'en saisir.
30:10À chaque fois qu'il abordait un thème,
30:12il faisait
30:14preuve d'horizontalité,
30:16là où Emmanuel Macron, le jupitérien,
30:18faisait preuve de verticalité.
30:20« Moi, j'ai
30:22confiance dans la population. »
30:24Il est à l'écoute.
30:26Il a rappelé aussi plusieurs fois son mandat
30:28en Savoie. Une façon de dire
30:30que lui, il avait
30:32été élu sur le terrain.
30:34Il connaissait le terrain.
30:36Donc, il y a cette différence
30:38de gouvernance
30:40qu'il a voulu afficher.
30:42C'est ça
30:44le principal...
30:46On change
30:48d'air. C'est-à-dire, c'est fini.
30:50Maintenant, on fait confiance aux gens.
30:52Et sur la confiance accordée
30:54aux services publics,
30:56aux gouvernants, aux collectivités
30:58locales, par exemple,
31:00il a notamment fait cette
31:02allusion au cabinet de conseil,
31:04donc McKinsey.
31:06Effectivement, les collectivités locales,
31:08les maires... A chaque discours,
31:10Emmanuel Macron
31:12en parlait
31:14pareil. Il disait que les maires sont les premiers élus
31:16portés de baffes,
31:18etc. Mais il n'en faisait rien.
31:20Lui, on sait qu'il est plus
31:22girondin.
31:24Girondin par rapport à
31:26Jacobin.
31:28Jacobin, c'est une tradition verticale,
31:30centralisatrice. Et girondin,
31:32c'est... On fait
31:34confiance au territoire. On
31:36décentralise, on déconcentre.
31:38La déconcentration et la décentralisation,
31:40ce n'est pas pareil. La déconcentration, c'est quand
31:42les services de l'État sont aussi
31:44sur le territoire.
31:46Il a dit, par exemple, qu'il faudrait faire
31:48des conseils de ministre en province, etc.
31:50Il faudra qu'on aide.
31:52Qu'on ne soit pas simplement
31:54parisiens. Ça, c'est de la déconcentration.
31:56Et la décentralisation, c'est quand
31:58on donne des pouvoirs et des responsabilités
32:00sur le terrain.
32:02Aux élus locaux,
32:04aux conseils départementaux,
32:06aux conseils régionaux.
32:08Ceux qui connaissent,
32:10les girondins considèrent que
32:12ceux qui sont au plus près
32:14des problèmes sont les mieux
32:16à même de connaître les solutions.
32:18Les Jacobins,
32:20dans lesquels on peut
32:22classer Emmanuel Macron,
32:24pensent que c'est au centre
32:26qu'on est le plus efficace.
32:28C'est en partant du centre et en
32:30appliquant la même règle à tout le monde
32:32qu'on est le plus efficace.
32:34Michel Barnier,
32:36dans son discours de politique générale,
32:38a notamment ouvert la porte
32:40au fait que Législative se fasse
32:42par là proportionnelle.
32:44Je sais qu'en lisant ton billet,
32:46c'est quelque chose que tu trouvais
32:48plutôt bien.
32:50Je vais expliquer pourquoi.
32:52En introduction, explique-nous
32:54concrètement ce que ça veut dire
32:56de voter la proportionnelle pour Législative.
32:58Là,
33:00on vote
33:02le scrutin actuel
33:04en France pour Législative.
33:06C'est ce qu'on appelle
33:08le scrutin majoritaire à deux tours.
33:10Il y a 577 députés,
33:12577 circonscriptions
33:14et c'est à peu près comme
33:16577 petites élections présidentielles.
33:18La seule différence, c'est que
33:20les deux premiers sont qualifiés.
33:22A l'élection législative,
33:24tous ceux qui font plus de 12,5%
33:26sont qualifiés.
33:28Il peut y avoir des triangulaires.
33:34Le problème, c'est que
33:36notre système
33:38marchait bien
33:40quand le monde politique,
33:42le paysage politique
33:44était bipolaire, non pas bipartisans,
33:46mais bipolaire, quand il y avait
33:48une droite et une gauche.
33:50Parce que
33:52finalement,
33:54c'était un système
33:56qui donnait la majorité à celui
33:58qui était largement en tête
34:00et ça assurait la stabilité.
34:02Mais dans un système
34:04tripolaire, comme aujourd'hui,
34:06et
34:08multipartisans,
34:10c'est-à-dire, il y a 3 pôles mais il y a encore plus de parties,
34:14il faut la proportionnelle.
34:16Michel Barnier n'était pas pour et maintenant
34:18il est ouvert à la proportionnelle.
34:20Qu'est-ce que la proportionnelle ?
34:22C'est un scrutin de liste, c'est-à-dire
34:24que la proportionnelle intégrale,
34:26elle peut ne pas être intégrale, c'est plus compliqué.
34:28Mais la proportionnelle pure, intégrale,
34:30la plus intéressante,
34:32qui existe en Allemagne par exemple,
34:34c'est,
34:36vous faites une liste de 577
34:38candidats, chaque parti a une liste
34:40de 577 candidats parce qu'il y a
34:42577 députés,
34:44et puis si vous faites 20%,
34:46vous avez 20%
34:48de 577,
34:50ça veut dire 5 fois 20,
34:52100 plus,
34:54vous avez 120 députés à peu près,
34:56non, 115 députés
34:58avec 20% de 577.
35:00Donc,
35:02ce qui fait qu'il ne peut pas y avoir de majorité
35:04absolue, c'est très rare,
35:06mais, chaque
35:08parti se retrouve
35:10dans l'état d'esprit
35:12que je décrivais au début.
35:14Vous savez, l'état d'esprit,
35:16c'est-à-dire que,
35:18prenons un parti, le parti socialiste,
35:20propose
35:22sa liste, il fait
35:2420%, disons,
35:26donnons lui un gros score,
35:2820%, il a donc un peu plus de 100 députés,
35:32c'est pas mal, mais il sait
35:34très bien qu'il n'aura jamais la majorité absolue.
35:36Donc, pendant
35:38qu'il fait campagne, déjà,
35:40il défend son programme,
35:42mais déjà, il se tourne
35:44un peu vers les autres en se demandant quelle est
35:46la partie de son programme qui pourra
35:48négocier avec
35:50son voisin de gauche,
35:52les insoumis, ou son voisin de droite,
35:54les macronistes. Il sait très bien
35:56qu'insoumis plus lui, ça ne suffira
35:58pas. Il faudra aussi convaincre
36:00d'autres. Donc, on est dans un état d'esprit
36:02d'ouverture
36:04et de négociation,
36:06alors que, dans notre système actuel,
36:08on est dans un état
36:10d'esprit que les Américains appellent le winner
36:12takes all, c'est-à-dire, je gagne,
36:14je prends tout, et donc,
36:16on se présente pour
36:18appliquer tout son programme,
36:20alors que, dans une proportionnelle,
36:22on se présente pour que son programme arrive
36:24en tête et que son programme soit la base
36:26de la négociation. Ça change tout.
36:28Ça change même
36:30l'agressivité
36:32des...
36:34Ça fait baisser l'intensité de l'agressivité,
36:36parce que, si vous êtes agressif avec vos voisins
36:38idéologiques, vos voisins idéologiques, ils iront
36:40se tourner vers d'autres voisins idéologiques, et vous ne serez
36:42jamais au gouvernement. Et ça change même aussi
36:44les commentaires, sachant
36:46le fait de changer
36:48d'avis ou de modérer un avis
36:50ne sera plus vécu comme une trahison
36:52ou comme une compromission.
36:54Le compromis ne devient plus une compromission,
36:56il devient une solution.
36:58Alors, évidemment, ça ne plaît pas aux plus
37:00radicaux, mais ils ont tort, parce que
37:02les plus radicaux, s'ils sont forts, ça sera sur la base
37:04de leur radicalité qu'on
37:06fera des...
37:08des gouvernements.
37:10Et les...
37:12On le voit bien, par exemple,
37:14ça peut poser des problèmes. On le voit bien,
37:16par exemple,
37:18en Israël, en ce moment,
37:20où il y a
37:22une proportionnelle
37:24intégrale, ça n'empêche pas
37:26la radicalité. Vous voyez ?
37:28Justement, moi, c'est la question que je me pose. La proportionnelle
37:30intégrale pour les législatifs, c'est un truc que défend énormément
37:32l'extrême-droite, parce qu'avec
37:34ce système-là, avec leurs 10 millions de voix
37:36aux élections législatives, l'extrême-droite est en tête
37:38et propose son Premier ministre.
37:40Est-ce qu'avec cette ouverture,
37:42Barnier fait un cadeau au Rassemblement
37:44national ? Non, il fait un cadeau,
37:46à mon avis, aux centristes, aux
37:48socialistes, aux...
37:50aux... Alors, je vais vous expliquer
37:52pourquoi il ne fait pas un cadeau aux Insoumis. Les Insoumis
37:54sont officiellement pour la proportionnelle, mais je vais vous expliquer
37:56pourquoi ils ne sont pas pour, en réalité.
37:58Et le Front National était
38:00officiellement pour la proportionnelle, et je vais vous
38:02expliquer pourquoi, au fond, ils ne sont plus pour.
38:04Parce qu'évidemment, avec la proportionnelle,
38:06ils arriveraient en... Ils auraient un peu
38:08plus de députés, mais ils n'auraient pas la majorité absolue.
38:10Donc, ça ne changerait pas grand-chose.
38:12Mais avec un scrutin
38:14majoritaire, quand vous arrivez à 35%,
38:16à peu près, hop !
38:18Mécaniquement, ça vous donne la majorité absolue.
38:20Donc, dans le
38:22système actuel, ils ne sont pas
38:24loin de
38:26pouvoir obtenir une majorité
38:28absolue sans avoir...
38:30en ayant à peu près 30 ou 35%
38:32des voix. Là, ils n'en sont pas là,
38:34en pourcentage, mais ils peuvent
38:36y arriver. Je vous rappelle que les socialistes
38:38en 1981
38:40avaient fait 34% des voix
38:42et avaient eu 52 ou 53%
38:44des sièges. Donc,
38:48le système actuel
38:50renforce tous ceux qui sont assez
38:52puissants et qui veulent
38:54utiliser leur puissance pour dire tout mon programme
38:56sera appliqué, même s'il n'est pas majoritaire.
38:58La proportionnelle,
39:00pourquoi
39:02les Insoumis sont, au fond,
39:04pas contre, ils ne le diront jamais parce que
39:06ce sont des parlementaristes.
39:08Ils sont plutôt contre.
39:10Officiellement, ils sont pour. Parce que
39:12grâce
39:14au système actuel,
39:16pour qu'un groupe socialiste,
39:18un groupe Insoumis existe, il faut
39:20un accord de premier tour.
39:22Avant, quand la gauche était puissante,
39:24qu'il y avait un PC puissant et un PS puissant,
39:26ils se présentaient au premier tour,
39:28chacun de leur côté,
39:30et entre les deux tours, s'il y avait un socialiste
39:32en tête, le communiste se retirait
39:34et inversement. C'est ce qu'on appelait le désistement républicain
39:36à gauche. Aujourd'hui, on ne peut plus
39:38faire ça parce que
39:40il y a toutes les chances pour qu'il ne soit même pas qualifié
39:42et qu'il n'ait pas 12,5% des inscrits.
39:44Donc, à peu près 16, 17, 18%.
39:46Du coup, il faut faire cet accord
39:48avant. Et
39:50pour ça,
39:52il faut donc qu'il y ait un seul
39:54candidat de gauche. C'est un peu compliqué la mécanique
39:56parlementaire, j'espère que vous me suivez.
39:58Un seul candidat de gauche
40:00et dans ce cadre-là,
40:02les insoumis sont plus forts. S'il y avait
40:04une proportionnelle,
40:06on peut imaginer
40:08que le score des insoumis
40:10soit un peu équivalent
40:12à ce qu'il a été aux européennes
40:14puisque c'est la proportionnelle. Et donc,
40:16les socialistes seraient largement devant,
40:18les insoumis seraient derrière
40:20et ce qui importe
40:22aux insoumis, c'est
40:24d'avoir plus de députés que des socialistes,
40:26d'être plus au nord, d'être dans un rapport
40:28de force plus important puisque
40:30ce qui leur importe, c'est la présidentielle.
40:32Avec
40:34Jean-Luc Mélenchon. C'est la logique
40:36présidentielle et toujours
40:38en conflit avec la logique
40:40parlementaire dans notre système
40:42où il y a une élection présidentielle. Moi, j'avais écrit un livre
40:44qui s'appelle Arrêtons
40:46le délire des présidents pour sortir de toutes ces conneries-là
40:48et c'était en 2015.
40:50Je crois que je pourrais le rééditer.
40:52Merci beaucoup Thomas Legrand pour
40:54tes analyses.