• il y a 3 mois
28 septembre 2024
Poquelin Théâtre à Bordeaux
Le collectif de poésie Pour le moment crée son premier événement "Pour ainsi dire". Il reçoit Mélanie Cessiecq-Duprat, des éditions Exopotamie, ainsi que Julie Nakache pour une lecture de fragments de son recueil "Le sang des filles".
Table ronde | Lo Moulis et Adrien Schmitt,
Accompagnement musical | Rémi Letourneur
Le collectif remercie Jean-Claude Meymerit, directeur du Poquelin Théâtre et metteur en scène pour son accueil.
Transcription
00:00Musique
00:29Qui je suis ? Je m'appelle Mélanie, c'est Sieck du Prat, un nom que personne ne retiendra.
00:35Souvent je dis Mélanie, comme ça c'est plus facile.
00:39Et pour ce qui est du parcours, je pense que ça a vraiment commencé dans l'enfance comme beaucoup de gens ici.
00:48Après, ce qui a été un peu décisif, ça a été pendant ma période d'études aux Beaux-Arts, ici à Bordeaux,
00:55où j'ai eu la chance de suivre des ateliers qui s'appelaient des Ateliers de Langage et Écriture avec Amania Locard.
01:02Et là, ça a été un peu la révolution, parce que j'étais en tout cas à apprendre, à désapprendre.
01:08Et puis j'avais même monté une petite maison d'édition totalement artisanale à l'époque.
01:14C'était les éditions du Vitepoche.
01:16Et c'est assez tardivement finalement, on passait la quarantaine, que je me suis retrouvée à un carrefour.
01:22Partout où j'étais passée, je ne me sentais pas vraiment à ma place.
01:25Et je me disais, là je me suis dit, qu'est-ce que je veux faire ?
01:28Et là, c'est venu un peu comme presque une révélation, c'est-à-dire que je me suis dit, en fait, je veux faire une maison d'édition.
01:38Et donc j'ai démarré en 2020.
01:41Et ça a été un enchaînement, on va dire, depuis quatre ans.
01:45Ma première idée, c'était d'appeler ça les éditions Babel Wed.
01:49Parce que dans ma famille d'origine, ma famille qui est noire,
01:55j'ai vécu en Algérie, on utilisait l'expression, lui il va finir à Babel Wed,
02:02comme on peut dire ici, à Bétaouchelon ou à Tataouine-les-Bains.
02:07Et dans ma tête, je ne sais pas pourquoi, j'avais gardé l'idée que Babel Wed, c'était un lieu qui n'existait pas.
02:11C'était un lieu imaginaire, un lieu fictif.
02:13C'était, voilà, en dehors du monde.
02:17Et donc j'aimais bien cette idée d'un lieu comme ça, un lieu imaginaire et un peu lointain.
02:22Sauf que, voilà, quand j'ai vérifié sur Internet, j'ai vu que non, c'était bien.
02:26C'était bien référencé sur Google Maps.
02:28Voilà, c'était en Algérie, un quartier d'Algérie.
02:30Mais j'ai trouvé intéressant l'étymologie.
02:33Je crois que Babel Wed, c'est aux portes du fleuve, la signification.
02:37Et je ne sais pas comment j'ai fait le lien, à un moment donné,
02:40je me suis souvenu d'Exototamie, qui était le nom d'un réserve dans le Camborétien,
02:45qui était un mot qu'il avait inventé,
02:47qui voulait dire exo, donc en dehors, potamine, du fleuve, de l'eau,
02:51en tout cas du non-vivre, du non-libre.
02:56Et j'aimais bien l'idée que, voilà, ça renvoie, on y voit, à Babel Wed.
03:00Il y avait toujours le fleuve qui était là pour représenter un peu le flux, le courant, l'énergie, la vie, quoi.
03:06Pour tout dire, la première collection, quand j'ai fait le premier livre,
03:10je ne sais pas pourquoi, ça m'est venu un peu spontanément.
03:13Je me suis dit que ça allait être la collection Éclat, au pluriel.
03:16C'était un livre qui parlait beaucoup, en titre déjà, cette histoire de lumière.
03:20Il y avait un côté très dense dans l'écriture, dans le texte, assez lyrique d'ailleurs.
03:26Et quand j'ai créé la deuxième collection, avec ce livre Fugue de Mario Pinto,
03:32qui était une voix plus intérieure,
03:37enfin voilà, m'est venue l'idée de faire la collection Écho, toujours au pluriel.
03:42Et c'est là que je me suis rendue compte qu'il y avait ça,
03:45il y a la collection Éclat, la collection Écho.
03:48Comme Éthopotamie, ça ne passe pas.
03:50Et voilà, après, je me suis donné ça comme règle.
03:53Parce que ça, c'est vrai que c'est un truc que j'aime bien.
03:55Et voilà, un peu comme le côté un peu au lipo.
03:59Et la dernière, oui, la collection Extra, qui est plus récente,
04:02qui a commencé cette année, avec un premier, un essai.
04:06Donc là, j'ai décidé de mettre un peu tous les livres qui ne rentraient pas dans les autres,
04:09et qui seraient...
04:11Voilà, c'est un peu comme les éditions du Vitepoche,
04:14mais en gardant quand même un peu une charte au niveau du graphisme et de la forme.
04:21Mais ce que je fais par rapport aux images de couverture,
04:25c'est que je me fais une banque d'images, en fait.
04:28Et à chaque fois que j'ai un nouveau texte que je sais que je vais publier,
04:32j'essaye de trouver des correspondances,
04:34et je fais des propositions aux auteurs, aux autrices,
04:37et je leur demande toujours leur accord.
04:39Donc des fois, ça peut aller loin.
04:40Je crois que pour le temps de sajeur, on a fait 15 maquettes avant de se mettre d'accord.
04:45Et effectivement, les auteurs et autrices me proposent aussi...
04:49En tout cas, au niveau de la forme, je n'ai pas de critères arrêtés.
04:58Par contre, j'aime bien quand même quand il y a une forme de continuité dans un livre.
05:05Je ne suis pas forcément à l'aise avec le côté...
05:08le terme recueil au sens...
05:10qui m'invite d'aller comme ça, faire un bouquet de fleurs de poèmes.
05:15Il faut qu'il y ait...
05:17Des fragments, en fait.
05:18C'est pas un sujet fragmentaire.
05:20Il y en a quelques-uns, quand même, qui sont sous forme de fragments,
05:23mais il faut qu'à travers les fragments, se dessine un chemin, un parcours,
05:27et qu'il y ait une...
05:28Une narration, presque.
05:29Oui, qu'il y ait soit une narration,
05:32parfois un peu...
05:34Un peu...
05:35Lointaine.
05:37Mais qu'en tout cas, il y ait un fil.
05:39Je crois que ce qui est le plus important, c'est...
05:41Il faut que je sois surprise.
05:43Je ne veux pas m'enfermer dans...
05:45Ni dans un genre, ni dans un...
05:49Une recette.
05:50Et j'ai envie, en tant que lectrice, d'abord,
05:53quand je lis des textes, j'ai envie d'être surprise.
05:56Et j'ai envie d'être hantée.
05:58J'ai envie... Tu parlais d'obsession tout à l'heure.
06:00Un texte, il faut qu'il m'obsède.
06:02Et souvent, ce qui m'obsède,
06:04c'est parce qu'il vient toucher un endroit qui n'a pas encore été touché.
06:08Il y a un regain, quand même, d'intérêt pour la poésie,
06:10en tout cas, chez les jeunes.
06:12Je...
06:13Je le constate, oui, vraiment.
06:15Enfin, dans les festivals, les marchés,
06:18dans les événements où je me déplace,
06:19je vois qu'il y a quand même de plus en plus de jeunes.
06:22Beaucoup de jeunes filles, d'ailleurs.
06:23C'est assez étonnant.
06:25Parce que ça aussi, c'est une réflexion que je me faisais.
06:27Je pense que je reçois plus de manuscrits d'hommes,
06:31mais je vends plus de livres à des femmes.
06:34Assez étrangement, la poésie, elle est en train de revenir aux origines,
06:37c'est-à-dire à l'oralité.
06:39Et on est en train de revenir là-dessus,
06:41parce qu'il y a plein de gens,
06:43même qui sont, je pense, pas du tout touchés par ça,
06:46qui, d'un seul coup, se mettent à vibrer,
06:49à être réceptifs,
06:50quand ils vont entendre quelqu'un en lire.
06:54Est-ce que ce qui t'importe,
06:56ce qui te touche,
06:57c'est ce que tu as envie de transmettre ?
07:00Oui, ce qui m'intéresse, en fait,
07:02c'est à la fois tout ce qui se met en avant,
07:05justement, toutes ces étapes-là,
07:07d'échange avec les auteurs-autrices à chaque fois,
07:09sur les textes,
07:11de rentrer dans leur tête, en fait.
07:25Un jour d'octobre, un jour de pluie,
07:29Une nuit noire et longue, elle coule.
07:33L'aiguille dans le tissu est une cicatrice,
07:37Le fil dans l'aiguille,
07:39Le lien qui me relie à son histoire.
07:43Un jour d'octobre, un jour de pluie,
07:47Une nuit noire et longue, elle coule.
07:51Le fil dans l'aiguille,
07:53Le lien qui me relie à son histoire.
07:57Point avant,
07:59Enfanter le vent.
08:01Point arrière,
08:03S'offrir aux pierres,
08:05Caresser l'ombre,
08:06Dompter le fatal.
08:08Point d'arrêt,
08:10Point de croix,
08:11Les chrysanthèmes s'ouvrent à la terre,
08:14Entre ses doigts.
08:21Moisir au-delà des cimes et des mots,
08:24Dans l'oubli de la mémoire,
08:27Noircir le cœur, le sang, la peau,
08:31Et entendre ce qui n'a pas été dit.
08:35Les demeures s'en vont.
08:37Une fille saigne sur le seuil,
08:41Peut-être est-ce une mauvaise herbe,
08:44Ca n'a pas d'importance.
08:46Les demeures s'en vont.
08:49Ne reconnaître ni la mort, ni la vie,
08:53Entendre gémir les déserts,
08:56Accueillir, femme, fière,
08:59Son flux de lune et flux de vie,
09:02Son flux de sang, sève d'amour.
09:07Chercher l'élan, le rythme,
09:10Rejoindre l'âge atomique,
09:12Trouver la respiration où le temps se retient.
09:15As time goes by,
09:17Le bruit de la cuillère, le goût de la madeleine,
09:20Les fleurs fanent et meurent.
09:23As time goes by,
09:25Changer par le temps qui passe,
09:27Et obséder, toujours, par ce qui ne revient pas.
09:31Dans l'écart, dans la perte,
09:34Dans l'histoire, dans la mémoire,
09:37L'enfant englouti, célèbre un monde,
09:41Abandonné, refusé, l'oubli.
09:48En trou vert,
09:51Les tiroirs du buffet rougeois,
09:54À côté de la table en formica,
09:57Tout est écrit, ou pas encore,
10:00Et on se demande où, après elle,
10:03Retrouver les rires et le ciel.
10:07La couleur des carreaux de cuisine est passée,
10:11Elle essuie les miettes sur la table avec une éponge,
10:15Il y a des morceaux de verre enfoncés dans ses mains,
10:18Le sang coule, le sang des filles.
10:22Quel lieu écrire pour chasser l'ombre ?
10:28L'aube de la mémoire construit un monstre aux mâchoires acérées.
10:35En attendant, il y a toujours quelque chose à ravauder,
10:40Des fers les ourler, des petits grandit trop vite,
10:43Tisser, détisser les fils,
10:46Ouvrir l'armoire du temps,
10:49Contempler le linge plié, repassé,
10:52Y enfouir ses larmes,
10:55Ce qui reste de révolte et de sang traverse les nuits des femmes
10:59Quand nous construisons les jours.
11:03Découdre les habits de la honte,
11:06En découdre avec son histoire,
11:09Repartir sans savoir qu'on ne reviendra pas,
11:13Jouer à chapercher à portée de bras qu'on ne saisit pas,
11:17Refuser la loi des pères, la loi des hommes,
11:20Chanter au galop du sang, chevelure déployée au vent,
11:23Résister, marcher dans les pas des enfants,
11:26Au galop de la terre,
11:28Réciter les larmes, la sueur, la danse,
11:32Les cœurs, libres,
11:35Se sentir si vivante qu'on pourrait mourir là,
11:39À bout de souffle, à bout de bras,
11:41Sans chercher jamais ce qu'on ne trouve pas,
11:44En nous, dans l'autre,
11:47Dans ce que révèle la joie et la peur,
11:50À jamais les mémoires tressées du sang et de l'amour des mères,
11:54Rencontrer la terre, ses paysages, son histoire.
12:00On se penche,
12:02Tente de saisir les fils qui nous relient,
12:06On murmure pour se réconforter,
12:08Perdus dans nos guerres, reines, mères, guerrières, sorcières,
12:11Sous les bombes et les bûchers,
12:13On cherche les chemins de traverse,
12:17Les corps déchirent la page, empêchent la parole,
12:20Le sang écrit ne souille pas le papier,
12:22Des meutes de mots sur ta peau,
12:25Des bêtes, nous sommes,
12:27Soumises à la tendresse du chant.
12:33Des collées et photographies,
12:36Noirs sur blancs,
12:38Coeurs acidulés
12:40Et langues mouillées.
12:42Qui nous regarde lorsqu'on trébuche et tombe ?
12:46Qui nous regarde lorsqu'on trébuche et tombe ?
12:53Les mains ouvertes au sable,
12:56Les yeux fermés,
12:59Les mains ouvertes au sable,
13:02Aux déchirures de la terre,
13:04Aux déchirures des femmes et des mères,
13:06Appelez !
13:08Appelez la fillette, la cheville cassée,
13:10La poupée sur l'herbe, la fiancée, l'enfant,
13:12Les larmes de la louve, la révolte,
13:14Les os, la peau,
13:16Appelez !
13:18La chair à vif et à feu,
13:20Appelez ! Appelez ! Appelez !
13:23Les draps sont rouges désormais.

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