« Sœur de plainte », c’est le terme qu’a trouvé la journaliste Alizée Vincent pour qualifier la relation si spécifique qui se noue entre deux victimes d’un même agresseur. Un lien qu’elle connaît bien, puisqu’elle a elle-même une sœur de plainte, qui « a énormément contribué à [son] processus de guérison ». Cette relation, mais aussi des dizaines d’autres affaires d’agressions sexistes et sexuelles, sur lesquelles la journaliste a enquêté, nourrissent son livre, qui sort le 2 octobre 2024 aux éditions Stock.
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00:00Cette relation de sœur de plainte, ça offre un horizon de réparation possible.
00:04Sans elle, je ne sais pas si j'aurais eu la force de porter plainte.
00:07Sœur de plainte, c'est d'abord une enquête journalistique
00:10que j'ai menée auprès de dizaines et dizaines de sources,
00:14victimes, mais également magistrates, avocates, policiers, etc.
00:18Mais c'est aussi une enquête à laquelle se mêle mon propre récit,
00:21puisque j'ai moi-même eu une sœur de plainte à ma connaissance qui s'appelle Clara.
00:25Et je retrace en fait la manière dont elle est venue à moi.
00:28Et puis nos premières réactions et comment on en est venus chacune
00:30avec notre tempo à déposer plainte.
00:33Il y a vraiment mille façons d'apprendre qu'on n'est pas la seule victime de son bourreau.
00:39Là, je me rappelle d'une citation d'une de mes sources qui m'a dit
00:41« effroi et colère ».
00:42C'était les premiers sentiments qui lui sont venus
00:44quand elle a redécouvert qu'en fait, elle n'était pas seule.
00:47Elle n'était pas la seule victime.
00:48Ça peut aussi créer une forme de soulagement.
00:51Savoir qu'on n'est pas la seule ou le seul à dénoncer quelqu'un sans se connaître,
00:56tout de suite, ça nous légitime.
00:57On se sent comprise.
00:58C'est un lien qui est vraiment de l'ordre d'une proximité immédiate.
01:03Mes sources, spontanément, utilisent le terme de sœur.
01:05J'ai observé dans quasi toutes les histoires que j'ai racontées dans ce livre,
01:08des histoires qui touchent des sources de tous âges, de tous profils,
01:12des histoires de multirécidivistes dans les années 2000,
01:15des histoires de sources qui ont été victimes d'hommes médiatiques,
01:19mais aussi des histoires d'anonymes dans le cadre étudiant.
01:21Et ce qui revient, c'est la reconnaissance.
01:23Vraiment la reconnaissance pour cette autre qu'on ne connaît pas,
01:27avec qui, à la base, on ne partage pas grand-chose,
01:29mais qui nous donne la possibilité d'éventuellement changer notre vie.
01:32Et ne serait-ce que cette perspective, même si ça n'aboutit pas,
01:35même s'il n'y a pas de condamnation, même s'il n'y a pas de réparation,
01:38c'est une perspective qui suffit parfois à ouvrir un nouvel horizon et se réparer.
01:43Il y a des scènes que m'ont racontées mes sources qui m'ont marquée,
01:46comme dans l'affaire Florian Varin,
01:48ce multirécidiviste condamné à 28 ans de prison,
01:50dans laquelle les sept victimes, au deuxième jour du procès, se sont dit
01:54« Pourquoi on ne se mettrait pas toutes ensemble sur le banc des parties civiles ? »
01:57Une très belle relation est née de là.
01:59Et Marie Le Vacon dit de ses sœurs de plainte
02:01« C'est la seule chose que j'ai gagnée dans cette histoire. »
02:04C'est sept sœurs de plainte.
02:06Ce sujet des sœurs de plainte m'a amenée à observer un paradoxe sur le plan judiciaire,
02:10qui est que quand j'interroge des magistrates, des avocates, des policiers, des policières,
02:16sur qu'est-ce qu'apporte la présence de co-victimes,
02:19la réponse unanime, ça change tout.
02:21Ça permet de solidifier les enquêtes
02:23et de faire aboutir les procédures plus facilement.
02:25Effectivement, parfois ça marche.
02:27Et en même temps, pour un certain nombre d'histoires,
02:29en fait, ça s'avère peu ou pas du tout concluant.
02:32Dans le cas de mon affaire,
02:34la présence de ma sœur de plainte n'a pas aidé
02:36puisque mon dossier a été classé sans suite.
02:38Je termine le livre en faisant un petit peu, effectivement,
02:41une déclaration d'amour à ma sœur de plainte qui a changé ma vie.
02:46Sans elle, je ne sais pas si j'aurais eu la force de porter plainte.
02:49Même si j'ai été classée sans suite,
02:51ça a énormément contribué à mon processus de guérison.
02:56On dîne souvent ensemble, je raconte dans le livre,
02:59on s'encourage, on se tient au courant aussi
03:01de choses qui n'ont rien à voir dans nos vies,
03:04de nos vies de tous les jours.
03:06Et en même temps aussi, notre ressenti sur notre vécu,
03:08ça c'est fondamental.
03:19Sous-titrage Société Radio-Canada