Ce documentaire de 2024 explore l'impact des films "Emmanuelle" sur les révolutions sexuelles des années 70 et 80. Plongez dans l'univers de ces œuvres cinématographiques qui ont brisé les tabous et marqué leur époque en célébrant la liberté sexuelle et l'érotisme. À travers des interviews, des analyses, et des images d'archives, le documentaire examine l'influence de ces films sur la culture et la société, ainsi que leur rôle dans l'évolution des mentalités sur la sexualité et le désir.
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Court métrageTranscription
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00:00:49And... Action !
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00:00:58Doucement. Devant toi.
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00:01:08Ressusciter l'un des plus grands mythes de l'érotisme au cinéma.
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00:01:14Et coupé.
00:01:16OK, it's good.
00:01:17Cut.
00:01:18Dans le décor d'un prestigieux palace,
00:01:21la réalisatrice Audrey Diwan guide les pas de sa nouvelle héroïne,
00:01:25partie reconquérir sa sexualité.
00:01:28Coupé. Super, je la relis.
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00:01:36Devant sa caméra, l'actrice Noémie Merlan
00:01:39se mue peu à peu en Emmanuel.
00:01:42Cette figure iconique dont le prénom charrie à lui seule
00:01:46un demi-siècle de fantasmes sur pellicule.
00:01:49...
00:01:56Ce qui est très fort dans ce prénom, c'est le danger.
00:01:58Est-ce qu'on peut choisir un symbole ?
00:02:01Est-ce que moi, réalisatrice, je peux proposer une autre vision ?
00:02:04...
00:02:06La conquête qu'une femme pourrait faire de son propre plaisir,
00:02:09pour moi, c'est tracer un chemin que j'avais envie de suivre.
00:02:13...
00:02:18S'emparer de ce prénom
00:02:20qui a tellement été une icône...
00:02:23...
00:02:27Hallucinante.
00:02:29Quand j'ai commencé à parler d'Emmanuel,
00:02:31j'ai vu les réactions.
00:02:33Les gens étaient assez effrayés.
00:02:35...
00:02:41Emmanuel, c'est, pour le monde entier,
00:02:44la femme française qui n'a pas peur de chercher son plaisir.
00:02:48...
00:02:54Du personnage littéraire des années 50,
00:02:56né de l'esprit d'un couple hors normes,
00:02:59à l'héroïne du film au succès mondial,
00:03:01Emmanuel, c'est l'histoire d'un héritage collectif
00:03:05et de son poids sur nos imaginaires érotiques.
00:03:08...
00:03:14Elle désire comme les hommes désirent qu'elle désire.
00:03:18On parle de décennies et de décennies de cinémas
00:03:21qui ont été contrôlés et produits par des hommes.
00:03:24...
00:03:28C'est une affaire de représentation,
00:03:30mais de celle qui finisse par impacter
00:03:32la vie sexuelle des femmes et des hommes,
00:03:34pour le meilleur comme pour le pire.
00:03:37La responsabilité du cinéma est énorme.
00:03:41A l'époque, clairement sur les écrans,
00:03:43on nous offre de la culture du viol.
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00:03:49On a besoin d'oeuvres qui se placent du côté des femmes.
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00:03:55À l'ère post-MeToo,
00:03:58comment porter à l'écran la sexualité des femmes ?
00:04:01Comment la raconter en mots et en images ?
00:04:04Comment se réapproprier nos histoires,
00:04:07nos vécus, nos imaginaires,
00:04:09et faire avancer ces rapports à l'érotisme, à nos corps ?
00:04:14Comment réinventer Emmanuel,
00:04:16cette icône apparue il y a 50 ans,
00:04:19quand un petit film français bricolé à la va-vite
00:04:22imprima la rétine du monde entier ?
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00:04:391974.
00:04:41Un prénom débarque sur grand écran
00:04:43avec une promesse inédite.
00:04:47Ca parle que de sexe.
00:04:49C'est tout un film sur le sexe. On en parle partout.
00:04:52Voir au cinéma autant de scènes de cul,
00:04:55de cul plus ou moins flou, plus ou moins esthétisant,
00:04:58c'est complètement nouveau.
00:05:01C'est pour la 1re fois un film qui n'est pas caché.
00:05:04C'est pour la 1re fois quelque chose qui ne se voit pas sous le manteau.
00:05:08...
00:05:11Tout de suite culte, le film explose les records de l'été
00:05:14et reste à l'affiche pendant 13 ans sur les Champs-Elysées,
00:05:17totalisant bientôt 9 millions d'entrées.
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00:05:22Il faut avoir vu Emmanuel. Comment ça, tu n'as pas vu Emmanuel ?
00:05:25Dans les dîners en vie, on parle d'Emmanuel.
00:05:27On rit sous le cap. On se dit, là, tu l'as vu, tu l'as pas vu.
00:05:30Comme c'est un phénomène de société,
00:05:33c'est génial pour aller voir un film de cul. C'est l'alibi parfait.
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00:05:40Un film qui raconte que le sexe, c'est quelque chose de bien,
00:05:43sans culpabilité, un film hédoniste comme ça, ça n'existe pas.
00:05:46C'est ce qui fait le succès du film.
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00:05:52Emmanuel est une jeune femme fraîchement mariée
00:05:55qui s'initie au plaisir de la chair sous le soleil de Bangkok
00:05:58avec qui bon lui semble et quel que soit l'endroit.
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00:06:16À cette époque-là, quand on cherche des représentations
00:06:20de l'érotisme, on a beaucoup de mal à en trouver.
00:06:23C'est surtout dans les livres et avec des mots.
00:06:26Il n'y a pas de vidéo, pas de magnétoscope, pas de téléphone,
00:06:29pas de tout ce qu'on a maintenant. La télé, c'est extrêmement prude.
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00:06:35Soudainement, on a une créature qui fait voyager dans le monde entier
00:06:39une certaine image du sexe et de l'érotisme.
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00:06:45Sous les traits de Sylvia Christel,
00:06:48jeune mannequin néerlandaise de 22 ans,
00:06:51Emmanuel devient le prénom de l'érotisme au féminin.
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00:07:05Une marque déclinée dans toutes les langues
00:07:08est bientôt contrefaite.
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00:07:14La créature échappe très vite à ses concepteurs.
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00:07:21L'origine, la genèse du film, c'est pas du tout
00:07:24un metteur en scène qui a une idée de faire une oeuvre d'art.
00:07:27C'est vraiment un producteur.
00:07:30Il s'appelle Yves Rousserroir, il bosse dans la pub,
00:07:33ça marche bien pour lui, mais il veut être connu,
00:07:37il veut faire du cinéma et il a pas beaucoup d'argent
00:07:40et il se dit, comment je peux faire un coup ?
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00:07:46Son pari, c'est de faire un film érotique
00:07:49qui puisse séduire le plus large public possible.
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00:07:56À l'époque, Yves Rousserroir n'est pas encore
00:07:59le premier à réaliser des galettes de Pontavène
00:08:02où du Père Noël est une ordure.
00:08:05Bientôt, il deviendra député.
00:08:08Mais pour l'heure, Emmanuel est son coup d'essai.
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00:08:18Très honnêtement, je n'étais pas un cinéphile.
00:08:21Si j'avais été un cinéphile, j'aurais jamais fait Emmanuel.
00:08:24J'étais plutôt conservateur et pas du tout révolutionnaire.
00:08:28Je voulais surtout pas me lancer dans la pornographie
00:08:31mais faire un film érotique.
00:08:35Mais mon idée, le film Le Dernier Tango à Paris
00:08:38avait fait un million et demi d'entrées
00:08:41et mon objectif, c'était de battre
00:08:44Le Dernier Tango à Paris.
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00:08:51Sorti 2 ans auparavant, le film de Bernardo Bertolucci
00:08:54est alors ce qui se fait de plus transgressif au cinéma.
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00:09:00Le Dernier Tango à Paris, Marlon Brando, Maria Schneider,
00:09:03c'est sorti en 1972 et c'est un carton immense.
00:09:06Donc lui, il se dit, ce qu'il me faut, c'est un film comme ça.
00:09:10Sauf qu'il n'aura pas Bertolucci, il n'aura pas Brando,
00:09:13ça va être plus bas de gamme.
00:09:16Mais il fera beaucoup plus d'entrées que Le Dernier Tango.
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00:09:35C'est en Bretagne que Juste Jacquin,
00:09:38le réalisateur d'Emmanuel, a passé la fin de sa vie.
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00:09:48En 1973, lorsqu'on lui propose le scénario,
00:09:51il compte parmi les photographes les plus en vogue.
00:09:54Il n'a encore jamais réalisé de long métrage.
00:09:57...
00:10:00Décédé en 2022, il s'était confié
00:10:04sur les coulisses de cette folle aventure.
00:10:07Une dernière interview, sans faux semblants.
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00:10:13Vous voulez que ce soit vraiment sincère ?
00:10:16On ne savait pas où on allait, on avait très peu d'argent
00:10:20pour faire le film. On est partis avec une caméra sous le bras
00:10:23en Thaïlande, sans permission.
00:10:26Je crois qu'il y a une part d'inconscience totale,
00:10:29de naïveté totale.
00:10:31C'est un peu des pieds niclés. Ils vont en Thaïlande
00:10:34avec un faux scénario, parce qu'ils n'ont pas du tout déclaré
00:10:37aux autorités thaïlandaises qu'ils allaient tourner un film érotique.
00:10:40Au niveau de la pellicule, ils ont de quoi faire une prise
00:10:43pour chaque séquence. C'est une prise, deux maximum.
00:10:47Ça veut dire qu'ils ne peuvent pas se tromper.
00:10:50Il y a des amateurs qui veulent faire un coup, du pognon,
00:10:53et il se passe vraiment ce truc extraordinaire.
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00:10:59Première semaine, une salle de cinéma.
00:11:02Deuxième semaine, 10 salles de cinéma.
00:11:06Quatrième semaine, 50 salles de cinéma.
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00:11:12On trouvait des billets de cinéma à Londres au 4 fois le prix.
00:11:15Il y avait des cars qui arrivaient d'Espagne
00:11:18pour que les gens viennent voir le film en France.
00:11:21Ça a été un truc hallucinant.
00:11:25...
00:11:28J'ai fait deux fois le tour du monde pour les sorties.
00:11:31Je me disais, est-ce que le film va marcher ?
00:11:34C'était phénoménal.
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00:11:41Pourtant, l'affaire était mal partie.
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00:11:47Dans la presse, notamment, la critique fut assassine.
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00:12:00J'ai revu ce film récemment et je me dis,
00:12:03mais qu'elle navée ! Il n'y a rien du tout.
00:12:07C'est le vide absolu.
00:12:10Comment un film aussi mauvais, du point de vue du scénario,
00:12:13a pu faire tellement d'entrées ?
00:12:16Je ne veux pas dire que le film est très moyen,
00:12:19mais honnêtement, si ma femme vous en parlait,
00:12:22elle dirait que ce film n'a pas beaucoup d'intérêt.
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00:12:32La critique, à l'époque,
00:12:35est très conservatrice.
00:12:38Des vieux mecs de 50 ans, des vieux mâles blancs.
00:12:42Même s'ils ont pris du plaisir au film,
00:12:45ils ne peuvent pas l'écrire.
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00:17:02tracée, l'avenir s'est teinté de rose.
00:17:08À la même époque, une grande nouveauté promet de
00:17:11révolutionner la vie sexuelle des Françaises.
00:17:14Sous le regard mitigé de la jante masculine.
00:17:20Vous prenez la pilule?
00:17:21Non, parce qu'on ne m'arrive pas, mais autrement.
00:17:25Moi, je suis pour. Tout à fait.
00:17:26Pourquoi vous voulez pas qu'elle prenne la pilule?
00:17:29Personne n'aime la, non, parce qu'une femme qui prend la pilule.
00:17:33Je ne sais pas moi, elle est plus libre.
00:17:37Vous avez peur qu'elle vous trompe?
00:17:38Oui, oui, peut-être, mais franchement, franchement,
00:17:42oui, j'ai peur qu'elle me trompe parce que je connais pas mal de
00:17:45femmes ou de filles qui prennent la pilule et qui sont libres
00:17:49d'avoir des rapports avec n'importe qui.
00:17:52Je fais partie de la première génération qui a pu prendre la
00:17:55pilule et je peux vous dire que ça a tout changé.
00:17:58Parce que la trouille d'être enceinte, la peur de ne pas voir
00:18:01revenir ses règles 15 jours après, c'est tellement, tellement
00:18:06un obstacle à la jouissance.
00:18:07Et puis, autour de moi, les filles tombaient comme des mouches.
00:18:09Enceinte et obligée de se marier dans les trois mois.
00:18:11La libération, elle est évidente.
00:18:13La libération de sortir des carcans familiaux, de sortir
00:18:19de l'idée du mariage et de pouvoir vivre une vie sexuelle
00:18:25indépendamment de la procréation et de la famille.
00:18:28Est ce que depuis que vous prenez la pilule, en fait, vous vous
00:18:30sentez libérée? Est ce que quelque chose a changé?
00:18:33Oui, sexuellement parlant, oui, bien sûr, j'avais des
00:18:37blocages comme tous les jeunes dans les débuts et je suis très
00:18:41bien maintenant. Vous ne pouvez pas savoir la libération,
00:18:45enfin se détendre, n'être là que dans la sexualité et pas dans
00:18:48la peur. Ça, c'est fabuleux et on s'envoie en l'air dans tous
00:18:52les coins, partout, avec tout le monde.
00:18:58C'est des années où tout bascule, c'est à dire qu'on bascule
00:19:04dans une sexualité ouverte, c'est à dire qu'on bascule de
00:19:08temps anciens et archaïques à des temps plus joyeux.
00:19:13Évidemment, une femme comme Emmanuel qui débarque là dedans
00:19:18en disant je cherche mon plaisir, mais carton assuré.
00:19:23La révolution des mentalités cherche ses représentations.
00:19:27Emmanuel les lui offre sur un plateau.
00:19:32Une nouvelle figure commence à trouver ses contours.
00:19:36La femme libérée.
00:19:38C'est la première fois qu'un film entier repose sur le plaisir
00:19:44d'une femme. Comment elle va trouver son plaisir, avec qui,
00:19:48y compris avec des scènes sapphiques, avec des
00:19:51très jeunes filles, y compris avec un mentor beaucoup plus
00:19:53âgé, y compris, y compris, y compris, c'est à dire en fait
00:19:56espèce de panorama du plaisir féminin.
00:20:02Emmanuel, pour moi, c'est simplement qu'une femme a le
00:20:05droit de s'ouvrir à un érotisme qui n'est pas, qui a été
00:20:10bridé par les interdits et qu'une femme a le droit d'être
00:20:13libre, prendre un amant, de faire ce qu'elle veut.
00:20:17Si c'est un amant, c'est un amant, c'est un amant, c'est un
00:20:21amant. Si c'est elle qui le décide.
00:20:24C'est une femme fraîchement mariée qui s'ouvre au désir sans
00:20:27avoir la moindre culpabilité.
00:20:29Elle fait l'amour avec des hommes, elle fait l'amour avec des
00:20:30femmes. C'est vraiment la liberté.
00:20:32Dans les années 70, ça n'existe pas.
00:20:38Dans le sillage de mai 68, ce sont les frontières mêmes du
00:20:42couple et de l'exclusivité que vient questionner le film.
00:20:46Dans une société dont les lois sanctionnent encore l'adultère,
00:20:50selon un code civil hérité de Napoléon.
00:20:57L'adultère de la femme est punie d'une peine de prison de
00:21:01trois mois à deux ans d'emprisonnement, alors que
00:21:05l'adultère du mari n'est pas sanctionnée par le code pénal.
00:21:08On est en 1974, une spectatrice s'assoit dans une salle.
00:21:11Souvent même, elle y va avec son mari et tous les deux regardent
00:21:14sur un écran une femme jouir.
00:21:16Il y a une identification de malade.
00:21:19Ça, évidemment que c'est moderne.
00:21:30Emmanuel nous ouvre des horizons.
00:21:34On découvre qu'il n'y a pas que la jouissance d'être pénétré
00:21:37par un homme et même qu'on pourrait se passer d'un homme.
00:21:41La masturbation, avant, c'était le péché total.
00:21:45Pour les hommes, on entendait que ça rendait sourd et pour les
00:21:47filles, ça n'existait pas.
00:21:49Jamais on n'entendait parler de ça.
00:21:51Tout ça, c'est une immense découverte.
00:21:53On dirait que tu as honte.
00:21:55Pas du tout, mais je suis surprise.
00:21:57Tu es si jeune.
00:21:59Je me caresse depuis que j'ai 12 ans.
00:22:01Personne ne m'a appris.
00:22:02Ce sont mes mains qui ont découvert ça toutes seules.
00:22:05Je trouve ça très normal, pas toi?
00:22:07Un autre tabou de l'époque est exploré dans le scénario.
00:22:11La bisexualité et les relations homosexuelles.
00:22:17Pour y donner corps, un personnage résolument moderne,
00:22:20répondant au prénom de Bi, est interprété par l'actrice
00:22:23franco-suédoise Marie Cagrine.
00:22:31Bi, elle n'est pas une femme.
00:22:33Elle n'est pas une femme.
00:22:35Bi, elle n'est pas mariée.
00:22:38Et c'est une femme qui est archéologue,
00:22:44aventurière, qui navigue dans cette nature extraordinaire
00:22:49de la Thaïlande et qui est indépendante.
00:22:53Ou est tout à fait libre.
00:22:55Ça, il faut le dire.
00:22:56Elle fait ce qu'elle veut.
00:22:58Vous êtes amoureuse?
00:22:59Non, plus.
00:23:01Vous savez, je n'ai pas beaucoup de temps.
00:23:02Quand deux hommes se rencontrent à New York,
00:23:04ils demandent, combien gagnez-vous?
00:23:06Et quand deux femmes se rencontrent ici,
00:23:08dans l'ambassade, elles demandent,
00:23:10vous êtes amoureuse?
00:23:11Vous êtes mariée?
00:23:13Drôle, non?
00:23:14Non, ce n'est pas drôle.
00:23:15Bi, ce n'est pas une homosexuelle.
00:23:18Et puis, tout d'un coup, il y a quelque chose de différent
00:23:23qui apparaît de tendre, de joli.
00:23:27C'est tout d'un coup un coup de foudre, un petit peu.
00:23:30Mais c'est quand même Emmanuel qui prend le devant,
00:23:32qui prend les...
00:23:33Qui attaque.
00:23:34Je veux dire...
00:23:39Grâce à Emmanuel, j'ai montré que des femmes
00:23:43pouvaient aimer des femmes d'une façon érotique
00:23:46et qu'il n'y avait aucun vice là-dedans.
00:24:00Ça, c'est très moderne dans Emmanuel,
00:24:01cette façon de faire voir deux femmes qui ont des rapports,
00:24:04qui s'embrassent, qui sont bien ensemble.
00:24:07Et que ça soit montré aussi naturellement,
00:24:10d'une façon aussi jolie.
00:24:15Je n'ai pas autant d'exemples dans le cinéma français
00:24:17des années 70 que ça.
00:24:24Montrer des corps de femmes qui se caressent,
00:24:27c'est en effet très important pour l'époque
00:24:29parce que ça déculpabilise les lesbiennes qui se cachent encore
00:24:32parce que c'est le plus honteux secret de l'époque.
00:24:36Il y a deux sortes d'homosexuels.
00:24:37Il y a d'abord ceux qui sont malades
00:24:39puis ceux qui font ça pour de l'argent.
00:24:40Alors, c'est déjà deux choses différentes.
00:24:42Paraît-il que dans ma maison, il y en a.
00:24:45Ça vous gêne ?
00:24:46Je ne sais pas si c'est vrai.
00:24:48Je me pose la question si c'est exact.
00:24:51Vous parlez aussi bien des putains femmes comme des putains hommes.
00:24:54Vous pensez que tous les pédés sont des putains ?
00:24:57Ce prostitue ?
00:24:59Pourquoi il le ferait alors ?
00:25:00Pour gagner de l'argent, ces putains.
00:25:02Pour l'amour ?
00:25:05Quand le film est sorti, j'ai reçu des lettres admirables
00:25:07de femmes qui ont dit,
00:25:08d'être les premiers metteurs en scène,
00:25:10à parler que les femmes peuvent s'aimer,
00:25:12que ce n'est pas moche, que ce n'est pas monstrueux,
00:25:14que ce n'est pas...
00:25:16Aujourd'hui, 40 ans après, c'est normal.
00:25:22Emmanuelle ou la sexualité féminine dans tous ses états.
00:25:27Le pari, audacieux, accompagne tout autant qu'il bouscule son époque
00:25:33et a pu coûter cher à ceux qui avaient osé le relever.
00:25:38Votre carrière, Marika, ça va être la fin.
00:25:41Vous vous enterrez avec ça.
00:25:43Tout d'un coup, les offres à la télévision se sont réduites.
00:25:49Mais absolument.
00:25:50Parce que je représentais quelque chose
00:25:52qui était apparu dans le monde érotique, un peu interdit.
00:25:57C'était beaucoup trop posé à l'époque.
00:26:00On ne faisait pas des trucs comme ça.
00:26:04C'était trop tôt.
00:26:07Je n'ai pas travaillé pendant un an à deux après Emmanuelle.
00:26:11J'étais un grand photographe musculaire,
00:26:13des pédants, on est ensemble,
00:26:14mais je travaillais pour Vogue, je travaillais pour elle
00:26:16et les gens m'ont tourné le dos.
00:26:18Je faisais une grosse campagne pour les Américains,
00:26:20pour Coca-Cola, je faisais mes repérages,
00:26:22je faisais des tannées, tout est prêt.
00:26:23On me joue le tournage, on vous paye, mais vous ne tournez pas.
00:26:26On ne peut pas mettre juste chacun Coca-Cola.
00:26:33La grande perdante d'Emmanuelle, c'est Sylvia Christel.
00:26:41Ce film, c'est en même temps le film qui va la faire découvrir
00:26:44aux yeux du monde entier.
00:26:46Et ça sera sa malédiction parce que tous les films qu'elle va faire après,
00:26:51ça sera juste, une scène, elle dit bonjour,
00:26:53la deuxième scène, elle est nue.
00:26:55J'en ai marre des personnages tristes.
00:26:58J'en ai marre des histoires lourdes.
00:27:00Je n'ai marre de l'érotisme.
00:27:02J'en ai marre de la sériosité.
00:27:04Je suis drôle.
00:27:07Non, mais c'est vrai.
00:27:08J'ai envie de faire, je ne sais pas, la comédie.
00:27:11Moi, j'ai envie de faire des choses drôles.
00:27:21L'histoire de Sylvia Christel, c'est plutôt très triste, quoi.
00:27:25Elle va traverser les années 70 avec le nez vraiment dans la cocaïne.
00:27:30Elle ne peut plus sortir.
00:27:31C'est des émeutes partout où elle va.
00:27:33Il y a des femmes qui ne sont pas très contentes, qui la traitent,
00:27:35qui l'insultent dans la rue.
00:27:36À chaque fois qu'elle aura besoin d'argent,
00:27:39elle accepte à nouveau un Emmanuel.
00:27:41Ça ne pouvait peut-être pas se passer autrement que ça.
00:27:44Elle s'est mise nue dans un film.
00:27:46Elle est devenue une énorme vedette, quasiment une déesse.
00:27:49On l'a fait payer jusqu'à la fin, quoi.
00:27:51Sylvia Christel, c'est la beauté.
00:27:53Elle est belle et ça suffit largement.
00:27:56Évidemment, il y a des gens qui vous disent
00:27:57vous êtes l'objet sexuel numéro un d'entre temps.
00:28:00Je dois vous dire que je ne partage pas cette opinion.
00:28:03Je pense que dans les films où vous apparaissez,
00:28:07vous êtes beaucoup plus le chasseur que le gibier.
00:28:14Le piège Emmanuel s'est refermé sur la comédienne
00:28:18et peut-être aussi, d'une certaine manière,
00:28:21sur toutes les femmes de son temps.
00:28:28Alors, il y a d'un côté les femmes frigides
00:28:31et de l'autre côté les Emmanuel.
00:28:34Faire l'Emmanuel, ça veut dire être capable de coucher
00:28:37avec n'importe qui, même si on n'a pas de désir.
00:28:41Il faut faire semblant.
00:28:42En fait, ce n'est pas une libération, c'est une injonction.
00:28:44Emmanuel n'est qu'un jalon trompeur.
00:28:47Très casse-pieds.
00:28:49Parce que si on n'est pas libéré, c'est qu'on est coincé.
00:28:52Alors, on passe son temps à se défendre.
00:28:55Alors, tu n'as pas envie ? Pourquoi tu n'as pas envie ?
00:28:57Mais c'est quoi l'envie ? Ça ne se force pas.
00:28:59Parce que les filles, les vraies, c'est elles qu'on peut toucher.
00:29:02Mon cul, oui ! Tu touches mon cul !
00:29:06Corsèche transparent, mini-jute, mini-short,
00:29:07mais si tu me lances la louche, ça devrait t'être présenté.
00:29:09Police, secours !
00:29:13Comme avant !
00:29:15Salope !
00:29:17Les fleurs cul, mais dans la tête, sont encore en crinoline, ces connes !
00:29:25On prétend nous libérer, en fait, pour être disponible pour les désirs des hommes.
00:29:28La responsabilité du cinéma est énorme.
00:29:31Ce qu'on nous montre du désir féminin depuis des décennies de cinéma,
00:29:35c'est, elles désirent comme les hommes désirent qu'elles désirent.
00:29:39Le désir des femmes est encore un continent à explorer.
00:29:44...
00:30:12T'es passé mieux ?
00:30:14Moins appuyé.
00:30:16Plus délicat.
00:30:19Ouais.
00:30:20Très bien.
00:30:21Alors, qu'est-ce qu'on s'est dit après ?
00:30:262024.
00:30:2750 ans après le premier Emmanuel,
00:30:30la réalisatrice Audrey Diwan s'empare du prénom qui évoque encore aujourd'hui
00:30:35l'un des personnages les plus sulfureux du cinéma.
00:30:39À quelques semaines de la sortie de son film,
00:30:41elle peaufine le mixage.
00:30:44L'heure est aux derniers ajustements sonores d'une scène les plus emblématiques.
00:30:50Mais et si on essaie de remonter en tessiture l'autre pour qu'elle soit moins grave ?
00:30:57Là, tu me fais plaisir.
00:31:06Non, non, mais là, c'est bien. Le moment où on passe dans sa tête, je le sens.
00:31:09Ça ne paraît pas trop appuyé non plus.
00:31:12Non.
00:31:16La scène d'ouverture se déroule dans un avion.
00:31:20C'est le cas dans le livre.
00:31:21C'est pour ça que je m'en suis inspirée. C'est aussi le cas dans le film, je m'en souviens.
00:31:30Et pour moi, il y avait en creux l'idée de proposer un autre voyage.
00:31:34La base de cette histoire, c'était de se dire, qu'est-ce qui se passe si on n'a plus de plaisir ?
00:31:39Qu'est-ce qui se passe si une femme ne jouit pas ?
00:31:41Et comment, derrière, elle peut essayer de comprendre pourquoi son corps ne répond pas
00:31:46et puis, progressivement, aller à la conquête ou à la reconquête de ses sensations,
00:31:51aller chercher quelque chose en elle et comment on peut revenir au plaisir.
00:32:04Là, j'ai l'impression qu'entre ce plan-là et le serré, l'évolution du bruit et la bonne,
00:32:09tu sens qu'elle se détache et que cet espace entre elle et ce qui se passe se creuse.
00:32:26Quand j'ai lu le scénario pour la première fois, en fait, je me vois moi.
00:32:32Je me vois moi dans le sens où aucune libido, complètement coupée de mes désirs.
00:32:38Et pourtant, j'ai eu une vie où j'ai l'impression d'avoir expérimenté plein de choses.
00:32:43Mais en fait, presque avant, je me mentais à moi-même.
00:32:47En fait, ça ne me plaisait pas.
00:32:49Et donc, la libido part.
00:32:51C'est exactement comme Emmanuel.
00:32:52Je faisais ça d'une manière pour faire plaisir à l'autre, pour faire plaisir au partenaire.
00:33:02Pour moi, cette première scène, elle est très forte parce que son regard est vide
00:33:07et l'homme est dans son plaisir ultra-personnel.
00:33:11À aucun moment, il voit son visage qui est ailleurs et qui n'est pas là.
00:33:17Et il ne lui demande pas, en fait, tu veux quoi ?
00:33:19Qu'est-ce qui te ferait, toi, plaisir ? Et tout ça.
00:33:28Donc, le film démarre avec ça.
00:33:29C'est comment on va aller chercher l'érotisme, nous ?
00:33:33Comment on va se réapproprier cette connexion au charnel et à l'excitation et à l'orgasme ?
00:33:40Et moi, ça, ça m'a parlé puisque c'était mes questions.
00:33:43C'était mes questions à ce moment-là.
00:33:50Pour moi, ce qui épuise le désir, c'est profite.
00:33:54C'est cette phrase qui est partout, tout le temps, comme s'il fallait plus, plus.
00:33:59Il y a quand même cette consommation des corps, mais qui est aussi une consommation générale.
00:34:03Tous les désirs, tout ce qu'on propose, tout ce qu'on...
00:34:07Il y a quelque chose d'un peu vertigineux et puis d'épuisant, je trouve.
00:34:14Audrey Diwan signe en 2024 un Emmanuel.
00:34:18C'est vraiment une drôle d'idée de sortir ce vieux truc de la naphtaline.
00:34:22Et moi, j'avoue que je me suis demandé pourquoi, qu'est-ce qu'elle allait dire.
00:34:29C'est absolument pas le film que j'aurais imaginé.
00:34:33Il y a très peu de rapport avec le film de Juge Géquin.
00:34:38C'est un film sur la perte du désir, c'est un film très cérébral.
00:34:41Et c'est vraiment la quintessence de l'idée
00:34:44qu'on n'est plus du tout dans la femme objet, mais dans la femme sujet.
00:34:50Dans son film, Audrey Diwan réinvente avec l'actrice Noémie Merlan le personnage d'Emmanuel.
00:34:57Cette fois, il s'agit d'une femme de 35 ans, célibataire,
00:35:01qui travaille pour une chaîne d'hôtels de luxe au contrôle qualité.
00:35:05Un poste où l'on évalue la perfection à l'image de ce que l'héroïne s'impose à elle-même.
00:35:20Il y a la question de la réussite sociale, il y a quelque chose que je ressens fort,
00:35:24c'est l'idée de la norme et du standard.
00:35:26Ce qu'il faut faire pour être une femme idéale.
00:35:30Quelle injonction, quel dictat, quel code ?
00:35:33Tout ce qu'on impose à un corps et à un corps de femme
00:35:36quand elle veut s'insérer dans une société et dans ce monde-là encore plus.
00:35:47Elle est tellement dans le contrôle, on voit qu'elle mange quasiment pas,
00:35:51qu'elle fait énormément de sport.
00:35:53Il n'y a pas un cheveu qui dépasse, son maquillage est toujours parfait.
00:35:57Ses positions aussi, elle rentre toujours le ventre.
00:36:00Elle ne vit pas en fait, c'est un monde qui ne vit pas au début.
00:36:08Pour moi, il y a de la tristesse, c'est quelque chose de lourd.
00:36:12Dans cette show, j'aimerais bien qu'il soit plus en quête.
00:36:19Noémie Merlan trimballe une mélancolie, donc il y a une quête.
00:36:22Quelque chose de poétique, en fait,
00:36:24qui petit à petit va prendre un peu plus corps et un peu plus chair.
00:36:30C'est comme si vous voyiez quelqu'un
00:36:33qui est une femme un peu quasiment théorique
00:36:37et qui, au fur et à mesure du film, va devenir une femme réelle.
00:36:44Et ça, c'est assez neuf dans la manière de voir Emmanuel.
00:36:48C'est un peu plus proche du roman
00:36:50puisque c'était une femme beaucoup plus libre
00:36:53que ce que le premier film montrait.
00:37:00Qui s'en souvient ?
00:37:03Avant l'icône sulfureuse du film à succès,
00:37:06il y eut l'héroïne de papier.
00:37:12Puissante et solaire,
00:37:15imaginée dans les pages d'un livre défendu.
00:37:18C'était il y a plus de 65 ans.
00:37:21L'Emmanuel originel
00:37:24faisait son entrée par la porte dérobée
00:37:27des librairies les plus téméraires de Paris.
00:37:30Le livre Emmanuel sort en 1959,
00:37:33mais de manière clandestine.
00:37:36Pour avoir accès au livre, il faut savoir qu'il existe,
00:37:39il faut aller voir son libraire,
00:37:42il faut lui faire comprendre qu'on cherche un livre particulier.
00:37:48On vous le donne dans une pochette en carton.
00:37:51On est dans un autre siècle,
00:37:54mais c'est un autre monde qu'on ne peut pas imaginer.
00:37:57La France de 59, c'est la France de De Gaulle
00:38:00qui est arrivée au pouvoir en 58, en pleine guerre d'Algérie.
00:38:03On était étouffés sous une chape de plomb.
00:38:09Les caisses d'allocations familiales,
00:38:12avec leur service de formation ménagère,
00:38:14de mère et future mère de famille.
00:38:17Les méthodes qui composent cette science de la vie quotidienne.
00:38:20Depuis la guerre, on vivait dans un monde
00:38:23écrasé par le conformisme, le quand dira-t-on.
00:38:26La sexualité, c'est le mal.
00:38:29Rien avant le mariage, bien sûr.
00:38:32Moi, j'ai été élevée comme ça, il faut se garder pour son futur mari.
00:38:35Ma mère disait, ne te galvaute pas.
00:38:38Un mot incroyable, comme si j'étais un trésor qui allait se dilapider.
00:38:41On avait une conception de son petit capital entre les cuisses à gérer.
00:38:44Choix d'un tissu,
00:38:47puériculture,
00:38:50et sans oublier, bien entendu, l'art de la cuisine.
00:38:53Dans une France aussi conservatrice et aussi catholique,
00:38:56un personnage comme Emmanuel, c'est le diable.
00:39:01C'est un livre bleu, d'assez grand format,
00:39:04avec simplement sur la couverture la mention du titre,
00:39:07donc Emmanuel, et c'est tout, rien d'autre.
00:39:10Pas de mention d'éditeur, pas de mention d'auteur,
00:39:13même pas de mention d'imprimeur, il me semble.
00:39:16Rien qui pourrait donner un indice de la provenance de ce livre.
00:39:21À la fin des années 50,
00:39:24publier un livre contraire aux bonnes mœurs
00:39:27peut coûter jusqu'à un an de prison.
00:39:30Très peu d'éditeurs sont assez audacieux pour braver l'interdit.
00:39:35La personne qui édite Emmanuel, c'est Éric Lefebvre.
00:39:37La personne qui édite Emmanuel, c'est Éric Lossfeld,
00:39:40qui a reçu le manuscrit par La Poste.
00:39:43Un des éditeurs les plus courageux du boulevard Saint-Germain de l'époque.
00:39:46Il est très attaché à la liberté d'expression
00:39:49et il est très attaché aux textes très littéraires.
00:39:52Et quand il reçoit Emmanuel, il sait qu'il a entre les mains
00:39:55un chef-d'œuvre à la fois de licence et de liberté
00:39:58et de littérature, parce que c'est extrêmement bien écrit.
00:40:01Si vous ne l'avez pas lu, ce livre,
00:40:04il y a des choses qui sont vraiment de l'ordre de la poésie érotique
00:40:07qui sont extraordinaires.
00:40:10Le roman Emmanuel est un grand livre.
00:40:13C'est une merveille de style,
00:40:16c'est bourré de philosophie, c'est existentialiste,
00:40:19c'est à la fois arde et existentialiste,
00:40:22c'est un truc de dingue ce livre.
00:40:25Une prose subtile et profonde,
00:40:28une prose subtile et brûlante,
00:40:31des mots choisis, rares pour certains,
00:40:34et un propos inflammable.
00:40:37Au fil des pages, le lecteur découvre la liberté faite femme
00:40:42et l'épanouissement sexuel comme quête essentielle et légitime.
00:40:49Chercher le plaisir en questionnant les règles et les carcans
00:40:53pour finalement s'en affranchir.
00:40:57C'est un livre qui révolutionne tout ce qui a existé jusque-là
00:41:01en littérature érotique.
00:41:03Le personnage d'Emmanuel, c'est une femme
00:41:06qui fait de sa vie sexuelle une œuvre d'art.
00:41:10Pleinement.
00:41:12Ça veut dire qu'il faut y penser beaucoup,
00:41:15ça veut dire qu'il faut pratiquer beaucoup,
00:41:17et ça veut dire qu'il faut s'émanciper entièrement du jugement des autres,
00:41:21du jugement en soi-même,
00:41:23et des normes imposées par la société.
00:41:25Elle n'est aliénée par rien.
00:41:31Neuf ans plus tard, en 1967,
00:41:34alors que s'annonce encore timidement la libération sexuelle,
00:41:38Eric Lossfeld décide de rééditer le roman.
00:41:41Mais de façon officielle, cette fois.
00:41:46Enfin, un nom d'auteur apparaît.
00:41:50Ou plutôt, d'autrice.
00:41:52Emmanuelle Arsens.
00:41:56Soudainement, c'est une femme qui prend la parole,
00:41:59et ça change tout.
00:42:01Le lecteur pense immédiatement que c'est quelque chose
00:42:04qui est de l'ordre du récit autobiographique
00:42:07d'une personne qui s'appelle Emmanuelle,
00:42:10et qui dit, j'ai vécu tout ça,
00:42:12j'en ai tiré des conclusions,
00:42:14j'en ai tiré une forme de liberté,
00:42:16et vous pouvez faire de même si vous le voulez.
00:42:19Immédiatement frappé d'une triple interdiction de publicité,
00:42:23d'affichage et de ventes aux mineurs,
00:42:26le livre n'envoie pas moins ses ventes sans voler.
00:42:30Une question anime alors les milieux littéraires.
00:42:33Qui est Emmanuelle Arsens ?
00:42:37Emmanuelle Arsens cultive vraiment son mystère.
00:42:40C'est une personne qui n'a pas de visage.
00:42:43Elle ne donne d'interviews que par écrit.
00:42:45On ne sait pas qui elle est,
00:42:47à part que Emmanuelle est inspirée de sa vie,
00:42:50ça le dit volontiers, mais c'est tout.
00:42:53Quand le roman est adapté en film, en 1974,
00:42:57elle ressent le besoin de montrer son vrai visage.
00:43:06C'est sous les traits d'une jeune femme d'origine thaïlandaise
00:43:10que le pseudonyme s'anime enfin.
00:43:12Marayat Roley Andrian.
00:43:17Comme Emmanuelle, Marayat est la femme d'un diplomate français
00:43:21en poste à Bangkok.
00:43:24Comme Emmanuelle, elle forme avec son époux
00:43:27un couple hédoniste et libertin.
00:43:30Comme Emmanuelle, elle fait l'amour aux hommes comme aux femmes.
00:43:36Une légende érotico-littéraire qui ne durera qu'un peu.
00:43:39Le bruit court qu'elle n'aurait pas écrit le bouquin,
00:43:43mais c'est son diplomate de mari qui l'aurait fait,
00:43:47je n'ai aucune certitude, je ne peux pas vous dire.
00:43:50Tous les gens que j'ai rencontrés, le producteur, Jean-Louis Richard,
00:43:54tout le monde m'a dit que c'était lui.
00:43:59L'hypothèse est séduisante.
00:44:03En sa qualité de diplomate,
00:44:05comment Louis Jacques Roley Andrian
00:44:08aurait-il pu en effet assumer un écrit aussi licencieux ?
00:44:13Et Marayat ?
00:44:16Maîtrise-t-elle suffisamment la langue française
00:44:19pour avoir écrit un tel chef-d'oeuvre ?
00:44:25Premier contact, on découvre un visage.
00:44:29On va vous demander maintenant de sourire.
00:44:32Voilà.
00:44:34Voilà.
00:44:36Je vais vous demander maintenant de parler,
00:44:38parce que je ne sais pas dans quelle langue vous parlez.
00:44:40Je parle français.
00:44:42C'est merveilleux, ça m'arrange très très bien.
00:44:44Ou anglais si vous voulez.
00:44:46Non, je préférerais français, si ça ne vous dérange pas.
00:44:48Mais vous pourriez peut-être expliquer comment il se fait que vous parlez français.
00:44:52J'ai appris le français en Suisse, parce que j'ai fait mes études là-bas.
00:44:57Et j'ai d'abord commencé par apprendre l'anglais.
00:45:00J'ai quitté mon pays lorsque j'étais bébé.
00:45:03Et l'anglais, au fond, était la première langue que j'ai apprise.
00:45:08On a beaucoup vu Marayat comme une jolie plante,
00:45:12une très belle femme, mais peut-être pas très intelligente.
00:45:16Et c'était censé être Louis-Jacques, l'intellectuel du couple.
00:45:19Il y a peut-être beaucoup de misogynie de la part de certains.
00:45:22Comme si une femme n'était pas capable, ce n'était pas possible.
00:45:31Camille Moreau est docteure en philosophie.
00:45:35En 2024, elle s'est lancée sur les traces du mystérieux pseudonyme.
00:45:42Quand j'ai découvert que ce serait peut-être finalement un homme,
00:45:47j'ai été extrêmement déçue et je me suis même sentie un peu trahie.
00:45:51Parce que je me suis dit, encore une fois,
00:45:54ce sont les hommes qui ont le désir des femmes dans leurs mains.
00:45:57Mais aussi, j'ai vraiment douté de cette théorie,
00:46:00car dans le roman Emmanuel, il y a des descriptions,
00:46:03notamment du désir féminin, qui sont trop exactes,
00:46:07trop proches de la réalité pour qu'il n'y ait qu'un homme derrière.
00:46:14Chercher la vérité sur Emmanuel Arseneau,
00:46:17c'est plonger dans la vie et l'intimité d'un couple hors norme.
00:46:23Le sexe est central dans leur vie et dans leur mariage.
00:46:26Et il est aussi central dans leurs pensées.
00:46:30C'est comme si, à partir de leur mariage,
00:46:33ils pouvaient se permettre de passer leur vie à chercher
00:46:37jusqu'où on peut aller dans la liberté.
00:46:40Non pas dans la transgression, comme ça aurait pu être le cas
00:46:43à l'époque de personnes qui cherchent un petit peu
00:46:46dans des histoires de domination ou de sadomasochisme.
00:46:49Là, c'est en multipliant les amours qu'on peut vraiment se dépasser soi-même.
00:46:53Et par l'érotisme, on atteint une forme de vérité.
00:46:56Et pour abriter leur philosophie,
00:46:59le couple imagine dans les années 1970
00:47:02une maison à nul autre pareil.
00:47:06Au cœur d'une forêt de pin, dans les terres varoises,
00:47:10ils font construire la Chantelouve.
00:47:15C'est une maison assez particulière parce qu'il n'y a presque
00:47:18aucune fenêtre qui donne sur l'extérieur.
00:47:25En fait, le plan de cette maison est conçu
00:47:29autour de la question érotique et de la pratique du sexe.
00:47:37Ça s'organise autour d'un puits central qui est vitré,
00:47:42autour duquel on circule dans une maison qui est entièrement ouverte.
00:47:46Si bien que, où qu'on se trouve à l'intérieur de la maison,
00:47:49on peut observer les autres agir, vivre, faire l'amour.
00:47:56Derrière les murs épais de la bâtisse aux allures de Blocos,
00:48:02tout invite à l'érotisme et à son spectacle.
00:48:08Les chambres, dont les cloisons sont aussi fines qu'amovibles,
00:48:12s'ouvrent sur un patio pensé pour faire le jeu des voyeurs.
00:48:20Du bureau, on peut observer ce qui se passe dans la salle de bain.
00:48:23À la baignoire spacieuse, ou dans les douches,
00:48:27qui sont prévues pour être prises à plusieurs.
00:48:30Il y a des mosaïques au sol, faites par Louis-Jacques,
00:48:34qui représentent des scènes érotiques.
00:48:37Dans le patio, il y a un escalier qui permet de monter à la piscine,
00:48:41dont la tige est en forme de verge.
00:48:44Ils ont construit leur utopie, vraiment, brique par brique.
00:48:54Un peu partout dans la maison,
00:48:57s'offre au regard la nudité de Maraillat,
00:49:00inlassablement immortalisée par son époux.
00:49:04Aura-t-elle été seulement cela ?
00:49:07Une muse ?
00:49:10J'ai découvert qu'en réalité, Maraillat a eu une éducation de très haut niveau,
00:49:15qu'elle a fait des études supérieures,
00:49:18en Angleterre, dans un pensionnat privé, puis en Suisse,
00:49:20qu'elle était très intéressée par les mathématiques,
00:49:24par la physique quantique, par des sujets comme ça.
00:49:27Elle était plurilingue, elle parlait italien, anglais, français,
00:49:32et je crois que Maraillat avait un plus haut niveau d'études que son mari.
00:49:37Mais alors, qui a écrit Emmanuel ?
00:49:41Qui tient la plume d'Emmanuel Arsens ?
00:49:44Ma théorie, c'est que c'est Maraillat et Louis-Jacques
00:49:47qui l'ont écrit ensemble.
00:49:50Je pense que c'est justement pour ça que c'est un chef-d'œuvre.
00:49:53Je ne sais pas exactement qui a écrit telle ou telle phrase,
00:49:57on ne peut pas vérifier parce que le manuscrit est tapé à la machine,
00:50:01donc c'est impossible de savoir.
00:50:03En revanche, ce qui est sûr, c'est que c'est une émulation
00:50:07de deux personnes qui s'aimaient à la folie
00:50:10et qui ont fait de leur amour une œuvre d'art.
00:50:13C'est par leur couple extraordinaire que ce livre a pu avoir lieu.
00:50:22Caché derrière un nom désormais célèbre,
00:50:25le couple va alors transformer son pseudonyme en arme politique.
00:50:321968.
00:50:34Le pape Paul VI condamne le recours à la contraception dans son encyclique.
00:50:38Emmanuel Arseneau prend la plume et riposte.
00:50:44Ne vous est-il donc jamais venu aux oreilles, très saint père,
00:50:47que la femme, elle aussi, savait jouir ?
00:50:51Ignorez-vous aussi qu'elle a justement d'autant plus de chances
00:50:55de s'abandonner à l'orgasme
00:50:57qu'elle craint moins d'être rendue enceinte contre son gré ?
00:51:01La pilule a mis fin à bien des frigidités.
00:51:04Mais peut-être l'orgasme finale.
00:51:05Mais peut-être l'orgasme féminin n'est-il pas un sujet qui vous intéresse ?
00:51:12Le livre répit à Paul VI, c'est une lettre ouverte,
00:51:15c'est-à-dire une lettre adressée au pape,
00:51:17mais que chacun peut lire,
00:51:19avec des arguments qui sont des arguments qu'on pourrait retrouver aujourd'hui.
00:51:23Par exemple, elle dit que ne pas donner la contraception aux femmes,
00:51:28c'est mettre la planète en danger.
00:51:30Parce que si on a trop d'enfants,
00:51:32on n'arrivera plus à nourrir tout le monde
00:51:33et la planète ne supportera pas ça.
00:51:37Changer les mentalités.
00:51:39Émanciper.
00:51:41Libérer.
00:51:43En 1974, quand le film fait de l'heure Emmanuel un phénomène,
00:51:47les relais Andriane décident de surfer sur la vague.
00:51:59Pour poursuivre leur révolution,
00:52:00ils se lancent dans l'édition, avec leur propre magazine.
00:52:18Un mensuel qui a tout d'une revue érotique,
00:52:22mais aussi tout d'une revue intello.
00:52:31Un ovni éditorial,
00:52:33où photos de charme, parfois engagées,
00:52:36le disputent au sujet d'avant-garde.
00:52:39Et où Emmanuel Arsens, en personne, répond au courrier des lecteurs.
00:52:46Ils mènent vraiment parfois des combats dans la société
00:52:50pour les droits de chacun et chacune à disposer de leur corps,
00:52:54à avoir le droit de ne pas vouloir d'enfant ou d'en vouloir.
00:52:57À avoir le droit à l'homosexualité, à la transidentité même.
00:53:01Ils parlent de ça alors que ce n'est pas du tout un sujet à l'époque.
00:53:04Ils sont partis de l'idée d'érotisme comme avatar de la belle vie
00:53:10pour venir à une idée de l'érotisme comme outil pour une vie juste.
00:53:27Je peux avoir votre numéro ?
00:53:58Pas plus.
00:54:00Au deux tiers du livre, il y a une très longue conversation
00:54:03entre Emmanuel et un homme plus âgé sur la question de l'érotisme.
00:54:07Et ces questions me sont restées.
00:54:10Je me demandais où était l'érotisme dans notre société ?
00:54:13Est-ce que l'érotisme a encore une place ?
00:54:16Qu'est-ce qu'il veut dire dans une société où les images pornographiques sont nombreuses,
00:54:21où l'idée de tout montrer est un peu omniprésente ?
00:54:24Est-ce qu'on peut encore fabriquer un récit sur l'idée de l'érotisme,
00:54:29c'est-à-dire en convoquant l'imaginaire du spectateur et en essayant de travailler avec lui ?
00:54:37À partir de là ?
00:54:39Vas-y.
00:54:41Je voudrais qu'on vérifie le niveau des souffles.
00:54:44D'accord ?
00:54:45Oui.
00:54:55Pour venir contredire toutes les images de pornographie,
00:54:58il s'agissait de se dire à quel moment on trouve la note juste,
00:55:01à quel moment on a le sentiment d'aller vers quelque chose que tout le monde peut ressentir
00:55:05et qui laisse derrière les représentations qu'on connaît trop.
00:55:15Il y a une scène intéressante du plaisir qui est cherchée seule,
00:55:18donc une scène de masturbation, mais pas seulement de masturbation.
00:55:22C'est presque la première scène où vraiment elle commence à ressentir du plaisir
00:55:26et c'est seule avec elle-même, avec un glaçon.
00:55:41La vraie question que je me suis beaucoup posée,
00:55:44c'est comment filmer le corps d'une femme qui n'a pas de corps,
00:55:46c'est comment filmer le corps d'une femme nue en faisant de cette image et d'elle le sujet.
00:55:56Et peut-être aussi à quel moment la représentation d'une femme qui jouit n'est pas juste
00:56:00la validation d'un partenaire, peut-être masculin, qui aurait bien fait son travail.
00:56:07C'était comment parler du plaisir de la femme aussi pour son plaisir à elle.
00:56:17Aujourd'hui, une nouvelle génération de cinéastes femmes fait émerger ce qu'on appelle le female gaze,
00:56:25le regard féminin.
00:56:34Cesser de filmer les actrices comme des objets de désir,
00:56:38mais adopter le point de vue du personnage féminin
00:56:41pour faire ressentir aux spectateurs et spectatrices son expérience.
00:56:47Le glaçon est venu parce que c'est important aussi d'aller éveiller le spectateur avec l'essence.
00:56:57De ramener l'odorat, de ramener le toucher,
00:57:01de ramener le côté froid du glaçon dans cette moiteur de Hong Kong.
00:57:07On savait que ça provoque forcément quelque chose dans l'essence.
00:57:17Audrey Diwan sur le tournage faisait incroyablement attention,
00:57:21mais au moindre geste, il y avait une chorégraphie entre elles qui était folle.
00:57:25Tu faisais un...
00:57:29Mais quand, où ? Devant la glace ?
00:57:32En arrivant, oui. On va essayer ça.
00:57:35L'étirement du matin, c'était assez gracieux au fond,
00:57:39quand on l'avait fait dans la chambre, c'est pas du tout le même axe.
00:57:44En fait, le grand travail qu'on a fait avec Noémie, c'était de se dire
00:57:48comment moi, je viens mettre en scène autour d'elle,
00:57:51comment la caméra vient chercher autour d'elle,
00:57:55et non pas comment elle se présente à la caméra.
00:58:03C'est vrai qu'elle connaissait toujours le cadre,
00:58:06je voulais qu'elle ait conscience de la manière dont j'allais filmer,
00:58:09et que dans cette confiance-là, ensuite, elle puisse s'abandonner.
00:58:21Les parents ne comprennent même pas ce qu'elle lui fait.
00:58:24Ici, can you try ?
00:58:30Ok, ça va.
00:58:32Je pense que c'est une cinéaste qui réfléchit au corps d'une femme
00:58:36comme un corps politique.
00:58:41Il y a quelque chose sur le geste
00:58:45qui est vraiment à chaque fois une décision.
00:58:48Ce n'est pas un corps de femme qui est offert au spectateur,
00:58:51pas du tout, du tout, du tout.
00:58:53C'est un corps de femme qui réfléchit sur elle-même
00:58:56et le spectateur est invité à regarder.
00:58:58Ce n'est pas pareil.
00:59:18Ok, on est retournant en place de départ, s'il vous plaît.
00:59:21À travers la sexualité, qu'est-ce qu'on raconte d'autre ?
00:59:24Qu'est-ce qu'on raconte de notre rapport à l'autre ?
00:59:26Qu'est-ce qu'on raconte de la société ?
00:59:28Évidemment, bien en filigrane,
00:59:30mais tout ce qui se dit à travers l'histoire des corps,
00:59:32parce qu'à travers l'histoire des corps,
00:59:34il y a beaucoup d'autres choses qui se jouent.
00:59:52Ça aussi, tu l'as touché ?
00:59:55Tu n'es pas content encore ?
00:59:57Mais moi, j'ai l'impression que c'est parce que l'histoire change,
01:00:00je ne sais pas si ça me gêne tant.
01:00:09C'est une scène sexuelle, érotique,
01:00:13mais qui passe par les mots.
01:00:15Et j'avais envie d'explorer l'érotisme
01:00:18à un autre endroit que celui du corps.
01:00:19Donc, parler d'érotisme aujourd'hui
01:00:21et essayer d'en faire une matière cinématographique,
01:00:23c'est aussi ne pas se contenter aux scènes sexualisées.
01:00:27Ou en tout cas, et aussi peut-être,
01:00:29de les détourner et de les faire passer ici par les mots.
01:00:49Jusqu'à ce qu'ils partent.
01:01:19Et puis, ça s'est passé de plus en plus vite.
01:01:49Les gens ont moins de rapports sexuels maintenant,
01:01:52ils ont moins envie de voir de sexe sur grand écran,
01:01:54ils cherchent autre chose.
01:01:56En tout cas, la jeune génération n'a plus envie de voir ce qu'on montrait.
01:01:59Le metteur en scène du premier Emmanuel avait capturé l'esprit de l'époque.
01:02:03Peut-être qu'Audrey Diwan a là incroyablement saisi l'époque.
01:02:11Faire des films érotiques aujourd'hui, c'est primordial
01:02:14parce que c'est important de chercher,
01:02:16de chercher à créer de nouveaux imaginaires
01:02:19et des imaginaires plus sains,
01:02:21notamment dans l'érotisme.
01:02:23Mais je pense que ce serait bien dans la pornographie aussi, justement.
01:02:29Je ne m'y collerais peut-être pas.
01:02:38C'est surtout que l'être humain imite.
01:02:41Donc si on voit des choses violentes, brutales,
01:02:44et qu'on nous dit que c'est comme ça que ça marche
01:02:47et que c'est comme ça que les femmes prennent du plaisir, par exemple,
01:02:50et que l'homme prend son pied, on va faire pareil, forcément.
01:03:041974.
01:03:06Emmanuel devient l'icône érotique de l'époque
01:03:10et Sylvia Christel son visage.
01:03:15Que reste-t-il du personnage avant-gardiste
01:03:18imaginé par le couple libertin Rolet-Andrian ?
01:03:22Le scénario a-t-il trahi l'esprit de l'œuvre littéraire ?
01:03:31C'est une version de l'érotisme
01:03:33où les femmes sont dominées par les hommes aux alentours,
01:03:37alors que dans le roman, c'est l'inverse.
01:03:39C'est plutôt les femmes qui entraînent par la main les hommes
01:03:42vers une libération commune.
01:03:45Le film a transformé la femme libre et pensante qu'était Emmanuel
01:03:50en un objet de désir pour les hommes.
01:03:56Emmanuel, c'est le fauteuil.
01:03:58Pour moi, c'est ça, c'est un accessoire de déco.
01:04:01Enfin, un fauteuil.
01:04:03Je ne la sens pas comme un sujet, comme une personne avec des désirs.
01:04:07On a l'impression qu'elle est mue par les désirs des autres.
01:04:09Dans le parcours initiatique d'Emmanuel, deux hommes mènent la danse.
01:04:14Jean, son mari, qui la pousse dans les bras des autres.
01:04:18Et Mario, un sexagénaire libertin qui devient son mentor.
01:04:24Ce qui me met en colère avec le film Emmanuel,
01:04:27c'est qu'on ait pu me faire croire
01:04:29que c'était un grand symbole de libération féminine,
01:04:33alors que ce n'est que l'expression d'une domination
01:04:36masculine sur un personnage féminin.
01:04:43Le message du film est que si vous obéissez aux injonctions masculines,
01:04:48vous finissez par être libéré et trouver votre plaisir.
01:04:51C'est un programme de libération.
01:04:53D'abord, tu feras ça.
01:04:55Tu te caresseras comme si.
01:04:57Après, tu accepteras de te faire prendre par un boxeur
01:05:00après avoir léché son sang pour t'exciter.
01:05:02Il y a tout en plus là-dedans.
01:05:07C'est quand même l'histoire d'une femme
01:05:09qui jouit grâce à un virilisme absolu autour d'elle.
01:05:19Depuis l'apparition du cinéma,
01:05:22la majorité de ce qu'on a vu sur nos écrans
01:05:25a été écrite, pensée, filmée, produite par des hommes.
01:05:30Et c'est ce qui nous fait croire
01:05:31que ce qu'on a vu sur nos écrans a été écrite, pensée, filmée, produite par des hommes.
01:05:36À partir de là, les représentations qu'ils nous ont donné à voir
01:05:40étaient des représentations qui correspondaient à leur imaginaire à eux.
01:05:46Cette manière de filmer les femmes porte un nom,
01:05:49le male gaze.
01:05:53Ce terme que l'on peut traduire par regard masculin
01:05:57apparaît au milieu des années 70.
01:05:58Il dénonce la représentation des femmes à l'écran
01:06:01comme des objets sexuels
01:06:03et non des sujets qui pensent et agissent.
01:06:07Les héroïnes sont filmées de façon assez systématique
01:06:11comme un homme les dévisagerait.
01:06:16En s'arrêtant sur leur forme, sur leurs fesses, sur leurs seins,
01:06:20en faisant des gros plans sur la bouche
01:06:23et finalement en fragmentant le corps des femmes
01:06:26et en en faisant des objets à l'image.
01:06:28Une mise en image que l'actrice Sylvia Christel déplorera elle-même
01:06:38en parlant d'Emmanuel.
01:06:41Je ne suis pas du tout satisfaite de l'image de moi que je donne dans ce film.
01:06:46J'y joue les femmes objets stupides
01:06:48qui se laissent manipuler par les autres.
01:06:59Près de 50 ans après la sortie de son film,
01:07:02ses critiques continuent de hanter Juste Jacquin, le réalisateur.
01:07:08Mon rôle est d'essayer de comprendre ce que les femmes avaient voulu exprimer
01:07:14sur leur propre érotisme.
01:07:16Est-ce que j'étais trop loin ? Est-ce que je n'y étais pas compris ?
01:07:20Je ne sais pas.
01:07:22A l'époque, alors que le film est un succès phénoménal,
01:07:26un coup de fil vient bouleverser le cinéaste.
01:07:29Et qui a été le coup de couteau dans la plaie, ça a été Emmanuel Larsen
01:07:33qui était Maria Trolley en fait, le vrai nom qui téléphone.
01:07:37Monsieur Jacquin, je vous appelle au sujet du film, au sujet de l'écrivain
01:07:42et je voulais lui dire que je n'ai pas aimé votre film, que vous m'avez trahi.
01:07:45Donc j'étais terrifié et j'étais paniqué.
01:07:51Premièrement, moi, dit-elle, je suis oralienne.
01:07:55Vous prenez une fille blonde avec des yeux bleus, ce n'est pas moi.
01:07:58Deuxièmement, Amario qui est le tuteur de l'histoire,
01:08:02c'est un jeune prince magnifique et tout,
01:08:05et vous prenez un vieux monsieur qui s'appelle Alain Cuny,
01:08:08vous m'avez trahi là.
01:08:10Comme un vieux garçon.
01:08:12Elle m'a injurié au téléphone en disant que je n'avais rien compris.
01:08:19Ça a été très dur pour moi.
01:08:25Un mot résume à lui seul la nature de cette trahison.
01:08:30Le viol.
01:08:32Le viol.
01:08:34Le viol.
01:08:36Le viol.
01:08:38Le viol.
01:08:40Le viol.
01:08:44Totalement absent de l'œuvre originelle,
01:08:47il s'invite dès les premières pages du scénario
01:08:50au détour d'une scène en apparence anodine.
01:08:57Il y a une scène dans le film où un domestique voit Emmanuel et son mari
01:09:03en train de faire l'amour,
01:09:04et du coup il poursuit une femme domestique
01:09:09et on ne sait pas si c'est un jeu ou si c'est une prédation.
01:09:15Et là on voit très concrètement qu'il s'agit d'un viol
01:09:18parce que la domestique fait non avec la tête et qu'elle fronce les sourcils
01:09:22et qu'elle n'a pas du tout l'air heureuse de la situation.
01:09:26Et puis au fur et à mesure, elle se calme et on comprend qu'elle prend du plaisir.
01:09:31Ces scènes-là sont accompagnées de petites musiques irrêtes, romantiques,
01:09:36qui nous laissent tout simplement penser que c'est totalement comme ça que ça doit se passer.
01:09:41Et ça c'est absolument le produit de ce qu'on appelle la culture du viol,
01:09:45c'est-à-dire nous faire croire que le nom féminin voulait dire oui.
01:09:49Bien sûr que c'est ça la culture du viol.
01:09:52A l'époque, clairement sur les écrans, ce qu'on nous offre c'est des hommes
01:09:56qui n'ont pas ce qu'ils veulent aussitôt,
01:09:57giflent les femmes, les forcent et ça paraît complètement normal.
01:10:04Les violences sexuelles se banalisent au fil des pages du scénario.
01:10:09Comme un passage obligé dans son initiation érotique,
01:10:12Emmanuelle est-elle aussi violée,
01:10:14sous le regard pervers et satisfait de Mario.
01:10:18J'ai revu le film hier soir,
01:10:20mais j'ai halluciné quand j'ai vu la scène de viol,
01:10:23je l'avais complètement oublié,
01:10:24Le film est non seulement très sexiste,
01:10:27mais il est aussi raciste.
01:10:29Les hommes thaïlandais, ici présentés de façon très colonialiste
01:10:33comme des sauvages, lui sautent dessus, comme des bêtes.
01:10:38Je pensais qu'Yves Rousserroir racontait sur la perversion,
01:10:42ou percivité, je ne sais pas, excusez-moi,
01:10:44la perversité,
01:10:46la pervisité du public de voir une jeune fille me sent,
01:10:49violée, plus ou moins.
01:10:51Vous n'êtes pas vraiment violée.
01:10:53Vous avez déjà dit que je fais ça,
01:10:56avec des pas hollandais élégantes.
01:10:58Je dirais que vous faites un certain nombre de choses délicieuses à voir,
01:11:03et peut-être certainement beaucoup plus à faire,
01:11:06et que vous les faites toujours avec cet air innocent.
01:11:20Un spectateur qui voit ces agressions sexuelles et ces viols à l'écran,
01:11:25qui sont romantisées, qui sont érotisées,
01:11:27comment voulez-vous à terme, lorsqu'elles sont si multiples,
01:11:30qu'il prenne conscience du fait qu'il ne peut pas les reproduire avec ses partenaires ?
01:11:34C'est-à-dire que nous toutes et tous sommes victimes de ces modèles,
01:11:37nous les intégrons et nous avons l'impression que le non-respect du consentement
01:11:41finit par faire partie du jeu de la séduction.
01:11:45Pour moi, c'est la racine culturelle du mal actuel des violences sexistes et sexuelles.
01:11:51Est-ce que toutes les femmes ont envie de se faire violer ?
01:11:54Je pense, oui. Sincèrement, oui.
01:11:57Vous avez déjà violé des femmes ?
01:11:59Oui.
01:12:02Est-ce que tous les hommes sont des violeurs en puissance ?
01:12:06Oui. C'est possible.
01:12:09Tout ce qu'on a construit dans cette époque des années 70,
01:12:12que m'imaginaient les femmes,
01:12:13dans cette époque des années 70 que m'imaginaient pour les garçons,
01:12:16on en voit les conséquences maintenant.
01:12:1850 ans après, 50 ans de violences sexuelles.
01:12:29Nous, les féministes, on a attiré l'attention depuis les années 70
01:12:33sur le fait que cette sexualité brutale, ça s'appelle un viol.
01:12:37On a mis des noms sur les choses.
01:12:39On a appris aux femmes à dire non et à s'écouter elles-mêmes.
01:12:41Mais les hommes, ils ont été tout à fait confortés dans leur idée
01:12:45que c'est ma sexualité qui prime.
01:12:47Donc, c'est libérons nos désirs, y compris avec les mineurs,
01:12:51y compris avec les enfants.
01:12:55Dans ces années-là, en fait, sous prétexte de libération sexuelle,
01:12:59on baigne dans l'idée que la sexualité n'a pas d'âge.
01:13:04Alors là, attention.
01:13:12Pur produit de son époque,
01:13:15le film Emmanuel n'échappe pas à cette idée
01:13:18et sexualise de très jeunes filles.
01:13:21Tu sais pourquoi je mange des sucettes ?
01:13:24Parce que tu aimes ça, je suppose.
01:13:26Pas du tout. C'est parce que ça excite les vieux.
01:13:30Le personnage de Marie-Ange m'a énormément choquée dans le film.
01:13:34Cette petite qui suce des sucettes,
01:13:37des sucettes à la nid, aurait dit Gainsbourg.
01:13:41Elle est aguicheuse, experte, jouisseuse et très jeune.
01:13:51Le personnage, baptisé Marie-Ange,
01:13:54est interprété par l'actrice Christine Boisson,
01:13:57mineure au moment du tournage.
01:14:04Une décharge est signée à l'époque par ses parents.
01:14:12On est absolument dans un stéréotype qui est celui de la Lolita,
01:14:17qui se plie aux regards et aux désirs
01:14:20et à la volonté d'hommes plus âgés qu'elle.
01:14:37Ça ne me plaisait pas tellement à l'époque.
01:14:39Mais bon, je suivais le scénario.
01:14:46Le producteur était aussi...
01:14:48Il provoquait, parce qu'il voulait tout le temps des scènes agressives,
01:14:53comme dans un night club,
01:14:56où il y a une fille qui...
01:14:59Parce que les petites tailles étaient là,
01:15:02toutes nues, toutes mignonnes, dansant.
01:15:05Et il y en a une qui s'étendait,
01:15:07qui fumait avec son vagin.
01:15:10Enfin, c'était délirant.
01:15:12Et ça, il voulait.
01:15:14C'est lui qui l'a filmée.
01:15:16Parce que chacun ne voulait pas la filmer.
01:15:18Il a dit non, dans mon film, non.
01:15:20Eh bien, le producteur, hop, il est allé filmer tout seul.
01:15:24Avec le caméraman, non.
01:15:26Ça, ça nous a un peu bloqués.
01:15:32Cette scène, nous avons choisi de ne pas la montrer.
01:15:37Elle se déroule dans un cabaret de passe à Bangkok.
01:15:41Une première jeune fille est filmée en train de fumer une cigarette avec son sexe.
01:15:48Et deux autres, lors d'un show lesbien.
01:15:57Toutes sont en apparence mineures.
01:16:02J'ai dit, moi, je ne veux pas filmer ça,
01:16:05parce que d'abord, l'histoire de la cigarette, c'est pornographique.
01:16:08Moi, je fais un film érotique.
01:16:11Ces gosses sont mineurs, c'est une exploitation sexuelle,
01:16:14et je refuse de la tourner.
01:16:16Je m'étais battu contre mon producteur,
01:16:19et il a tourné cette scène qu'il a exigée de monter au tournage.
01:16:28Ce sont des scènes qui font l'apologie de la pédocriminalité.
01:16:33La banalisation de la pédocriminalité.
01:16:38La banalisation de la pédocriminalité.
01:16:51Oui, c'est la scène en question.
01:16:59Mais c'est une scène qui fait partie de la vie quotidienne à Bangkok.
01:17:04Je ne l'avais pas vue depuis longtemps, celle-là.
01:17:08Mais quand on tourne ce type de scène,
01:17:11est-ce qu'on se pose la question
01:17:13de participer à l'exploitation sexuelle de ces adolescentes ?
01:17:20Non.
01:17:22Non, parce que ça fait partie du décor.
01:17:25En fait, ça fait partie du décor.
01:17:28Bangkok, et encore peut-être aujourd'hui, j'en sais rien,
01:17:31Bangkok était connu pour être le bordel de l'Asie.
01:17:35Mais là, c'était plutôt drôle.
01:17:37Je trouvais que c'était plutôt une scène amusante.
01:17:44En tout cas, c'est comme ça que les gens l'ont reçue.
01:17:53Dans la création artistique,
01:17:55les exemples sont infiniment nombreux de jeunes filles qui sont sexualisées,
01:17:58même à 10, 11, 12 ans.
01:18:00Et tout à fait légalement, dans des oeuvres littéraires,
01:18:04des oeuvres photographiques, cinématographiques,
01:18:06il est totalement accepté d'érotiser et d'hyper-sexualiser
01:18:10le corps des jeunes filles et des enfants.
01:18:14Une esthétique incarne à elle seule ses représentations,
01:18:18celle du photographe et réalisateur David Hamilton.
01:18:22Figure incontournable au moment où s'écrit Emmanuel,
01:18:25il s'en voit même proposer la réalisation.
01:18:28C'est vrai que la première personne à laquelle j'ai pensé,
01:18:31c'était David Hamilton,
01:18:33qui était connu pour faire des photos extrêmement esthétiques.
01:18:37Et quand je lui en ai parlé, il m'a dit non, ça ne m'intéresse pas,
01:18:40elle est trop vieille, Emmanuel, dans l'histoire.
01:18:43On sait depuis qu'il était plutôt intéressé par les jeunes filles.
01:18:50Avant son décès en 2016,
01:18:51David Hamilton est accusé de viols et d'agressions sexuelles
01:18:54par plusieurs femmes alors qu'elles étaient mineures.
01:18:58Il faut bien reconnaître qu'on a tout d'un coup un regard aujourd'hui
01:19:03qui est différent de l'époque.
01:19:06À l'époque, c'était tout d'un coup une liberté,
01:19:11une libéralisation des mœurs, c'est une libéralisation totale,
01:19:15rien de choqué.
01:19:17Aujourd'hui, c'est une liberté.
01:19:20Aujourd'hui, c'est vrai qu'on fait beaucoup plus attention
01:19:24et on est en train de se poser des questions
01:19:26qui sont probablement légitimes.
01:19:28Et aujourd'hui, vous le referiez pareil, ce film ?
01:19:31Non.
01:19:34Il faut quand même se rendre compte que la dénonciation est très récente.
01:19:38Aujourd'hui, c'est vraiment un tournant que nous sommes en train de vivre
01:19:41sur la question de la pédocriminalité et des violences sexuelles
01:19:44qui est enfin prise au sérieux par notre société.
01:19:50Et oui, on peut !
01:19:53J'adore les femmes !
01:20:08Vous avez dit que le monde s'éloigne de la violence.
01:20:13Vous avez dit que le monde s'éloigne de la silence.
01:20:19Janvier 2018.
01:20:21L'actrice Natalie Portman prend la parole lors de la marche des femmes de Los Angeles,
01:20:26quelques mois après le début du mouvement MeToo.
01:20:49J'ai eu l'occasion de lire un fantasme d'un homme qui m'avait écrit.
01:20:52Un tournant a commencé sur ma radio locale pour mon 18e anniversaire,
01:20:56euphémiquement le jour où je serais légale à dormir.
01:20:59Très rapidement, même en tant qu'adulte de 13 ans,
01:21:03j'ai compris que si je m'expressais sexuellement,
01:21:06j'allais me sentir insecure.
01:21:08Un monde dans lequel je pourrais porter ce que je veux,
01:21:10dire ce que je veux,
01:21:12et exprimer mon désir,
01:21:14sans avoir peur de ma sécurité physique ou de ma réputation,
01:21:17ce serait le monde dans lequel le désir féminin et la sexualité
01:21:21pourraient avoir leur meilleure expression et leur meilleur remplacement.
01:21:25Faisons une révolution du désir.
01:21:48Progressivement, en France,
01:21:51les voix de milliers de femmes s'élèvent
01:21:53pour témoigner des violences sexistes et sexuelles auxquelles elles sont confrontées,
01:21:57et dénoncer les représentations et les images d'une sexualité dominée par les hommes.
01:22:02Je parle d'un monde, d'un univers
01:22:05qui tout entier écrase la parole des femmes,
01:22:10d'un univers dans lequel il se passe des choses absolument terribles
01:22:14et qui est un reflet de la société.
01:22:15La question, c'est qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
01:22:24Ce qui est le plus fort avec le mouvement MeToo en termes de représentation,
01:22:28ça a été de dire, de crier, de marteler à coups de hashtags.
01:22:32C'est fini, en fait. C'est fini.
01:22:35Le regard patriarcal, le regard dominant,
01:22:38n'est plus d'actualité, en fait.
01:22:46J'avais quel âge au début du mouvement MeToo ?
01:22:49J'avais 30 ans, à peine 30 ans.
01:22:52J'ai dit, mais c'est maintenant que les gens se réveillent ?
01:22:55C'est marrant parce que, du coup, je me suis dit,
01:22:58mais moi, presque toute ma jeune vie, à ce moment-là,
01:23:02j'avais passé mon temps à esquiver des agressions
01:23:06ou ne pas les esquiver, d'ailleurs.
01:23:16Moi, j'ai commencé, je suis arrivée à Paris,
01:23:19la première séance photo avec un photographe en tant que mannequin,
01:23:22même pas majeur, donc 17 ans,
01:23:26agression sexuelle dans son appartement.
01:23:30C'est, OK, je rentre dans le monde des adultes, ça va être ça.
01:23:34Ça va être ça, et puis après, ce qui est terrible,
01:23:37c'est que ça n'a pas arrêté, et même aujourd'hui, ça n'arrête pas.
01:23:40Alors que j'aurais pu me dire, c'est impossible,
01:23:42on est dans l'ermitou.
01:23:45J'ai quand même un peu de pouvoir, maintenant,
01:23:48et puis j'ai pas le même âge, et puis j'ai...
01:23:50Ah ben non, il y en a qui continuent de ne pas voir
01:23:53qu'il y a des choses qui sont vraiment problématiques
01:23:56et qu'ils se font pas.
01:24:00Pour Noémie Merland, Audrey Diwan,
01:24:03et toute une génération de cinéastes,
01:24:05le vieux cinéma n'est plus la norme.
01:24:08Une nouvelle page est à écrire.
01:24:09Repenser les récits et les images
01:24:12jusqu'à proposer l'idée d'un consentement érotisé
01:24:15peut révolutionner les mentalités.
01:24:20Pour moi, la question de Me Too, elle est intérieure.
01:24:23C'est-à-dire, moi, je le porte en moi,
01:24:25ça doit être immanent, c'est quelque chose que j'ai là,
01:24:28et derrière, la question, c'est comment on fait du cinéma
01:24:31avec ces questions de corps ?
01:24:33Comment on va travailler d'une fiction, des personnages,
01:24:35un désir d'histoire, une quête, un endroit ?
01:24:40Proposer un voyage, voilà.
01:24:48Ce que prétendent les fers de lance
01:24:51de l'érotisme à l'ancienne
01:24:53et de la libération sexuelle à l'ancienne,
01:24:55c'est ah là là là là, mais si on demande l'autorisation,
01:24:58c'est beaucoup moins excitant.
01:25:00Audrey Diwan, elle montre que même en demandant
01:25:02l'autorisation d'une certaine manière,
01:25:05waouh, c'est chaud.
01:25:11Aujourd'hui, dans les années 2020 et les décennies à venir,
01:25:15je pense que l'un de nos plus grands défis
01:25:17et celui des créateurs et créatrices,
01:25:19ce sera de vraiment créer une culture du consentement à l'écran
01:25:23et une culture du consentement qui puisse être absolument sexy.
01:25:33C'est hyper important de créer, de créer de la matière
01:25:36et de créer de nouvelles images qui montrent autre chose.
01:25:39C'est même, je pense, encore plus excitant.
01:25:41Quand il y a un respect du consentement de chacun,
01:25:44il y a quelque chose de magique,
01:25:47de partager et d'être deux, trois, quatre,
01:25:50à aimer et être d'accord et diriger ensemble
01:25:55ce qu'on est en train de faire, quoi.
01:25:57Et erotiser le consentement.
01:26:02Sous-titrage Société Radio-Canada
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