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Grand entretien avec Dominique de Villepin, ancien ministre et diplomate, sur les questions internationales et la résolution des conflits.

Animé par Sébastien Crépel, codirecteur de la rédaction de l'Humanité, et Rosa Moussaoui, rédactrice en chef de l'Humanité.

Crédit photo : © Nicolas Clueut/L'Humanité

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00:00:00et argumenté, ça tombe bien, notre invité s'y connaît en argumentation, il a exprimé
00:00:07des positions fortes sur les questions internationales ces dernières semaines, notamment à l'occasion
00:00:14sur le sujet de Gaza, il a été ministre des Affaires étrangères lors du refus, il
00:00:22est l'homme du refus de la guerre en Irak, je vous demande d'accueillir Dominique De
00:00:26Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères, sur la fête de l'Humanité, bienvenue à
00:00:32lui, un débat animé par Sébastien Crépel, directeur de la rédaction de l'Humanité,
00:00:40Rosa Moussaoui, membre de la rédaction, chef de l'Humanité, et Vadim Kamenka, chef du
00:00:48service politique, du service international, pardon, de l'Humanité. Merci, merci, bonjour
00:00:59à toutes et à tous, les photographes, essayez de laisser, essayez de vous abaisser pour
00:01:13qu'on puisse voir le plateau, bonjour à toutes et à tous, bonjour Dominique De Villepin,
00:01:20bienvenue à vous dans cette fête à laquelle je crois vous participez pour la première
00:01:25fois, à l'Humanité nous aimons le débat contradictoire avec celles et ceux qui ne
00:01:31partagent pas forcément nos partis pris, mais aussi, et notre échange le montrera
00:01:37peut-être, avec celles et ceux qui arrivent à des conclusions partagées avec nous, qui
00:01:42portent des convictions et des combats communs aux nôtres, pour plus de justice dans ce
00:01:47monde, bien qu'ils y viennent par des chemins et des horizons différents. Ici, on respecte
00:01:53les opinions différentes, on assume les désaccords, mais aussi, on recherche les convergences
00:02:00qui nous enrichissent et nous rendent plus forts. Donc bienvenue Dominique De Villepin,
00:02:05merci de votre présence, et d'abord, une question liminaire, pouvez-vous nous dire
00:02:15à votre tour ce qui vous a poussé à répondre à l'invitation du directeur de l'Humanité,
00:02:21Fabien Guay ?
00:02:23D'abord, la passion du débat. La politique internationale est trop souvent confisquée
00:02:32dans des débats d'experts, sur des chaînes périphériques, et ni les partis politiques,
00:02:40ni le Parlement, ni les grands débats nationaux ne répondent à la soif d'une France davantage
00:02:52investie sur les grands drames du monde, et ma conviction, c'est que la France ne veut
00:02:58pas être tout à fait la France, si elle n'est pas capable d'être à la hauteur de
00:03:03sa vocation. Et nous sommes un pays qui est dans le monde. Et la conscience internationale
00:03:11de la France, et le général de Gaulle, au lendemain de la guerre, a porté cette représentation
00:03:18d'une France qui défend des valeurs, qui défend des principes, qui défend une certaine
00:03:22idée de l'ordre mondial, m'a toujours conduit à penser qu'il ne fallait surtout pas s'enfermer
00:03:31dans les chancelleries. Et donc, c'est le même combat que je mène depuis que j'étais
00:03:37étudiant jusqu'à le Quai d'Orsay et après, sur l'Irak, contre l'intervention en Libye,
00:03:45contre les interventions au Sahel, c'est la même logique qui me pousse aujourd'hui à
00:03:51m'engager, comme je l'ai fait dans toutes les années précédentes, à Gaza. Et je sais
00:03:56que la tentation d'aujourd'hui, c'est d'enfermer les gens dans des boîtes, c'est d'imaginer
00:04:06que ceux qui le font, ils le font pour de très très mauvaises raisons. Et je n'ignore
00:04:10rien de ceux qui veulent, refusant le débat sur le fond, mettre des étiquettes. Alors
00:04:17c'est le Qatar, c'est tel ou tel Etat, je n'ai jamais eu un contrat financier avec le
00:04:22Qatar, je n'ai jamais servi les intérêts d'aucun pays. Mais c'est justement cela qui
00:04:27est passionnant, c'est que c'est la parole libre qui fait peur. Et c'est ce que je viens
00:04:32chercher avec vous aujourd'hui, c'est un débat libre qui permet d'avancer vers des solutions.
00:04:38Parce que ce qui est le plus tu aujourd'hui, c'est qu'il y a des solutions. Il y a des
00:04:45solutions diplomatiques. Et c'est notre responsabilité de les porter.
00:04:49Monsieur de Villepin, vous venez d'évoquer Gaza, pour qualifier l'entreprise d'anéantissement
00:04:57en cours à Gaza depuis un an, pour dire l'abandon du peuple palestinien, les mots nous manquent,
00:05:05et nous avons été nombreux depuis un an à emprunter ceux du poète palestinien Mahmoud
00:05:10Darwish. Vous le connaissiez personnellement, vous avez, je crois, représenté la France
00:05:15lors de ses funérailles. Voici ses mots. « Vous fournissez l'épée, nous fournissons
00:05:21le sang. Vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la chair. Mais le ciel et
00:05:27l'air sont les mêmes pour vous et pour nous. Que vous inspirent ces vers ? »
00:05:31La conviction, d'abord, que la conscience, la poésie telle qu'elle s'exprime à travers
00:05:45une conscience, nous apporte un rappel, c'est que nous avons une humanité commune. Et qu'aujourd'hui,
00:05:54israéliens, palestiniens, syriens, iraniens, nous avons tous le même devoir, qui est d'arrêter
00:06:01cette escalade meurtrière. Il faut, sur le drame d'aujourd'hui, partir au point de départ,
00:06:07non pas au point de départ historique, on pourrait remonter à la fin du XIXe siècle,
00:06:11mais le 7 octobre. Le 7 octobre, ne l'oublions pas, 1200 morts, plus de 240 otages et un engrenage
00:06:24qui, à partir de là, est celui de la vengeance sans limite, sans proportion, et qui conduit
00:06:32à ce bilan effarant que nous voyons aujourd'hui, plus de 40 000 morts, dont 30 000 femmes et
00:06:42enfants issus de la population civile. Ça, c'est un bilan qu'il nous faut regarder en
00:06:50face. Et ce bilan, il est lié à un choix de réponse de la force, de la part d'une démocratie,
00:07:01d'une démocratie qui est soutenue par les États-Unis et par les autres démocraties.
00:07:08Alors même que nous aurions la capacité, et c'est cela que je trouve particulièrement révoltant,
00:07:13la capacité d'introduire de la mesure dans la réponse. D'abord parce que nous aidons économiquement Israël,
00:07:21y compris sur les territoires de la colonisation. Deuxièmement parce que nous apportons une aide militaire,
00:07:27c'est particulièrement vrai des États-Unis. Et nous le faisons en quelque sorte en fermant les yeux
00:07:36sur cet engrenage de la violence dont nous savons qu'il ne peut conduire à rien. Pourquoi ?
00:07:43Ceux qui plaident pour continuer la guerre, ceux qui plaident pour aller jusqu'au bout, ceux qui plaident pour terminer le travail,
00:07:49ceux qui disent que le pardon est mort le 7 octobre, oublient une réalité fondamentale de la géopolitique.
00:07:56Nous sommes dans une guerre installée par Israël, et les Américains y ont beaucoup participé avant,
00:08:03dite contre le terrorisme. On ne gagne pas contre le terrorisme en employant le seul langage de la force.
00:08:12Et ma première critique, c'est que nous ne tirons pas les leçons du passé.
00:08:22Nulle part, la bataille contre le terrorisme a pu être gagnée par les seuls moyens de la force.
00:08:28On me rétorque le califat. Le califat, justement, c'est une incarnation territoriale.
00:08:33Mais les groupes, dans une guerre asymétrique, ne permettent pas de gagner contre le terrorisme.
00:08:39Deuxièmement, cette logique de force, elle est sans objectifs politiques.
00:08:46Benjamin Netanyahou dit et redit que son but, c'est l'éradication du Hamas.
00:08:52Et aujourd'hui, il est contredit par son ministre de la Défense, Yoav Galland,
00:08:56qui dit lui-même que le Hamas a été désarmé à Gaza.
00:09:04Tous les services de renseignement disent que le point d'achoppement des négociations,
00:09:08le corridor de Philadelphie dans le sud de Gaza, n'a pas lieu d'être gardé et maintenu par Israël,
00:09:15et qu'on pourrait engager un cessez-le-feu qui permettrait de libérer de nombreux otages,
00:09:21comme ça a été fait une première fois, dès lors que sur ce point, qui est le dernier point
00:09:25qui bloque la négociation, nous pourrions nous entendre.
00:09:30Donc, le gouvernement de Benjamin Netanyahou, on le voit bien,
00:09:33il veut se maintenir au pouvoir pour deux raisons.
00:09:36La survie personnelle et judiciaire de Benjamin Netanyahou,
00:09:41et la persistance d'une politique ultra-conservatrice et fondamentaliste,
00:09:48qui est celle des ministres auxquels il est associé, c'est-à-dire M. Benvire et M. Smotrich principalement.
00:09:55Donc, nous sommes dans un engrenage de la violence qui est sans issue.
00:09:59Ma conviction, c'est qu'il y a, par rapport à ça, aujourd'hui, une alternative à construire.
00:10:06Alors, justement, sur cette rhétorique de la guerre contre le terrorisme,
00:10:11la France a fait sienne cette rhétorique au Sahel, mais aussi au Proche-Orient.
00:10:16On se souvient d'Emmanuel Macron appelant à la constitution d'une coalition anti-Hamas,
00:10:21pour ensuite apporter son soutien inconditionnel à Netanyahou,
00:10:25et revenir à de timides appels au cessez-le-feu.
00:10:27Comment, dans ces conditions, la France peut retrouver une voie crédible, indépendante, entendue,
00:10:33et qui peut contribuer à dégager ses solutions ?
00:10:36Alors, ce qui est fondamental aujourd'hui au Proche-Orient, et dans cette guerre de Gaza,
00:10:45qui s'ajoute à de nombreuses autres guerres, et à de nombreuses guerres israélo-palestiniennes,
00:10:50c'est qu'il y a un fait nouveau, dans l'ordre mondial.
00:10:53Et ce fait nouveau, il nous est venu, assez pédagogiquement, d'une certaine façon, de la guerre d'Ukraine.
00:11:00Dans la guerre d'Ukraine, les Européens, les Occidentaux ont tout à coup découvert
00:11:05qu'ils n'étaient pas suivis par le reste du monde, ce que j'ai dit depuis le premier jour.
00:11:09Le monde ne vous suit pas. Le Sud global, comme on dit aujourd'hui, ne vous suit pas.
00:11:13Il n'adhère pas à votre vision. Et pourquoi ?
00:11:16Tout simplement parce qu'ils ont le sentiment d'un deux poids, deux mesures.
00:11:21Nous avons défendu en Ukraine une mobilisation contre l'agression russe, à juste titre.
00:11:26Nous avons défendu le droit international en Ukraine. Et que faisons-nous à Gaza ?
00:11:31Le droit international, depuis 1947, il est bafoué.
00:11:34Applaudissements
00:11:40La Cour internationale de justice s'est prononcée en juillet
00:11:45sur la dénonciation de la colonisation, et l'Assemblée générale des Nations Unies
00:11:49va se prononcer la semaine prochaine sur ce que la communauté internationale,
00:11:54ce que l'Assemblée générale attend de la réponse à donner à cette décision de la Cour internationale de justice.
00:12:01De la même façon, la Cour internationale de justice a dit son inquiétude sur ce qui pourrait conduire
00:12:08à un éventuel génocide. Et la Cour pénale a mis en accusation un certain nombre de responsables israéliens,
00:12:16et même si je ne fais pas de parallèles, et également du Hamas.
00:12:20Cette nouveauté nous conduit aujourd'hui à comprendre que les malheurs du monde,
00:12:28la dérégulation de la force sur tous les conflits, l'embrasement d'un pays comme le Soudan,
00:12:34comme le Congo, comme la Birmanie, tout cela est lié au fait que le nouvel ordre international
00:12:42ne nous permet plus d'y répondre. Le Conseil de sécurité des Nations Unies est mis entre parenthèses
00:12:46Le veto est paralysé. Et donc, nous avons besoin de refonder cet ordre. Et le point de départ de cet ordre,
00:12:52nous le connaissons. Le point de départ du nouvel ordre de 1945, c'était un Conseil de sécurité pour gérer la paix,
00:13:01et des instances spécialisées sur la pauvreté, sur tous les drames de l'humanité, pour gérer le progrès de l'humanité.
00:13:11Aujourd'hui, tout est bloqué pour une raison. C'est que nous n'avons plus de concept fondateur de ce nouvel ordre.
00:13:18Et ce concept, nous le voyons aujourd'hui partout, il existe. C'est la justice.
00:13:24Si nous sommes capables de faire gagner la justice à Gaza, c'est tout l'ordre mondial que nous pourrons alors refonder.
00:13:33Et c'est en cela que la valeur symbolique de ce qui se passe à Gaza. Beaucoup s'étonnent de l'intérêt subi que nous porterions à Gaza.
00:13:46Mais il faut dire les choses. Gaza, c'est le plus vieux conflit de l'après Deuxième Guerre mondiale.
00:13:53Il est né avec la création de l'État d'Israël et le problème ouvert béant des Palestiniens restés sans terre.
00:14:03Il est né au lendemain de cet immense traumatisme de la Shoah, mais aussi de cet immense injustice et traumatisme pour les Palestiniens de la Nakba.
00:14:13Quand vous avez 700 000 personnes qui, contrairement à ce qui a été dit par nombre d'historiens pendant longtemps,
00:14:20ne sont pas parties de leur propre fête, mais qui ont été acculées, obligées de partir.
00:14:27Et tous les historiens, y compris Israéliens, aujourd'hui le reconnaissent. Eh bien, c'est qu'il y a une injustice.
00:14:34Et la communauté internationale aujourd'hui peut comprendre qu'en reconnaissant ce droit du peuple palestinien,
00:14:43en acceptant la création d'une solution à deux États, nous allons vers la réponse à deux malheurs du monde.
00:14:52Le premier, c'est la sécurité d'Israël. Car je n'ignore pas l'immense choc qu'a été le 7 octobre pour Israël,
00:14:59ravivant la mémoire de la Shoah. Aussi immense choc, parce que cet État-refuge, tout à coup, il a montré ses limites.
00:15:09Et toute la politique israélienne, tout ce mythe d'un État qui pouvait par lui-même tout sécuriser, s'est effondré.
00:15:16Le mur technologique, les armes sophistiquées, toutes ces aberrations qui font qu'on croit qu'il y a des armes miraculeuses
00:15:25qui permettent de préserver les peuples. Il n'y a qu'une arme, qu'une arme, qui permet de préserver un peuple,
00:15:31et de lui garantir sa sécurité. C'est la justice qui permet à deux peuples de vivre ensemble.
00:15:40Merci. Justement, vous évoquez pas mal les chiffres, notamment le bilan humain de ce qui se passe à Gaza.
00:15:51Aujourd'hui, certains évoquent le chiffre de 40 000 morts. The Lancet, la revue médicale, va, elle, plus loin.
00:15:58Elle évoque le chiffre de 186 000 morts. Si l'on prend en considération, bien sûr, les répercussions de cette opération militaire
00:16:05sur la santé des populations, malgré tout ça, ces estimations sont sans cesse contestées.
00:16:10Partagez-vous, aujourd'hui, le constat d'un double standard, d'une empathie sélective selon l'appartenance et la provenance des victimes ?
00:16:19Le drame de Gaza dans la représentation, et qui accroît encore plus la frustration d'un certain nombre de peuples du sud global,
00:16:31c'est l'invisibilisation de la mort à Gaza. C'est le silence de la mort à Gaza.
00:16:38Il ne s'agit pas de nier l'horreur, ni la barbarie, ni le terrorisme qui s'est fait jouer, qui s'est fait jour le 7 octobre.
00:16:46Mais tous ces morts ont un visage. Tous ces morts s'inscrivent dans un lignage, dans un souvenir.
00:16:53Comment fait-on son deuil de ces morts qui n'existent pas ?
00:16:59Moi, je garde, vous avez cité Mahmoud Darwish, mais je garde la mémoire des vers de Paul Ceylan,
00:17:05de cette fumée blanche et de toutes ces tombes qui n'ont pas d'autre sépulture que dans le ciel.
00:17:12Et bien là, quelles sont les sépultures de ces enfants et de ces femmes à Gaza ?
00:17:20Dans un territoire où l'on bombarde, y compris les cimetières,
00:17:26il y a, je crois, dans cette incapacité à pouvoir se faire une représentation et une image,
00:17:36une impossibilité de faire son deuil. Et ce n'est pas le silence, je n'ignore rien, des guerres d'aujourd'hui,
00:17:42qui se fonde avec l'idée que la guerre se joue aussi sur le terrain de l'information.
00:17:48Que la guerre se joue, comme disent les Américains, aussi sur le terrain de la perception.
00:17:53Mais une guerre dont on ne parle pas, des morts dont on ne parle pas, des morts qui n'ont pas de visage,
00:17:59ça ne veut pas dire qu'ils n'existent pas. Et heureusement, il y a une conscience internationale.
00:18:04Et c'est pour ça que je suis là. C'est parce que tous, nous avons le devoir d'ouvrir les yeux et de porter cette conscience.
00:18:16M. de Villepin, vous venez de réaffirmer votre attachement à une solution à deux États.
00:18:22Il y a très peu de temps, la CNESET a voté une résolution qui tient l'établissement d'un État palestinien pour une menace existentielle.
00:18:31On sait que Benyamin Netanyahou et son gouvernement n'en veulent pas.
00:18:36Comment, dans ces conditions, pourrait-on imaginer un retour à des négociations de paix ?
00:18:42Est-ce qu'un État palestinien pourrait être viable avec 700 000 Israéliens illégalement installés dans près de 300 colonies en Cisjordanie, dont certaines à Jérusalem-Est ?
00:18:56Alors, face à ces drames historiques, il y a deux étapes qui sont indispensables.
00:19:02La première, c'est de penser une perspective de paix possible, de penser une solution possible.
00:19:09Et la deuxième étape, c'est de faire en sorte qu'elle soit applicable, c'est de faire en sorte qu'elle soit, par étapes, progressivement mise en place.
00:19:19Donc, première étape, penser la possibilité d'une solution.
00:19:25Je crois que nous voyons, dans ce qui se passe aujourd'hui en Israël, l'impossibilité de continuer dans la voie qui a été dessinée par Israël avec le soutien d'un grand nombre de pays occidentaux.
00:19:38Pourquoi ? Parce que la seule logique, c'est celle de la force.
00:19:42Et la force, elle maintient la violence, elle entretient la violence.
00:19:46Et donc, on le voit bien, et c'est le drame de ce qui se passe aujourd'hui en Cisjordanie, tant dans le nord de la Cisjordanie que dans le sud, à Hébron,
00:19:54c'est que progressivement, les esprits s'enflamment, progressivement, la violence se répand,
00:20:00et elle se répand en Cisjordanie, elle se répand dans le sud Liban, et elle se répand dans tout le pourtour du Moyen-Orient.
00:20:08Et la seule solution pour les esprits les plus radicaux comme Benjamin Netanyahou, c'est de faire en sorte que le conflit s'étende avec le rêve d'une guerre totale,
00:20:19qui permettrait alors de faire taire toutes les dissidences, toutes les voix, toutes les consciences qui iraient à l'encontre de ce souhait.
00:20:29Et, dans ce schéma, on voit bien qu'il compte, et ils le disent parfois, sur, indifférence, le mot est trop fort, mais sur une certaine absence des Etats arabes,
00:20:42en se disant, les Etats arabes, comme nous, souhaitent la liquidation de ces terroristes, la liquidation d'une certaine représentation des frères musulmans,
00:20:51et ils nous laissent faire le sale travail.
00:20:53Et donc, dans cet engrenage, on voit bien comment Israël pourrait, si le conflit s'étend, solliciter l'aide américaine, ils ne peuvent pas le faire seuls,
00:21:01pour détruire le Hezbollah d'un côté et s'en prendre à l'Iran de l'autre, où il y a une vraie menace sur le plan nucléaire.
00:21:07Donc, dans ce schéma, c'est la politique du pire, il n'y a pas de solution.
00:21:11La solution, par contre, vers laquelle nous pouvons nous tourner, c'est celle qui consiste, dans le cadre de la solution à deux Etats,
00:21:20à penser une administration qui puisse s'installer à Gaza.
00:21:25Ma conviction, c'est qu'il ne faut pas uniquement l'installer à Gaza.
00:21:28Là, nous serions dans une logique géographique limitée qui ne permettrait pas d'envisager la solution à l'ensemble du problème palestinien.
00:21:36Il faut une administration pour tous les territoires occupés, c'est-à-dire Gaza, qui est aujourd'hui sous contrôle d'Israël, la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
00:21:46Une administration qui puisse prendre en main, sous l'égide internationale, le plus tôt possible, avec une autorité palestinienne rénovée, légitime et crédibilisée,
00:21:57donc profondément rénovée, et avec une force d'interposition, une force internationale, qui ne serait pas celle que nous avons connue, la première qui a eu lieu,
00:22:08la funue qui a eu lieu en 1956 entre l'Egypte et Israël, mais qui serait davantage dans l'esprit du Kosovo ou du Timor-Oriental,
00:22:16c'est-à-dire avec des vraies capacités d'interposition et d'engagement pour faire respecter la sécurité.
00:22:23Et, troisième élément pour permettre, rendre crédible ce scénario, c'est bien évidemment des interlocuteurs prêts à avancer,
00:22:32c'est vrai du côté israélien, c'est vrai du côté palestinien, où il faut changer complètement le logiciel pour mettre le dialogue en avant.
00:22:42Donc, on a un certain nombre d'étapes. Aujourd'hui, et ça c'est très intéressant, parce que c'est quelque chose qui s'affirme dans les derniers jours,
00:22:49les États arabes se rendent compte que c'est le point de sortie. Ils se sont longtemps enfermés sur les accords d'Abraham,
00:22:56c'est-à-dire, dans le fond, on oublie ce qui se passe en Palestine et on se concentre sur une stratégie économique qui va peu à peu permettre à ces pays
00:23:06de commercer avec Israël, de tirer des bénéfices technologiques, de tirer des bénéfices en matière d'armement et de sécurité.
00:23:12On sort de cette logique-là, qui était la logique trompienne de 2020, pour revenir à l'idée que rien ne sera possible avec Israël
00:23:21tant qu'Israël ne s'engagera pas dans la solution à deux États. À partir de là, donc, il y a un cercle vertueux, qui est exactement le cercle inverse
00:23:32du cercle des néo-conservateurs américains et israéliens, qui était fondé sur la force. On rentre par la porte de Bagdad, on sort par la porte de Jérusalem
00:23:42et on enchante le Moyen-Orient, sous les bombes et sous la force, pour offrir au Moyen-Orient un destin heureux. Là, c'est tout à fait différent.
00:23:51On rentre à Gaza et sur la question palestinienne, et on sort en offrant au Moyen-Orient des perspectives régionales, des perspectives de construction
00:24:03d'une organisation régionale sur le plan économique. Ne l'oublions pas, la seule région au monde qui n'a pas de capacité régionale en matière économique,
00:24:11c'est le Moyen-Orient. C'est une série d'États faillis les uns à côté des autres. L'Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen, la Libye.
00:24:19Comment voulez-vous aujourd'hui retrouver les débuts d'un ordre et d'un progrès dans cette région si on ne reconstruit pas les États ?
00:24:27Et pour reconstruire les États, il faut un réengagement de la communauté internationale. Et pour réengager la communauté internationale,
00:24:33il faut commencer par la justice et par la paix. C'est ça, le principe vertueux.
00:24:39— Oui. Justement, vous parlez de la région du Moyen-Orient. Aujourd'hui, on voit que tout ce qui se passe à Gaza et au Proche-Orient,
00:24:50finalement, menace la région dans son ensemble. Vous avez évoqué notamment la situation d'une guerre totale. Comment, finalement, sortir de cet engrenage
00:24:58quand on voit toutes les tensions qui émanent entre Israël et le Liban, entre Israël et le Hezbollah, mais aussi entre Israël et l'Iran derrière ?
00:25:06Comment on peut sortir de cette logique aujourd'hui de guerre totale ?
00:25:10— En changeant la donne, en changeant le paradigme sur lequel on construit le dialogue. Aujourd'hui, nous sommes dans une stratégie
00:25:18qui donne carte blanche à Israël pour liquider le Hamas. On peut comprendre compte tenu du 7 octobre. Mais liquider le Hamas,
00:25:28c'est pas liquider ni les Palestiniens ni la question palestinienne. Or, on voit bien derrière que l'objectif, c'est de faire en sorte
00:25:36que ces questions palestiniennes retournent dans les oubliettes de l'histoire. Moi, ma conviction, mon pari, c'est qu'au contraire,
00:25:43jamais la question palestinienne n'a été aussi prégnante, incontournable, nécessaire à la création d'un nouvel ordre mondial.
00:25:52Et donc je crois que le pari de mettre la question palestinienne de côté a échoué. Reste l'hypothèse d'un Donald Trump qui viendrait rajouter
00:26:03une couche à sa politique sur les accords d'Abraham. Je ne crois pas que devant leur peuple, les États arabes puissent aujourd'hui s'engager
00:26:11dans une politique qui ne prèverait pas en compte l'exigence de justice pour les Palestiniens. Et c'est là où il y a un devoir des Européens,
00:26:20des Occidentaux en général et donc des Américains, que de trouver le moyen d'une issue dans cette région. Il faut être lucide sur la situation du monde.
00:26:32Depuis 1945, il n'y a pas une guerre qui a été gagnée. Prenez la guerre de Corée. Prenez la guerre du Vietnam. Aucune guerre n'a été gagnée.
00:26:44Et tous les conflits des dernières années sont des conflits gelés. Si la communauté internationale veut éviter le spectre d'une guerre mondialisée globale,
00:26:54eh bien il faut qu'elle commence à marquer des points. Vous savez, c'est comme tout dans la vie. Si vous ne montrez pas que l'on peut réussir,
00:27:02si vous ne donnez pas un espoir au peuple, eh bien c'est le pire qui se produit. C'est la guerre. Historiquement, c'est systématique.
00:27:11Et tous ceux qui viennent nous dire « Mais l'esprit de Munich... » Non, l'esprit de Munich aujourd'hui, ce n'est pas le sujet.
00:27:24Le vrai sujet aujourd'hui, c'est de montrer qu'on peut arriver, marquer des points, offrir un avenir à des peuples et véritablement changer la perspective du monde.
00:27:38Dominique de Villepin, on voit que toute voix critique du gouvernement israélien, de sa politique d'occupation, expose à l'infamante accusation d'antisémitisme.
00:27:50Nous-mêmes, à l'humanité, on a fait les frais de tel procédé. Vous-même également, vous en avez été la cible, ce qui d'ailleurs contribue à banaliser l'antisémitisme.
00:28:00Comment l'avez-vous vécu et puis comment y répondez-vous ?
00:28:04Alors, je partage le sentiment qu'est le vôtre. Je pense que toute instrumentalisation de l'antisémitisme nuit à la lutte indispensable contre l'antisémitisme.
00:28:14Donc, de ce point de vue-là, c'est se tirer une balle dans le pied. Mais, ayant dit cela, nous devons tous être lucides et conscients.
00:28:25Nous sommes dans un monde où les réseaux sociaux, des groupes organisés, les chaînes en continu ne cessent de polariser les jugements et les opinions publiques.
00:28:36Il faut vous mettre dans une case. Vous êtes pour ou contre, avec moi ou contre moi. Cette logique de clivage, elle est permanente.
00:28:43Nous sommes aux antipodes de l'esprit de mesure. Donc, nous devons tous nous méfier de l'instrumentalisation de nos paroles.
00:28:53Mais, je remarque que ceux qui, les premiers, lancent ces accusations, en fait, refusent le débat.
00:29:01Moi, je suis prêt à parler avec tout le monde. Et c'est cette liberté qui fait peur à ceux qui, justement, refusent le dialogue et veulent le clore avec des étiquettes
00:29:13anti-sémitisme, anti-israélien, anti-sioniste. Non. Aujourd'hui, nous devons accepter le débat, prendre le risque, et c'est le risque que vous vous prenez comme journaliste,
00:29:30moi, que je prends comme ancien de la vie politique. Et à ce titre, s'il y a un devoir, quand on a fait de la politique, c'est de continuer d'assumer ses convictions.
00:29:48Ce qui ne veut pas dire que l'on arbore de quelconques ambitions que ce soit. Mais je crois que, là, oui, il faut aller au bout de ses convictions.
00:29:58— Applaudissements du public —
00:30:03— Monsieur de Villepin, pour changer d'air géographique, mais on reste dans la même problématique, vous avez réaffirmé très fortement tout à l'heure que le recours à la force était vain
00:30:12devant ce qui a été appelé le terrorisme. Vous avez souligné toutes les limites de cette stratégie, de cette rhétorique de guerre contre le terrorisme.
00:30:22La France a adopté une telle posture au Sahel avec les résultats que l'on sait. Est-ce que, de votre point de vue, ces orientations néoconservatrices ont contribué
00:30:36à pousser la France vers la sortie dans son ancien précaré colonial en Afrique de l'Ouest ?
00:30:42— Alors malheureusement, je crois que ça a joué un rôle majeur. Parce qu'il y a plusieurs erreurs qui sont commises, plusieurs fautes ou leçons qui n'ont pas été tirées.
00:30:53La première, c'est que la guerre contre le terrorisme ne peut pas aboutir contre des groupes organisés qui font leur miel de la haine et de la force qu'on emploie contre eux.
00:31:06On leur donne un statut, on leur donne une identité renforcée, on joue de la polarisation. Et donc ils sont médiatiquement portés par le combat que l'on veut mener contre eux.
00:31:20La deuxième faute commise, c'est que derrière cette guerre contre le terrorisme, et souvent l'emploi de la force, il y a l'idée sous-jacente du changement de régime.
00:31:33La politique du changement de régime, qui a été défendue par les néoconservateurs américains, elle est omniprésente encore aujourd'hui sur la scène internationale.
00:31:42C'est l'idée qu'en Libye, on liquide Kadhafi, ça ira beaucoup mieux. Bel exemple avec le chaos d'aujourd'hui. C'est l'idée que Saddam Hussein s'en va et ça ira beaucoup mieux.
00:31:54Belle preuve qui est effectuée. C'est l'idée qu'on élimine Bachar el-Assad, qu'on n'a pas d'ailleurs éliminé, et que ça ira beaucoup mieux en Syrie.
00:32:03Donc il y a cette pensée magique que le changement de régime règle tout. Et c'est sous-jacent face à l'Iran, c'est sous-jacent face à la Russie.
00:32:13Beaucoup d'experts, beaucoup de stratèges, derrière les positions qu'ils prennent jusqu'au boutiste, caressent l'idée que si Poutine ne part pas du pouvoir, eh bien rien ne sera possible avec la Russie.
00:32:29Moi, je crois que l'ordre international, tel qu'il a été défini en 1945 et tel qu'il devra être redéfini, doit clarifier l'objectif qui est visé.
00:32:40Où nous visons la paix, la justice. Et ça s'accompagne, pour obtenir une unité de la communauté internationale, de l'acceptation du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures.
00:32:53Ce qui ne veut pas dire qu'on s'en désintéresse. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'est pas soucieux des droits de l'homme. Mais il faut trouver le moyen de l'exprimer.
00:33:02Et en tout cas, on n'emploie pas la force pour imposer à un État son régime et la règle qui est la nôtre. Et c'est là où nous commettons une erreur.
00:33:12Et c'est là où nous appliquons le deux-poids-deux-mesures. Parce que nous serions exemplaires. Nos démocraties seraient exemplaires. Nos sociétés seraient exemplaires. On pourrait donner des leçons.
00:33:24Mais c'est tout le travail qui est fait par la propagande russe ou d'autres États. Regardez ce qui s'est passé le 6 janvier, sur les marches du Capitole, en 2021.
00:33:36Est-ce que c'est l'image d'une grande démocratie que la tentative d'invasion du Capitole ? Est-ce que les mouvements qui se sont exprimés dans les différents pays européens, c'est l'image de démocratie apaisée ?
00:33:50Donc, toute leçon donnée aux autres doit commencer par soi-même. L'exemplarité, c'est ici et c'est maintenant. Après, fort de la réussite, nous pourrons dire
00:34:03« Regardez comment nous avons fait pour rallier l'ensemble des communautés, l'ensemble des groupes. Regardez comment nous avons réussi à apaiser nos banlieues. »
00:34:13Alors, nous pourrons être écoutés, entendus, peut-être imités. Et c'est ça, l'erreur de méthode. C'est là où la confusion idéologique fait que les démocraties occidentales,
00:34:25qui devraient être de mesure et de justice, se sont égarées et le font jour après jour davantage. Dans la surenchère, surenchère sécuritaire, surenchère identitaire, il n'y a pas d'issue dans la surenchère.
00:34:40— Vous avez évoqué de nombreux conflits dans les différents propos que vous venez de tenir. Qu'est-ce qui distingue aujourd'hui le spectre, finalement, d'une guerre globale, que vous avez parfois nommée,
00:34:57et finalement, les conflits mondiaux qui ont déchiré l'humanité au XXe siècle ?
00:35:03Alors, le risque d'une aggravation, soit verticale, soit horizontale, de la conflictualité, et donc le risque et le spectre d'une guerre globale, nous devons l'avoir en tête.
00:35:16D'abord parce qu'il faut constater qu'il y a un esprit de guerre dans le monde d'aujourd'hui, dans tous les domaines. Dans le domaine culturel, dans le domaine économique, dans la vie sociale.
00:35:31L'esprit de guerre, il n'est pas seulement dans la géopolitique, il est partout. Regardez les États-Unis.
00:35:35Une véritable guerre civile culturelle qui règne dans ce pays, où les gens-mêmes déménagent, changent de quartier pour ne pas vivre à côté de gens qui ne pensent pas comme eux.
00:35:45Donc, c'est vous dire la ghettoïsation, le cloisonnement, le rétrécissement, chacun dans son sexe, chacun dans son genre, chacun dans son idée, chacun dans son aveuglement.
00:35:56Mais ce n'est pas ça une démocratie, ce n'est pas ça un pays de liberté. Et donc, nous devons être conscients et nous devons lutter contre cet enfermement.
00:36:08Le spectre de la guerre globale, il nous menace, il est présent dans beaucoup de nos discours, y compris parfois dans la politique des sanctions.
00:36:18Quand vous voyez que les deux tiers de l'humanité ne suivent pas nos politiques de sanctions, qu'est-ce qu'ils font ? Qu'est-ce que font les BRICS ?
00:36:24Ils se posent la question de comment vivre sans ce dernier tiers, comment faire en sorte de pouvoir commercer par le biais d'échanges qui ne passent pas par le dollar, qui ne passent pas par les marchés internationaux.
00:36:38Et donc, on construit un monde parallèle qui, peu à peu, va nous isoler. On essaye de faire des transactions en dehors du dollar.
00:36:49Tout cela se fait petit à petit, mais tout cela change les mentalités du monde. Et si nous voulons rester, et là je parle de la France,
00:36:58un pays capable de parler au Brésil, de parler à l'Afrique du Sud, de parler à l'Algérie, de parler à l'Indonésie, et bien nous devons construire ce langage commun,
00:37:07ces repères communs, et éviter ce vers quoi notre monde va, qui est la confrontation entre les États-Unis et la Chine, chacun disant à l'autre, dans sa zone d'influence,
00:37:23« Vous êtes avec moi et contre moi », et c'est aujourd'hui la question qui est posée à l'OTAN, est-ce que l'OTAN qui existe sur le territoire européen,
00:37:32est-ce que cet OTAN ne doit pas se transporter en Asie pour contenir l'influence chinoise ? Donc on voit bien que cette logique d'élargissement des conflits, de guerre totale,
00:37:44elle nous menace. Et c'est là où l'Europe, et c'est là où je fonde là aussi un espoir, parce qu'il y a des solutions. L'Europe doit préserver son indépendance,
00:37:56son autonomie stratégique. Et en venant ici, je ne pensais pas devoir faire un compliment à Emmanuel Macron, mais je crois qu'il faut être honnête.
00:38:05Il a eu le mérite, il a eu le mérite de mettre sur la table européenne la question de l'autonomie stratégique, de la souveraineté européenne. Et ces problèmes, nous devrons les traiter.
00:38:19Nous ne pouvons pas abandonner notre souveraineté aux Américains qui, par délégation et en notre nom, géreront les affaires de l'Europe.
00:38:28Je termine juste sur ce point. Donc la bonne nouvelle, ce serait une Europe indépendante, souveraine, capable de s'affirmer.
00:38:38L'autre bonne nouvelle, c'est l'émancipation du Sud global. Quand vous voyez la mise en œuvre du multi-alignement, je me réjouis que ces pays décident
00:38:48que ce qui est bon pour eux peut être bon pour le monde. Parce que ça veut dire quoi ? Ils refusent l'embrigadement. Ils refusent l'alignement idéologique d'un côté et de l'autre.
00:38:58Ça veut dire que l'Europe doit construire son identité et sa souveraineté dans un grand partenariat avec le Sud global. C'est là qu'est l'avenir de l'Europe.
00:39:08— Dominique de Villepin, il y a une nouvelle donne dont on n'a pas encore parlé. C'est aussi le chaos climatique vers lequel on se dirige.
00:39:15Est-ce que c'est pas aussi l'un des fronts possibles de la guerre globale que vous évoquez ?
00:39:19— Vous avez 100 fois raison. Les grandes lignes de front du monde, c'est les grandes fractures que sont les crises. Et c'est bien évidemment l'Ukraine, c'est Gaza,
00:39:30c'est aussi l'ensemble du Proche-Orient, mais c'est la mer de Chine du Sud. Avec Taïwan, c'est toute la zone de la péninsule coréenne.
00:39:41Et c'est le Sahel. Ça, c'est les grandes lignes de front géographiques. Mais il y a, sur les enjeux économiques, sur les enjeux écologiques,
00:39:49où nous faisons des progrès. Parce que croyez-moi, je voyage et je peux dire qu'il y a des progrès sur ce front.
00:39:56La Chine a énormément travaillé depuis quelques années pour essayer de répondre à ce défi climatique dans des villes qui étaient pestilentielles
00:40:06et qui, aujourd'hui, retrouvent un horizon. Donc il y a des progrès. La question, c'est comment on va plus loin.
00:40:12La question, c'est comment aussi on prend en compte toutes les conséquences de cette dégradation climatique. Les réfugiés climatiques, voilà un enjeu.
00:40:20Et comment l'Europe et l'Occident participent et donnent les moyens aux pays du Sud global, qui sont les premiers touchés. C'est comme le terrorisme.
00:40:28Le terrorisme, c'est le Sud global. C'est les pays musulmans qui sont les premiers touchés. La dette écologique, c'est le Sud global. C'est eux qui sont les premiers touchés.
00:40:37Et donc, nous devons les aider à avancer.
00:40:41Je reviens simplement un peu en arrière sur la question de l'autonomie stratégique, de la souveraineté stratégique européenne.
00:40:48Est-ce que cette souveraineté stratégique serait possible si une éventuelle défense européenne,
00:40:55est-ce qu'il faudrait qu'elle continue d'être articulée au traité de l'Atlantique Nord, à l'OTAN ?
00:41:03Ou est-ce qu'il faudrait sortir l'OTAN de cette équation pour parvenir à une véritable autonomie stratégique ?
00:41:08Alors, il y a, vous avez raison de le souligner, il y a un rêve européen sur la défense qui est ancien.
00:41:14On sait tous qu'à l'initiative de la France, en 1954, une partie de ce rêve d'une communauté de défense a sombré.
00:41:23Ce rêve, il faut le poursuivre, mais il faut le construire par étapes.
00:41:28Et la première étape, c'est d'être capable d'avoir un pilier européen de la défense qui soit indépendant.
00:41:34Or, que voit-on ? Et ce n'est pas un hasard si Donald Trump nous montre du doigt en disant « faites davantage sur la défense ».
00:41:40C'est parce que les Européens, mécaniquement, pave-le-viennement, ils achètent pour l'essentiel des matériels américains et pas européens.
00:41:49Et quand vous voyez l'Allemagne et la Pologne privilégier des achats aux États-Unis des avions F-35 ou des chars aux États-Unis,
00:41:57eh bien, on n'a que des regrets à avoir. Donc, oui, construire une industrie de défense européenne.
00:42:06Redéfinir nos objectifs. Parce que moi, je ne cède pas aux sirènes, comme on le voit aux États-Unis,
00:42:13d'un complexe militaro-industriel qui a bien compris qu'il y avait là, avec la peur du monde, la possibilité de la surenchère sur la dépense militaire.
00:42:23Quels sont les objectifs ? Quelles sont les stratégies ? Quels sont les bons moyens ?
00:42:27Parce que l'Ukraine, quand même, nous a ouvert les yeux. Avec un drone, on peut couler un croiseur dans la mer Noire.
00:42:38Donc, la question de l'argent dépensé, des moyens affectés et de l'objectif visé doit être posée.
00:42:46Et c'est la question que je pense que nous avons ratée depuis le début. Nous voulons aider l'Ukraine.
00:42:52Nous n'avons jamais posé la question de l'alignement des moyens sur les objectifs.
00:42:56Comment voulez-vous faire la paix en Ukraine si on ne connaît pas les objectifs politiques de l'Ukraine ?
00:43:00Aujourd'hui, l'Ukraine a décidé d'essayer de préciser ses objectifs, mais il faut que nous le fassions avec elle.
00:43:07Il faut que nous soyons capables de dire là où peut se nouer une paix raisonnable.
00:43:16Et nous savons tous que c'est compliqué parce qu'il y a l'enjeu territorial, mais il n'y a pas que l'enjeu territorial du Donbass et de la Crimée.
00:43:22Il y a la question du statut qui se posera, du statut de l'Ukraine. Neutralité, pas neutralité.
00:43:28Il y a la question des garanties de sécurité. Quand et comment pourra-t-on nouer une Ukraine européenne ou une Ukraine dans l'OTAN,
00:43:35sachant que c'est impossible tant qu'il y a une guerre en Ukraine ?
00:43:41Et à partir de quel moment les Ukrainiens, je pense que le président Zelensky aujourd'hui est lucide sur cette question,
00:43:49quand la question sera posée à la société ukrainienne, est-ce qu'on peut continuer à massacrer une génération sans se poser la question de l'avenir de l'Ukraine ?
00:44:01Donc il y a là véritablement un travail. En fait, si je veux résumer tout ce que je vous dis,
00:44:07si le monde va si mal, c'est par absence de volonté, mais c'est très largement aussi par absence de pensée stratégique,
00:44:18absence d'idées, absence d'expérience, incapacité à tirer des leçons. Et c'est cela qu'il faut corriger.
00:44:25L'expérience, la vision, la proposition, c'est ça. Nous ne devons pas désespérer devant le monde.
00:44:32Ni au Soudan, ni au Congo, ni en Ethiopie, où l'on voit les dangers monter, partout il y a des solutions, pour peu qu'on accepte de poser les choses clairement.
00:44:45— Justement, vous parliez de l'Ukraine. Il y a quelques jours, le président des Etats-Unis, Joe Biden, dont le mandat s'achève,
00:44:53a promis qu'il allait, pour ces derniers mois, aider l'Ukraine à l'emporter sur le terrain.
00:45:00Je sais que ça pose quand même un certain nombre de soucis, notamment comment trouver une issue diplomatique à ce conflit,
00:45:06si on aide à ce point l'Ukraine, notamment de manière militaire. Est-ce que, finalement, l'une des problématiques qui se posent,
00:45:12c'est l'OTAN, dans cette équation, comment on arrive à obtenir un cessez-le-feu et des négociations ?
00:45:18— Alors, cette question, Joe Biden se la pose aujourd'hui. Je pense que c'est la question qu'il fallait se poser depuis le premier jour, qui est
00:45:26de quels moyens l'Ukraine a besoin pour se retrouver... — Joe Biden parle d'une victoire militaire de l'Ukraine.
00:45:33— Oui, mais on sait tous que, peut-être que pour Joe Biden, les choses ne sont pas aussi claires dans son esprit que dans celles de celui qui a posé la question.
00:45:43Pour ça, je me garderai de faire des raisonnements trop stricts à partir de ce qu'il a dit. Mais, aujourd'hui, comme hier, la vraie question, c'est
00:45:54comment faire en sorte que l'Ukraine ne soit pas défaite sur le terrain, et comment faire en sorte que l'Ukraine puisse avoir ce surcroît
00:46:05de positionnement stratégique par rapport à la Russie pour être en position de force dans une négociation diplomatique dont on sent bien
00:46:12que tout le monde la voit venir. Le président Zelensky, les Allemands, les Américains... On est au bout d'un conflit qui a déjà fait 300 000 victimes,
00:46:23et dont on voit bien qu'ils ne le mènent nulle part. Donc, aujourd'hui, c'est cette question qui est posée, et c'est notamment la question qui est posée
00:46:33à travers la question des avions et de l'emploi des avions, même si ça ne règle rien sur le terrain, et des missiles de longue portée,
00:46:41qu'il s'agisse des Storm Shadow, des Scalp ou des missiles de longue portée américains, les attaques MS. À chaque fois, la question,
00:46:49comment faire en sorte que la Russie ait intérêt à ne pas aller plus loin, ait intérêt à transiger ? Je pense que c'est la véritable question stratégique
00:47:01qui est aujourd'hui sur la table.
00:47:03Merci, Dominique de Villepin. On s'arrête un instant, peut-être, sur l'élection présidentielle américaine à venir.
00:47:08Oui. Est-ce qu'au fond, l'issue de cette élection présidentielle peut précipiter l'écroulement de cet ordre international qui se fissure de toute part ?
00:47:17Est-ce que vous redoutez le scénario d'un retour de Trump au pouvoir ?
00:47:21Alors, je vais faire une réponse de Normand, mais ma conviction, c'est que l'histoire est pleine de malheurs, de temps en temps, quelques bonnes surprises,
00:47:33mais surtout, l'histoire est pleine de ruses. C'est-à-dire que les solutions viennent rarement de là où on les attend, et nous avons intérêt à la clarification internationale.
00:47:42Et y compris quelqu'un comme Trump peut avoir intérêt, à un moment donné, en mettant les choses au clair, d'accélérer ce processus.
00:47:57Et toute la communauté internationale doit aujourd'hui regarder avec lucidité la réalité en face.
00:48:04Nous sommes dans des impasses stratégiques. Nous ne pouvons plus faire comme avant. Nous ne pouvons plus nous contenter de cette logique de force et de surenchère.
00:48:13Il faut casser cette spirale. Donald Trump arrive avec l'idée qu'il va faire la paix en Ukraine en 24 heures. Ça paraît peu raisonnable.
00:48:23Il a sans doute son idée sur la question de Gaza et le conflit israélo-palestinien, qui ne passe sans doute pas par la création d'un État palestinien,
00:48:34mais à un moment donné, ça peut produire un réveil, un réveil dans ces régions, un réveil des Européens.
00:48:41Moi, je continue à fonder des espoirs sur le fait que l'Europe va comprendre que les États-Unis, quoi qu'il arrive, privilégieront, comme ils le font depuis Barack Obama,
00:48:52une continuité historique et diplomatique qui ne va pas dans le sens de l'Europe.
00:48:58L'obsession des États-Unis, c'est la question de l'Asie pacifique et tout faire pour que la Chine ne devienne pas la première puissance mondiale.
00:49:08Ce n'est pas le véritable enjeu pour l'Europe. Et donc, nous n'avons pas parti lié avec les États-Unis sur l'ensemble de la vision stratégique mondiale.
00:49:19Et donc, ma conviction, c'est qu'il faut un réveil de l'Europe. Il faut que l'Europe comprenne qu'avec le Sud global, nous avons des intérêts communs.
00:49:28Et il faut être capable de mettre les pieds dans le plat. Et je pense que l'après-élection va être un moment de clarification, comme ça l'est toujours.
00:49:38C'est un moment où on remet les pendules à l'heure. Je souhaite qu'on soit capable de le faire le plus profondément et le plus complètement possible.
00:49:45Alors, vous évoquez justement cette inconfortable opposition de l'Europe entre les États-Unis et la Chine.
00:49:51Mario Draghi vient de rendre public un rapport dans lequel il souligne le décrochage économique de l'Europe face aux États-Unis et à la Chine.
00:50:01Au moment même où Michel Barnier est désigné à Matignon pour conduire un plan d'austérité sans précédent, pour suivre les politiques de compression des dépenses publiques et sociales.
00:50:12Quelles peuvent être les conséquences de telles orientations sur le plan social, économique et même politique ?
00:50:21L'austérité en matière stratégique, budgétaire, c'est toujours un renoncement. C'est toujours une incapacité à penser autrement la politique.
00:50:37Aujourd'hui, ma conviction c'est qu'on peut être sérieux. C'est y compris ce que dit le président de la Cour des comptes.
00:50:43On peut être sérieux budgétairement face à la dette, mais en même temps on peut être conscient, exigeant sur la nécessité de préserver la croissance,
00:50:56de préserver la capacité de relance de nos économies à l'échelle européenne et c'est ce que propose Mario Draghi.
00:51:02Il part d'un constat très simple Mario Draghi. Par rapport aux Etats-Unis, alors qu'en 2007, je ne vous fais pas un détail sur la date de 2007,
00:51:11en 2007, par rapport à cette date, nous avons perdu les deux tiers de notre richesse, nous Européens.
00:51:20Les Américains aujourd'hui sont à 100, nous sommes à 75, alors qu'on était au même niveau.
00:51:25En 2007, la France sur le plan budgétaire et économique était au même niveau que l'Allemagne.
00:51:30Je ne vous fais pas un dessin non plus. Nous avons dégradé nos positions.
00:51:35Et donc, fermer tous les robinets, prêcher l'austérité, une austérité qui d'ailleurs, et cela mérite d'être dit,
00:51:43dont on ne pense pas qu'elle s'accompagnerait d'une véritable nouvelle répartition des richesses, parce qu'elle est limite se serrer la ceinture, pourquoi pas.
00:51:51Mais encore faut-il que ce soit juste. La justice, ça vaut en matière internationale, ça vaut en matière nationale.
00:51:58Donc, l'austérité n'est pas la réponse. Pourquoi ? Parce que nous avons besoin, comme les Américains et comme les Chinois,
00:52:08de relancer nos économies dans un moment où la différenciation des économies se fait dans la grande bataille du numérique,
00:52:17dans la grande bataille technologique. Et tout ceci ne se fait pas sans moyens. Il faut des sommes colossales.
00:52:24Mario Draghi pense qu'il faut 800 milliards par an pour relancer cette économie.
00:52:31Et donc, c'est pour vous dire qu'à l'échelle de l'Europe, nous avons un immense effort à faire, ce qu'ont fait les États-Unis.
00:52:37Le plan infrastructure américain, le plan anti-inflation américain, qui est pour l'essentiel un plan qui vise à développer
00:52:46et à transformer l'économie en la rendant plus verte, eh bien, il faut être capable de cette vision, de cette transformation, de cette audace.
00:52:55Et c'est ça, le drame de la France. C'est que la « start-up nation » s'est faite à périmètre constant.
00:53:03Et le résultat, c'est que nous sommes aujourd'hui dans un pays étriqué, un pays qui rapetisse, un pays égoïste, un pays qui ne pense pas à l'avenir.
00:53:11L'avenir de la France, ce n'est pas la mise au carré, la mise en boîte de toutes les énergies.
00:53:18C'est au contraire la capacité d'offrir une perspective pour chacun.
00:53:22Et ça, ça suppose de renier la politique du rabot. Je l'ai dit quand j'étais Premier ministre.
00:53:29Le rabot n'est pas la solution. Eh bien, on ne s'assoit pas non plus sur les moyens budgétaires et financiers,
00:53:37car comme le dit très bien Talleyrand, les baïonnettes, ça peut servir à beaucoup de choses, mais pas à s'asseoir dessus.
00:53:45— Dominique de Villepin, on est presque au terme de notre entretien. Et puisqu'on a bifurqué sur les questions de politique intérieure,
00:53:53la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale a ouvert une crise politique,
00:53:58mais aussi une crise institutionnelle sans précédent sous la Ve République.
00:54:03Est-ce que vous partagez l'idée de ceux qui pensent que cette crise pourrait se muer aussi en crise de régime ?
00:54:10— Alors, je ne suis pas forcément le mieux placé pour parler de dissolution.
00:54:14— Les médias m'ont fait gagner des galons dans l'ordre de la dissolution.
00:54:22Mais je me permettrais de dire quand même que cette dernière dissolution n'a rien à voir avec la précédente.
00:54:30— C'est parce qu'elle s'était mieux finie. — Non, là, j'avoue qu'on a un maître S-dynamite.
00:54:39Donc les résultats sont à la mesure de l'ambition.
00:54:44Le risque d'une crise de régime, c'est aujourd'hui se couper de l'exigence démocratique.
00:54:56Et c'est pour ça que j'ai dit dès le lendemain du résultat de la dissolution
00:55:00qu'il fallait faire les choses avec méthode et dans l'ordre, en respectant les Français.
00:55:06Il y a une force arrivée en tête. Il fallait lui donner sa chance.
00:55:11— Applaudissements —
00:55:21Est-ce que ça aurait duré ? Est-ce que ça aurait duré ?
00:55:30Est-ce que le nouveau Front populaire aurait eu l'audace d'étendre ses lignes
00:55:39pour constituer un gouvernement qui puisse avoir une majorité ?
00:55:43Ça, c'était pas au président de la République d'y répondre à la place du nouveau Front populaire.
00:55:48— Applaudissements —
00:55:55Alors aujourd'hui, on est dans la situation très, très singulière
00:56:02où c'est le parti arrivé en dernier qui forme le gouvernement.
00:56:07Alors, oui, mais reconnaissez quand même qu'il y a un mérite à ce choix.
00:56:15C'est qu'il donne raison à la parole évangélique.
00:56:18Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers !
00:56:22— Applaudissements —
00:56:30Alors on a Michel Barnier qui est un homme d'expérience, qui est un homme de dialogue.
00:56:34Il l'a prouvé à Bruxelles.
00:56:37Bruxelles n'est pas le Parlement français.
00:56:41J'espère que Michel Barnier ne le verra pas trop tôt,
00:56:45mais je souhaite bon courage à Michel Barnier.
00:56:48Il n'en reste pas moins que la démocratie, c'est un processus.
00:56:55Et donc, nous voyons bien la bataille qui est en train de s'enclencher,
00:56:59et notamment le Rassemblement national qui est aux aguets
00:57:03et qui dit assez clairement que tout ça ne saurait durer.
00:57:08Mais ce que je veux, c'est qu'on ne désespère pas de la démocratie,
00:57:10parce que nous avons au moins encore deux options possibles.
00:57:14Et c'est là où la politique, tout l'art est d'exécution.
00:57:19La première option, c'est un gouvernement du Front républicain,
00:57:24parce que nous ne l'oublions pas, c'est le Front républicain qui a gagné
00:57:29lors de ces élections.
00:57:31Et l'expérience, elle mériterait peut-être d'être tentée.
00:57:35Et puis nous avons toujours, parce que vous avez devant vous un gaulliste,
00:57:39et j'ai la mémoire de 1944, je l'évoquais avec Fabien Roussel,
00:57:4344, c'est le rassemblement de toutes les bonnes volontés au gouvernement.
00:57:48Et on peut penser qu'un gouvernement d'union nationale,
00:57:51en cas de crise majeure, pourrait être aussi une réponse.
00:57:56Donc la France a des ressources, la politique a des ressources.
00:58:00Ce que je veux souhaiter dans cette période,
00:58:02c'est que personne ne joue la politique du pire.
00:58:06Parce que le pire, nous savons tous où ça conduit,
00:58:12et que chaque citoyen dans notre démocratie a une responsabilité.
00:58:18Nous sommes des citoyens français, nous sommes engagés dans une Europe,
00:58:22et à ce titre nous avons une conscience européenne,
00:58:24et nous avons un engagement dans le monde,
00:58:26et à ce titre, nous avons une vocation à une conscience mondiale.
00:58:32Tout ceci, aujourd'hui, fait que notre responsabilité en conscience est immense,
00:58:37et j'ai été très heureux de pouvoir partager ce moment avec vous.
00:58:42Pour conclure, merci Dominique de Villepin, pour conclure, Rosa.
00:58:49Une ultime question, Dominique de Villepin,
00:58:53qu'on ne pouvait pas ne pas vous poser.
00:58:55L'un des visages du monde qui est le nôtre,
00:58:57c'est celui de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants,
00:59:01qui, fuyant les guerres, fuyant les conflits, la misère,
00:59:04fuyant les conséquences du chaos climatique,
00:59:07prennent le chemin de la migration.
00:59:09Édouard Glissant, que vous connaissiez bien, je crois,
00:59:13poète martiniquais, s'était élevé en 2007
00:59:16contre la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale.
00:59:21Il semblerait que Michel Barnier réfléchisse
00:59:24au retour d'une telle institution, d'un ministère de l'immigration.
00:59:27Qu'est-ce que vous en pensez ?
00:59:29Alors, je n'y suis pas plus favorable que je n'étais, évidemment,
00:59:33favorable au ministère de l'identité nationale,
00:59:36tout simplement parce que c'est céder à la surenchère,
00:59:40c'est céder à la facilité,
00:59:42et ça ne fait pas avancer la recherche d'une solution.
00:59:45L'immigration, aujourd'hui,
00:59:48ça suppose une mobilisation de tous,
00:59:51et de tous les ministères.
00:59:53Je prends une expérience qui est la mienne sur le plan diplomatique.
00:59:56Qu'est-ce qui a marché sur l'immigration en Europe aujourd'hui ?
01:00:00Ce n'est pas tant la fermeture des frontières,
01:00:01ce n'est pas tant l'idée révoltante de supprimer l'aide médicale,
01:00:08c'est la mobilisation de nos réseaux diplomatiques.
01:00:12Paradoxalement, Giorgia Meloni a marqué des points
01:00:15dans le domaine de l'immigration,
01:00:17en mobilisant la diplomatie avec la Tunisie, avec la Libye.
01:00:21Aujourd'hui, il y a un grand nombre d'Algériens
01:00:24qui sont retenus dans les centres de rétention administrative.
01:00:26Nous ne parlons pas à l'Algérie,
01:00:28compte tenu des positions prises par Emmanuel Macron
01:00:31sur le Sahara occidental.
01:00:33Par la diplomatie, on peut complètement transformer nos relations,
01:00:37à la fois avec les pays de transit
01:00:39et les pays d'origine de l'immigration.
01:00:42Et puis, là encore, la diplomatie,
01:00:45et on ne va quand même pas baptiser le ministère des Affaires étrangères
01:00:47le ministère de l'immigration,
01:00:49sans quoi dans quel pays serait devenue la France ?
01:00:52Pensons que toutes les guerres dont on a parlé,
01:00:56auxquelles nous savons qu'il y a des réponses,
01:00:58c'est la première source de l'immigration.
01:01:01Si l'Europe était capable de s'investir au Soudan,
01:01:04si elle était capable de s'investir au Congo,
01:01:07si elle était capable de s'investir davantage
01:01:10dans toutes les crises du pourtour méditerranéen,
01:01:13eh bien, tout cet afflux de réfugiés n'aurait pas lieu.
01:01:17Donc, je condamne la facilité,
01:01:20je condamne la recherche de boucs émissaires
01:01:24et l'idée que l'autre soit le grand coupable,
01:01:27parce que nous connaissons la déclinaison
01:01:30qui est faite par les extrêmes droites.
01:01:32Le réfugié, l'étranger, devient l'ennemi,
01:01:39le terroriste,
01:01:41celui par qui le scandale arrive, le violeur.
01:01:44Et il y a là cette amalgame immonde
01:01:47que dénonçait Glissant,
01:01:48que dénoncent tous ceux qui aujourd'hui,
01:01:51avec leur cœur, veulent regarder la réalité internationale,
01:01:53ceux qui ne veulent pas dire
01:01:56qu'on ne doit rien faire, qu'on ne peut rien faire.
01:01:59Mais quand on est Français,
01:02:01ne nous renions pas,
01:02:02ni sur l'asile, ni sur le respect de l'autre.
01:02:06Sachons être à la hauteur de notre histoire.
01:02:09Et moi, ma conviction,
01:02:11c'est que c'est dans cet héritage,
01:02:14c'est dans cette fierté,
01:02:15c'est dans cette énergie que nous devons puiser
01:02:18pour construire cette France
01:02:21qui pourra relever des défis inouïs,
01:02:25parce qu'elle aura retrouvé sa fierté
01:02:27et qu'elle ne l'aura pas sombrée dans le dégoût que j'ai éprouvé,
01:02:30moi, en écoutant le discours de Grenoble,
01:02:33il y a quelques années,
01:02:34où que j'ai ressenti
01:02:37dans des prises d'opposition
01:02:39lapidaires,
01:02:41honteuses,
01:02:42vulgaires,
01:02:43sur l'immigration.
01:02:45Merci,
01:02:46merci Dominique de Villepin.
01:02:48Vous voyez, je le disais au début de notre entretien,
01:02:51la Fête de l'Humanité est aussi un endroit
01:02:53où se tisent des convergences
01:02:54avec des personnalités d'horizons différents.
01:02:57C'est le lieu de l'écoute.
01:02:58On espère pouvoir vous inviter à nouveau,
01:03:00peut-être l'an prochain,
01:03:01en espérant qu'à Gaza, notamment,
01:03:03la situation se soit améliorée,
01:03:05des perspectives de paix
01:03:07soient à l'ordre du jour,
01:03:08un cessez-le-feu tout au moins.
01:03:09Merci, merci à vous.
01:03:11Applaudissements
01:03:27Merci Dominique de Villepin.
01:03:29Applaudissements
01:03:31Des nouvelles paroles fortes.

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