Comment une loi de 2016 a permis à Nestlé d’échapper à un procès en France
Suffit-il se sortir le chéquier pour éviter un procès ? Mardi 10 septembre, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) signée par Nestlé Waters, qui va payer 2 millions d’euros en échange de l’abandon de poursuites pour des forages controversés dans les Vosges et des pratiques trompeuses, est l’illustration d’une pratique de justice négociée en plein essor en France.
Les Cjip sont des accords entre le parquet et des entreprises mises en cause, par lesquels ces dernières acceptent de payer une amende, et possiblement de participer à un programme de conformité et de réparation, en échange de l’abandon des poursuites.
Comme vous pouvez le voir dans notre vidéo, Le HuffPost retrace l’origine de cette procédure, inspirée de la justice américaine et votée en 2016 sous François Hollande, au sein de la loi Sapin 2 « relative à la transparence, la luttre contre la corruption et la modernisation de la vie économique ». Soumis à la validation d’un juge du siège, ces Cjip étaient initialement réservées à la matière de délinquance économique mais ont été élargies à la justice environnementale sous Emmanuel Macron en 2020.
Les Cjip sont des accords entre le parquet et des entreprises mises en cause, par lesquels ces dernières acceptent de payer une amende, et possiblement de participer à un programme de conformité et de réparation, en échange de l’abandon des poursuites.
Comme vous pouvez le voir dans notre vidéo, Le HuffPost retrace l’origine de cette procédure, inspirée de la justice américaine et votée en 2016 sous François Hollande, au sein de la loi Sapin 2 « relative à la transparence, la luttre contre la corruption et la modernisation de la vie économique ». Soumis à la validation d’un juge du siège, ces Cjip étaient initialement réservées à la matière de délinquance économique mais ont été élargies à la justice environnementale sous Emmanuel Macron en 2020.
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00:00Éviter un procès en sortant de chéquier.
00:02Voilà en somme ce que la multinationale Nestlé a obtenu
00:05en vertu d'un accord avec la justice française.
00:07Poursuivie pour les forages controversés dans les Vosges
00:09et des pratiques trompeuses,
00:11l'entreprise profite d'une nouvelle procédure en France,
00:13votée dans une loi de 2016
00:15et inspirée de la justice négociée à l'American.
00:18On vous explique.
00:19Depuis 2020,
00:20Nestlé avait donc maillé à partir avec certains Vosgiens.
00:22Le géant de l'eau en bouteille était visé par des plaintes
00:25déposées par des associations de défense de l'environnement.
00:27En cause de potentiels forages illégaux,
00:29notamment pour ses eaux Contrex et Vittel.
00:32En 20 ans, ce sont 19 milliards de litres d'eau
00:35qui auraient été prélevés,
00:36selon un rapport de l'Office français de la biodiversité
00:38révélé par Mediapart,
00:40entraînant des perturbations des cycles hydrologiques
00:43et des ruptures d'approvisionnement.
00:44Ce qu'on demandait sur le plan environnemental,
00:46c'était d'avoir une vraie mesure,
00:48une modélisation par des gens compétents
00:51de est-ce qu'on peut encore prendre de l'eau
00:53dans les nappes souterraines pour l'exporter,
00:56la sortir du territoire
00:59à titre personnel, je pense que ce temps-là, il est révolu.
01:02Parallèlement, Nestlé était visé par une autre plainte
01:05déposée par l'ONG Food Watch
01:07pour des traitements interdits sur ses eaux
01:09présentées comme eaux minérales naturelles.
01:11Une tromperie pratiquée au moins jusqu'en 2021
01:14que l'entreprise a reconnue.
01:15Selon le parquet, il n'y a eu aucune conséquence
01:18sur la santé publique.
01:19Le géant avait donc deux grosses épines dans le pied,
01:22finalement retirées par le parquet d'épinales.
01:24Le 10 septembre, le procureur a annoncé un accord avec Nestlé,
01:27plus précisément une CGIP,
01:29une Convention judiciaire d'intérêt public.
01:31Cela met fin à l'action publique,
01:33excite un procès ou une inscription au casier judiciaire.
01:36En échange, l'entreprise paiera une amende de 2 millions d'euros.
01:40Elle s'engage aussi à restaurer des zones humides et des cours d'eau
01:43et à verser 500 000 euros
01:44à des associations de défense de l'environnement.
01:46Intellectuellement, on a rejeté cet accord.
01:50Et ensuite, on est parti sur le principe de réalité.
01:54Si jamais il n'y avait pas de convention,
01:57l'affaire partait au pénal.
01:59C'était à de bons avocats et des poches profondes.
02:02À partir de là, c'est parti pour 5 à 10 ans.
02:04Moi, je n'ai plus l'âge d'attendre,
02:06mais moi, ce n'est pas très important.
02:07Ce qui est important, c'est tout l'aspect environnemental,
02:11la biodiversité, le changement climatique.
02:13Ça veut dire que pendant 10 ans,
02:14on allait rester des spectateurs de ce qui se passe.
02:17Cette justice négociée
02:19provient d'une loi votée en 2016 sous François Hollande,
02:21la loi Sapin II,
02:23relative à la transparence, la lutte contre la corruption
02:26et la modernisation de la vie économique.
02:28Depuis, la CGIP peut être proposée
02:30par un procureur de la République à une entreprise fautive,
02:32puis validée par un juge.
02:34Elle impose une amende,
02:35théoriquement jusqu'à 30% du chiffre d'affaires,
02:38puis un programme de mise en conformité
02:40et une réparation des dommages.
02:42Au départ, la procédure était réservée
02:43à des faits de corruption et de faute fiscale,
02:45mais sous Emmanuel Macron,
02:47elle a été étendue à la justice environnementale.
02:49En 2022, voici comment Michel Sapin vantait encore sa loi,
02:52dans une vidéo publiée par une entreprise de numérique.
02:55Il est possible aujourd'hui,
02:56avec la Convention judiciaire d'intérêt public,
02:59pour une entreprise,
03:00d'aller voir, avec ses conseils,
03:02le procureur de la République et dire
03:03« bon, voilà, j'ai repéré quelque chose
03:05qui n'est pas tout à fait normal,
03:07comment est-ce qu'on fait pour s'en sortir ? »
03:08Et cette CGIP,
03:10j'ai eu beaucoup de mal à la faire accepter
03:12et à la faire voter.
03:13Et c'est un travail avec le Parlement
03:16qui nous a permis de mettre en place l'outil efficace,
03:19qui aujourd'hui est salué par tout le monde.
03:21Alors, pas vraiment pour tout le monde.
03:23La CGIP laisse parfois un goût amer pour les plaignants.
03:25Certes, elle permet d'éviter une procédure pénale très longue,
03:29mais les amendes sont parfois jugées dérisoires.
03:31Les 2 millions d'euros d'amende payées par Nestlé
03:34sont bien maigres face à son chiffre à l'affaire de 97 milliards
03:38et les revenus générés par des milliards de litres d'eau
03:40prélevés illégalement.
03:42L'absence de procès de condamnation
03:43permet aussi à l'entreprise de poursuivre ses activités
03:45sans trop de conséquences.
03:47Ce qu'on a vécu mardi,
03:49c'est une gigantesque pièce de théâtre.
03:51Personne n'y croyait.
03:53Celui qui a écrit le scénario, c'est Nestlé.
03:55Celui qui l'a mis en scène, c'est le procureur.
03:58Déjà, la France a classé l'écocide comme un délit,
04:01pas comme un crime.
04:02Et là, maintenant, on a une machine à laver
04:05les atteintes environnementales de façon très facile.
04:08J'ai de l'argent, je paye.
04:10J'ai de l'argent, je paye.
04:12Fin 2023, lors d'un colloque sur la justice environnementale,
04:15le garde des Sceaux se réjouissait justement
04:17que ce principe de pollueur-payeur
04:19puisse être incarné par la CGIP.
04:20Une logique transactionnelle qui faisait déjà débat pour l'économie
04:24et qui, appliquée à notre planète, le fait encore plus.