Ascenseur social en panne, pouvoir d’achat en baisse, richesse en déclin… L’Express passe en revue les idées les plus répandues sur le soi-disant “déclassement français”.
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00:00En France, combien de générations faut-il pour qu'un enfant issu d'une famille en bas de l'échelle des revenus atteigne le revenu moyen ?
00:08Regardez ce graphique.
00:10D'après l'OCDE, il faudrait 6 générations.
00:13Et la France, vous pouvez le voir, est l'un des plus mauvais élèves parmi les pays développés.
00:18Ce chiffre illustre un phénomène que vous entendez sans doute depuis des années, celui du déclassement.
00:23On l'a vu pendant les législatives, le déclassement est au cœur des préoccupations des Français,
00:28et les politiques l'ont bien compris.
00:30Ma priorité économique, ça sera le pouvoir d'achat.
00:33Je demande donc au gouvernement de sortir, si je puis dire, des codes et des cases,
00:36pour mettre fin à ce qui alimente ce sentiment de déclassement.
00:40Les Français ont vu ces dernières années la plus forte baisse de pouvoir d'achat de ces 40 dernières années.
00:46Mais ça veut dire quoi le déclassement ?
00:48Et surtout, la France en souffre-t-elle ? Réponse en chiffres dans cette vidéo.
00:53Petit coup d'œil d'abord sur sa définition.
00:55Selon le centre d'observation de la société, c'est un processus qui conduit une personne à un statut social inférieur.
01:02C'est ce que l'on appelle parfois la panne de l'ascenseur social.
01:05Pour comprendre ce phénomène, qui n'est pas nouveau,
01:08nous avons discuté avec le sociologue Louis Chauvel, auteur de la spirale du déclassement.
01:12Typiquement, l'auteur central du déclassement, c'est Balzac.
01:16Mais depuis le 19e siècle, il est clair que le thème de déclassement est devenu beaucoup plus politique,
01:24et beaucoup plus, je ne vais pas dire apocalyptique, mais extrêmement angoissé.
01:30C'est-à-dire que la question du déclassement est revenue en force dans le contexte des années 1930,
01:36autour du constat que tout un ensemble de fonctionnaires, de membres des classes moyennes,
01:42pouvaient du jour au lendemain perdre tout leur statut social,
01:46à la suite d'un accident systémique de l'économie.
01:51Après la période des Trente Glorieuses, un sentiment d'inégalité croissante
01:55et de ralentissement de la mobilité sociale se diffuse.
01:58Les perspectives d'ascension sociale se dégradent,
02:01et les jeunes générations sont persuadées de vivre moins bien que leurs parents.
02:05Aujourd'hui, ce phénomène de déclassement s'explique essentiellement par des inégalités de revenus croissantes,
02:11et une pauvreté en hausse depuis la crise financière de 2008,
02:14le ralentissement de la croissance européenne, la globalisation du marché du travail,
02:18et ses conséquences en termes de sélectivité et de hiérarchisation, et le décrochage scolaire.
02:23Et donc évidemment, dans ce contexte-là, en France aujourd'hui,
02:26les gens détestent entendre parler du déclassement,
02:30parce que c'est évidemment la porte ouverte vers un néant qu'on ne veut pas rencontrer,
02:36et qui fait peur pour de vraies raisons, pour des raisons légitimes.
02:41Mais ensuite, est-ce qu'il faut refuser le diagnostic parce que le diagnostic nous fait peur ?
02:48Justement, regardons de plus près ce diagnostic.
02:51Nous avons passé à la loupe trois éléments qui nous paraissaient les plus pertinents.
02:54L'ascenseur social, le PIB par habitant, et le pouvoir d'achat.
02:58Pour le premier point, à savoir l'ascenseur social, reprenons le rapport de l'OCDE.
03:03Si l'on regarde attentivement, on constate qu'il faudrait en France six générations,
03:08soit 180 années, pour qu'un enfant issu d'une famille en bas de l'échelle des revenus,
03:12autrement dit dans les 10% les plus bas, atteigne le revenu moyen.
03:16La grosse difficulté aujourd'hui, c'est qu'en fait,
03:19on a en haut une nouvelle rigidification de la mobilité sociale.
03:24Nous rentrons maintenant dans une société de relative stagnation,
03:28avec retour vers le bas dans beaucoup de cas.
03:31Et l'accès aux catégories les plus élevées est de plus en plus exigeante
03:35sur l'ensemble des aspects de ce qui vaut matériellement dans la société française.
03:42La France n'est pas vraiment bonne élève dans ce domaine,
03:45car la moyenne pour les 24 pays de l'OCDE est à cinq générations.
03:49Si l'on se compare avec nos voisins, la France se positionne mieux que la Hongrie,
03:53mais moins bien que l'Espagne, la Grèce ou le Danemark.
03:56Ce qu'on appelle en France les Trente Glorieuses,
03:59c'est le fait qu'au sortir de la Deuxième Guerre mondiale,
04:02il y a eu une progression extraordinaire en 30 ans.
04:05C'est-à-dire qu'en 30 ans, le pouvoir d'achat des ouvriers
04:09a été multiplié quasiment par deux et quelques.
04:13Le souci, c'est qu'à un moment, ce progrès, ce grip, s'arrête.
04:18Il s'inverse pour la génération des enfants.
04:20Les grandes inversions, c'est quoi ?
04:22En fait, ce qui continue d'augmenter, ce sont les études.
04:25En une génération des parents aux enfants,
04:28il y a en moyenne un peu plus de deux années d'études de plus.
04:31Selon Louis Chauvel, le souci, c'est qu'il y a un phénomène d'inflation des diplômes.
04:35Par exemple, pour exercer certaines professions,
04:38comme professeur ou avocat,
04:40il faudrait aujourd'hui un master,
04:42là où le bachelor suffisait pour les parents.
04:44Les nouvelles générations ont connu des niveaux de qualifications
04:49qui ont littéralement explosé,
04:51alors que l'essentiel des marchés auxquels les jeunes adultes font face
04:57ont mis en évidence de profondes dégradations.
05:01Prenons maintenant le PIB par habitant.
05:03Regardez ce graphique.
05:05La courbe bleue correspond au PIB par habitant dans l'Union européenne
05:09et la courbe verte au PIB par habitant en France.
05:12Alors qu'en 2000, le PIB par habitant en France
05:15était supérieur de 15% à la moyenne européenne,
05:18en 2023, l'écart s'est totalement résorbé.
05:2137 600 euros pour la moyenne européenne et 38 000 pour la France.
05:26Mais il y a plus inquiétant.
05:28Prenons cette carte de l'INSEE.
05:29Nous avons comparé le PIB par habitant européen
05:32à celui de chaque région française.
05:34Aujourd'hui, seules deux des 13 régions de l'Hexagone
05:37ont un PIB supérieur à la moyenne européenne.
05:40Pour vous donner un ordre d'idée,
05:42en 2000, cela concernait 10 régions.
05:44Plus généralement, quand on réfléchit à l'ensemble de l'histoire de la France,
05:48il y a eu des moments d'accélération et de décélération.
05:50C'est-à-dire qu'il y a eu plusieurs moments dans l'histoire
05:53où on était franchement en dessous de la moyenne européenne
05:58et qu'on était humiliés par les voisins,
06:00en particulier en mai 1940.
06:02Là, on était vraiment très humiliés.
06:04D'une façon générale, la société française a réussi,
06:07en prenant conscience des défis, à rebondir.
06:10Aujourd'hui, on est un peu dans le contraire.
06:12C'est-à-dire qu'on ralentit.
06:14On ralentit encore plus que les autres.
06:16Si l'on reprend notre carte,
06:18les deux seules régions au-dessus de la moyenne européenne
06:21sont la région PACA et la région Île-de-France,
06:24l'une des plus riches d'Europe.
06:26A contrario, les deux régions qui ont le PIB par habitant le plus bas
06:29sont la Corse et l'Île-de-France.
06:31A noter que les drômes se situent tous en dessous de 27 500.
06:35Depuis 80 ans, ces inégalités territoriales perdurent
06:39et la croissance de la France est moins rapide que le reste de l'Europe.
06:42Dernière donnée, le pouvoir d'achat.
06:44Selon l'INSEE, l'évolution du pouvoir d'achat
06:47correspond à la différence entre l'évolution du revenu des ménages
06:51et l'évolution des prix.
06:52Si l'on regarde ce graphique,
06:54on constate bel et bien une baisse du pouvoir d'achat
06:56par rapport à l'année précédente.
06:58Autrement dit, de 1960 à 2023,
07:01nous avons gagné de moins en moins de pouvoir d'achat.
07:04La croissance s'est ralentie du point de vue des salaires nets après impôts,
07:09mais certains budgets ont explosé.
07:11Le mode de vie de classe moyenne est souvent devenu inaccessible
07:14aux classes moyennes.
07:15Il y a l'inflation,
07:17mais les biens les plus sélectifs se sont accrus encore plus vite.
07:20L'acquisition d'un logement par l'achat
07:23est devenu quasi impossible
07:25pour des gens qui ne sont pas déjà propriétaires
07:28ou héritiers de leurs parents.
07:29Il faut travailler maintenant deux fois plus longtemps
07:32pour acheter la même surface.
07:34Prenons l'exemple de Paris.
07:36Ce graphique représente l'historique des prix immobiliers
07:39de 1960 à 2020.
07:41En 1960, le prix du mètre carré était de 525 francs,
07:45soit 80 euros,
07:46ce qui équivaut aujourd'hui, avec l'inflation,
07:49à 870 euros.
07:51En 2020, le mètre carré à Paris
07:53coûtait 10 950 euros.
07:5560 ans plus tard, les prix ont donc explosé
07:58et correspondent à une augmentation de 4,3 % chaque année
08:01de 1960 à 2020.
08:03Cette réalité n'est pas un sentiment de déclassement,
08:06c'est un vrai déclassement
08:08par rapport à ce que les gens connaissent.
08:11Le souci, c'est que par rapport à ce déclassement objectif,
08:14l'histoire nous montre que si on n'y trouve pas
08:17une bonne réponse politique,
08:19c'est l'ensemble de l'édifice social,
08:21politique, organisationnel
08:23et celui de la nation
08:25qui risque de se retrouver en état de collapsus.
08:28Et la potentialité de déclassement social
08:31ou de cercle vicieux
08:34vers le déclassement social de masse,
08:37de segments entiers de la population,
08:39c'est déjà réalisé aux États-Unis.
08:41Ça peut nous arriver,
08:43peut-être après-demain,
08:45en tout cas à l'horizon de 10 ans,
08:47si on ne fait rien, on y sera.
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