• il y a 3 mois
Interview et reportage autour de la 50e édition du Festival du Film Américain de Deauville 2024
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Transcription
00:00Bonjour James Gray, je suis ravie d'être là, c'est un plaisir pour moi et j'adore votre cinéma.
00:07Vous, qu'est-ce que vous préférez, voir des films ou parler cinéma ?
00:11Je préfère voir des films. Je déteste parler de mes films.
00:17Je déteste tellement ça qu'à partir d'un certain point, je dois m'arrêter.
00:22S'il faut expliquer son travail, c'est qu'on a échoué quelque part.
00:27Ce que je préfère, c'est faire découvrir les films que j'adore à d'autres gens.
00:32Quand quelqu'un me dit « Oh, je n'ai jamais vu ces films » quand je parle d'un film que j'adore.
00:38Hier soir par exemple, je parlais du travail d'un grand cinéaste italien, Zorlini,
00:43qui est moins connu que Fellini ou Visconti.
00:46Et donc la personne avec qui je discutais ne le connaissait pas.
00:50Ce qui est merveilleux pour moi, c'est de partager ça comme un cadeau.
00:54Ça, j'aime bien. Mais voir des films, c'est toujours mieux qu'en parler.
00:58Ici, vous avez reçu hier un prix pour votre carrière.
01:01Vous allez donner une masterclass où vous êtes obligé de parler de votre cinéma.
01:06Je n'arrive pas… Quand on montre des extraits de mes films, je ne peux pas regarder.
01:11Je vois les erreurs que j'ai faites.
01:13C'est vrai !
01:14Je vous assure. Oui, pendant le… Je tiens à le dire, c'était très touchant.
01:19Mais pendant les extraits, j'étais comme ça.
01:22Quand ça s'est fini, j'ai rouvert les yeux.
01:25Je n'aime pas tellement non plus le terme de masterclass.
01:28Si j'avais tourné 4 ou 5 grands films, je pourrais en faire une.
01:33J'appelle ça simplement une discussion.
01:35Parce que la maestria, ce sera avec un peu de chance quand j'atteindrai les 70 ans
01:40et que j'aurai fait un tas de grands films.
01:43Alors, je serai plus à l'aise.
01:45Appelons ça juste une discussion.
01:50Quel est, à vos yeux, votre plus grand film ?
01:53Le plus abouti de tout ce que vous avez fait ?
01:55Déjà, Little Odessa, qui était votre premier film, j'ai trouvé que c'était parfait.
01:59J'ai évidemment beaucoup d'affection pour ce film.
02:03C'est le premier que j'ai réalisé.
02:06J'en ai fait d'autres après des films plus complexes,
02:10qui sont sans doute moins faciles à assimiler que Little Odessa.
02:16Mais quand on essaie de faire quelque chose qui est honnête et complexe,
02:20c'est déconcertant pendant un temps.
02:22Mais là, c'est presque comme si on devait choisir qui est notre enfant préféré.
02:26J'ai trois enfants et je les aime tous profondément.
02:28C'est comme si je voulais les manger.
02:30Vous ne pouvez pas choisir ?
02:32Impossible de choisir.
02:34Certains films sont plus connectés à ce que je voulais vraiment faire.
02:38D'autres m'ont un peu échappé.
02:41Je ne saurais donc pas vous répondre.
02:45Vous avez parlé hier sur scène aussi de votre rapport avec la France.
02:48Vous avez même dit que sans la France, vous ne seriez peut-être pas là.
02:51En tout cas, je sais que vous avez un lien très fort avec la France, une connexion très forte.
02:56S'il fallait choisir un pays dans le monde,
02:59quel est le pays qui apprécie le plus tous vos films ?
03:03Vous pouvez demander à n'importe quel réalisateur qui s'y connaît.
03:06On vous répondra les Français.
03:09Les Français comprennent le cinéma.
03:12C'est un fait.
03:14La France a toujours été en avance sur le plan critique, esthétique, dans le cinéma.
03:21Dès le début, véritablement.
03:24Donc je suis très fier de ça.
03:27Quand j'apprends que les gens en France n'ont pas aimé un de mes films,
03:32ça me déprime complètement.
03:35C'est là que je ressens le véritable échec.
03:39Cela vient sans doute du type, de la culture, du cinéma que vous avez ici.
03:45Comme si le cinéma faisait partie de l'ADN de la France.
03:48Vous avez travaillé avec Marion Cotillard dans Immigrant,
03:50vous avez collaboré aussi avec Guillaume Canet sur son film Blood Ties.
03:53Vous aimez les acteurs français ?
03:56Bien sûr, j'adore les acteurs et le cinéma français.
04:02Il représente à peu près la moitié ou le tiers des plus grandes productions culturelles dans l'absolu.
04:10Je dois dire que travailler avec Marion Cotillard a été l'un des plus grands plaisirs de ma vie.
04:16C'est étrange car je ne sais pas si son travail est bien ou mal considéré ici dans son pays.
04:22Je peux vous dire avec ma propre distance culturelle que c'est une grande actrice.
04:28J'ai vu de mes propres yeux ce qu'elle pouvait faire.
04:31Cela m'a procuré certaines des plus grandes joies de ma vie créative.
04:36Je l'ai toujours beaucoup apprécié personnellement.
04:39Je lui dois énormément car c'est là tout l'intérêt de réaliser des films.
04:44C'est de ça qu'il s'agit.
04:46Pour parler de votre cinéma, il y a cette notion de violence de notre monde.
04:49Cela traverse un peu votre œuvre.
04:51Comment vous vous sentez aujourd'hui ?
04:53Comment vous recevez cette violence actuelle de notre monde ?
04:57J'ai toujours la crainte de juger notre monde
05:04comme étant pire que par le passé.
05:10Aussi horribles que soient les choses,
05:13il faut peut-être juste envisager que c'est ce que nous sommes, les êtres humains.
05:19Peut-être que ça s'améliore un petit peu, bizarrement, siècle après siècle.
05:24L'histoire de l'humanité est une histoire de guerre.
05:28Donc, ça me rend triste, mais en même temps, c'est normal.
05:37Est-ce que le cinéma peut rendre meilleur, alors ?
05:40Ça dépend de ce que vous entendez par « meilleur ».
05:43Je ne pense pas que ça changera qui nous sommes.
05:47Mais si le travail est honnête et essaie de vous mettre face à ce casse-tête,
05:52face à la difficulté, alors oui, je pense que ça peut vous faire mûrir en tant que personne.
06:00Une partie du problème de l'autoritarisme qu'il y a dans le monde actuellement,
06:05c'est que l'art ne comble pas le fossé moral et éthique que la religion comblait autrefois.
06:16Si vous ne nourrissez les populations que de films de super-héros,
06:21alors vous ne dites pas aux gens qu'ils peuvent être des adultes, des grands,
06:27que c'est possible de sentir de la joie et de la peine, de l'amour et de l'aversion.
06:34Ça ne nous lie pas au monde extérieur, ça ne nous lie pas les uns aux autres.
06:39Je ne dis pas que les problèmes du cinéma ont causé de l'autoritarisme,
06:44mais je pense que ça fait partie du problème.
06:47Je pense que le cinéma est comme le canarie dans la mine.
06:52Alors, on a parlé de votre amour pour la France, mais ici, on est au Festival du cinéma américain.
06:57Qu'est-ce qui fait, à votre avis, pour vous, que le cinéma soit autant une référence aujourd'hui ?
07:02Ça a beaucoup à voir avec le pouvoir économique, le soft power, comme on dit,
07:08mais aussi parce que le cinéma américain s'est concentré sur l'idée du récit narratif,
07:14et le narratif a du pouvoir.
07:19Le narratif est important. Le narratif nous sert à donner du sens à notre vie.
07:24Souvent, lorsqu'il est excellent, le narratif entre en lien avec l'idée de mythe que l'on utilise
07:29pour donner un sens à un monde dénué de sens.
07:33Je pense donc que dans sa meilleure forme, c'est le pouvoir perpétuel des films américains.
07:39C'est quoi un bon film pour vous ?
07:42Des œuvres qui sont honnêtes, qui contiennent de l'amour, mais qui sont également complexes.
07:50L'honnêteté et la complexité sont les deux choses que je recherche.
07:56C'est une bonne définition.
07:59Pour les 50 ans du Festival, le Festival de Deauville a choisi 50 films américains essentiels.
08:04Ils ont constitué une liste incroyable avec énormément de chefs-d'œuvre du cinéma.
08:09Je vous en propose trois, et vous me dites votre préféré.
08:12L'Odyssée de l'espace de Kubrick, Taxi Driver de Scorsese et Citizen Kane d'Orson Welles.
08:19C'est difficile !
08:21Vous avez choisi trois des plus grands films de tous les temps.
08:26Je veux dire, Taxi Driver a été si important pour moi.
08:31La première fois que je l'ai vu, j'imagine...
08:35D'ailleurs, vraiment, je vous assure, c'est véritablement impossible.
08:40Je suis obligé de vous répondre ?
08:43Je ne dirais donc pas mon préféré, mais je dirais probablement 2001.
08:50Et le premier que j'ai vu, car j'étais trop jeune, quand Taxi Driver est sorti.
08:56Je l'ai vu à 14 ans, je crois.
08:59Citizen Kane, je l'ai vu un peu plus tard, sans doute à 16, 17 ans.
09:04Je dirais donc que 2001 est le premier film que j'ai vu.
09:08Car je me souviens, quand j'avais 8 ans, après avoir vu La Guerre des Étoiles,
09:12mon ami Raymond m'a dit « Non, il faut que tu voies 2001 ».
09:17Je l'ai donc vu quand j'avais 9 ans.
09:19J'avais trouvé ça ennuyeux.
09:21Mais ça m'a sans doute davantage façonné que les deux autres, même s'ils sont excellents.
09:25Je dirais donc que c'est celui qui m'a le plus influencé d'une façon étrange.
09:29Encore une fois, je pense que Taxi Driver et sa vision de New York ont été déterminants.
09:33Donc je n'en sais rien, les trois sont si incroyables.
09:36On termine cette émission sur la musique de 2001, l'Odyssée de l'espace.
09:39Ça vous va ?
09:41Allez-y !
09:42Allez !
09:43Lancez Strauss !
09:44Merci beaucoup James Gray.
09:45Merci à vous.
09:46C'est un vrai plaisir.
09:47Merci.

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