Clivante, scandaleuse ou franc succès ? La cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Paris a fait couler beaucoup d'encre (et de larmes).
Retour sur ces éloges et ces polémiques : pourquoi - et surtout comment
- ont-elle émergé ?
Retour sur ces éloges et ces polémiques : pourquoi - et surtout comment
- ont-elle émergé ?
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00:00Les médias étrangers sont dits tirants en bique ce matin, tour d'horizon de la presse internationale
00:04avec par exemple le Washington Post qui titre un spectacle joyeux en flamme, la Seine.
00:09On a eu le droit pendant une heure, à l'heure-là, à une cérémonie qui a sombré dans l'idéologie woke.
00:15La France elle est magnifique ! Le public, c'est ça notre trésor en fait, c'est génial !
00:21Un moment extrêmement irrespectueux pour les chrétiens selon Elon Musk.
00:25Magnifique ! Incroyable ! Incroyable ! Je suis heureux !
00:29Bienvenue tout le monde pour cette nouvelle saison de Populaire,
00:32l'émission qui analyse la culture populaire pour le journal l'Humanité.
00:35On espère que vous avez passé un été pas trop cuisant parce que là,
00:38on va direct revenir sur un des événements qui l'a le plus marqué.
00:41Un petit événement de rien du tout qu'on appelle les JO.
00:45Mais plus précisément, un de ses aspects les plus culturels, leur désormais fameuse cérémonie d'ouverture.
00:50Pourquoi elle a fait couler autant d'encre et autant de larmes parfois bien salées ?
00:55C'est ce qu'on va voir tout de suite.
00:57Bonsoir, bienvenue à Paris !
01:10Alors, le moins qu'on puisse dire de cette cérémonie créée par le metteur en scène Thomas Joly,
01:13c'est que la magie du spectacle a bien bien opéré.
01:17Tout le monde, y compris à l'international, en a parlé.
01:20Beaucoup avec un sacré enthousiasme, d'autres un peu interloqués.
01:24Et vous avez vu, même des gens qui, depuis des mois, étaient sur le mode
01:27« alors moi j'emmerde les JO, j'espère que ce sera les Beules, Macron, explosion »,
01:32d'un coup, ont mis ça de côté pour dire « ah ouais, tiens, ok, ça c'est pas mal ».
01:36Et puis alors, bien sûr, d'autres ont juste lâché la rampe.
01:40Après, effectivement, c'est pareil, c'est vrai qu'il y avait ce monsieur, cette dame,
01:43je sais pas comment l'appeler, sur le pont là, qui rampait...
01:48— Salavarde. — Oui, vous voyez, je pensais que c'était Chewbacca, vous savez.
01:51Alors ici, on va pas tant y aller de notre petit avis sur tel ou tel aspect de la cérémonie,
01:56mais plutôt sur les réactions à celle-ci, en ce qu'elles disent de plus intéressant
02:00sur notre moment culturel que la cérémonie elle-même.
02:03« Réaction » étant dans beaucoup de cas un terme particulièrement approprié,
02:07tant elle semble avoir vraiment provoqué des réflexes conservateurs, voire réactionnaires.
02:12« La cérémonie d'ouverture des JO est une honte.
02:15Nous avons le suicide de notre pays devant le monde entier.
02:18La scène avec les drag queens et la décapitation de Marie-Antoinette
02:20ajoute l'infamie à la laideur.
02:22La France de Macron et du wokisme n'est pas la France. »
02:25Tout ça révèle en quoi un objet culturel de ce type, c'est un exercice intéressant.
02:31Son objectif, c'est quoi au fond ?
02:32Mettre en imaginaire, pour lui-même et pour les autres,
02:35le pays organisateur à ce moment de son existence, en l'occurrence la France.
02:40Donc en soi, c'est un exercice généraliste.
02:43C'est la France qui est mise en scène.
02:45D'où une rengaine qu'on connaît bien, c'était trop politique.
02:49Ça n'était ni le lieu, ni le moment pour ça.
02:52Mais comme on l'a vu avec l'épisode sur cet autre grand événement culturel
02:55qu'est le Festival de Cannes,
02:56ceux qui font mine de reprocher le trop politique
02:59reprochent en réalité que c'était pas politique comme eux y voudraient.
03:02Parce que là, ça a révélé de manière spectaculaire, au sens strict,
03:07une problématique fondamentale.
03:08Oui, la France.
03:10Mais quelle France ?
03:11C'est quoi la France ?
03:12On doit donc faire un truc consensuel,
03:14alors qu'il n'y a pas de réponse consensuelle à ça.
03:16Vu comme ça, à n'en pas douter,
03:18la version qu'auraient préféré voir certains à la place de celle de Thomas Joly
03:21n'en aurait pas été moins politique.
03:23Grâce à Hitler, l'Allemagne échappe à la menace communiste.
03:26La prise de la Bastille, une vulgaire émeute qui nuit aux commerçants.
03:29La colonisation, c'est la faute à Voltaire.
03:32Voici le type d'aberrations et de caricatures que vous pouvez trouver
03:35si vous allez visiter la cité de l'Histoire.
03:37Le président d'Amaclio a donc décidé de nommer à la tête de sa cité de l'Histoire
03:42Franck Ferrand.
03:43Franck Ferrand, c'est un animateur, dit historien,
03:46qui participe aussi bien à des médias tels que Valeurs Actuelles,
03:49Europe 1 ou bien sur le service public.
03:51Le problème de Franck Ferrand, c'est aussi par exemple
03:54qu'il se dit grand admirateur d'Éric Zemmour.
03:57Il n'hésite pas en fait à présenter un roman national
04:00au service d'une droite très très à droite.
04:02Sauf que ça montre que c'est pas juste une différence de vision
04:05au sens, bon, on n'a pas les mêmes rêves, les goûts, les couleurs, tout ça.
04:09Non, là, se confrontent des imaginaires qui diffèrent à un niveau fondamental.
04:15Bien sûr que, par exemple, ériger des statues à des femmes de l'Histoire de France,
04:20c'est un acte politique.
04:21Tout comme c'était un acte politique qu'elle n'ait jamais eu de statues à ériger.
04:26Mais un imaginaire conservateur peut faire comme si ce n'était pas le cas
04:29puisque c'était comme ça.
04:31Donc c'était normal, c'était le statu quo.
04:34Sans mauvais jeu de mots.
04:35Pour un imaginaire conservateur, quelque chose d'aussi riche et complexe
04:38qu'une idée comme la France, mais ça vaudrait pour un peu tout,
04:42en fait c'est très simple.
04:43C'est figé et essentialisé.
04:45C'est naturalisé même.
04:46C'est comme ça et pas autrement.
04:48Et ça a toujours été comme ça.
04:49Et donc, tout ce qui relève de cette vision, c'est pas politique.
04:53C'est juste la France.
04:54Tout ce qui n'en relève pas, par contre, c'est militant.
04:57Et ça n'a rien à faire là.
04:58Voir faudrait même revenir à une France fantasmée d'encore avant,
05:01ce qui est le principe de la vision dite réactionnaire.
05:04Résultat, c'était pas assez consensuel.
05:06C'était carrément, pas vraiment, la France.
05:09La drague queen ne constitue pas aujourd'hui, peut-être en 2024,
05:13dans la France woke.
05:15Mais moi je suis désolée,
05:16quand j'apprends à mes élèves ce que c'est la liberté en France,
05:18je ne leur dis pas, c'est une drague queen.
05:19D'abord, on pourrait développer un argument d'intérêt artistique.
05:22Les visions consensuelles et conservatrices sont, par définition,
05:26peu adaptées à des visions artistiques un peu innovantes,
05:29un peu marquantes, qui cassent les codes,
05:31comme là, ça a été clairement le cas.
05:33On pourrait même défendre une cérémonie un peu avant-gardiste,
05:36pas très traditionnelle,
05:37qui serait pas sur un imaginaire typiquement franco-français classique.
05:41Mais là, même pas besoin d'aller sur ce terrain, en fait.
05:43Je suis désolé, objectivement, et oui, je dis bien objectivement,
05:47c'est un des trucs les plus français que j'ai jamais vus de ma vie.
05:52Ils ont tout mis.
05:54Ça fait plaisir !
05:54Ouais, donc je me suis dit, à la base, j'avais trop envie de faire un truc,
05:57analyser toutes les séquences,
05:59toutes les petites références hyper précises et tout,
06:01il y avait tellement de trucs, en fait la vidéo elle durerait 3 heures,
06:04et en plus, en vrai, moi j'étais obligé d'aimer,
06:06en fait, il suffit juste de regarder toutes les émissions qu'on a faites
06:10pour l'humain avant,
06:11parce qu'il y a eu les séquences qu'on tournait, etc.
06:13Mais ils ont tout mis !
06:14C'est-à-dire, ils ont mis Jules Verne,
06:16ils ont mis de la stop-motion,
06:17ils ont mis le cinéma lumière,
06:20ils ont mis les mignons,
06:21ils ont mis Assassin's Creed,
06:22ils ont fait la fusée Ariane qui va faire le truc de Méliès dans la lune,
06:27et après tu vois la planète du petit prince,
06:29et ils ont même mis la planète des singes, quoi !
06:31Je pense, théorie du complot,
06:33je pense que Thomas Joly regarde cette émission.
06:36Dis-nous, Thomas, en MP, on le dira pas,
06:38je pense que c'est ça, il s'est inspiré de tout ce qu'on a dit, c'est sûr.
06:42Si on écoute certaines réactions,
06:43la cérémonie, en fait, c'était la gay pride,
06:45il n'y avait que des trucs lobby LGBT,
06:48The Walk, multiculturel, gauchiste, je sais pas quoi.
06:51Tout ça en se concentrant sur trois séquences sur quatre heures de spectacle.
06:55Où il y avait, je le répète, tout !
06:58Y compris les trucs bleu-blanc-rouge, la vie en rose,
07:01le métropolitain, les terrasses, la patrouille de France,
07:04la marseillaise, le french cancan, etc.
07:06Mais si c'était que ça,
07:07même la séquence de quelques minutes,
07:09où il y avait du drag, du voguing, etc.
07:12C'était pas juste la minute queer.
07:13Et pas seulement parce que c'était mélangé à de la danse traditionnelle, par exemple.
07:17C'est la séquence la nuit, la fête, les clubs, les DJs, les tubes français,
07:22la mode, le cabaret, tout ça là.
07:24C'est turbo français.
07:26Certains en ont peut-être pas conscience,
07:27mais beaucoup de vos compatriotes, si.
07:29Et surtout le reste du monde, il en a bien, bien conscience.
07:33Et c'est valable pour la culture queer en général,
07:35qui y aurait déjà toute sa place en soi.
07:38Mais je suis désolé de vous l'apprendre, et j'espère que vous êtes bien assis.
07:41Mais la France, et plus encore Paris,
07:43s'est totalement associée à la culture queer,
07:46au fait de jouer avec les normes de genre, avec la liberté amoureuse, etc.
07:50Tiens, et le transformisme d'ailleurs, comme on disait avant.
07:52Quand j'étais petit, il y en avait chez Patrick Sébastien, les gars.
07:55Le plus grand cabaret du monde, vous vous souvenez ?
07:57Succès foudroyant cette année, les spectacles burlesques, le travesti.
08:01Ce soir, 14 ans rue des martyrs, chez Michou.
08:04On a souvent fait une différence entre le drag et le transformisme.
08:07Alors qu'en fait, le transformisme, c'est une sous-catégorie du drag.
08:10C'est ce qui a fait l'âge d'or du cabaret en France,
08:13l'âge d'or queer du cabaret en France.
08:15Parce que justement, le transformisme, c'est se réapproprier
08:18tous les codes vestimentaires de personnalité et artistique d'une artiste.
08:22Et d'ailleurs, si, l'autre truc, parce que je voulais quand même dire,
08:23moi, j'ai quand même un problème avec la séquence des drag queens.
08:26Et je le dis, c'est qu'il n'y avait ni Sarah Forever, ni Lula Srega.
08:29Donc il n'y a jamais mes prefs, et ça commence à me saouler.
08:31Voilà, je tenais à le dire, je dénonce aussi quand même.
08:33Je ne suis pas lancé de polémique, mais voilà.
08:35Et là, ce que je dis, ce n'est pas un petit truc méconnu.
08:38C'est de l'ordre du cliché sur la France.
08:40Là, cet événement à faire sortir avec une clarté totale,
08:43à quel point ces réactions découlent d'une vision déconnectée et essentialisante.
08:47Une vision dénuée de références, dénuée d'historicité.
08:51À propos, ça ne vous gêne pas, cette boîte de nuit, là, en dessous de chez vous ?
08:56Une boîte... Une boîte de nuit.
08:59On ne peut plus clair avec cet autre moment qui a fait péter des durites.
09:03Vous savez, là, la scène de la bibliothèque,
09:05avec le trouple de petits jeunes qui vont bâtifoler.
09:07Bon ben, t'as beau leur mettre sous le pif 50 œuvres hyper référencées,
09:12fondatrices de la littérature française, qui parlent d'amour,
09:15qui parlent de genre, de sexualité, de briser les normes, qui parlent de liberté.
09:19Le réactionnaire, lui, tout ce qu'il y voit, c'est le wokisme.
09:22C'est leur nouvelle mode, là. Ça n'a rien à foutre, là.
09:24Ce n'est pas ma France.
09:26C'est fou, parce que c'est des gens qui parlent de culture française en danger.
09:29Des H24 qui parlent de racines, de mémoire, d'histoire, de patrimoine.
09:34Et dans la pratique, tu te rends compte que leur vision,
09:36ce n'est pas une autre culture.
09:38C'est juste acculturel.
09:40Et ça donne des délires où, face à un travail symbolique et esthétique
09:44hyper précis, hyper référencé, t'en as.
09:47Ils sont tellement matrixés qu'ils voient du satanisme.
09:50Vraiment, on est retourné premier degré au niveau...
09:53Absurd, ta foi en Belzébuth, et tu mourras pardonné !
09:56Mais tu ne comprends pas le français, tête de veau !
09:58Parce que quand je dis que c'est objectivement un des trucs les plus français jamais imaginés,
10:03je pèse vraiment mes mots.
10:04Que ça vous plaise ou non.
10:05Aya Nakamura, Gojira, Rimka, tout ça,
10:08c'est les méga-stars françaises au même titre que Edith Piaf.
10:12C'est comme ça, ce n'est pas moi qui fais les règles et ce n'est pas vous non plus.
10:15Et quand je dis qu'ils ont tout mis, c'est pareil.
10:19Ce fameux moment avec Aya Nakamura,
10:21qui a fait la même polémique raciste minute 1 où ça a été annoncé.
10:24Ils ne l'ont pas juste mise comme ça à la place de ce qu'une vraie cérémonie française devrait montrer.
10:31Ils ont mis Aya Nakamura à chanter du Aznavour avec la garde républicaine.
10:35Alors oui, évidemment que c'est fait pour faire imploser la section commentaire du Figaro,
10:40ce qui en soi est un noble objectif,
10:43mais ça révèle ce qui fait imploser ces gens-là.
10:45Pas que ce soit la France d'Aya Nakamura contre celle de l'académie française,
10:49mais avec.
10:50Et ça, c'est déjà trop.
10:52Le voilà le fin mot de l'histoire.
10:54Dans cet énorme mash-up de culture pop française,
10:57ce qui les dérange au fond,
10:58c'est pas qu'il n'y en ait pas pour eux,
11:00puisqu'il y avait tout pour tout le monde.
11:02Ce qui les dérange, c'est précisément qu'il y avait tout pour tout le monde.
11:06Et grâce à cette cérémonie, on a encore bien vu quoi et qui ils ne voulaient pas dans leur France.
11:12Alors on va essayer de prétendre que quand même,
11:14quelle image on donne au reste du monde.
11:17La presse internationale fait preuve d'unanimité de nombreux titres.
11:20Salut la cérémonie d'ouverture des Jeux de Paris 2024.
11:23Un spectacle proposé par la France et qui a semble-t-il atteint son objectif.
11:28Paris a fait vibrer son public international.
11:31La BBC parle d'une cérémonie au style unique.
11:34Un plan réussi de manière éclatante.
11:36Enfin, en Espagne, le quotidien marquant dépeint la cérémonie
11:39comme la meilleure de l'histoire des Jeux.
11:41Bon, mais quand même, cette cérémonie, elle était clivante.
11:44Voire la plus clivante de l'histoire des Jeux.
11:47Genre plus que celle de Berlin en 36.
11:50Vraiment, allons-y tant qu'à faire.
11:51Et il faut dire que selon un sondage Harris réalisé le 27 juillet,
11:55c'est-à-dire juste au lendemain,
11:5786% des Français l'ont trouvé réussie.
12:02Ah, 86%.
12:03Et 5% pas du tout réussis.
12:06Alors, je sais, les sondages, c'est les sondages.
12:09Enfin quand même, là, même avec une grosse marge d'erreur,
12:12on tient un joli consensus pour un truc clivant, vous trouvez pas ?
12:15Et quand on demande aux gens de qualifier la cérémonie,
12:18on se retrouve avec des choses comme innovantes, spectaculaires, festives,
12:22mais surtout avec des adjectifs assez intéressants à décortiquer
12:26pour le sujet qui nous concerne.
12:27Inclusive, bien sûr, vu que ça a l'air d'en avoir chagriné certains.
12:31Populaire également.
12:33Historique.
12:34Tiens, tiens, on dirait bien que la très, très grande majorité des gens
12:37avaient totalement vu que la cérémonie mettait grandement en scène l'histoire de France.
12:41Il y a des personnes qui se sont senties pas représentées dans la cérémonie,
12:44qui parlent d'histoire de France, etc.
12:46Il n'y a que de ça dans la cérémonie.
12:48Il n'y a que des clins d'œil sur l'histoire de France.
12:50Et d'ajouter que tout ça, non seulement donne une bonne image de la France,
12:54mais aussi respecte ses valeurs et cerise sur le gâteau
12:58pour trois quarts des personnes interrogées, nous rend fiers.
13:08Un peu comme si, si tu montres un spectacle comme ça aux gens,
13:12aux vrais gens, pas aux éditorialistes de plateau ou aux fous furieux sur Twitter,
13:16ils sont contents, ils trouvent ça cool, ils se sentent représentés.
13:19Ils communient comme ça, massivement, dans le kiff,
13:23comme c'est censé être le cas dans un grand événement populaire.
13:26On est plus nombreux, je crois, à vouloir vivre bien ensemble,
13:28mais on est moins bruyants.
13:30Mais le soir de la cérémonie, on a fait du bruit.
13:33Ce bruit-là, en tout cas, a été le bruit qui a pris le pas.
13:37Et c'était, je crois, un abaissement.
13:42Parce que là, on parle quand même d'un événement qui a réuni
13:4424 millions de spectateurs.
13:47Et je ne parle pas non plus des millions de vues après coup
13:49sur les réseaux, sur YouTube, etc., pour différents moments forts.
13:52Alors, d'où sortent ces polémiques si elles ne naissent pas naturellement de la société ?
13:57Ça, ça révèle un dernier aspect très intéressant du moment culturel.
14:02En France, on appelle ça de manière un peu chiante,
14:05contrefaçon de mouvements d'opinion ou désinformation populaire orchestrée,
14:09voire, avec un petit jeu de mode derrière les fagots,
14:11similitantisme.
14:13Chez les anglo-saxons, d'où nous viennent ces phénomènes,
14:15ils ont un terme plus rigolo.
14:17AstroTurf, du nom d'une marque de gazon artificiel.
14:20Ce qui s'oppose au terme grassroots, littéralement au niveau de l'herbe à la racine,
14:25pour désigner quelque chose qui vient naturellement de la base,
14:27un mouvement populaire authentique.
14:29Cette pelouse synthétique qui essaie de se faire passer
14:32pour un bout de verdure tout ce qu'il y a de plus organique,
14:34elle provient d'un appareil médiatique et économique tout à fait rodé
14:38qui se donne les moyens, et de très gros moyens, de les faire naître.
14:43Maintenant, ne soyons pas naïfs, cette polémique est tout sauf spontanée.
14:47L'image en question n'aurait choqué personne
14:49si certains ne l'avaient pas faite advenir en la montrant du doigt.
14:52Et qui ça, on ?
14:53Ceux qui ont intérêt à cliver, à séparer, à désunir.
14:56Ils étaient furieux de voir que la cérémonie produisait une émotion puissante et généralisée.
15:00Ils s'engouffraient dans la brèche pour manifester cette arde détestée
15:03dont ils sont les virtuoses, et qu'on leur laisse bien volontiers.
15:07Et attention, c'est pas une théorie du complot, c'est tout à fait public et concret.
15:10Cet homme qui a fait fortune avec Smartbox
15:12a décidé de mener la bataille culturelle tout seul,
15:14tout à ses convictions qu'à taux bien tradis.
15:16Contre les droits des femmes, pour les écoles privées hors contrat,
15:19pour une réécriture tendancieuse de l'histoire de France.
15:22Il a mis sur pied une galaxie qu'il appelle du bien commun,
15:24un fonds philanthropique au service de ses bonnes œuvres.
15:27Drôle de paroissien, drôle de patriote surtout.
15:30Il a fui le fisc français pour partir en Belgique en 2012.
15:33L'Institut de formation politique, l'IREF, l'IFRAP, Contribuables Associés,
15:38l'Institut des libertés de Charles Gave que vous connaissez peut-être,
15:41tous ces trucs-là font partie du réseau Atlas.
15:44Tout ça au service d'une stratégie tout à fait assumée elle aussi
15:47qu'on appelle dans le jargon la guerre culturelle.
15:51Alors, quel que soit notre camp politique,
15:52on aime beaucoup parler de la bataille culturelle.
15:55Je vais pas vous refaire tous les carnets de Gramsci,
15:57mais en gros, c'est l'idée que pour avancer des politiques concrètes,
16:00il faut d'abord gagner la bataille des idées, des imaginaires,
16:03des représentations, etc.
16:05Donc voilà, le terrain culturel, c'est super important.
16:09Mais attention.
16:11La guerre culturelle, c'est une stratégie politique
16:13pensée par les milieux conservateurs états-uniens
16:15qui s'est largement répandue dans le monde et jusqu'à chez nous
16:18par les mêmes qui reprochent à la gauche d'importer des concepts états-uniens,
16:22mais bref.
16:30L'idée est aussi simple que redoutable.
16:32Quand vous défendez les intérêts des puissants,
16:34c'est compliqué de vendre aux gens que vous allez baisser leur salaire
16:38et les impôts des plus riches,
16:40que vous allez leur retirer les droits par paquet,
16:42que vous voulez qu'on vous laisse faire du fric sans aucune limite
16:45et qu'ils auront qu'à se démerder avec les conséquences écologiques et sociales.
16:49Bref, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.
16:52Donc, il faut aller sur un terrain culturel,
16:54et c'est là que l'idée de la bataille culturelle
16:56vient d'arriver.
16:57On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.
16:59Donc, il faut aller sur un autre terrain,
17:01le terrain culturel.
17:02Aller chercher des marqueurs identitaires,
17:04des choses auxquelles les gens peuvent s'accrocher
17:06pour des raisons idéologiques, de tradition ou juste affectives.
17:10Et tu bourrines.
17:11Vraiment, tu mâches tous les boutons que tu peux,
17:13de la manière la plus polémique et incendiaire possible.
17:16Tu fais des tempêtes dans tous les verres d'eau,
17:18des paniques morales sur tout et n'importe quoi,
17:21en les exagérant, voire en les inventant de toutes pièces.
17:24Le but, c'est de constamment occuper le terrain
17:27et monopoliser le débat public.
17:29Et c'est comme ça qu'on se retrouve dans un monde
17:31plongé dans l'urgence climatique, les guerres, les génocides,
17:34les crises économiques et sociales d'envergure,
17:36qui devraient parler de sa H24
17:39pour essayer au mieux de relever ses défis existentiels.
17:42Eh ben, on n'a pas le temps,
17:43parce qu'on débat de savoir si Philippe-Catherine Cuinu,
17:45c'est pas un peu la fin de la civilisation occidentale.
17:48La prestation, c'était pour moi autour de ma chanson,
17:51qui s'appelle Nu.
17:52Où peut-on cacher un revolver quand on est tout nu, quoi ?
17:55Et qui est une chanson d'apaisement, de paix, P-A-I-X.
17:59La vision de Thomas Jolie de cette chanson
18:02était autour de la figure de Dionysos.
18:04Et aussi d'une décadence,
18:07comme on peut l'imaginer, des fêtes païennes.
18:09Là où c'est efficace,
18:10c'est que beaucoup de gens tombent dans le piège
18:12et participent à cette stratégie
18:14sans même en avoir conscience.
18:15Du style, tous les types qui passent leur vie à polémiquer
18:18sur la couleur de la prochaine princesse Disney.
18:20Là où c'est redoutable,
18:21c'est qu'en face, ça force à réagir.
18:24Ça nous oblige à défendre une autre vision de la culture
18:26et de la société.
18:27Et du coup, Philippe Catherine cul-nu.
18:29Et a raison, parce que ça a beau être culturel,
18:32ça a des impacts concrets sur la vie des gens
18:34et sur les politiques qui vont être menées.
18:36Mais en un sens, c'est aussi une forme de diversion.
18:39Reprenons cette cérémonie.
18:41Vous avez bien vu que ce grand spectacle
18:42a totalement déplacé le débat public au sujet des JO.
18:45Comment toutes les questions matérielles autour de l'événement
18:48ont été mises entre parenthèses.
18:49Les problématiques autour de l'impact écologique,
18:52les SDF et les étudiants virés,
18:54le prix des places, Paris mis sous cloche,
18:56la surveillance des militants,
18:57les conditions de travail sur site,
18:59j'en passe et des meilleures.
19:00Et au fond, pas que les JO.
19:02La France elle-même.
19:03Puisqu'évidemment, un truc comme ça,
19:05ça contribue au soft power et à l'aura du pouvoir en place.
19:08Même si, bon, apparemment, les gens étaient pas dupes.
19:12Je proclame ouverts les jeux de Paris.
19:18Mais quelque part, on se retrouve à défendre l'illusion d'une France
19:21avec un vernis et tous les washing imaginables
19:24sur la France de la Macronie
19:25et de l'extrême droite aux portes du pouvoir.
19:27L'illusion d'une France sans racisme,
19:29LGBT friendly,
19:31sans violence policière,
19:32sans impérialisme.
19:33On ne devrait pas abandonner les guerres culturelles,
19:35mais pas non plus mordre à la paix.
19:37À la place, on devrait construire une culture politique
19:40autour d'objectifs communs
19:41qui s'attaque aux problèmes concrets.
19:43Une politique organisée autour de ce qu'on veut construire
19:46pour nous et nos enfants,
19:47plutôt qu'autour de ce qu'on déteste.
19:49Au fond, cette dissonance serait résolue
19:51si la France correspondait toujours
19:53à ce qui nous touche dans cette mise en scène.
19:55On en parle souvent avec la panthéonisation,
19:57c'est la même chose.
19:58Manoukian, on l'adore.
19:59C'est notre mémoire à nous.
20:01Mais en même temps, quand Macron veut panthéoniser Manoukian,
20:03ça nous met hors de nous parce qu'on se dit
20:05il va récupérer une figure qu'on aime bien
20:07et donc la dénaturer, etc.
20:09Mais en même temps,
20:10quand on regarde les livres d'histoire,
20:12on aimerait être dans l'histoire.
20:13On aimerait que Manoukian soit dans l'histoire aussi.
20:15Et ça, ça passe malgré tout par la panthéonisation notamment.
20:18Donc on est toujours un petit peu partagés par ça.
20:19Et les Jeux Olympiques, c'est la même chose.
20:21C'est une institution mondiale, internationale.
20:24Et là, c'est la France.
20:26Ça touche le pire de nos affects,
20:27c'est-à-dire qu'on veut être représentés.
20:28On dit, waouh, c'est les Jeux Olympiques.
20:30Et donc moi, mes affects,
20:31quand je vois Ayanna Kamoura qui chante Pouki,
20:32je suis trop contente.
20:33Ça, c'est mes affects de meufs qui veulent être représentées.
20:36Et je suis en mode, waouh, incroyable.
20:37Donc, on peut se servir de ses affects pour se réconforter.
20:41Et on y a droit quand même,
20:42on ne va pas bouder notre plaisir.
20:44Et la popularité de cette cérémonie
20:45vient sans doute aussi
20:46qu'elle ait été vécue comme une petite bouffée d'air
20:49dans un moment irrespirable.
20:50Mais pour sortir du piège de la guerre culturelle,
20:53il faut mobiliser ses affects
20:54pour arrêter de faire semblant
20:56et construire dans le réel.
20:58En faire un horizon vers lequel on avance,
21:00sans quoi,
21:01eh bien, ce n'est pas un horizon.
21:03C'est un mirage.