Laurence, flûtiste, offre un dernier hommage en musique aux défunts et leurs familles. La traversière de Lo de La trouve dans la musique une manière de toucher les cœurs et d’apporter un peu de lumière dans l’obscurité du chagrin.
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00:00Je réentends cette phrase que la dame m'a dit au cimetière.
00:03Il y a des gens qui font ça comme métier, accompagner des personnes pour les obsèques.
00:06Et là d'un coup j'ai l'impression d'avoir une idée, enfin quelque chose en tout cas qui m'anime.
00:11Oui aujourd'hui je fais de la flûte traversière, je propose des prestations pour les obsèques.
00:15J'ai fait vraiment de la flûte de mes 9 ans à mes 15 ans et ensuite comme tout élève quand on
00:34rentre au lycée c'est un petit peu compliqué donc j'ai mis de côté l'instrument. J'ai commencé à
00:37rejouer de la flûte lorsque ma fille Eva a demandé en fait une flûte pour son anniversaire.
00:42C'est comme ça que j'ai repris mon instrument et j'ai voulu lui montrer en tout cas ce que c'était
00:47de jouer de la flûte traversière. C'est un projet qui est venu à moi comme ça au fur et à mesure
00:51de la vie. J'ai joué un jour dans le jardin du papa de ma meilleure amie, j'ai joué deux ou trois
00:57morceaux, le dernier des Mohicans, The Sound of Silence et visiblement j'ai créé de l'émotion,
01:02c'est à dire qu'ils se sont un peu retrouvés avec des larmes aux yeux. Et en fait ce papa-là
01:05de ma copine est mort un an plus tard et de fil en aiguille avec l'aide que j'apporte à mes copines
01:12ce jour qui est un désastre pour nous parce que c'est le premier papa qu'on perd en fait. Je
01:17propose naturellement de l'accompagner à l'église à la flûte traversière pour marquer le coup et
01:24lui rendre hommage. Ça faisait 25 ans que je ne m'étais pas produite en public, ça se passe super
01:28bien et en fait à la fin de cette prestation, l'employée du cimetière vient me voir pour me
01:32demander ma carte de visite donc à ce moment-là c'est absolument pas mon métier et elle me répond
01:36que c'est dommage puisqu'elle venait de métropole et que justement c'est des choses qu'elle voyait en
01:41métropole et qu'elle n'avait pas vu depuis qu'elle travaillait à La Réunion. Pour autant cette idée
01:44m'a touchée mais je n'en ai pas forcément fait un projet. J'ai perdu mon père trois mois plus tard
01:50et voilà c'était le choc pour moi. J'ai pris ce courage de prendre la flûte, de préparer des
01:55morceaux. J'avais vu le matin dans notre jardin puisque la veillée s'est faite chez nous. Je
01:58décide de dire que je vais le faire à l'entrée en fait, au moins son entrée dans l'église donc
02:02c'est ce que j'ai réussi à faire uniquement. Ça a été difficile émotionnellement. La mort de mon
02:06père c'est la goutte qui fait déborder ce vase qui est déjà beaucoup rempli chez moi. Je me
02:10remets en question totalement sur tout, sur ma vie, sur ce que je vais faire plus tard, ce que je
02:16vais devenir etc. Je regardais ma flûte et je me suis dit c'est vraiment dommage si j'avais
02:20continué, je serais peut-être une virtuose. Et en fait là d'un coup il se passe quelque chose en
02:25moi où je réentends cette phrase que la dame m'a dit au cimetière. Il y a des gens qui font ça
02:30comme métier, accompagner des personnes pour les obsèques. Je me dirige à aller dans un
02:33environnement où on va parler de décès. On voyait plutôt le côté d'art que de la chose et moi j'ai
02:40commencé à parler en disant oui mais là c'est ce qu'on voit au prime abord mais en fait ce qu'on
02:43voit pas c'est le soutien que je vais apporter à cette famille, le fait de leur apporter de la musique,
02:48de combler ce vide parce que bon pour avoir quand même vécu des enterrements quand on est au
02:52cimetière par exemple il se passe rien. Là ça fait vraiment comme un effet pansement. Je viens,
02:56je réconforte avec mes notes de musique comme si je faisais un gros câlin à ces familles qui sont
03:01endeuillées, qui sont dans la peine et je soulage un petit peu ces sentiments en tout cas que j'ai
03:06eu et qui m'avaient été redonnés et mon projet se monte dans l'année courant 2023. C'est vrai que
03:12quand j'y vais, j'ai pas cette sensation d'aller au travail. Aujourd'hui quand je sors d'une
03:16prestation et qu'il y a la petite fille comme moi qui a 15 ans et je me revois en elle et qui vient
03:21me voir en me disant merci vous avez été comme un petit ange à nous accompagner dans cette cérémonie,
03:25évidemment que j'ai l'impression d'avoir tout gagné. Aujourd'hui quand je vais faire ces missions,
03:29je kiffe, je suis contente quand bien même je sais que j'interviens dans un domaine qui est
03:33particulier, qui est celui de la mort.
03:48Je fais en sorte à chaque fois de trouver les morceaux qui conviennent, je les apprends etc.
03:52Je peux jouer de la vie heureuse d'Edith Piaf comme je joue du David Guetta ou du Jimmy Saxe,
04:00je peux jouer de Ladybug, de faire le dessin animé, le générique en tout cas,
04:05ça c'était un petit clin d'œil pour ma fille et on l'a joué justement au CHU pour les enfants
04:11du service oncologique. Je peux pas là aller en prestation pour des enfants et jouer que du
04:19Francis Cabrel, ils vont rien comprendre. Sachant que pour les personnes âgées il faut de tout,
04:22ça passe parce que finalement ils ont été enfants, ils ont été parents donc à un moment donné les
04:29morceaux que je propose, ils les aiment. J'ai vraiment ce sentiment de venir là et vraiment
04:33comme quelqu'un qui vient apporter un moment où on oublie à ce moment là ses problèmes en fait,
04:39on oublie vraiment ce tracas où en tout cas ça pèse, où ça permet de passer plus vite. Les
04:45premières fois j'étais stressée mais je n'étais pas stressée de me retrouver dans ce contexte là,
04:49j'étais stressée de décevoir. Je me positionne comme une personne qui est là sans être là,
04:53présente par la musique mais discrète, je suis pas là comme une artiste qui a besoin d'être
04:58applaudie. J'ai souvenir d'un enterrement que j'ai fait au cimetière de Saint-Leu, c'était la
05:02première fois d'ailleurs que j'y allais. Ils m'ont dit ce jour-là, vous nous avez permis de rester
05:05digne. Moi quand je vais dans une prestation de sexe, si je suis disponible, je vais,
05:09j'accompagne et je regarde pas après à quelle heure ça se termine. C'est-à-dire ce jour-là,
05:13j'ai dû jouer 40 minutes, ce qui n'est pas logique parce qu'un enterrement au cimetière ne dure pas
05:1840 minutes. Donc je m'adapte en fait à chaque situation en étant la plus respectueuse possible
05:23de la famille et en essayant de donner tout cet amour en tout cas que j'ai envie de leur donner
05:29pour les aider à passer ce moment difficile et que je transmets grâce à ma musique en fait.