Le témoignage de Julien Bry, militaire (caporal-chef).
Julien est parti en 2012 en Afghanistan. Quelques jours après son arrivé, il a été témoin d’un attentat suicide faisant 4 morts Français. Très rapidement, Julien a développé des symptômes du stress post-traumatique.
Il publie « Le regard vide » aux éditions Amalthée.
Julien est parti en 2012 en Afghanistan. Quelques jours après son arrivé, il a été témoin d’un attentat suicide faisant 4 morts Français. Très rapidement, Julien a développé des symptômes du stress post-traumatique.
Il publie « Le regard vide » aux éditions Amalthée.
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00:00Moi, je suis arrivé en Afghanistan fin mai, l'attentat suicide a eu lieu le 9 juin,
00:03quand il y avait une action civile militaire qui donnait des cadeaux à des enfants lors d'un marché,
00:08un marché qui était situé sur une espèce de presqu'île qui était reliée par deux ponts.
00:11Il y a une personne déguisée en burqa qui est venue en courant au milieu, qui s'est fait exploser.
00:16Donc, le jour-là, il y a quatre morts français, puis deux afghans, dont un enfant.
00:20On n'est jamais préparé au pire, quoi.
00:23On a l'impression que soit ce n'est pas arrivé ou soit il faut finir la mission.
00:28Il nous reste cinq mois et demi à ce moment-là.
00:30Donc, on va faire nos cinq mois et demi parce qu'il faut le faire.
00:32On est là pour ça.
00:33Du moment où on perd des proches, des camarades, on se dit encore plus qu'il faut qu'on vienne là.
00:40Il faut qu'on fasse du bien à ce pays qui a besoin d'être un peu plus démocratique, on va dire.
00:47Après cette mission en Afghanistan, vous êtes parti au Mali.
00:51Est-ce que vous pouvez nous raconter ?
00:52Alors, au Mali, nous, on débarque avec la mission Serval.
00:55C'est quand Acme descend de l'Algérie pour récupérer Gao.
01:02Et nous, on arrive pour contrer Acme.
01:07Donc, ça va très vite.
01:08On part en bateau de Toulon, on arrive à Dakar, on traverse Tours en char.
01:13Et puis, on arrive à Gao.
01:14Là, on fait une patrouille d'observations pour montrer aux gens qu'on est là.
01:18Et moi, je n'ai jamais vu autant de drapeaux français.
01:20Mais je viens même le 14 juillet sur les Champs-Elysées.
01:22Il y a moins de drapeaux français que ces enfants qui couraient avec les drapeaux,
01:26qui avaient les maillots de foot.
01:28C'était...
01:29C'est...
01:30Quelle histoire.
01:31Et en fait, ce qui se passe, c'est que dans ma radio,
01:36moi, j'ai été opérateur tourelle dans mon véhicule.
01:38Et à la radio, ça annonce qu'il y a un suicide bomber à Gao.
01:40Alors, à ce moment-là, Gao, c'est à 6 km de ma position.
01:43Mais moi, dans ma tête, ça fait un...
01:45J'ai des flashs, des hallucinations.
01:48Je me rends bien compte qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
01:49Et dans le même temps, Gao est bien pris par les terroristes.
01:54Et au moment où toutes les sections vont à Gao récupérer la mairie,
01:59moi, je suis déjà sous morphine.
02:01En mode, ça y est, je suis fou, quoi.
02:03Et je me réveille dans un lit de camp en plein canillard.
02:05Il n'y a plus personne autour de moi.
02:06Je n'ai même plus de fusil, plus rien. Je ne suis pas bien.
02:08Entre l'Afghanistan et le Mali, j'ai eu deux mois de vacances.
02:11Et pendant ces deux mois, je sentais que j'avais des choses qui étaient bizarres en moi,
02:14que j'avais du mal à définir.
02:17Mais moi, j'ai mis ça sur le dos de la fatigue.
02:18Donc, je n'ai pas été consulté.
02:20Je suis reparti au Mali.
02:21Et le problème, à l'heure actuelle encore, c'est ce déni, en fait.
02:24C'est-à-dire qu'on est dans l'armée et je pense que tout le monde est au courant de ça.
02:27Il y a une espèce d'éducation qui est plutôt patriarcale.
02:30Il ne faut pas dire quand on ne va pas bien.
02:32Et on comprend pourquoi.
02:33Parce que si tu es au combat et que tu tors une cheville, il faut avancer, quoi.
02:36En revanche, une fois en France, il ne faudrait pas pleurer, certes.
02:40Mais quand tu te lèves tous les matins après des cauchemars
02:42et que tu n'as dormi qu'une demi-heure parce que ta nuit, elle est foutue, quoi.
02:47Bon, mais là, il faut aller consulter.
02:48Quoiqu'en disent certaines personnes, il faut aller consulter.
02:50Et dire, voilà, juste, ça ne va pas.
02:52Qu'est-ce qu'on fait de moi ?
02:53Au Mali, le médecin qui m'a donné de la morphine,
02:55bon, lui, il m'a dit, on va donner de la morphine parce que tu as l'air un peu choqué.
02:59Le second médecin qui m'a donné les neurolyptiques m'a dit,
03:02tu es en état de choc.
03:04Et c'est une fois arrivé au Val-de-Grâce
03:06que le médecin m'a dit, tu as un syndrome de stress post-traumatique.
03:09Et quand j'ai compris ce que c'était, le syndrome de stress post-traumatique,
03:12je me suis dit, putain, on peut s'en soigner, mais ça va être long, ça va être dur.
03:17On peut y arriver, on n'est pas seul, je ne suis pas le premier, je ne suis pas le dernier.
03:20Est-ce qu'on guérit du stress post-traumatique ?
03:22On peut se stabiliser, on peut stabiliser l'état, mais de manière, on va dire,
03:25mais c'est dur parce qu'on a tendance, vous savez,
03:28et ça, je pense que c'est français, mais à mon avis, on n'est partout pas comme ça.
03:31C'est-à-dire qu'on a tendance à vouloir absolument être celui qu'on était quand on est parti.
03:34Quand on comprend que ça, ce n'est pas possible,
03:37déjà, on regarde un peu plus l'avenir
03:39et on commence à faire le pas vers une espèce de rémission.
03:42Vous avez rendu service à la France.
03:44Est-ce que vous pensez que la France vous a rendu service ?
03:47Moi, elle me permet, encore une fois, d'avoir un doigt.
03:50Elle me permet pas mal de choses actuellement.
03:53Actuellement, je suis en congé longueur et maladie.
03:55Je touche toujours ma solde le temps de ma reconversion professionnelle.
03:59Par exemple, aux États-Unis, je ne suis pas certain qu'ils aient ça.
04:01Donc, je pense que la France me rend ce service.
04:06On a décidé de me remettre la médaille militaire le 14 juillet de cette année.
04:10Donc, c'est la reconnaissance que l'État peut faire
04:14pour un soldat qui a servi au péril de son âme
04:17et qui a besoin que l'État, non pas se rendre responsable,
04:21mais reconnaisse le...
04:22C'est une espèce de merci, finalement.
04:24Merci d'avoir été là pour essayer de faire au mieux avec ce qu'on t'a appris.
04:28T'es à jamais un enfant de la France.