• il y a 4 mois
Filmé par l'administration coloniale

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00:08Ce pays ne possède rien.
00:10Rien que de tristes étendues, des rochers gris ou rouges,
00:14des pierrailles et, frappés sur ces paysages vides,
00:18des caravanes qui remontent du Sahara.
00:21Massif, fermé, encore peu perméable,
00:24c'est l'Ores, ou, comme on disait Naguère, les Ores.
00:27...
00:34Dans ces villages de pierres, rôtis par les soleils de mille étés,
00:38vit une race de paysans.
00:40Vies, ou plutôt, faites escales, car tout au long de l'année,
00:43il faut faire et refaire les gestes du départ.
00:46Rappeler le fils qui garde les chèvres,
00:49charger les mules, prendre la route.
00:51...
01:04Pour le paysan de l'Ores,
01:06il n'est pas, comme ailleurs, de domaine d'un seul tenant.
01:09Profils et climats de sa terre montagneuse
01:11le contraignent à cultiver ses divers champs sur un patrimoine
01:15dispersé aux quatre coins du massif.
01:17C'est pourquoi sa vie semble n'être qu'une continuelle errance.
01:21Fermant la marche, derrière cette menu-caravane
01:24que guide sa femme et son aîné,
01:26abandonnant aux vieux parents, la maison et les enfants en bas âge,
01:30il part aujourd'hui pour les labours,
01:32comme il partira pour la récolte des figues
01:35ou l'irrigation des palmerêts.
01:37Car pour vivre, il lui faut du blé.
01:39Et les terres à blé se trouvent sur les plateaux du Nord,
01:42des dates, et les palmiers ne prospèrent que dans les crevasses du Sud.
01:46Quelques légumes et quelques fruits.
01:48Et les vergers n'existent que sur les terrasses de l'oué d'Abdi.
01:56Deux jours de route, trois jours de route.
02:00On traverse de funèbres étendues
02:02où rien ne vient rompre le silence.
02:19On marche tirant les mules que vous portez par ailes.
02:23Et le soir, on fait halte sur un piton
02:25où l'on dormira à la belle étoile, près d'un feu de brindille.
02:44A l'aube, on se remettra en marche.
02:47Par ces sentiers en surplomb qui découvrent d'autres lacets,
02:50montant et descendant des côtes sans fin,
02:53on arrivera à un village pareil à tous les villages du pays chahouïa,
02:57bâti pour la défense, sur une pointe rocheuse,
03:00autour d'un minaret de pierres sèches.
03:18C'est un village qu'on connaît bien, qu'on retrouve plusieurs fois par an,
03:22et où, plusieurs fois par an, on vit 15 jours d'affilée.
03:40On a ici des habitudes,
03:42une baraque basse où l'on s'établit et dont on garde la clé.
03:45On y a même des amis.
03:47En somme, on y est aussi chez soi.
03:49C'est simplement le village du champ de blé.
03:58Et dans le village du champ de blé,
04:00la vie reprend aussi rude, aussi lente, aussi peu variée.
04:03Semaine qui passe,
04:05ramenant le marché ouvert en plein vent autour des bouchées
04:08établies à la plus haute place,
04:10et pareil à des bourreaux autour d'un gibet.
04:17Semaine qui passe,
04:19pendant lesquelles, dans le vent qui rudoit les êtres
04:22et glace les rochers,
04:23on tirera la raire grossière qui écorche à peine le sol.
04:38Et puis, les labours faits,
04:39on abandonnera le village du champ de blé.
04:42On y reviendra pour les semailles, pour les arbres,
04:45pour la moisson.
04:46Et pendant l'intervalle, au rythme des saisons,
04:49on se sera mis en route vers le sud,
04:51vers la vallée de l'Oued-Abiode,
04:53où ses graines enchaplaient d'oasis.
04:56Chaque paysan de l'Oresse y possède quelques palmiers
04:59qui assurent sa provision de date.
05:01Et le village de Rouffy, invisible du plateau,
05:04se découvre tout d'un coup dans l'échancrure du défilé,
05:07avec ses maisons étagées le long de la falaise,
05:10autour de son oasis, allongé au fond du précipice.
05:16On sera à Rouffy, le village des palmes,
05:18comme on était au village du champ de blé.
05:21Par les ruelles montueuses,
05:23on retrouvera les mêmes bavardages d'enfants
05:25et les mêmes pierres sèches
05:27d'une retraite faite seulement de 4 murs.
05:29Sur la terrasse, on mettra mûrir au soleil d'hiver
05:32les dates de la récolte,
05:34et quand retournées chaque jour,
05:36les dates seront parfaitement récoltes.
05:38Le village de Rouffy,
05:40comme on était au village du champ de blé,
05:42Quand retournées chaque jour,
05:44les dates seront parfaitement mûres,
05:46les travaux d'entretien accomplis,
05:48la vie aura coulé, des jours seront passés,
05:51et la route, à nouveau, sera ouverte.
06:03Emportera-t-on toute la récolte ? Non.
06:05Il faut bien laisser ici la nourriture nécessaire
06:08au prochain séjour.
06:09On la déposera dans l'une de ces gaies-là,
06:12les greniers publics de l'Ores,
06:14où chacun peut avoir sa réserve à l'abri des voleurs.
06:17Étranges gaies-là,
06:18posées comme celles-ci à l'extrême bord d'une falaise
06:21ou dressées comme des bourques menaçant
06:23au sommet d'une montagne.
06:25Elles furent autrefois les forteresses des villages.
06:28Quand les disputes de tribus jetaient l'Ores
06:30dans une insécurité perpétuelle.
06:32Rompues, démantelées, elles restent maintenant
06:35comme les témoins vertigineux des époques de sang.
06:43Ainsi, c'est reste qui domine le rocher de la Kaéna,
06:46dernier refuge de la résistance berbère
06:48au temps très ancien de l'invasion arabe.
06:51Ile étonnante, séparée de la falaise par un séisme
06:55et ceinturée de greniers troglodytes.
07:08De nouveau sur les routes.
07:11Et c'est aujourd'hui Ménaha qui se découpe au sommet de sa colline.
07:15Ménaha, le pays des vergers.
07:17Chacun des chaouyas de l'Ores possède ici
07:21quelques figuiers, quelques noyés, quelques légumes,
07:24de tout clôturé de cactus qui, le printemps venu,
07:27s'illumine de fleurs étonnantes.
07:34Extraordinaire printemps de Ménaha.
07:37Les fleurs forment au rocher de tendres parures,
07:39les ruisseaux, gonflés par la neige, réfléchissent en ciel pur.
07:43La vie passe.
07:56Chaque jour, au village,
07:58les fillettes ramènent de grandes brassées d'herbage
08:01et sortent pour les porter au marché des citrouilles éclatantes.
08:10Et l'année tourne.
08:12Il faudra revenir au village du champ de blé.
08:15C'est la moisson, la récolte, la promesse de la vie
08:18pour ce paysan pèlerin qui ne peut compter que sur ses pauvres domaines
08:22répartis sur les axes de la Rose des Vents.
08:36Mais la mince croix de Ménaha,
08:38mais la mince moisson de ces vallées rétrécies
08:41dans nos pays Andorès, le pain et la joie en même temps.
08:45Car la dernière brassée coupée amène le temps des réjouissances,
08:49ces jours de fête rituelle qui célèbrent le travail accompli.
08:53Et au signal de la dernière gerbe,
08:56répondent sans tarder les pétarades et les musiques.
09:00Voici venu le temps où chaque déchirat s'emplit de danse et de musique,
09:04où les robes les plus éclatantes sortent des coffres,
09:08où les colliers de pièces d'argent s'augmentent d'un rang.
09:12Le temps, enfin, où l'on reste au village.
09:15Le temps, enfin, où l'on reste au village.
09:45Plus tard, il faudra rebâter les mules,
09:48reprendre la route vers le village du champ de blé
09:52ou vers le village des palmes.
09:54Mais pour l'instant, rien n'existe plus pour le paysan de l'Ores.
09:58Rien que devant un cirque de montagne,
10:01une ballerine hiératique, presque immobile,
10:05et qui n'arrive pas à s'éloigner.
10:08C'est la fin de l'histoire.
10:10Sous-titrage Société Radio-Canada