Germaine Tillion par elle-même (1907-2008)

  • il y a 2 mois
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00:00:00Je me suis trouvée en face des choses à faire, et ce sont les choses à faire qui m'ont engagée.
00:00:12C'est l'événement qui est venu me tirer par les cheveux, et pas du tout moi qui ai été chatouiller l'événement.
00:00:20Je vous amène un message du Président de la République qui vous souhaite un bon anniversaire.
00:00:25Madame, chère Germaine Tillon, je tenais à vous transmettre en ce jour important l'affection de la nation tout entière, sa reconnaissance aussi.
00:00:36J'y tenais et les Français avec moi pour toutes sortes de raisons, d'engagements, de passions et de souffrances,
00:00:43qui font que vous incarnez véritablement ce que l'on peut appeler le siècle Tillon.
00:00:55...
00:01:11Germaine Tillon naît le 30 mai 1907, en Haute-Loire, dans le bourg d'Allègre.
00:01:18J'ai un arrière-grand-oncle qui a été guillotiné à Paris, parce qu'il était prêtre.
00:01:23Mes deux grands-pères étaient notaires tous les deux, c'est peut-être pour ça qu'ils ont marié leurs enfants.
00:01:28La famille de mon père était du Charolais, de Charolles, et la famille de ma mère, dans l'Auvergne.
00:01:38Lucien Tillon, son père, juge de paix à Allègre, est passionné de musique et de photographie.
00:01:43Avec son épouse, Émilie Cussac, il lance une collection culturelle sur la France et l'Europe,
00:01:48Les Guides Bleus. La famille quitte l'Auvergne pour la région parisienne, quand Germaine a 15 ans.
00:01:56Mon père est mort quand j'étais assez jeune. Ma mère était une femme extrêmement intelligente.
00:02:02Devenue chef de famille, Émilie poursuit les publications.
00:02:08Elle laisse chacune de ses deux filles, Germaine et Françoise, suivre sa voie.
00:02:15Et c'est en faisant de la préhistoire que je me suis dit, la chose intelligente pour éclairer la préhistoire,
00:02:21c'est de faire de l'ethnographie, c'est-à-dire d'étudier les peuples les plus anciens.
00:02:26Et c'est à ce moment-là que j'ai fait la connaissance de Mauss.
00:02:30Son deuxième directeur de thèse, l'islamologue Louis Massignon, restera un ami proche jusqu'à sa mort.
00:02:38Jeunesse studieuse, mais aussi jeunesse joyeuse, Germaine va souvent aux concerts et au théâtre.
00:02:46Avec sa soeur Françoise et un groupe d'amis, elle pratique la natation, la voile,
00:02:52le kayak dans les gorges de l'Ardèche,
00:02:55Travaillant auprès de sa mère, à la rédaction des Guides Bleus,
00:02:59elle voyage à travers l'Europe, à plusieurs reprises en Allemagne,
00:03:03où elle observe la montée du régime nazi.
00:03:26A 27 ans, Germaine Tillion est envoyée en Algérie, dans l'Ores,
00:03:32avec Thérèse Rivière, par un institut international basé à Londres.
00:03:38Elle choisit de s'installer dans le Douar le plus démuni, le plus éloigné de l'Europe,
00:03:44et de s'installer en Algérie.
00:03:47Nous sommes donc partis ensemble et nous avons travaillé,
00:03:52donc chacune de notre côté, avec comme mission faire une thèse de doctorat.
00:03:58J'ai donc fait l'apprentissage de la solitude.
00:04:01J'ai commencé à travailler dans un centre de soins de longue durée,
00:04:06et j'ai commencé à travailler dans un centre de soins de longue durée,
00:04:13J'ai donc fait l'apprentissage de la solitude.
00:04:16J'ai commencé à, d'abord, écouter les gens, un à un,
00:04:22leur rendre des services, souvent, quand il y avait quelqu'un de malade,
00:04:27donner des conseils,
00:04:29ils savaient qu'on leur écrivait une lettre,
00:04:34en fait, leur rendre service, vraiment,
00:04:37et parler avec eux.
00:04:40Et au bout d'assez vite,
00:04:43je me suis trouvé savoir beaucoup de choses sur leur tribu,
00:04:47ce qui fait que, bien souvent, évidemment,
00:04:49ils me demandaient mon avis sur leurs propres questions.
00:04:56Mon travail, c'était de comprendre l'endroit où j'étais,
00:05:01d'enregistrer ce que me disaient les gens,
00:05:05de noter, de faire des photographies,
00:05:09mais pas seulement,
00:05:11de comprendre chaque détail de la vie quotidienne.
00:05:22Au mois d'août 1935, pendant une semaine,
00:05:26Germaine accompagne au pèlerinage du Djebel Bous,
00:05:30les hommes de la tribu chez qui elle s'est installée,
00:05:33les Ha Abderrahman.
00:05:36Alors, au fond,
00:05:39il est certain que quand Moss m'en a parlé,
00:05:43j'aurais encore mieux aimé aller chez les Kanaks,
00:05:47ou chez des gens encore plus lointains,
00:05:50ou en Amazonie,
00:05:53mais je me suis dit, après tout, n'importe où,
00:05:56pourvu qu'on ait un angle de visée.
00:06:00Si la nature m'avait pourvu d'un oeil de cyclope au milieu du front,
00:06:03ou d'un museau de chien,
00:06:05je les aurais moins étonnés qu'avec mon costume de cheval,
00:06:08mon matériel de campement,
00:06:10et les heures que je passais chaque jour à écrire.
00:06:13Passés les premiers étonnements,
00:06:15ils s'habituèrent à moi,
00:06:17et s'aperçurent alors que je n'étais pas un animal malfaisant,
00:06:20résistant mieux qu'aux terreurs engendrées par les représentants de l'administration,
00:06:23ou par ces monstres que l'on appelle les djinns.
00:06:26Quand vous rencontrez les Chaouïa, quand vous arrivez dans les Ores,
00:06:29ils vous semblent exotiques ?
00:06:31Ou ils vous semblent proches ?
00:06:33Très rapidement, je me suis aperçue qu'ils étaient au fond,
00:06:36très proches de nous.
00:06:38Et c'est là, justement,
00:06:40que j'ai très proche des paysans français.
00:06:56Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
00:07:26Ces recherches et sa carrière universitaire
00:07:40vont être interrompues plus de 20 ans
00:07:42par la Seconde Guerre mondiale,
00:07:44puis par la guerre d'indépendance d'Algérie,
00:07:46dans lesquelles elle s'impliquera totalement.
00:07:49Une fois sortie des tourments des camps de concentration nazis
00:07:52et de son engagement dans le conflit algérien,
00:07:55Germaine Tillion peut enfin retourner à sa première passion,
00:07:58l'ethnographie.
00:08:00Son but ?
00:08:02Décrire l'immense branle-bas
00:08:04à l'origine de l'avilissement tenace
00:08:06de la condition féminine
00:08:08dans le monde méditerranéen.
00:08:11De 1960 à 1974,
00:08:14Germaine Tillion sillonne ainsi l'Afrique,
00:08:17alternant mission du CNRS, de l'OMS, de l'ONU,
00:08:21avec des voyages personnels.
00:08:25A partir de 1966,
00:08:27année de parution de son livre
00:08:29Le harem et les cousins,
00:08:31Germaine Tillion s'intéresse de plus en plus
00:08:33aux berbères nomades du Sahara.
00:08:36La société touareg ne serait-elle pas
00:08:38la vivante illustration d'un passé berbère ?
00:08:44Elle a lu, dès 1940,
00:08:46le dictionnaire du père de Foucault
00:08:48et y a retrouvé les termes de parenté berbère
00:08:51gardés par les touaregs,
00:08:52perdus chez les chahouyas,
00:08:54qui, eux, ont adopté des termes arabes.
00:08:58La société maghrébine n'aurait donc viré,
00:09:00en même temps que la condition des femmes ?
00:09:04Il faut aller voir sur place.
00:09:07Les cousins côté père sont tous des pères
00:09:10que leurs enfants appellent Abba.
00:09:13Les cousines côté mère sont toutes des mères
00:09:16que les enfants appellent Anna.
00:09:20Eau et pâturage sont les deux mamelles
00:09:22des éleveurs du Sahel.
00:09:25L'hospitalité, un devoir intangible,
00:09:28même si l'honorer n'est pas toujours facile.
00:09:32Germaine n'oublie jamais,
00:09:34au-delà des présents traditionnels,
00:09:36thé, tabac,
00:09:37de partager confiture, fromage,
00:09:39friandises, bien de chez nous.
00:09:42Les campements rassemblent parents,
00:09:44alliés et serviteurs.
00:09:47Les hôtes de passage aussi.
00:09:49La tente, traditionnellement en cuir,
00:09:51est propriété féminine,
00:09:53marque significative du statut
00:09:55des femmes Touareg.
00:09:58Chez les Touareg,
00:10:00ce sont les hommes libres qui sont voilés,
00:10:02symbole pittoresque, selon Germaine,
00:10:04d'une inversion presque trait pour trait
00:10:06de la mécanique sociale
00:10:08entre les sociétés berbérophones du nord
00:10:10et du sud du Sahara.
00:10:13La tente, traditionnellement en cuir,
00:10:15est propriété féminine,
00:10:17symbole pittoresque, selon Germaine,
00:10:19d'une inversion presque trait pour trait
00:10:21de la mécanique sociale
00:10:23entre les sociétés berbérophones du nord
00:10:25et du sud du Sahara.
00:10:28Ce qu'elle résume à sa façon
00:10:30est le bon gars du Sahara
00:10:32qui veut faire plaisir à papa
00:10:34doit choisir, pour beau-père,
00:10:36non pas le petit frère de son père,
00:10:38mais le grand frère de sa maman.
00:10:40S'il vit au nord du désert,
00:10:42c'est le contraire qu'il doit faire.
00:10:45Et ça ne veut pas dire qu'on ne verra pas
00:10:47encore un peu mieux le lendemain.
00:10:49Néanmoins, il faut déjà commencer par regarder.
00:10:59Dans ses recherches au Sahara
00:11:01et 40 ans plus tôt dans l'Ores,
00:11:03dans la tourmente de la guerre d'Algérie
00:11:05comme dans l'horreur de la déportation,
00:11:07Germaine Tillion n'a pas cessé
00:11:09de confronter ses observations et ses expériences
00:11:11avec ce que lui avait enseigné l'université
00:11:13et d'en nourrir ses engagements.
00:11:15En réalité,
00:11:17on retrouve
00:11:19dans tous les pays
00:11:21paysans
00:11:23une exigence.
00:11:25Et cette exigence,
00:11:27c'est de maintenir
00:11:29la terre dans une seule main.
00:11:31Parce que la terre
00:11:33ne se divise pas.
00:11:35La terre, c'est un instrument de travail.
00:11:37C'est comme...
00:11:39c'est comme votre caméra.
00:11:41Votre caméra,
00:11:43vous ne pouvez pas la couper en deux
00:11:45et en donner une moitié à l'un et une moitié à l'autre.
00:11:47En cas de décès,
00:11:49il y a un fils aîné.
00:11:51C'est l'aîné qui hérite.
00:11:53Point final.
00:11:55Et les filles, dehors.
00:11:57Ce livre, Le harem et les cousins,
00:11:59est consacré
00:12:01au destin de la femme dans la Méditerranée.
00:12:03Et cette petite fille
00:12:05qui a l'air si intelligente
00:12:07et qui visiblement
00:12:09a l'air de poser une question.
00:12:11Elle pose une question au destin.
00:12:13Quel va être mon destin ?
00:12:15Eh bien, si cette petite fille
00:12:17est une paysanne,
00:12:19elle va avoir un fils.
00:12:21Et si elle a un fils,
00:12:23ce fils sera
00:12:25en tout cas
00:12:27la propriété
00:12:29de sa mère.
00:12:31C'est pourquoi,
00:12:33si cette paysanne,
00:12:35cette petite fille est devenue
00:12:37une paysanne,
00:12:39je dirais que la paysanne
00:12:41n'est pas tout à fait malheureuse.
00:12:43Parce qu'elle a
00:12:45une domination
00:12:47écrasante sur son fils.
00:12:49Mais si cette petite fille
00:12:51va en ville,
00:12:53à ce moment-là,
00:12:55la pauvre petite fille
00:12:57a raison de se poser des questions.
00:12:59Parce qu'on peut l'acheter dans la rue,
00:13:01tout simplement, avec 3 ou 4 enfants
00:13:03et le père foutre le camp
00:13:05on ne sait pas où
00:13:07et ne jamais revenir.
00:13:35Je voudrais ajouter,
00:13:37en songeant aux si nombreuses Algériennes
00:13:39qui se battent aujourd'hui pour leurs droits
00:13:41de femmes et de citoyennes,
00:13:43ma reconnaissance pour Germaine Tillion,
00:13:45devancière de nous toutes
00:13:47par ses travaux dans les Ores,
00:13:49déjà dans les années 30,
00:13:51par son action de dialogue
00:13:53en pleine bataille d'Alger en 1957,
00:13:55également pour son livre
00:13:57Le harem et les cousins,
00:13:59qui, dès les années 60,
00:14:01nous devint un livre phare,
00:14:03qui n'était plus que de polémique.
00:14:07Ma théorie actuelle,
00:14:09c'est qu'il faut en revenir
00:14:11au système paléolithique.
00:14:13C'est-à-dire ?
00:14:15Il faut se marier avec l'étranger.
00:14:17Avec l'étranger.
00:14:19Pourquoi l'étranger vous garde vos frontières ?
00:14:23Parce que,
00:14:25rendez-vous compte que nos ancêtres,
00:14:27les sauvages,
00:14:29nos ancêtres communs à toute la Terre,
00:14:31ce sont nos ancêtres les sauvages.
00:14:33Et nos ancêtres les sauvages,
00:14:35ils n'avaient pas
00:14:37de fils de fer barbelé
00:14:39pour préserver
00:14:41leur gibier.
00:14:43Et par conséquent,
00:14:45il fallait qu'ils se mettent d'accord
00:14:47avec les gens qui étaient
00:14:49de l'autre côté de la forêt.
00:14:53Et ils n'avaient pas d'autre moyen
00:14:55de se mettre d'accord avec eux
00:14:57que d'échanger leurs femmes.
00:14:59Tu me passes ma sœur,
00:15:01tu me passes la tienne.
00:15:03Et voilà.
00:15:05C'est ça le mariage paléolithique.
00:15:07C'est ça.
00:15:09Et qui permet la paix.
00:15:11Et qui permet la paix.
00:15:13Parce qu'autrement c'est la guerre tout le temps.
00:15:15Et nous en sommes revenus maintenant
00:15:17à une période
00:15:19où il faut faire la paix.
00:15:21Retourner, non pas au paléolithique
00:15:23au point de vue outil,
00:15:25mais au paléolithique
00:15:27c'est-à-dire une politique
00:15:29de conversation
00:15:31avec l'autre.
00:15:35Le fait de me trouver
00:15:37dans ce monde
00:15:39tout de même très
00:15:41très
00:15:43très archaïque
00:15:45ça me permet
00:15:47de regarder la politique
00:15:49de loin.
00:15:53Et au fond,
00:15:55je n'ai jamais cessé.
00:15:57Et l'ethnologie
00:15:59en plus
00:16:01vous
00:16:03vous porte
00:16:05à regarder la politique de très loin.
00:16:07Ça ne veut pas dire avec malveillance.
00:16:09Non.
00:16:11Elle est nécessaire.
00:16:13Elle est nécessaire mais
00:16:15elle est insuffisante.
00:16:17Il faut aussi le bon sens.
00:16:19En plus de la politique.
00:16:21Et aussi
00:16:23considérer l'autre
00:16:25même en politique.
00:16:29De 1958
00:16:31à 1977,
00:16:33directrice d'études de la sixième section
00:16:35de l'école pratique des hautes études,
00:16:37future école des hautes études en sciences sociales,
00:16:39elle y enseigne
00:16:41l'ethnologie rabot-berbère
00:16:43en s'appuyant sur ses missions sahariennes
00:16:45et moyennes orientales.
00:16:47Elle y dirige des thèses
00:16:49et anime une équipe de recherche
00:16:51sur la littérature orale
00:16:53rabot-berbère.
00:17:19Je suis arrivée à Paris.
00:17:21La première chose que j'ai faite
00:17:23ça a été de chercher
00:17:25qu'est-ce qu'on pouvait faire
00:17:27pour résister aux nazis.
00:17:29Nous croyons
00:17:31que l'honneur des Français
00:17:33consiste
00:17:35à continuer
00:17:37d'exercer
00:17:39l'honneur des Français
00:17:41et d'exercer
00:17:43l'honneur des Français
00:17:45et d'exercer
00:17:47consiste à continuer
00:17:49la guerre aux côtés
00:17:51de leurs alliés.
00:17:53Puisque l'armistice était nul,
00:17:55nul et non revenu,
00:17:57je n'y croyais pas,
00:17:59je me suis dit jusqu'où ils vont s'effondrer ?
00:18:01Qu'est-ce qu'ils ont cédé aux Allemands ?
00:18:03Qu'est-ce qu'ils n'ont pas cédé ?
00:18:05Il faut faire quelque chose.
00:18:07Nous ne pouvons pas nous laisser étrangler
00:18:09comme ça, sans rien dire
00:18:11et sans rien faire.
00:18:13La première chose que j'ai faite
00:18:15tout de suite après l'armistice,
00:18:17ça a été de donner
00:18:19nos papiers d'identité
00:18:21à une famille qui s'appelait Lévis.
00:18:23Toutes les réunions de résistance,
00:18:25les premières ont eu lieu dans ma propre maison,
00:18:27en présence de ma mère,
00:18:29naturellement, et la mienne.
00:18:31Ma mère était aussi
00:18:33violemment pour la résistance que moi.
00:18:37La chose qui m'a mise hors de moi,
00:18:39c'est quand la clause de l'armistice
00:18:41qui disait qu'on devait
00:18:43restituer aux Allemands
00:18:45tous les réfugiés
00:18:47qui étaient venus se réfugier en France.
00:18:49Alors j'ai considéré ça comme
00:18:51le comble de l'abjection.
00:18:53L'indignation est quelque chose
00:18:55qui peut soulever une montagne.
00:18:57C'est le sentiment le plus fort.
00:18:59C'est quand vous avez,
00:19:01devant le crime,
00:19:03devant la cruauté absolue,
00:19:05quelque chose en vous
00:19:07qui se gonfle et qui se soulève.
00:19:09C'est véritablement l'indignation.
00:19:11C'est ce qu'on peut appeler l'indignation.
00:19:13C'est à la fois
00:19:15la révolte et la colère,
00:19:17mais c'est en même temps le sentiment
00:19:19que la justice est de votre côté.
00:19:23Et qu'en face de vous,
00:19:25celui qui est en face de vous
00:19:27représente le mal.
00:19:35C'est faire une belle plaque
00:19:37sur laquelle il y avait écrit
00:19:39LCC, ça voulait dire
00:19:41Union Nationale des Combattants Coloniaux.
00:19:43Alors on avait collé ça sur une porte.
00:19:45Et là, je me suis chargé
00:19:47de recruter
00:19:49tout un groupe pour faire
00:19:51des colis et des lettres
00:19:53à nos combattants coloniaux.
00:19:55Et surtout nous avons essayé de les mettre
00:19:57en rapport avec leur famille.
00:19:59Et puis alors quand ils ne savaient pas un mot de français,
00:20:01alors là nous avions un truc encore bien mieux.
00:20:03On envoyait un de nos prisonniers,
00:20:05celui qui ne parlait pas un mot de français
00:20:07avec un petit mot pour le docteur Lebrus,
00:20:09par exemple.
00:20:11Alors il s'amenait avec son petit mot,
00:20:13le docteur Lebrus, qui était au courant,
00:20:15le collait dans un lit et écrivait
00:20:17lettres sur le lit.
00:20:19Alors là, tous les médecins allemands
00:20:21arrivaient devant,
00:20:23foutaient le corps comme si c'était le diable,
00:20:25et on les collait
00:20:27dans un train sanitaire
00:20:29qui les emmenait
00:20:31confortablement
00:20:33dans un lit.
00:20:35Il y avait beaucoup de choses à faire.
00:20:37Premièrement, il y avait des évadés.
00:20:39Il fallait donc
00:20:41absolument
00:20:43leur trouver des vêtements,
00:20:45des papiers d'état civil,
00:20:47des asiles.
00:20:49Nous avions le but
00:20:51de cacher tous les clandestins,
00:20:53c'est-à-dire les juifs.
00:20:55Il y avait un deuxième problème
00:20:57qui était celui
00:20:59de l'information,
00:21:01de la non-information
00:21:03du peuple français.
00:21:05Puisqu'à ce moment-là, nous n'avons eu
00:21:07d'un seul coup
00:21:09comme information que ce que
00:21:11pondaient la radio de Vichy
00:21:13et la radio allemande,
00:21:15c'est-à-dire des mensonges.
00:21:17Alors il fallait donc absolument
00:21:19informer les Français.
00:21:21Donc il nous fallait faire des tracts
00:21:23et des journaux
00:21:25clandestins.
00:21:27Ça, c'était la deuxième chose.
00:21:29Et la troisième
00:21:31chose, c'était que
00:21:33nous avions des renseignements militaires
00:21:35et que ces renseignements
00:21:37militaires, il nous fallait absolument
00:21:39les faire arriver jusqu'à Londres.
00:21:41Nous avons improvisé
00:21:43tout ça.
00:21:45C'est moi qui l'ai appelé
00:21:47Réseau Musée de l'Homme et je l'ai appelé
00:21:49Réseau Musée de l'Homme après la guerre.
00:21:57Je me souviens terriblement
00:21:59de ce jour.
00:22:01Ça a été pour moi
00:22:03une blessure profonde.
00:22:05Et j'avais
00:22:07qu'une seule idée, c'était tout de même
00:22:09de sauver des condamnés à mort.
00:22:11Parce qu'à ce moment-là, j'ai su,
00:22:13j'ai compris que toutes les fois
00:22:15qu'on était arrêtés, c'était la mort
00:22:17qui était au bout.
00:22:19Germaine Tillion conclut
00:22:21que la seule façon d'aider les condamnés
00:22:23était de les aider à s'évader.
00:22:25Elle organisa des réunions chez elle
00:22:27afin de préparer l'évasion d'un chef
00:22:29du réseau Intelligence Service.
00:22:31Cependant, un agent de l'Abwehr,
00:22:33le service de contre-espionnage allemand,
00:22:35s'était infiltré dans le réseau.
00:22:37Le traître était
00:22:39un prêtre nommé Alech
00:22:41qui avait assisté aux réunions
00:22:43chez les Tillions.
00:22:45Le 13 août 1942,
00:22:47il livra Germaine aux mains de la police allemande.
00:22:51J'ai été arrêtée à la gare de Lyon.
00:22:53Il y a quelqu'un qui me touche
00:22:55l'épaule et qui me dit
00:22:57police allemande,
00:22:59suivez-moi.
00:23:01Alors moi je me tourne vers lui
00:23:03et d'un air agressif,
00:23:05je lui ai dit, vous pensez peut-être
00:23:07que je suis juive.
00:23:09Et alors il m'a dit, sur le même ton,
00:23:11non madame, je ne le pense pas
00:23:13mais je veux vérifier vos papiers.
00:23:15Ensuite on m'a conduit rue des Saucers.
00:23:17Mais au fond,
00:23:19je n'ai pas été vraiment maltraitée
00:23:21pour une raison.
00:23:23Le traître qui m'a vendue
00:23:25ne savait presque rien
00:23:27sur notre réseau.
00:23:29Il ne connaissait des choses que sur le réseau
00:23:31de l'intelligence service.
00:23:33Sur le réseau musée de l'homme,
00:23:35il ne connaissait rien.
00:23:37Émilie Tillion fut arrêtée chez elle
00:23:39le même jour que sa fille.
00:23:41Toutes deux
00:23:43furent envoyées à la prison de la santé
00:23:45puis à Fresnes.
00:23:47Alors je recevais
00:23:49dans ce petit
00:23:51sac de linge
00:23:53je recevais du linge propre
00:23:55deux fois par mois
00:23:57et
00:23:59le sac avait
00:24:01une double paroi
00:24:03et dans la double paroi
00:24:05que voilà
00:24:07voilà le sac
00:24:09et voilà la double paroi
00:24:11j'avais
00:24:13un tissu de soie
00:24:15sur lequel
00:24:17Marcel mon marché
00:24:19donc
00:24:21la fille de grands amis
00:24:23de mes parents
00:24:25avait tapé
00:24:27à la machine
00:24:29elle cousait la soie
00:24:31sur une feuille de papier
00:24:33et elle tapait à la machine
00:24:35tout ce qu'avait dit la radio de Londres
00:24:37et alors
00:24:39je recevais
00:24:41le compte rendu de la radio
00:24:43de Londres dans ma cellule de Fresnes
00:24:45et
00:24:47je criais tout ce qu'elle m'avait dit
00:24:49tout ce que j'avais lu
00:24:51par un
00:24:53par le tuyau du chauffage
00:24:55et Annis Postelvede
00:24:57grimpait
00:24:59le long de sa fenêtre
00:25:01jusqu'au vasistas
00:25:03qui était à peu près à la hauteur
00:25:05de ces
00:25:07des vers les plus hauts ici
00:25:09et là elle criait
00:25:11toutes les nouvelles de Londres à toute la prison
00:25:13de Fresnes
00:25:17Appelle-toi
00:25:19Annis
00:25:21quand nous nous sommes rencontrés
00:25:23sur le quai de la gare du Nord
00:25:25je vois une jeune fille
00:25:27une jeune fille de 20 ans
00:25:29qui s'avance vers moi et qui me dit
00:25:31je suis Daniel
00:25:33bonjour Courrie
00:25:35Courrie c'était mon nom de guerre
00:25:37Nous nous connaissions uniquement de nous être
00:25:39entendus par la fenêtre en prison
00:25:41et nous ne nous étions jamais vus
00:25:43mais nous connaissions très bien
00:25:45nous avons passé des mois
00:25:47toute une année dans la même prison
00:25:49donc on se connaissait d'avoir parlé ensemble
00:25:51je connaissais la voix
00:25:53d'Annis
00:25:55mais je ne connaissais que sa voix
00:25:57je ne l'avais jamais vue
00:25:59et moi j'étais en prison
00:26:01dans la première prison
00:26:03juste à côté de la maman de Courrie
00:26:05et pendant des semaines
00:26:07et des semaines
00:26:09la maman de Courrie a cherché
00:26:11où était sa fille en prison
00:26:13j'ai eu une grosse voix
00:26:15je criais par la fenêtre
00:26:17Irène qui était le faux nom
00:26:19de la maman de Courrie
00:26:21demande des nouvelles de Courrie
00:26:23et on répétait le message indéfiniment
00:26:25le message est arrivé
00:26:27que Courrie était bien dans la prison
00:26:29mais le message n'est pas retourné
00:26:31que Irène était là aussi
00:26:33j'ai revu maman
00:26:35de loin à Fresnes
00:26:37une fois
00:26:39ma porte s'est ouverte
00:26:41à l'étage au dessous
00:26:43mais qui était en face
00:26:45la porte de maman
00:26:47et à ce moment là
00:26:49nous nous sommes regardés
00:26:51ça a été pour moi déchirant
00:26:57ça a été pire que tout le reste
00:27:01en arrivant à Ravensbruck
00:27:03là j'ai senti
00:27:05en arrivant
00:27:07probablement ce que sentent
00:27:09les animaux
00:27:11quand on les amène à l'abattoir
00:27:13quelque chose d'analogue
00:27:17le sentiment qu'on arrive à la mort
00:27:19132 000 femmes et enfants
00:27:21venus de toute l'Europe
00:27:23furent détenus à Ravensbruck
00:27:25et contraints au travail forcé
00:27:27pour alimenter la machine de guerre nazie
00:27:29Ravensbruck fut le siège
00:27:31d'infâmes expériences médicales
00:27:33et servi de lieu de formation
00:27:35des surveillantes SS
00:27:37Il y a eu des morts, de maladies
00:27:39et d'épuisements
00:27:41d'autres furent battus à mort
00:27:43fusillés ou bien gazés
00:27:45environ 8 000 françaises
00:27:47furent déportées à Ravensbruck
00:27:51On ne pouvait pas vivre seul
00:27:53dans ces histoires-là
00:27:55ou alors on mourait
00:27:57on avait absolument besoin
00:27:59de veiller les unes sur les autres
00:28:01et de s'entraîner
00:28:03parce que seul c'est défini
00:28:06A l'automne 1944
00:28:08la libération tant espérée
00:28:10pour Noël
00:28:12ne paraît plus vraisemblable
00:28:14Germaine Tibion s'inquiète
00:28:16de nous voir tomber une à une
00:28:18dans le désespoir
00:28:20elle nous convient
00:28:22à écrire avec elle
00:28:24quelque chose de gai
00:28:26J'ai écrit une opérette
00:28:28c'est-à-dire une chose comique
00:28:30parce que je pense aussi
00:28:32que le rire
00:28:34même dans les situations
00:28:36les plus tragiques
00:28:38le rire, on peut rire
00:28:40jusqu'à la dernière minute
00:28:42c'est un élément
00:28:44revivifiant
00:28:46c'est le propre
00:28:48de l'homme
00:28:50disent les naturalistes
00:28:52Alors cette pièce
00:28:54Le faire-fut-bar aux enfers
00:28:56c'était l'histoire d'un faire-fut-bar
00:28:58qui était
00:29:00une analogie
00:29:02Orphée aux enfers
00:29:04en réalité
00:29:06c'est avec
00:29:08des chansons
00:29:10des chansons que nous avions
00:29:12inventées pour marcher au pas
00:29:14et qui étaient des chansons rigolotes
00:29:16j'ai écrit ça dans une caisse
00:29:18d'emballage
00:29:20où m'avait caché une camarade
00:29:22et les morceaux de papier
00:29:24qui sont là
00:29:26avaient été volés par une tchèque
00:29:28qui s'appelle
00:29:30Blasta
00:29:32Blasta m'avait donné ces bouts de papier
00:29:34et de quoi écrire
00:29:36et dans ma caisse
00:29:38j'ai écrit le faire-fut-bar
00:29:40en dix jours
00:29:42et ensuite
00:29:44il a circulé de main en main
00:29:46ça a amusé
00:29:48le camarade, elle riait
00:29:50elle riait
00:30:00mes bijoux
00:30:02ma valise
00:30:04et mon sac en cuiroux
00:30:08mes petites envisions
00:30:10mon cou de saucisson
00:30:12ma belle chemise
00:30:14et puis
00:30:16mon seul pentagon
00:30:18je croyais qu'on m'avait
00:30:20détruit
00:30:22j'espérais que
00:30:24c'était bien fini
00:30:26comme un bébé naissant
00:30:28j'étais tout tenu
00:30:30c'est alors
00:30:32qu'ils m'ont
00:30:34tendu
00:30:40Très vite j'ai essayé de comprendre
00:30:42comment fonctionnait le camp
00:30:44et très vite
00:30:46je me suis
00:30:48rendu compte
00:30:50qu'il y avait
00:30:52tout un mécanisme économique
00:30:54qui marchait
00:30:56et que ce mécanisme économique
00:30:58consistait
00:31:00à extraire
00:31:02le maximum de travail
00:31:04de gens mourants
00:31:06de femmes mourantes
00:31:08jusqu'à ce qu'elles meurent
00:31:10effectivement
00:31:12autrement dit
00:31:14c'était une invention
00:31:16qui permettait de rendre la mort
00:31:18une chose rentable
00:31:20alors j'ai donc
00:31:22essayé d'expliquer
00:31:24à mes camarades
00:31:26comment fonctionnait la machine
00:31:28cette machine de mort
00:31:30et je me souviens
00:31:32que mes camarades m'ont dit
00:31:34que ça les avait
00:31:36réconfortés parce que
00:31:38comprendre
00:31:40un système
00:31:42même un système qui vous écrase
00:31:44c'est faire usage
00:31:46de la raison humaine
00:31:48et c'est
00:31:50c'est une
00:31:52c'est quelque chose
00:31:54qui est un besoin
00:31:56un besoin et une force
00:31:58ce que tu nous as
00:32:00donné c'était d'être capable
00:32:02de pouvoir comprendre
00:32:04parce que tu observais
00:32:06et que tu nous aidais à comprendre
00:32:08pour ça il fallait d'abord que tu comprennes
00:32:10et après il fallait que tu communiques ta connaissance
00:32:12ce qui n'était pas facile non plus
00:32:14ce qui était dangereux également
00:32:16nous avons été au tuyau ensemble
00:32:18le tuyau avait je ne sais pas combien de mètres
00:32:20tous les deux mètres
00:32:22il y avait une fille
00:32:24il ne fallait pas que le tuyau touche par terre
00:32:26Germaine s'est mise à parler
00:32:28et on s'est mis
00:32:30autour
00:32:32en faisant tous les deux mètres
00:32:34on arrivait quand même
00:32:36à se mettre l'une à côté de l'autre
00:32:38et elle nous a parlé des SS
00:32:40elle nous a fait un cours d'ethnographie
00:32:42mais du coup on n'avait plus peur
00:32:44on les comprenait
00:32:46et je pense que
00:32:50Germaine a pu avoir
00:32:52un peu de repos aussi
00:32:54pour faire son
00:32:56écrire et tout
00:32:58c'était vraiment
00:33:00pas le paradis mais
00:33:02un coin moins mauvais
00:33:08il n'est pas dans l'enfer
00:33:12il y a eu plusieurs
00:33:14vagues
00:33:16d'assassinats
00:33:18à Ravensbruck
00:33:20il y en a eu dans 1942, nous n'étions pas encore là
00:33:22mais celle que nous avons vécue
00:33:26ça a commencé en février
00:33:281945
00:33:30on nous a appelé un soir
00:33:32pour être transférés, pour changer de camp
00:33:34Germaine, toujours optimiste
00:33:36a dit si on change de camp
00:33:38au moins
00:33:40je vais emmener maman
00:33:42comme ça maman sera à l'abri
00:33:44de ses fameuses sélections
00:33:46parce qu'elle avait les cheveux blancs
00:33:48et moi mes camarades tchèques m'ont dit
00:33:50mais
00:33:52c'est un très mauvais transport
00:33:54il ne faut pas rester là-dedans
00:33:56et en fait on était enfermés avec des tziganes
00:33:58avec leurs enfants
00:34:00alors c'était à peu près sûr que c'était pour être assassinés
00:34:02parce que les tziganes et les enfants
00:34:04ce n'était pas pour aller travailler
00:34:08alors on a passé une nuit
00:34:10comme ça enfermée au Strafblock
00:34:12madame Tillion
00:34:14Germaine et moi
00:34:16mais Germaine était malade
00:34:18comme un cheval, elle avait 42 fièvres
00:34:20elle avait un abcès là
00:34:22et dès le lendemain matin
00:34:24on a réussi à la faire transporter
00:34:26à l'infirmerie
00:34:28pour qu'on la soigne
00:34:30parce qu'elle ne tenait absolument pas debout
00:34:32et moi je suis restée seule
00:34:34avec madame Tillion dans cet enfer
00:34:36et voilà que le soir même
00:34:38j'apprends tout d'un coup
00:34:40qu'il va y avoir une sélection
00:34:42et qu'on est tous obligés d'aller le long du mur
00:34:44pour passer cette sélection
00:34:46alors j'étais enfolée
00:34:48et j'ai dit à madame Tillion
00:34:50écoutez, on va vous cacher
00:34:52parce que les filles
00:34:54quelquefois se cachaient
00:34:56on faisait des planches et on les cachait
00:34:58dans le plafond du bloc
00:35:00il fallait grimper au troisième étage des lits
00:35:02et puis pousser les filles
00:35:04alors madame Tillion m'a dit
00:35:06écoute ça ma petite fille
00:35:08je ne veux pas faire cette gymnastique
00:35:10d'ailleurs
00:35:12j'ai toujours décidé
00:35:14que j'irais en face de mon destin
00:35:16et elle m'a rappelé
00:35:18que son vœu le plus cher
00:35:20c'était de se voir mourir
00:35:34Je suis arrivée en juillet
00:35:36en juillet 45
00:35:38ma sœur était encore en Indochine
00:35:40ma mère avait été assassinée
00:35:42ma grand-mère était morte
00:35:44quatre mois plus tôt
00:35:46et ma maison était en ruines
00:35:52et je considérais que
00:35:54c'était un moment
00:35:56un moment difficile
00:35:58parce qu'il y avait
00:36:00une situation
00:36:02et je considérais
00:36:04qu'aucun devoir
00:36:06n'était plus
00:36:08impérieux
00:36:10que celui de recueillir
00:36:12un tableau
00:36:14aussi objectif
00:36:16que possible
00:36:18de ce qu'il est de se passer
00:36:20des crimes et des criminels
00:36:24En décembre 1946
00:36:26Germaine Tillion
00:36:28siège comme observateur au procès
00:36:30à Hambourg des responsables
00:36:32du camp de Ravensbrück
00:36:34Elle y a été déléguée par l'ensemble
00:36:36des déportés de France
00:36:40Quatre ans plus tard,
00:36:42en qualité de témoin cette fois
00:36:44Germaine et son amie Geneviève
00:36:46Antonios de Gaulle
00:36:48participent à Rastatt
00:36:50à un autre procès des responsables
00:36:52du camp de Ravensbrück
00:36:54En 1949
00:36:56David Rousset, ancien déporté
00:36:58a fondé la CICRC
00:37:00la Commission internationale
00:37:02contre le régime concentrationnaire
00:37:04pour dénoncer les camps de concentration
00:37:06partout où ils existent
00:37:08Germaine Tillion
00:37:10est chargée par ses camarades de l'ADIR
00:37:12l'association des anciennes déportées
00:37:14et internées de la Résistance
00:37:16de les y représenter
00:37:18Notamment en 1951 à Bruxelles
00:37:20où, faute d'avoir été autorisée par l'URSS
00:37:22à enquêter sur place
00:37:24la commission se constitue en jury
00:37:26pour entendre les témoignages sur le goulac
00:37:28Cela vaudra à Germaine
00:37:30de cinquante critiques de ses camarades communistes
00:37:48Je me suis dit de passer
00:37:50d'abord deux ans
00:37:52de Résistance
00:37:54ensuite trois ans
00:37:56de Captivité
00:37:58et ensuite
00:38:00cinq ou six ans
00:38:02où je n'avais fait qu'étudier
00:38:04les crimes des nazis
00:38:06et attention
00:38:08les crimes de Staline
00:38:10au fond les deux grands terroristes
00:38:12si on peut dire
00:38:14les deux grands terroristes européens
00:38:16On annonce que
00:38:18les français sont en train
00:38:20de bombarder l'ORES
00:38:22dans la région où j'avais été
00:38:24alors un bassillon bouillant d'indignation
00:38:26dit on ne va pas aller
00:38:28bombarder des populations civiles
00:38:30Et là vous vous retrouvez
00:38:32devant une guerre civile
00:38:34Et là je me retrouve brusquement
00:38:36retransportée en Algérie
00:38:38Quelles étaient vos armes ?
00:38:40Uniquement le témoignage
00:38:42J'allais là-bas comme témoin
00:38:44Je vais dans l'ORES
00:38:46Je retrouve des gens
00:38:48que je n'avais pas vu depuis 14 ans
00:38:50Et je constate un effondrement
00:38:52économique dramatique
00:38:54Je me dis
00:38:56qu'il faut absolument
00:38:58que le pouvoir français fasse quelque chose
00:39:00pour soulager
00:39:02la misère algérienne
00:39:12Je me suis dit que lorsqu'on était
00:39:14ethnologue
00:39:16on était dans la position d'un avocat
00:39:18C'est-à-dire ?
00:39:20Eh bien un avocat
00:39:22doit défendre son client
00:39:24Et moi mon client
00:39:26c'était l'Algérie
00:39:28Je me suis trouvée
00:39:30dans un pays où je connaissais
00:39:32chaque sentier
00:39:34Et je me suis trouvée
00:39:36à ce moment-là
00:39:38avec l'expérience
00:39:40des ressources de ce pays
00:39:42Et j'ai constaté qu'en 14 ans
00:39:44ces ressources
00:39:46avaient diminué d'une façon
00:39:48tragique
00:39:50J'ai donc essayé d'analyser
00:39:52les causes
00:39:54de cette dégringolade
00:39:56et de cette dégringolade mortelle
00:40:00J'écris
00:40:02noir sur blanc
00:40:04la mécanique
00:40:06moderniste
00:40:08qui pousse les peuples sous-développés
00:40:10vers la clochardisation
00:40:12et qui les pousse
00:40:14invinciblement vers la clochardisation
00:40:16parce que les structures
00:40:18les structures de survie
00:40:20ont été détruites
00:40:22Elles ont été détruites
00:40:24par l'évolution
00:40:26et la modernité
00:40:30Diminuer la mortalité
00:40:32c'est une qualité
00:40:34Mais élever 20 enfants
00:40:36il faut avoir 20 fermes
00:40:38Il faut avoir 20 fermes
00:40:42ou un métier
00:40:46Et alors qu'est-ce qui se passe ?
00:40:48La misère
00:40:54Je crée les centres sociaux
00:40:56Je prospecte tous les gens que je connais en Algérie
00:41:04Mon objectif
00:41:06était de donner
00:41:08de remonter
00:41:10le niveau de vie
00:41:12des gens de la campagne
00:41:14et de donner un métier
00:41:16à tous les enfants
00:41:18que la campagne
00:41:20ne pouvait plus nourrir
00:41:22Créé moins d'un an
00:41:24après le début du soulèvement
00:41:28le service des centres sociaux
00:41:30s'installe dans les zones rurales défavorisées
00:41:32et dans les bidonvilles
00:41:36On y enseigne
00:41:44On y soigne
00:41:46On y oriente
00:41:48On y aide
00:41:50garçons et filles
00:41:52hommes et femmes
00:41:56Sans entrer dans le jeu des propagandes
00:41:58malgré la situation de guerre
00:42:066 ans et demi plus tard
00:42:08à l'indépendance
00:42:10120 centres
00:42:12avaient été construits à travers toute l'Algérie
00:42:14et un millier de moniteurs
00:42:16et de monitrices formés
00:42:20Je cherche quelqu'un
00:42:22de très qualifié
00:42:24pour diriger les centres sociaux
00:42:26et là je trouve
00:42:28M.Agues
00:42:30Charles Agues
00:42:32qui était, comme moi
00:42:34très respectueux
00:42:36des cultures locales
00:42:38On peut aussi garder
00:42:40comme une lampe
00:42:42constamment allumée
00:42:44la vieille culture
00:42:46On avait créé
00:42:48quelque chose là-bas
00:42:50Le bonheur
00:42:52de créer
00:42:54dans un climat
00:42:56extrêmement dangereux
00:42:58Rien n'était plus dangereux que la guerre franco-elle
00:43:00Mais à ce moment-là
00:43:02on créait quelque chose
00:43:04qui était au-delà de la haine
00:43:08De toutes les choses que j'ai faites dans ma vie
00:43:10ce qui me tient le plus à cœur
00:43:12c'est d'avoir créé
00:43:14les centres sociaux en Algérie
00:43:16D'autres choses que j'ai faites
00:43:18étaient aussi nécessaires et justes
00:43:20mais le bien et le mal
00:43:22étaient mélangés
00:43:24comme dans tout combat
00:43:26Les centres sociaux en Algérie
00:43:28c'était œuvrer pour le bien
00:43:30un bien qui n'était pas en opposition
00:43:32avec quelque chose
00:43:34un bien créateur
00:43:36sans être destructeur
00:43:38Pourtant, le personnel du service des centres sociaux
00:43:40est très vite victime d'arrestations
00:43:42d'expulsions
00:43:44de menaces
00:43:46qui culminent en 1962
00:43:48deux jours avant le cessez-le-feu
00:43:50avec l'assassinat par l'OAS
00:43:52sur leur lieu de travail
00:43:54de six responsables
00:43:56trois Algériens qui aimaient la France
00:43:58et l'Algérie
00:44:00Quatre mois plus tard
00:44:02quatre mois de folles violences
00:44:04le nouvel État algérien ne reconduit pas
00:44:06le service des centres sociaux
00:44:08fin d'une expérience éducative hors normes
00:44:10Reste d'indéfectibles amitiés
00:44:12de part et d'autre
00:44:14de la Méditerranée
00:44:16et les traces d'un idéal fécond
00:44:20La Commission internationale
00:44:22contre le régime concentrationnaire
00:44:24est autorisée à enquêter en Algérie
00:44:26Germaine Tillion participe à cette enquête
00:44:28en juin 1957
00:44:32Nous voulons aller en Algérie
00:44:34visiter tous les camps
00:44:36et toutes les prisons
00:44:38Nous partons avec le pouvoir
00:44:40d'interroger qui nous voulons
00:44:42Je retrouve dans chaque prison
00:44:44des gens que je connais
00:44:46et qui me connaissent
00:44:48à la fois comme amie de l'Algérie
00:44:50et comme ancienne déportée
00:44:52J'avais deux titres pour être bouleversée
00:44:54parce que j'étais en même temps
00:44:56très angoissée pour le sort
00:44:58des pieds-noirs précisément
00:45:00des Français d'Algérie
00:45:02Je comprenais absolument
00:45:04l'affolement des populations civiles
00:45:06françaises
00:45:08et le désespoir des populations
00:45:10civiles musulmanes
00:45:12Autrement dit,
00:45:14j'avais un désir intense
00:45:16d'arrêter la guerre
00:45:18Tout ce que je voulais
00:45:20c'est qu'on négocie
00:45:22c'est qu'on se parle
00:45:24Je voulais obtenir qu'on se parle
00:45:26librement
00:45:28chacun disant ce qu'il a à dire
00:45:30et tâchant
00:45:32de défendre ses intérêts
00:45:34C'était utopique ?
00:45:36Pas du tout
00:45:38C'était raisonnable
00:45:40C'était infiniment plus raisonnable que la guerre
00:45:42Quand nous sommes rentrés
00:45:44de cette grande enquête
00:45:46à travers les camps et les prisons
00:45:48j'ai une jeune étudiante
00:45:50qui vient me trouver
00:45:52et qui me dit il va le voir
00:45:54et j'ai dit qui c'est ça ?
00:45:56Elle m'a dit je ne sais pas
00:45:58Étant donné que je suis ici précisément
00:46:00pour me renseigner, je les verrai
00:46:02et je ne m'attendais pas du tout
00:46:04à rencontrer des gens du FLN
00:46:08J'arrive dans une rue de la Casbah
00:46:10Je rentre donc
00:46:12sans savoir qui j'allais rencontrer
00:46:14C'était les deux grands patrons
00:46:16du terrorisme algérien
00:46:18qui étaient là
00:46:20Yacef Saadi
00:46:22et l'autre Ali Lapointe
00:46:24et ils avaient tous les deux
00:46:26une mitraillette à la main
00:46:28deux ou trois revolvers dans la ceinture
00:46:30Sur le canapé il y avait assis
00:46:32Ali Lapointe avec sa mitrailleuse
00:46:34sur les genoux
00:46:36et en face de moi sur un fauteuil
00:46:38Yacef Saadi
00:46:40Yacef me dit vous voyez que nous ne sommes
00:46:42ni des brigands ni des assassins
00:46:44Moi j'ai un choc
00:46:46beaucoup de tristesse
00:46:48et beaucoup de gravité
00:46:50et beaucoup d'émotions
00:46:52internes
00:46:54Je leur dis très gravement vous êtes des assassins
00:46:56Et à ce moment là
00:46:58il a un choc lui aussi
00:47:00C'est à quoi j'ai répondu
00:47:02exactement nous sommes des assassins
00:47:04Bien malgré nous
00:47:06nous sommes des assassins
00:47:08Quand on pose une bombe
00:47:10et qu'il y a des amputés
00:47:12on est automatiquement
00:47:14qualifié d'assassin
00:47:16et nous le sommes
00:47:18C'est les conditions
00:47:20les conditions
00:47:22vouloir notre indépendance
00:47:24nous oblige à utiliser tout ce qu'on pouvait utiliser
00:47:26pour dire aux français
00:47:28laissez nous en paix
00:47:30nous voulons notre indépendance
00:47:32on lutte pour notre indépendance
00:47:34Et il me raconte
00:47:36l'attentat qu'il avait
00:47:38lui même ordonné
00:47:40et qu'il a été ensuite
00:47:42regardé
00:47:44Vous croyez que ça me fait plaisir
00:47:46J'ai pleuré dans le casino de la Corniche
00:47:48Je vous donne ma parole d'honneur
00:47:50que les larmes
00:47:52j'avais les larmes en me disant
00:47:54Yacef regarde toi mon dieu
00:47:56regarde ce que tu es en train de faire
00:47:58des jeunes filles
00:48:00Est-ce que j'aurais accepté que ma fille
00:48:02ait une jambe coupée ? Jamais
00:48:04Et je l'ai fait pour l'autre
00:48:06Alors j'ai pleuré
00:48:08Je me suis dit je ne recommencerai plus
00:48:10Moi même
00:48:12je me réessayais
00:48:14Je me suis dit
00:48:16Arrêtez ça
00:48:18Si on arrête
00:48:20on cesse de torturer les algériens
00:48:22et on ne les condamne pas
00:48:24Moi je vous donne
00:48:26tout de suite mes bombes
00:48:28toutes mes bombes je vais vous les donner
00:48:30Elle m'a dit au coeur de Dieu
00:48:32qu'est-ce que je vais en foutre avec vos bombes
00:48:34je n'en ai pas besoin
00:48:36Je lui ai dit non les bombes on va les utiliser
00:48:38à compter des civils
00:48:40Je lui ai dit mais s'il y a encore
00:48:42des exécutions capitales
00:48:44Il me dit dans ce cas-là je ne peux rien promettre
00:48:48Yacef Saadi est arrêté dans la Casbah
00:48:50le 24 septembre 1957
00:48:52et passe en jugement devant
00:48:54le tribunal militaire d'Alger
00:48:56le 1er juillet 1958
00:49:00J'avais dit
00:49:02j'irai déposer
00:49:04comme témoin des charges
00:49:06et j'y ai été
00:49:08en plein
00:49:10dans la fournaise
00:49:12et ma soeur
00:49:14a voulu m'accompagner
00:49:16parce qu'elle a pensé que si je disparaissais
00:49:18il fallait qu'il y ait au moins quelqu'un
00:49:20qui puisse témoigner
00:49:22Alors la déposition a été
00:49:24quelque chose d'extraordinaire
00:49:26parce que j'ai raconté
00:49:28intégralement tout au tribunal
00:49:30Ah oui j'ai oublié de vous dire
00:49:32que lorsque j'ai fait cette déposition
00:49:34au tribunal militaire
00:49:36j'ai fait tirer
00:49:3830 exemplaires
00:49:40de ma déposition
00:49:42que j'ai remis
00:49:44aux plus grands journaux parisiens
00:49:46en leur disant vous ne le publiez
00:49:48que s'il m'arrive quelque chose
00:49:52Nous avons tous dîné
00:49:54en mettant en pièce l'article de Germain Tillion
00:49:56que nous tenions Bostensmann et moi
00:49:58pour une saloperie
00:50:01Je me dis que c'est quand même pas gentil
00:50:03de dire ça
00:50:05d'être bien tranquille
00:50:07au soleil à Saint-Germain-des-Prés
00:50:09en train de se taper la cloche
00:50:11bien à l'aise
00:50:13pendant que moi je vais au charbon
00:50:15pour sauver des vies humaines
00:50:17qui sont réellement
00:50:19réellement très compromises
00:50:21J'ai remis au général de Gaulle
00:50:23avant qu'il soit au pouvoir
00:50:25tout ce que je savais
00:50:27sur la torture
00:50:30et je lui ai demandé
00:50:32avant qu'il revienne au pouvoir
00:50:34la grâce des condamnés à mort
00:50:36et il me l'a accordée
00:50:50et je dois dire que
00:50:52je lui ai aussi demandé la grâce
00:50:56dois-je le dire
00:50:59de Jean de Loaïs
00:51:02et oui
00:51:04même ça je l'ai fait
00:51:06Pourquoi ?
00:51:08Parce que
00:51:12je vais citer une parole célèbre
00:51:14parce qu'ils ne savent pas ce qu'il faut
00:51:16Ne jamais rechercher le pouvoir pour le pouvoir
00:51:20Je n'ai jamais eu l'occasion
00:51:22et ça ne m'intéressait pas
00:51:24Ce qui m'intéressait
00:51:26c'était le sauvetage
00:51:28sauver des vies humaines
00:51:32comprendre d'abord
00:51:34et sauver ensuite
00:51:38Chaque instant de sa vie
00:51:40toutes ses forces
00:51:42sont consacrées à l'Algérie
00:51:44pour tenter de préserver des vies
00:51:46pour dénoncer la torture
00:51:48pour atténuer les horreurs de la guerre
00:51:50et préparer un avenir meilleur
00:51:52Inlassablement
00:51:54elle informe et s'informe
00:51:56elle démarche
00:51:58elle explique
00:52:00elle plaide
00:52:02elle soutient
00:52:04Cet hortensia
00:52:06qui a été apporté par le colonel de Bordières
00:52:08Et qu'est-ce qu'il a de spécial cet hortensia ?
00:52:10Il est rouge
00:52:12alors que les autres sont bleus
00:52:14Et à quelle occasion il vous l'a offert ?
00:52:16Pour une de mes légions d'odeurs
00:52:18je lui avais demandé
00:52:20d'être mon parrain
00:52:22et alors il est venu ici
00:52:24avec une bouteille de champagne
00:52:26et cet hortensia
00:52:28Et ce parrain vous l'avez choisi ?
00:52:30C'est moi qui l'ai choisi
00:52:32Et pourquoi lui ?
00:52:34Parce qu'il avait refusé la torture
00:52:38C'était un acte très important
00:52:50En 1959, 10 000 Algériens sont emprisonnés en France
00:52:52en majorité pour activités politiques
00:52:54Que faire pour eux ?
00:52:56En 1959,
00:52:58membre du cabinet d'André Bouloche
00:53:00ministre de l'Education nationale
00:53:02Germaine Tillion peut développer
00:53:04l'enseignement dans les prisons
00:53:06Je demande donc à Bouloche
00:53:08Est-ce que vous allez
00:53:10faire quelque chose
00:53:12pour les Algériens ?
00:53:14Est-ce que vous allez
00:53:16faire quelque chose pour les Algériens ?
00:53:18Je demande donc à Bouloche
00:53:20Est-ce que vous accepteriez
00:53:22de prendre l'enseignement dans les prisons
00:53:24à l'Education nationale ?
00:53:26Alors il me dit, mais pourquoi pas ?
00:53:28Là-dessus, je vais trouver
00:53:30le garde des Sceaux
00:53:32qui était Edmond Michelet
00:53:34et qui était un ami
00:53:36Et je lui dis, est-ce que vous accepteriez
00:53:38de céder
00:53:40l'enseignement dans les prisons
00:53:42à l'Education nationale ?
00:53:44Il m'a dit, mais allez donc, prenez-le
00:53:46C'est ce qu'on a fait
00:53:48Grâce à l'engagement des deux cabinets
00:53:50qui comptent nombre d'anciens déportés
00:53:52à commencer par chacun des ministres
00:53:54les livres peuvent rapidement
00:53:56circuler dans les cellules
00:53:58des locaux sont mis à disposition
00:54:00des enseignants entrent dans les lieux de détention
00:54:02des cours par correspondance sont accessibles
00:54:04Un demi-siècle plus tard
00:54:06le dispositif mis en place
00:54:08par Germaine Tillion continue d'offrir
00:54:10aux détenus la possibilité d'une promotion
00:54:16Après la guerre
00:54:18Germaine Tillion continue
00:54:20de porter le souci de l'Algérie
00:54:22dans la discrétion
00:54:24sinon pour fonder dès 1963
00:54:26avec Edmond Michelet
00:54:28l'association France Algérie
00:54:30dont elle restera vice-présidente
00:54:32plus de 20 ans
00:54:34Beaucoup plus tard, en 2000
00:54:36se retournant sur un passé qui pèse lourd
00:54:38dans la mémoire collective
00:54:40elle appelle les autorités françaises
00:54:42à condamner officiellement la torture
00:54:44La même année
00:54:46à l'entrée du XXIe siècle
00:54:48dans un de ses livres
00:54:50elle invite avec humour
00:54:52les maghrébins de France
00:54:54à honorer l'avenir
00:54:56en réussissant leur vie
00:54:58dans leur pays d'accueil
00:55:14Ses engagements ne se limitent pas à l'Algérie
00:55:16Jusque dans son très grand âge
00:55:18elle manifeste sa fidélité
00:55:20à ses camarades de résistance
00:55:22et de déportation
00:55:24son soutien aux femmes
00:55:26et à de nouvelles causes
00:55:28les minorités opprimées
00:55:30les esclaves
00:55:32les exclus
00:55:34les migrants
00:55:36par exemple comme médiateur
00:55:38auprès des grévistes
00:55:40de la fin de l'église
00:55:42Dès l'effondrement du régime soviétique
00:55:44les défenseurs russes des droits de l'homme
00:55:46invitent Germaine à Moscou
00:55:48en mai 1992
00:55:50Ils se souviennent que dès 1950
00:55:52elle avait été parmi les premiers
00:55:54à dénoncer le goulag
00:55:56L'existence y en avait été révélée
00:55:58à Ravensbruck
00:56:00par une déportée allemande
00:56:02Grete Buber Neumann
00:56:04C'est important de lire le journal tous les jours pour vous ?
00:56:06Oui, très important
00:56:08Pour ?
00:56:10Pour tout
00:56:12Pour voir bouger le monde
00:56:14Pour savoir
00:56:16Oui c'est très important
00:56:22Nous sommes responsables
00:56:24Nous sommes responsables
00:56:26Nous sommes responsables
00:56:28Nous sommes responsables
00:56:30Nous sommes responsables
00:56:32Nous sommes responsables
00:56:34de ce qui se passe
00:56:40Alors que durant la guerre d'Algérie
00:56:42Germaine Tillion avait été
00:56:44une référence reconnue et médiatisée
00:56:46elle n'est plus guère sollicitée
00:56:48En est-elle affectée ?
00:56:50Je crois que je m'en suis toujours foutue
00:56:52et au fond
00:56:54très occupée toute ma vie
00:56:56par autre chose
00:56:58Elle passe désormais
00:57:00de longues périodes en Bretagne
00:57:02dans le parc jardin
00:57:04qu'elle a amoureusement aménagé
00:57:06autour d'une maison accueillante
00:57:08à ses élèves
00:57:10et à ses nombreux amis
00:57:14Elle y travaille
00:57:16sur plusieurs manuscrits
00:57:18poursuivant ses réflexions
00:57:20sur ses recherches
00:57:22de jeunes ethnologues
00:57:24et sur ses engagements passés
00:57:26Mais depuis l'apparution en 1966
00:57:28qu'avait suscité passion et polémique
00:57:30elle publie seulement deux nouvelles versions
00:57:32de son Ravensbrück
00:57:34Pas d'autres livres en 30 ans
00:57:36A partir de ses 90 ans
00:57:38avec l'appui de ses proches
00:57:40et de l'association Germaine Tillion
00:57:42elle se décide à sortir six ouvrages
00:57:44restés en attente
00:57:46Les médias leur font un large écho
00:57:48A cet âge, dit-elle malicieusement
00:57:50je ne fais nombre à personne
00:57:52Depuis lors,
00:57:54les hommages populaires et officiels
00:57:56ne cessent pas
00:57:58Des livres
00:58:04de nombreux articles
00:58:08des films
00:58:10lui sont consacrés
00:58:14L'opérette-revue
00:58:16écrite clandestinement à Ravensbrück
00:58:18rencontre un succès inattendu
00:58:20Plusieurs pièces de théâtre
00:58:22retracent sa vie et ses engagements
00:58:24Son parcours et ses recherches
00:58:26font l'objet de plusieurs expositions
00:58:28Huit ans après sa mort
00:58:30une cinquantaine de lieux
00:58:32d'établissements d'enseignement
00:58:34de centres socioculturels
00:58:36des promotions de grandes écoles
00:58:38ont choisi de prendre son nom
00:58:50La dédicace
00:58:52La dédicace, c'est pour Germain Tillon
00:58:54qui a su traverser le mal
00:58:56sans se prendre pour une incarnation du bien
00:58:58Et voilà !
00:59:00Comme c'est bien dit !
00:59:02Comme c'est intelligent !
00:59:04Comme c'est génial !
00:59:06Bravo, bravo, bravo !
00:59:08C'est comme ça qu'il faut être !
00:59:10Il faut défendre le bien !
00:59:12Il faut défendre le bien !
00:59:14Il faut défendre le bien !
00:59:16Il faut défendre le bien !
00:59:18Il faut défendre le bien !
00:59:20Il ne faut jamais se prendre
00:59:22pour l'incarnation du bien !
00:59:24Qu'est-ce qu'il y a eu d'important dans le siècle ?
00:59:26Hélas, c'est le nazisme
00:59:28Ensuite, c'est le bolchevisme
00:59:30Ensuite, ce sont les guerres coloniales
00:59:32Ensuite, c'est la guerre d'Algérie
00:59:34Bon, ensuite, c'est la guerre du Golfe
00:59:36Sur chacun de ces événements
00:59:38Chacun !
00:59:40Il y a une femme, curieuse, simple
00:59:42qu'elle est en-derrière, comme ça, qu'elle est intense
00:59:44Elle est flamboyante de l'intérieur
00:59:46Elle est flamboyante rétrospectivement
00:59:48Vous la rencontrez
00:59:50Non seulement elle n'est pas flamboyante
00:59:52mais elle n'a pas l'intention de l'être
00:59:54Elle vous décourage de l'être
00:59:56Elle a été un personnage central et pionnier
00:59:58dans deux affaires fondamentales
01:00:00de notre siècle
01:00:02c'est-à-dire
01:00:04résistance-déportation
01:00:06et colonisation-décolonisation
01:00:08Elle a été au centre
01:00:10et elle l'a été
01:00:12de façon exemplaire
01:00:16Dans mon cœur
01:00:18Il y a une toile
01:00:20Dans mon cœur
01:00:22Il y a une toile
01:00:24Dans mon cœur
01:00:26Il y a une toile
01:00:28Dans mon cœur
01:00:30Il y a une toile
01:00:32Dans mon cœur
01:00:34Il y a une toile
01:00:36Dans mon cœur
01:00:38Il y a une toile
01:00:40Dans mon cœur
01:00:42Il y a une toile
01:00:44Dans mon cœur
01:00:46Il y a une toile
01:00:48Dans mon cœur
01:00:50Il y a une toile
01:00:52Dans mon cognition
01:00:54Il y a une toile
01:00:56Dans mon sens
01:00:58Il y a une part
01:01:02J'ai décidé
01:01:04de faire entrer au Panthéon
01:01:06quatre grandes figures
01:01:08qui évoquent l'esprit de résistance
01:01:10Germaine Tillon, Geneviève de Gaulle-Antonioz, Pierre Brossolette et Jean Sey.
01:01:40Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
01:02:10Lorsque l'homme se cache devant les monstres infernaux,
01:02:21il se récolte à sa flèche.
01:02:27Lorsque l'homme se cache devant les monstres infernaux,
01:02:39il se récolte à sa flèche.
01:02:50Pleine d'allégresse,
01:02:55m'entendant mon corps amaigri,
01:03:01tous ces hommes,
01:03:05calmement détruits,
01:03:10toujours pleins de danse,
01:03:14satiés et grises.