À 7h50, Martin Sion, PDG d'ArianeGroup, est l'invité d'Amélie Perrier, à l'occasion du lancement réussi de la fusée Ariane-6 ce mardi soir. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-vendredi-12-juillet-2024-8805410
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00:00Martin Sion, bonjour !
00:02Bonjour Amélie Vervaeke !
00:03Ce 9 juillet, l'Europe était de retour, a-t-on entendu, au CNES et à l'ESA.
00:07L'Europe joue de nouveau dans la Cour des Grands ?
00:09Oui, je pense qu'on peut dire que ce qu'on a vécu mardi sur le site spatial guyanais
00:13avec le succès du premier lancement d'Ariane 6, c'était vraiment un moment historique.
00:17C'était historique parce que ce n'est pas souvent qu'on a un premier vol d'une nouvelle fusée.
00:21La dernière fois que ça nous est arrivé, c'était Ariane 5 en 1996, ça ne s'était pas bien passé.
00:26Et puis c'est historique aussi parce que depuis un an, l'Europe n'avait plus accès à l'espace,
00:31plus d'accès à l'indépendance, ça veut dire que les États, quand ils voulaient lancer un satellite,
00:34ils devaient trouver un accord avec une autre puissance spatiale.
00:37Avec SpaceX notamment, avec les Américains.
00:40Là l'intérêt c'est que les Européens reprennent le pouvoir.
00:42Exactement, et donc il y avait énormément d'enjeux et tous les regards européens étaient focalisés
00:48sur ce qui se passait à Kourou, il y avait un peu d'anxiété parce que les statistiques
00:52n'étaient pas tout à fait en notre faveur.
00:54Donc le lancement qu'on a vécu, et ceux qui n'ont pas pu aller le voir sur le site
00:59de l'agence spatiale européenne ou d'Ariane Group, c'était vraiment un vol très spectaculaire.
01:03Moi j'ai trouvé ça même très émouvant.
01:05On a vu la chronologie d'abord, la préparation du lancement qui s'est passée de façon
01:10millimétrée, on est parti à la seconde prévue, ce qui était déjà un succès quand on voit
01:14tout ce qu'il fallait faire pour préparer le lancement.
01:16Et puis ensuite toutes les phases de vol qui déroulent de façon nominale.
01:20Et après 1h06 de vol, les satellites qui sont largués sur la bonne orbite, à la bonne vitesse.
01:26Et là c'est un énorme soulagement.
01:28Vous le dites, ce n'est pas gagné d'avance.
01:30Il y a près de la moitié des premiers lancements de fusée qui sont des échecs.
01:34Donc là on avait une chance sur deux en fait.
01:36Oui alors en même temps, avec la logique que nous avons sur Ariane, c'est de faire
01:40le maximum d'essais au sol, le maximum de calculs, de justifications.
01:44Et puis à un moment, on a fait tout ce qu'on pouvait au sol, et là il faut décider d'y aller.
01:49Et c'est ce qu'on avait décidé.
01:51On avait annoncé il y a 8 mois que nous volerions entre le 15 juin et le 31 juillet.
01:55On a volé le 9 juillet.
01:57Et donc effectivement, moi j'ai commencé ma carrière dans le domaine spatial en 1990.
02:01J'avais vécu l'échec de 1996, l'échec du premier vol d'Ariane 5 Evolution en 2002.
02:07Donc c'est la première fois que je voyais une fusée Ariane dont le premier vol était un succès.
02:11Oui, il y avait une certaine anxiété.
02:13Alors je crois qu'il y a eu un tout petit dysfonctionnement quand même.
02:15L'ultime rallumage du moteur Vinci n'a pas fonctionné.
02:18Est-ce qu'il y avait des informations supplémentaires là-dessus ?
02:20En fait, ce qu'on peut dire, c'est qu'on avait bien séparé ce premier vol en deux phases.
02:24La première phase qui durait 1h06, elle était destinée à démontrer la capacité du lanceur Ariane 6
02:28avec un rallumage du moteur Vinci, qui est le moteur d'étage supérieur,
02:31qui est l'une des nouveautés de ce lanceur.
02:34Et tout ça, ça s'est très bien passé.
02:36Et puis derrière, il y avait une phase de démonstration technologique
02:38où on regardait comment se comportait l'étage supérieur dans l'espace en microgravité,
02:44parce que la microgravité, on ne peut pas la tester au sol.
02:46Et on regardait le fonctionnement des équipements dans certaines conditions.
02:49Et effectivement, un équipement n'a pas bien fonctionné.
02:51Et ça nous a conduit à mettre le lanceur en sécurité.
02:54On a vidé les réservoirs, on l'a mis en rotation.
02:56On n'a pas lâché les deux dernières capsules qui devaient être lâchées.
02:59Il y en avait une pour Ariane Group et une autre pour un autre client.
03:03Et donc, l'étage est resté en orbite à 580 km.
03:07Alors, on le dit, l'enjeu c'est, pour l'Europe, d'exister face aux Américains, face à SpaceX.
03:11Là, on peut dire qu'on joue à jeu égal ou pas encore ?
03:14En fait, ce qui est important, c'est qu'Ariane soit de retour.
03:17Aujourd'hui, on peut dire qu'Ariane est de retour.
03:19L'Europe a à nouveau un accès indépendant à l'espace.
03:22C'est ça notre objectif.
03:23Notre objectif, c'est que les Etats membres de l'Agence Spatiale Européenne,
03:26lorsqu'ils ont une charge utile à lancer, puissent le faire en toute indépendance.
03:30Aujourd'hui, on a un objectif d'avoir à peu près 4 lancements pour les Etats par an.
03:35Et nous, industriellement, on va chercher 5 clients commerciaux sur le marché international
03:39pour faire 9 lancements.
03:40Et aujourd'hui, on a 28 lancements qui sont en carnet de commande.
03:44Ça fait plus de 3 ans de carnet de commande.
03:46Ça montre l'appétit qui peut exister pour ce lanceur.
03:49Une très grande majorité sont des lancements commerciaux.
03:52Et donc, oui, Ariane est de retour.
03:54Même si nous ne faisons pas la même chose que SpaceX,
03:56SpaceX lance essentiellement des satellites de SpaceX
03:59pour la constellation de SpaceX qui s'appelle Starlink.
04:02Et SpaceX utilise des fusées réutilisables, Falcon 9, c'est ça ?
04:06Ils les lancent 2 fois par semaine.
04:08On ne joue pas tout à fait dans la même cour.
04:10C'est ce que je viens de dire.
04:12Vu le nombre de lancements que fait SpaceX,
04:14il y avait une équation économique qui rendait la réutilisation extrêmement favorable.
04:20Alors que lorsque le programme Ariane 6 a été lancé,
04:23avec un objectif de 4 lancements institutionnels, 5 lancements commerciaux,
04:27la réutilisation n'était pas économiquement intéressante sur Ariane 6.
04:31On a essayé d'optimiser le coût d'Ariane 6 avec des technologies non réutilisables.
04:35Mais chez Ariane Group, depuis 2 ans,
04:37on a lancé une filiale qui s'appelle Maya Space
04:40et qui développe un petit lanceur qui s'appelle Maya
04:43et qui, lui, sera le premier lanceur réutilisable européen
04:47pour que cette technologie soit disponible en Europe.
04:49Et ça, c'est pour quand ?
04:50Premier vol commercial de Maya, c'est en 2026.
04:54Et ça sera un vol commercial, ça sera pour qui ?
04:56Alors, ça reste encore à décider.
04:59C'est un programme qui est extrêmement ambitieux,
05:02qui est mené par notre filiale, Maya Space.
05:05Maya Space, je l'ai dit, c'est une filiale qui est totalement autonome
05:07et donc qui développe dans un mode beaucoup plus agile.
05:09C'est-à-dire qu'autant sur Ariane, on fait le maximum d'essais,
05:11le maximum de calculs avant de voler.
05:13C'est pour ça qu'il y avait autant de pression sur nos épaules pour que ça réussisse.
05:16Autant la logique que va avoir Maya Space avec Maya,
05:19c'est d'essayer de voler le plus tôt possible
05:21pour détecter les problèmes et les corriger les uns après les autres.
05:24Alors, vous le dites, le carnet de commande d'Ariane 6,
05:26il est déjà bien rempli, une trentaine de vols, c'est ça ?
05:29Est-ce que ça suffit ? Est-ce qu'il en faut plus ?
05:31Ce que j'espère, c'est qu'avec le succès que nous avons eu cette semaine,
05:34les clients vont venir frapper à la porte d'Ariane Space.
05:37Aujourd'hui, on avait déjà beaucoup de contacts pour des clients supplémentaires
05:41et puis il y a la constellation Iris Carrée
05:44qui est en cours de discussion avec la Commission européenne.
05:47Je pense qu'on va prendre des commandes dans les mois et les années à venir.
05:51Aujourd'hui, on a trois ans de carnet de commande.
05:53On a déjà beaucoup de travail à faire pour monter notre cadence industrielle
05:56avec les 13 pays européens qui participent au programme Ariane.
06:00Il y a 13 000 personnes qui travaillent sur Ariane d'une manière ou d'une autre.
06:03Donc, on a déjà un formidable enjeu de monter en cadence industrielle
06:07et je pense qu'Ariane Space vendra des Ariane 6 dans les mois et les années à venir.
06:11Il y a eu une petite déception quand même avec Eumetsat.
06:14On peut en parler, c'est l'opérateur des satellites météo-européens.
06:16Ça devait décoller sur Ariane 6 et finalement, ça partira sur SpaceX.
06:21Oui. Eumetsat, vous l'avez dit, c'est une organisation intergouvernementale
06:26qui opère des satellites météo.
06:28Ça montre l'un des usages de l'espace. Il y a beaucoup d'usages de l'espace.
06:31Et pour des raisons qui sont encore...
06:36Pourquoi ils ont choisi SpaceX et pas Ariane 6 ?
06:38Honnêtement, ça reste obscur les raisons qui ont conduit Eumetsat à prendre cette décision.
06:43D'ailleurs, je note que le président du CNES,
06:45le directeur général de l'agence spatiale européenne,
06:47ont fait part de, je crois, leur étonnement pour utiliser cet euphémisme.
06:52Et c'est quoi ? C'est une raison financière ? C'est une raison technologique ?
06:54Honnêtement, je ne pense pas.
06:56Et encore une fois, je laisserai Eumetsat expliquer les raisons pour lesquelles ils sont arrivés à cela.
06:59En revanche, ce que je voudrais préciser, c'est qu'il y a un problème de bon sens là.
07:03Quand on voit les efforts financiers qui ont été consentis par l'ensemble des pays européens,
07:08les efforts financiers consentis aussi par l'ensemble des industriels européens,
07:11parce que ça a été un programme difficile Ariane 6.
07:13Oui, c'est 10 ans de travail avec des dissensions, notamment entre la France et l'Allemagne.
07:16Voilà, il y a eu des difficultés. On a eu des difficultés techniques.
07:19Donc tout le monde a beaucoup contribué, Ariane Group, ses actionnaires,
07:23tout le monde a beaucoup contribué pour faire de ce programme un succès.
07:26Et ça serait quand même du bon sens de dire que maintenant qu'une fusée est disponible,
07:30les satellites institutionnels, financés par des données publiques,
07:36devraient être lancés par une fusée européenne.
07:39J'appelle à ce qu'il y ait un peu plus de bon sens au niveau européen dans ce sens.
07:42Alors, qu'en est-il de la facture environnementale de tout ça ?
07:45C'est une question qu'on se pose aujourd'hui pour tous ces travaux spatiaux,
07:49pour tous ces avancées spatiales.
07:52Ça entre en compte dans votre travail ?
07:55Tout à fait. Je veux dire, l'industrie des lanceurs, comme toute l'industrie mondiale,
08:00elle s'est engagée dans une démarche très forte de décarbonation.
08:04Et donc, qu'est-ce que nous faisons chez Ariane Group ?
08:07Nous avons des projets dans lesquels, je parlais tout à l'heure de notre fusée Maya,
08:10elle fonctionnera au biométhane par exemple.
08:12Sur nos activités industrielles, nous avons un plan extrêmement ambitieux
08:15pour réduire l'empreinte carbone de ce que nous faisons.
08:18On fera 25% de notre électricité sous forme de panneaux photovoltaïques
08:22sur nos propres sites en 2025.
08:24Et par exemple, à Kourou, je crois savoir que la consommation d'électricité de Kourou,
08:29c'est 18% de la consommation d'électricité de toute la Guyane. C'est énorme !
08:32Oui, et en même temps, le CNES a annoncé qu'en 2030,
08:36l'impact environnemental de la base de Kourou sera divisé par 10
08:39par rapport à la situation actuelle. Donc, on prend ça très sérieusement.
08:42Et en même temps, et ça c'est important à regarder, c'est qu'avec 9 ou 10 vols par an,
08:46on a un impact environnemental qui est très faible.
08:49En revanche, le bénéfice sociétal de l'espace, il est gigantesque.
08:52Si vous voyez, on a parlé de la météo, on peut parler de la navigation,
08:55on peut parler de la sécurité, on peut parler de l'ensemble des services
09:00qui sont apportés par l'espace.
09:02Je pense que l'espace a un bénéfice entre le bénéfice sociétal
09:05et l'empreinte environnementale qui est extrêmement favorable.
09:08Merci beaucoup, Martin Sion, d'avoir répondu à nos questions ce matin.
09:11Je rappelle que vous êtes le PDG d'Ariane Group. Bonne journée à vous.
09:14Merci à vous.