• il y a 5 mois
Agriculture et compétitivité

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00:00Christophe Dequid, bonjour. On s'est vu il y a quelques jours pour qu'on parle de la
00:11moisson chez les principaux producteurs de blé. Je reviens vous voir pour qu'on se
00:17focalise un peu sur l'Europe et la France. En France, beaucoup d'experts, de spécialistes
00:25et même d'agriculteurs se plaignent que la ferme France n'a pas de vision à long
00:31terme, de cap stratégique comme on pourrait le dire. Vous qui avez visité plusieurs pays
00:37d'Europe, est-ce que c'est le cas chez nos voisins ? Ou au contraire, est-ce qu'il
00:42y a des visions beaucoup plus claires qu'en France ?
00:46Arnaud, c'est extrêmement clair dans ma tête. Je reviens notamment de trois pays
00:51d'Europe majeurs au niveau de l'agriculture que sont l'Italie, le Danemark et l'Irlande.
00:58Contrairement à la France où on a l'impression qu'on est en train de tuer la poule aux oeufs
01:02d'or, puisqu'on avait la plus belle agriculture d'Europe, dans ces trois pays, il y a un
01:07leitmotiv majeur, c'est qu'on respecte les règles européennes, on ne va pas plus
01:12loin que les règles européennes, on produit le plus rentable possible et surtout on produit
01:17pour l'export.
01:18Mais vous citez notamment le Danemark. On sait très bien, les producteurs français
01:25le savent, qu'il y a un niveau d'endettement très élevé et qu'il y a aussi des difficultés
01:31dans le secteur agricole danois. C'est quelque chose que vous avez perçu en allant là-bas ?
01:37C'est très clair. C'est que le Danemark était une bulle inflationniste notamment
01:42liée aux fonciers et que cette bulle est en train d'éclater. Je ne vais citer qu'un
01:46seul chiffre qui va parfaitement faire comprendre à nos auditeurs. Il y avait, il y a 10 ans,
01:5145 000 agriculteurs danois à temps plein. Aujourd'hui, il n'y en a plus qu'11 000.
01:56Ils ont fait leur évolution, on a des fermes beaucoup plus grandes et on a des fermes beaucoup
02:01plus performantes qui sont toutes liées vers l'exportation.
02:04En Italie et notamment en Italie du Nord où se concentre l'agriculture, c'est la même
02:11situation ?
02:12Ce n'est pas tout à fait la même chose. Bien que les terres soient au moins aussi chères
02:16puisqu'elles sont plus chères qu'au Danemark, je rappelle qu'en Italie du Nord et notamment
02:19dans la Plaine du Pau, vous trouvez jusqu'à des terres à 80 000 euros l'hectare, donc
02:24des terres qui ne vous permettent pas de rentabilité économique. Par contre, il y a un petit phénomène
02:29majeur chez eux, c'est que globalement, si on étudie tout, les agriculteurs qui sont
02:34agriculteurs, je ne parle pas des sociétés, ne payent pas d'impôts. Ça permet de jouer
02:37sur les revenus et le prix de ces terres. Mais ils sont extrêmement intégrés, c'est-à-dire
02:44qu'on a une chaîne d'intégration extrêmement forte. On a des producteurs de lait qui produisent
02:49via le maïs pour faire du fromage. On a des producteurs de porc qui produisent pour faire
02:55du jambon et du salami. Tout ça fonctionne merveilleusement bien et permet des revenus.
03:00Troisième pays que vous avez visité, l'Irlande. L'Irlande est vantée pour son dynamisme
03:07laitier, notamment. C'est un dynamisme qui est perceptible quand on va là-bas ?
03:14Là aussi, ça a beaucoup évolué et les fermes ont grossi. L'Irlande est un cas mondialement
03:22reconnu et surtout un cas d'école. L'Irlande a décidé il y a une dizaine d'années de
03:27créer une agence d'État qui s'appelle Board B. Cette agence d'État a décrété un référentiel
03:33qui l'a fait avec l'ensemble de la filière. Il y a 588 entre d'autres pays qui vont de
03:38McDonald's jusqu'à Bailey's en passant par Nestlé et les grands de l'agro-fourniture
03:44et de l'agro-alimentaire qui ont décidé de créer un cahier des charges dans lequel
03:48tout producteur doit rentrer. Vous savez comme moi que l'Irlande c'est plus de 1000 mm d'eau
03:54par an. C'est la culture de la prairie qui est la principale. 80% des terres agricoles
04:01sont faites en herbe. Deux productions majeures, le lait et la viande. Tous les producteurs
04:07à partir du 1er janvier 2018 devront suivre ce cahier des charges pour pouvoir vendre
04:11à l'extérieur. Board B. a en France, dans l'ensemble de l'Europe et dans l'ensemble
04:18du monde des représentants qui vendent de l'Irlande en permanence.
04:23Donc on voit bien à travers ces trois exemples, il y a des caps stratégiques clairs et parfois
04:32des conditions climatiques qui font que c'est plus facile de produire qu'en France ou dans
04:37certaines régions françaises en tout cas. En France justement, quand on revient de ces
04:42pays là, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'on est un petit peu schizophrène en défendant
04:48un modèle de multi-agriculture, des différents modèles agricoles et une volonté malgré
04:55tout de rester un leader et produire pour nourrir le monde ?
05:02Alors sur la France c'est complexe parce que d'abord on a une histoire et que notre histoire
05:08elle est avant tout agricole et rurale. Donc je crois qu'aujourd'hui il n'y a pas de modèle
05:12défini. On a perdu ce modèle, notamment le modèle Pisanie et qu'on ne l'a pas renouvelé.
05:17Il est extrêmement temps pour nous de repenser ce modèle, de partir sur un modèle économique.
05:22Alors lequel il sera ? Est-ce qu'on restera sur de la multipolarité avec des petites
05:27exploitations un peu partout, face à des gens comme les Russes ou face à des gens comme les
05:32Américains ? On aura un certain nombre de difficultés. Mais est-ce qu'il faut aller
05:35aussi vers les exploitations type australienne jusqu'à 11 millions d'hectares ou du Kazakhstan
05:44avec 1,2 million d'hectares ? Je ne le pense pas non plus. Donc on a auprès de nos politiques et
05:50des gens qui représentent l'agriculture un modèle à créer. Il est grand temps de le faire au risque
05:55de se voir doublé partout et de perdre cette notion de ferme France qui faisait une référence partout
06:00dans le monde. Par contre, on a un point qui nous est jalousé et qui nous est regardé partout,
06:05c'est notre organisation filière. On a les plus belles filières du monde, on a la meilleure
06:09organisation. Des gens viennent de partout dans le monde pour venir la voir. Il faut garder ça,
06:13certainement en changeant un certain nombre de choses liées à la production. Mais est-ce que
06:17ce n'est pas paradoxal d'avoir les meilleures filières du monde et pourtant des agriculteurs
06:23qui aujourd'hui ont du mal à s'en sortir et peinent parfois à être compétitifs sur les marchés mondiaux ?
06:31Je pense que ce qu'il faut surtout lutter au niveau de la France, c'est contre les a priori. On passe
06:37notre vie à avoir des a priori. Il y a plein d'exemples dans les deux, trois, cinq derniers
06:41mois qui nous montrent à quel point le public a des a priori. L'agriculture, le produit agricole,
06:46le produit agricole est mauvais parce qu'il est produit de façon intensive, parce qu'il faut
06:52faire du bio, parce que notre politique ne parle que de bio ou de véganisme. Mais regardons de très
06:56près ce que ça représente au niveau économique. Et surtout, ayons la curiosité et allons éduquer
07:03le peuple ou les gens pour pouvoir leur montrer à quel point nous produisons sain, loyal et marchand.
07:09Je pense que personne n'est mort d'avoir mangé une baguette de pain. Par contre, je ne suis pas
07:14persuadé que personne ne soit mort d'avoir mangé du bio. Et ça, quand vous le dites dans un milieu
07:19qui n'est pas agricole, c'est impossible. Les gens ne vous croient pas. Donc on a une grosse
07:24oeuvre de pédagogie à faire et il est temps de le faire. En dehors de la pédagogie, bien évidemment,
07:29il faut réinventer ce modèle agricole et on peut compter sur les nouvelles personnes
07:33qui nous dirigent pour pouvoir le faire. Christophe Zakyte, merci beaucoup pour cet éclairage.

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