Le Pouvoir Ne Se Partage Pas

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"Le Pouvoir Ne Se Partage Pas" est un livre écrit par Édouard Balladur, ancien Premier ministre français, publié en 2009 aux éditions Fayard. Cet ouvrage est un récit témoignage et un essai sur l'exercice du pouvoir pendant la période de cohabitation entre 1993 et 1995, lorsque Balladur était Premier ministre face au président François Mitterrand. Le livre porte le sous-titre "Conversations avec François Mitterrand" et relate les nombreux échanges entre les deux hommes politiques durant cette période. Balladur y décrit les défis et les limites de la cohabitation, mettant en lumière les stratégies de confiance et de méfiance qui se sont développées selon les enjeux politiques et diplomatiques. Les principaux thèmes abordés dans le livre incluent :

La gestion de l'État dans une situation de partage du pouvoir
Les ressorts de l'action gouvernementale
Les relations personnelles complexes entre deux hommes aux convictions et intérêts opposés
Les tensions et collaborations sur divers dossiers, notamment en politique étrangère

Le livre a inspiré un documentaire-fiction du même nom, réalisé par Jérôme Korkikian et diffusé sur France 5 en 2013. Ce téléfilm met en scène les événements marquants de cette cohabitation, avec Didier Bezace dans le rôle d'Édouard Balladur et Laurent Claret dans celui de François Mitterrand.
Transcript
00:00:00...
00:00:16Bonsoir, dans 2 minutes et 30 secondes,
00:00:19à 20h précisément, le chef de l'Etat s'adressera aux Français.
00:00:23L'événement sur les élections législatives,
00:00:25c'est la plus lourde défaite de la gauche
00:00:27d'un débat législatif enregistré depuis les débuts de la République.
00:00:32L'ancienne majorité présidentielle est laminée, 70 députés.
00:00:36Le PS a été frappé d'opprobre lors de ces élections.
00:00:39Ca a été très violent,
00:00:41et le premier des socialistes, François Mitterrand,
00:00:44était très atteint, son autorité était très diminuée,
00:00:48son crédit, son lustre.
00:00:49C'était vraiment un moment de naufrage politique
00:00:52pour le PS, les dirigeants socialistes,
00:00:55et donc pour Mitterrand.
00:00:56Nous écouterons ensemble François Mitterrand,
00:00:59qui tirera les enseignements de la victoire du RPR et de l'UDF
00:01:03aux élections législatives, une très large victoire.
00:01:06Oui, c'est l'opposition qui a gagné, c'est la droite qui a gagné.
00:01:10C'est donc une nouvelle cohabitation, la deuxième.
00:01:13Le parti de Jacques Chirac compte 247 députés.
00:01:17La nouvelle majorité compte désormais 484 sièges.
00:01:20Chacun se préparait à ce que le gouvernement
00:01:23et le Premier ministre appartiennent à la droite et au centre.
00:01:27Comme en 86, le président de la République
00:01:29tiendra compte du vote des Français
00:01:31en désignant un Premier ministre issu de l'UPF.
00:01:36La cohabitation, c'est l'institutionnalisation
00:01:39au sommet de l'Etat de la lutte pour le pouvoir.
00:01:44Dans 20 secondes, le président devrait intervenir.
00:01:47On se dit qui va à Matignon ?
00:01:49C'est la seule question.
00:01:50François Mitterrand est là, qui sera à Matignon ?
00:01:52Et donc, on était, nous, médias,
00:01:55dans l'attente de ce qui allait se passer
00:01:58entre ces deux nouveaux protagonistes.
00:02:01Un président qui va s'exprimer dans 20 secondes à la télévision,
00:02:06peut-être donnera-t-il d'ores et déjà le nom du Premier ministre
00:02:10qu'il va choisir dans la nouvelle majorité
00:02:13pour rejoindre l'Elysée avec cette intervention du chef de l'Etat.
00:02:19Mes chers compatriotes,
00:02:22en élisant une majorité nouvelle,
00:02:26très importante, à l'Assemblée nationale,
00:02:30vous avez marqué votre volonté d'une autre politique.
00:02:35Je confie, dès ce soir,
00:02:38la charge de Premier ministre à M. Édouard Balladur,
00:02:43député de Paris, ancien ministre d'Etat.
00:02:46J'ai été informé que M. Mitterrand
00:02:48devait annoncer sa décision le soir à la télévision.
00:02:52C'est ce qu'il a fait.
00:02:55Et qu'il attendrait que j'aille le voir après.
00:02:5820h20.
00:02:59Édouard Balladur ne verra pas la suite du programme télévisé.
00:03:03Il quitte son bureau du boulevard Saint-Germain,
00:03:05direction l'Elysée.
00:03:07Quand on a un rendez-vous, on y va.
00:03:10Le cortège, entouré d'une cohorte de caméras,
00:03:12arrive à l'Elysée une demi-heure à peine
00:03:14après la fin de la déclaration de François Mitterrand.
00:03:1720h30. La voiture du député RPR de Paris
00:03:20se range devant le perron de l'Elysée.
00:03:23Il en descend et rejoint Hubert Védrine,
00:03:25le secrétaire général de l'Elysée.
00:03:27L'entretien peut commencer.
00:03:29La longue attente des journalistes aussi.
00:03:32À l'époque, l'état d'esprit,
00:03:34c'est quand même que, dans cette situation un peu biscornue
00:03:37que les Français ont créée par leur vote,
00:03:40il faut que ça marche et que l'autorité de la France,
00:03:44sa voix, sa capacité à défendre ses intérêts fondamentaux,
00:03:47ne soit pas entamée.
00:03:52Mes chers compatriotes,
00:03:56vous avez exprimé votre rejet du socialisme.
00:04:00Votre choix s'impose à tous.
00:04:04Il s'impose au président de la République.
00:04:10Il devra nommer un Premier ministre
00:04:13qui aura toute la confiance de la nouvelle majorité.
00:04:27Bonsoir, M. le Président.
00:04:28Bonsoir, M. le Premier ministre.
00:04:33M. le Président, j'ai appris votre souhait
00:04:36de me nommer Premier ministre,
00:04:38mais avant d'accepter, je souhaiterais savoir
00:04:41comment les choses seront organisées entre nous.
00:04:43Je voulais savoir dans quelles conditions
00:04:45je serais conduit à exercer...
00:04:47Il me serait possible d'exercer ma mission
00:04:50avant d'accepter, ce qui était bien une façon
00:04:52de dire qu'il ne lui suffisait pas de me nommer,
00:04:55qu'encore fallait-il qu'il m'exerce.
00:04:57Je voudrais savoir dans quelles conditions
00:05:00il ne suffisait pas de me nommer,
00:05:01qu'encore fallait-il que j'accepte.
00:05:04Voyez-vous, si je deviens Premier ministre,
00:05:07si j'accepte de devenir Premier ministre,
00:05:10j'entends exercer mes prérogatives sans entrave.
00:05:13Vous savez, sans la politique...
00:05:18Savez-vous ce que nous aurions pu être ?
00:05:25Qu'aurions-nous pu être sans la politique ?
00:05:27Sans la politique, nous aurions pu être...
00:05:31Amis.
00:05:34Bien. Vous voulez exercer pleinement
00:05:37vos prérogatives de Premier ministre.
00:05:39Comment vous le reprochez ? C'est bien normal.
00:05:41Moi-même, j'entends exercer pleinement
00:05:44mes prérogatives de chef de l'Etat.
00:05:47M. le Président, pourquoi vous ne démissionnez pas ?
00:05:50Parce que j'étais élu.
00:05:53Pour un certain temps.
00:05:55Tout le temps que ce temps m'est confié,
00:06:00j'en use. C'est normal, non ?
00:06:04Il suffirait que quelqu'un hausse un peu le ton,
00:06:08prend ses sourcils, menace,
00:06:10pour que le chef de l'Etat s'effondre ?
00:06:13Pas sérieux.
00:06:15Absolument, c'est évident.
00:06:16Cependant, il y a un point délicat.
00:06:18Lequel ?
00:06:20La politique étrangère.
00:06:21Je veux assister aux réunions internationales,
00:06:24je veux être présent pour bien marquer
00:06:26que l'action extérieure appartient au Président
00:06:29et au gouvernement associé.
00:06:30À ce sujet, d'ailleurs, je vous ai entendu
00:06:34utiliser l'expression de domaine partagé.
00:06:36Chouette.
00:06:37Sur cette question, nous verrons comment nous organiser.
00:06:42Mais je ne m'impose jamais là où ma présence n'est pas souhaitée.
00:06:45En somme, vous êtes différent de M. Chirac.
00:06:49Sur ce point-là, oui.
00:06:51Je ne veux pas jouer l'épicaciette dans les dîners internationaux
00:06:53et je ne veux pas non plus créer de situation
00:06:56qui mettrait notre pays dans une position ridicule.
00:06:58Nous nous entendrons donc.
00:07:00Je le souhaite.
00:07:02C'était un homme qui avait beaucoup d'habileté,
00:07:06qui avait le goût de surprendre et qui avait le goût de s'imposer.
00:07:12Et j'entendais ne pas être surpris et ne pas m'en voir imposer.
00:07:17Ne vous méprenez pas sur mon compte.
00:07:20Vous m'avez nommé Premier ministre sans que je l'aie sollicité
00:07:23ni directement ni indirectement.
00:07:26Et si la politique étrangère doit être entre nous un domaine partagé,
00:07:29tous les autres domaines relèveront exclusivement
00:07:31de l'action de mon gouvernement.
00:07:33La cohabitation, c'est un partage des pouvoirs
00:07:37entre le président de la République, qui demeure le symbole de la France,
00:07:41qui conserve un poids considérable sur tout ce qui touche
00:07:44à la politique étrangère et à la défense.
00:07:47Le Premier ministre de cohabitation, c'est lui qui gouverne,
00:07:50ce qui est très différent des premiers ministres
00:07:52dans les périodes ordinaires, c'est lui qui gouverne
00:07:54avec les moyens de gouverner.
00:07:56Et il faut se rappeler que la majorité parlementaire est considérable.
00:08:02Et donc, d'une certaine manière, au Parlement et au Sénat et à l'Assemblée,
00:08:06Edouard Balladur a les mains libres.
00:08:08Bref, à partir de maintenant, je ne serai guère qu'un notaire.
00:08:13Bien avantage, monsieur le Président, vous le savez.
00:08:16Je vous tiendrai informé de mes intentions.
00:08:19Je tiendrai compte de vos avis.
00:08:21Je n'entends pas vous surprendre.
00:08:24Et je ne suis pas à la recherche de conflits.
00:08:26Et vous avez bien raison.
00:08:28D'ailleurs, vous n'en sortiriez pas nécessairement vainqueur,
00:08:32monsieur le Premier ministre.
00:08:39Après 70 minutes d'entretien,
00:08:41la porte s'ouvre sur François Mitterrand et Edouard Balladur.
00:08:45C'est la première image de la cohabitation.
00:08:50Edouard Balladur devrait sortir d'un instant à l'autre.
00:08:54Nathalie Saint-Chris.
00:08:55Cela fait donc maintenant 1h10 qu'il est avec le chef de l'Etat.
00:08:59J'attends comme vous.
00:09:00Vous n'avez pas eu d'indiscrétion de la part des collaborateurs
00:09:03du chef de l'Etat sur le conclut de l'entretien
00:09:06entre les deux hommes.
00:09:08Voilà. S'il vous plaît, Nathalie,
00:09:10vous pouvez vous retirer du champ. Merci.
00:09:17On est en 1993.
00:09:19Quelle est l'image de Balladur ?
00:09:21L'image de Balladur n'est pas très bonne.
00:09:23On avait tous ce souvenir de Balladur,
00:09:25ministre des Finances, des caricatures,
00:09:27la chaise à porteur, le grand bourgeois, voilà.
00:09:31Bien sûr, dans la vie publique, il y a toujours une part de moquerie
00:09:35et le surnom de Ballamou était amusant.
00:09:39Bon, très bien.
00:09:40Mais tout le monde avait compris que c'était un homme de caractère.
00:09:44C'est quelqu'un qui est très intelligent,
00:09:46qui est très expérimenté,
00:09:48qui avait une petite expérience du secteur privé,
00:09:50ce qui est rarissime dans le monde politique,
00:09:52notamment parmi les premiers ministres,
00:09:54et qui a un grand sens du pouvoir et de l'autorité,
00:09:57notamment de son pouvoir et de son autorité.
00:10:00C'est quelqu'un de très réfléchi.
00:10:02Édouard Balladur, nouveau premier ministre,
00:10:05issu de la nouvelle majorité. Écoutons-le.
00:10:07Le président de la République
00:10:10a bien voulu m'inviter à venir le voir.
00:10:13Il m'a fait part de sa décision
00:10:16de me nommer premier ministre.
00:10:19Je l'ai accepté.
00:10:21Ce qui est original avec ce qui va donc devenir la deuxième cohabitation,
00:10:26c'est que le premier ministre n'est pas le chef du parti vainqueur.
00:10:30Le chef du parti vainqueur, c'est Chirac.
00:10:32Monsieur Chirac, vous nous entendez ?
00:10:35C'est-à-dire que Jacques Chirac avait dit de manière très nette,
00:10:38parce qu'il en avait été traumatisé,
00:10:40qu'il ne reviendrait pas en cohabitation face à François Mitterrand.
00:10:44Oui, mais bien sûr, Jacques Chirac avait expérimenté,
00:10:47à l'occasion de la première cohabitation,
00:10:49le fait que c'était extrêmement difficile, en période de crise,
00:10:52d'être premier ministre et durablement populaire,
00:10:55surtout à partir du moment où on devient candidat à l'élection présidentielle.
00:10:58Jacques Chirac a la chance d'avoir à côté de lui Édouard Balladur,
00:11:02dont il pense que c'est un homme faible.
00:11:04Il se moque des mots de tête permanents d'Édouard Balladur.
00:11:08Ce type-là, parce que Pascal lui dit,
00:11:10si vous laissez aller Balladur à Matignon,
00:11:12il sera candidat à la présidentielle.
00:11:14Balladur, candidat à la présidentielle.
00:11:16Mais vous me faites rire, Charles.
00:11:17Donc, c'est Édouard qui ira à Matignon.
00:11:20Pour moi, il me servira moins.
00:11:23Quant à moi, à la place qui est la mienne,
00:11:28je lui apporterai tout mon appui.
00:11:30J'avais eu une conversation avec Jacques Chirac
00:11:34la veille des élections législatives.
00:11:37Il m'avait dit, si jamais M. Mitterrand m'appelle
00:11:41pour être Premier ministre,
00:11:43je lui dirai que je ne veux pas et je lui dirai de vous nommer.
00:11:46Mais je lui ai dit, gardez-vous en bien.
00:11:48S'il vous appelle, acceptez.
00:11:49Moi, je ne suis pas en concurrence.
00:11:52Il m'avait dit, si j'accepte,
00:11:54est-ce que vous me soutiendrez pour...
00:11:56Vous soutiendrez ma candidature à la présidence de la République.
00:12:00Je lui avais répondu, mais ça dépendra du soutien
00:12:02que vous apporterez à mon action de Premier ministre,
00:12:05si je suis Premier ministre.
00:12:07Le moins que je puisse dire,
00:12:08c'est que ce soutien n'a pas été constant.
00:12:12Elle est dans le temps.
00:12:14Je vais aider demain.
00:12:16Me consacrer à la formation du nouveau gouvernement.
00:12:20Je souhaite y parvenir le plus rapidement possible.
00:12:24En ce moment même,
00:12:26Édouard Balladur soumet au président de la République
00:12:29la composition de son futur gouvernement.
00:12:32Alors, M. Mitterrand a fait quelques remarques
00:12:34sur les uns et sur les autres.
00:12:37Euh...
00:12:38Il ne reculait pas toujours devant une certaine acidité dans le propos,
00:12:42mais enfin, bon, il avait de l'esprit aussi,
00:12:45ce qui était assez amusant.
00:12:47Il faisait des commentaires nom par nom ?
00:12:49Pas nom par nom.
00:12:50Il y avait certains noms qui l'inspiraient plus que d'autres.
00:12:53Par exemple ?
00:12:54Pas d'exemple.
00:12:55Mesdames et messieurs, son nommé ministre.
00:12:58Mme Simone Veil, ministre d'État,
00:13:00ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville.
00:13:04M. Charles Pasqua,
00:13:05ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire.
00:13:09M. François Léotard, ministre d'État, ministre de la Défense.
00:13:13M. Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères.
00:13:17M. François Fillon,
00:13:18ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
00:13:21M. François Bayrou, ministre de l'Éducation nationale.
00:13:25M. Nicolas Sarkozy, ministre du Budget, porte-parole du gouvernement.
00:13:31Mesdames et messieurs, je vous remercie.
00:13:33Concrètement, la cohabitation, ça se passe comment ?
00:13:35Alors, concrètement, il y a le Conseil des ministres.
00:13:39Bonjour, M. le Premier ministre.
00:13:41Bonjour, M. le Président de la République.
00:13:43Le Président de la République, Premier ministre,
00:13:45qui est précédé par un entretien en tête-à-tête,
00:13:47Président, Premier ministre, dans le bureau du Président.
00:13:54La Mitterrand et Balladur se rencontrent une fois par semaine ?
00:13:58Au moins une fois par semaine.
00:13:59Directement, personnellement, au moins une fois par semaine.
00:14:02Ce sont des pièces de théâtre,
00:14:04parce qu'évidemment, un grand nombre de ces propos
00:14:07sont des propos de circonstance.
00:14:10On fait semblant de s'intéresser à l'autre,
00:14:12et on ne souhaite que ça perte.
00:14:15Et puis, on dit parfois, en public,
00:14:18le contraire de ce qu'on a dit en privé quelques minutes plus tôt.
00:14:23J'ai besoin de paix.
00:14:25Je ne suis pas celui qu'il faut craindre.
00:14:28Je ne suis pas du tout préoccupé par ce genre de considérations.
00:14:31J'ai un programme à réaliser, des réformes à mener.
00:14:34Voilà aujourd'hui où sont mobilisées toute mon attention et toute mon énergie.
00:14:37Je souhaite la réussite de votre politique.
00:14:41Je vous remercie, M. le Président.
00:14:43Êtes-vous bien assuré du soutien de votre majorité ?
00:14:47Au départ, oui. Ensuite, naturellement, ce sera plus difficile.
00:14:50Pourquoi ?
00:14:53Vous le savez bien, M. le Président, en raison de l'élection présidentielle.
00:14:56Ah oui, j'oubliais.
00:14:59Vous avez trouvé de l'aisance à Edouard Balladur ?
00:15:03De l'aisance, avez-vous dit ?
00:15:05Oui, oui.
00:15:07Il est très vite entré dans le pot du rôle qu'est le chien.
00:15:11Vous vous sentez capable d'être indépendant ?
00:15:13De résister au président de la République, à d'autres, à des pressions ?
00:15:18Résister, ça ne marche pas.
00:15:20Si je fais des observations justes, il aura tort de résister.
00:15:29La cohabitation commence.
00:15:31Ce matin, vous avez le premier conseil des ministres
00:15:34de la deuxième cohabitation.
00:15:37Votre premier mot ?
00:15:38J'ai dit quelques mots, quelque chose comme
00:15:42« Vous êtes » ou plutôt « Nous sommes ici ».
00:15:46Parce que le peuple l'a voulu.
00:15:49Au service de la République et de la France,
00:15:51je pense que le mieux est donc de commencer à travailler tout de suite.
00:15:55Pour le moment, c'est comme ça.
00:15:56On peut commencer à travailler tout de suite. Point final.
00:16:01Ouvrons maintenant le dossier économique et social
00:16:04qui constituera l'essentiel de notre journal
00:16:06avec cet emprunt de 40 milliards lancé par Édouard Balladur,
00:16:09écoutons le Premier ministre,
00:16:10qui s'exprimait cet après-midi à l'Assemblée nationale.
00:16:14J'ai donc décidé, en accord avec M. le ministre de l'Économie,
00:16:19qu'un emprunt serait émis dans l'attente
00:16:21des premières recettes de privatisation
00:16:24pour permettre à la fois aux Français de témoigner leur confiance
00:16:27dans l'action de redressement qui est engagée,
00:16:30à l'État de disposer plus vite de recettes
00:16:33pour financer les actions prioritaires urgentes.
00:16:37Je suis arrivé à Matignon.
00:16:39La situation de la France était préoccupante.
00:16:42Elle était en récession, la plus grave depuis la guerre.
00:16:45Ses finances publiques étaient en très mauvais état,
00:16:48déficit le plus important depuis la guerre, là aussi.
00:16:51À partir de là, mon projet est éclairé simple.
00:16:54C'était une réforme suffisamment rapide,
00:16:57il fallait qu'elle soit rapide,
00:17:00importante et profonde, pour tenter de remédier à ces maux.
00:17:03La meilleure preuve que le pays l'a bien compris,
00:17:05c'est que cet emprunt, j'avais mis un emprunt de 40 milliards de francs,
00:17:09là souscrit 110 milliards de francs.
00:17:12Et ça a été, je crois, le plus grand succès de notre histoire financière.
00:17:16Je voulais un acte politique.
00:17:19Et la souscription d'un emprunt lancé dans le public dans de pareilles conditions
00:17:23est un acte qui permet de rendre tangible
00:17:26la preuve de la confiance que les citoyens ont dans leur pays.
00:17:30Et c'était très important.
00:17:32L'économie, c'est une affaire de psychologie,
00:17:34beaucoup plus que de calcul scientifique.
00:17:38Voilà ce que j'ai tenté de faire.
00:17:42Ce que dit le rapport Reynaud est très accablant
00:17:45sur l'état des finances de notre pays, M. le Président.
00:17:48Le déficit actuel est de 450 milliards de francs.
00:17:51En 1988, lorsque j'ai quitté le ministère des Finances,
00:17:54il était d'un peu moins de 100 milliards.
00:17:55Nous ne pouvons pas continuer dans cette voie.
00:17:57Nous devons absolument éviter de creuser le déficit.
00:18:00Cette idée du rapport me déplait.
00:18:02Quand vous arrivez au gouvernement, vous faites un audit
00:18:05pour bien accabler vos prédécesseurs
00:18:07et pour vous dire tout ce qui a été fait,
00:18:09cet affreux horreur, malheur.
00:18:11Regardez, d'ailleurs, les chiffres sont accablants.
00:18:13Et donc, on fait un audit et sur la base de cet audit,
00:18:16on dit on va reconstruire, etc.
00:18:17Édouard Balladur le fait quand la gauche perd en 1993
00:18:21et qu'il s'installe à Matignon.
00:18:23Mais la nécessité de ce rapport est de montrer la situation
00:18:25telle qu'elle est afin de justifier les mesures à prendre.
00:18:28Vous n'êtes pas sans savoir que la France a traversé
00:18:31une crise économique et financière sans précédent
00:18:33depuis la Seconde Guerre mondiale.
00:18:34M. le Président, mon intention n'est pas d'accabler
00:18:37ceux qui m'ont précédé.
00:18:38De toute façon, le peuple a déjà oublié
00:18:41qui était là avant vous.
00:18:42Désormais, c'est vous le responsable.
00:18:44Le responsable de tout.
00:18:46Mais je le sais, M. le Président.
00:18:47Je suis là pour cela.
00:18:48Sinon, que me resterait-il à faire ?
00:18:50Eh bien, soit.
00:18:52En ce moment, vous pouvez tout vous permettre, n'est-ce pas ?
00:18:55Vous avez une très grande popularité.
00:18:58De toute façon, le rapport Reynaud ne me fait pas peur.
00:19:10Mon intention n'est pas de faire peur, M. le Président.
00:19:14Quelqu'un qui a consacré sa vie
00:19:16autour de la politique et du pouvoir,
00:19:19qui a reçu un mandat de tous les Français en 88
00:19:22pour être président jusqu'en 95.
00:19:24Mandat dont il estime qu'il n'est pas affirmé
00:19:27par le vote législatif.
00:19:29Les Français qui ont élu n'ont pas un autre président.
00:19:31Il n'y a pas deux présidents en même temps.
00:19:33Les Français ont élu un Parlement qui est différent.
00:19:35Donc, évidemment, il veut peser jusqu'à la dernière minute.
00:19:39Quelqu'un qui ne veut pas peser sur le cours des choses
00:19:41n'est pas en politique.
00:19:45Pardonnez-moi.
00:19:46Je suis un sanglier.
00:19:49Quand on me menace, j'attaque.
00:19:53Puis je souffrais.
00:19:54Maintenant, ça va mieux.
00:19:57J'ai pris mes médicaments.
00:20:02Je suis obligé de les prendre toutes les deux heures.
00:20:04Sinon, j'ai mal.
00:20:07Ce sera ainsi jusqu'à la fin.
00:20:10Jusqu'à la fin.
00:20:15La question centrale de la cohabitation 93-95,
00:20:18c'est la santé du président.
00:20:20Et le rôle historique d'Edouard Balladur
00:20:24a été, en effet, de protéger la présidence.
00:20:27Je pense qu'en protégeant François Mitterrand,
00:20:29au fond, en faisant comme si François Mitterrand
00:20:33était toujours à même d'exercer son rôle de président,
00:20:36c'est-à-dire de protéger la présidence,
00:20:38c'est-à-dire de protéger la présidence.
00:20:40Même si François Mitterrand était toujours à même
00:20:44d'exercer son mandat,
00:20:46Edouard Balladur protège les institutions.
00:20:49François Mitterrand découvre son cancer très tôt, en 1981,
00:20:54et il n'en sera fait état dans des conditions particulières
00:20:57que pratiquement dix ans plus tard.
00:21:00On comprend que l'état de santé du président de la République
00:21:03est gravement affecté.
00:21:04On ne sait pas à quel point, on ne le saura qu'après,
00:21:07mais quand se présente la cohabitation,
00:21:09François Mitterrand est un homme affaibli,
00:21:12un homme livré à la douleur,
00:21:13avec tout ce que ça suppose, même rétrospectivement,
00:21:17on ne sait pas du tout de quelle manière
00:21:19il a gouverné le pays, sans doute avec beaucoup d'absence.
00:21:23On nous le cache encore, d'ailleurs, je pense.
00:21:26François Mitterrand était diminué, considérablement diminué.
00:21:31Il lui restait tout de même, de manière très vive,
00:21:34l'instinct politique.
00:21:35Ne pas se laisser faire, ne rien lâcher.
00:21:38Dès qu'il y avait une faiblesse chez l'adversaire,
00:21:41l'utiliser, effectivement, par rapport à François Mitterrand.
00:21:45Pourtant affaibli, Edouard Balladur n'a pas eu la partie facile.
00:21:53J'ai annoncé une décision.
00:21:56C'est ma décision,
00:21:58celle d'interrompre les essais nucléaires.
00:22:02M. le Président, je suis au regret de constater
00:22:04que nous avons plusieurs points de divergence.
00:22:07Je vous écoute, M. le Premier ministre.
00:22:09Bien. En premier lieu,
00:22:12notre position sur la reprise des essais nucléaires.
00:22:15Les Etats-Unis demandent un nouveau moratoire.
00:22:17Vous soutenez cette position, mais ce n'est pas celle du gouvernement.
00:22:19Tous les experts considèrent...
00:22:21Je ne crois pas aux experts.
00:22:24Je ne crois pas aux experts, mais je crois dans la dissuasion.
00:22:28Je ne suis pas comme Giscard, qui déclare
00:22:30qu'il n'aurait jamais utilisé l'arme nucléaire.
00:22:32Quand on dit ça, on ne fait plus peur à personne.
00:22:35Dissuader, c'est faire peur.
00:22:38Précisément.
00:22:40Tout donne à penser que les essais nucléaires sont indispensables
00:22:43pour la mise au point définitive de nos armes.
00:22:45Ensuite, nous pourrons cesser les essais.
00:22:47Nous nous contenterons de simulations.
00:22:49Mais ne vous gênez pas.
00:22:51Vous n'avez qu'à dire le contraire de moi.
00:22:53M. le Président, quel visage aurait donc la France
00:22:56si je vous contredisais publiquement sur ce sujet ?
00:23:00Pendant 12 ans,
00:23:02avant que vous n'entriez dans ma vie,
00:23:04on a essayé de me faire croire
00:23:06que les essais nucléaires étaient indispensables.
00:23:09En fait, je n'en crois à rien.
00:23:11Je vous laisse agir, mais sur cette question
00:23:13qui relève de la défense,
00:23:15votre position est contraire à ma conviction.
00:23:18Je ne veux pas de reprise des essais nucléaires.
00:23:21Je m'opposerai à toute mesure prévoyant leur poursuite,
00:23:25et je suis entêté.
00:23:26Nous reparlerons de ce sujet essentiel pour la France,
00:23:29car, voyez-vous, M. le Président,
00:23:32tout comme vous, je suis très entêté.
00:23:36Edouard Balladur a exprimé un avis différent du vôtre ce matin.
00:23:40Est-ce que ce point de désaccord majeur peut nuire
00:23:42à la cohabitation de Plan 95 ?
00:23:44C'est un point de désaccord majeur.
00:23:46M. Mitterrand souhaitait arrêter les essais nucléaires
00:23:50avec le raisonnement qu'il était pas convaincu
00:23:53qu'il fallait, pour des raisons techniques, les poursuivre,
00:23:57et que, comme nous étions hostiles à la prolifération,
00:24:00il fallait qu'on donne l'exemple en cessant, nous-mêmes, nos essais.
00:24:05Nous donnons l'exemple. La France a donné l'exemple.
00:24:07Qu'on en finisse avec ces essais nucléaires,
00:24:09et aussi, ça veut dire, en finir avec le surarmement nucléaire.
00:24:13Les militaires et les techniciens disaient
00:24:17qu'il faut que nous passions à la simulation,
00:24:19qui est une technique très sophistiquée
00:24:21et qui n'a pas les inconvénients d'une explosion nucléaire.
00:24:25Mais ils nous disaient qu'il nous faut encore 2 ou 3 expériences.
00:24:29Certains experts militaires, pas tous,
00:24:33considèrent que pour qu'on en arrive, nous aussi,
00:24:36à posséder, à contrôler ces techniques de simulation,
00:24:39il faudrait qu'on fasse encore une dizaine d'essais nucléaires.
00:24:42Toujours une de plus.
00:24:43Est-ce que c'est votre point de vue ou non ?
00:24:47Il y a toujours des experts pour dire quelque chose.
00:24:51Ce que je dis, c'est qu'à partir du moment
00:24:53où on décide, à 4 pays, d'arrêter les expériences nucléaires,
00:24:57à la demande de la France,
00:24:58quelle figure aurait la France
00:25:00si tout d'un coup, il y avait une explosion allemande
00:25:02qui serait une explosion française,
00:25:04avec le danger que représentent, dans l'esprit des gens,
00:25:09la diffusion de nuages nucléaires, c'est-à-dire atomiques ?
00:25:15Non, il faut absolument éviter cela.
00:25:17Voilà quel était l'objet du débat.
00:25:19J'en ai parlé à plusieurs reprises à M. Mitterrand,
00:25:22je ne l'ai pas convaincu et il ne m'a pas convaincu.
00:25:26Il y a un désaccord et le désaccord est tranché
00:25:28parce qu'on ne peut pas faire d'essais sans le président.
00:25:30Il faut l'accord du président, c'est un cas typique où ce n'est pas possible.
00:25:34Arrêter les expériences nucléaires, c'est une décision.
00:25:38C'est la mienne puisque cela relève de ma fonction.
00:25:41Il est en matière militaire, sécurité nationale,
00:25:45c'est lui le décideur ultime.
00:25:48Qu'est-ce qui se passe dans ce cas-là ?
00:25:49On est venu me dire, écoutez, vous n'avez qu'à les décider.
00:25:57Le camp de droite vous a dit, décidez vous-même.
00:26:00Oui, décidez vous-même.
00:26:02Le camp de droite, c'est Jacques Chirac qui est venu me dire ça.
00:26:07Vous avez le pouvoir de décider.
00:26:09J'ai convoqué le chef d'état-major général des armées
00:26:13et je lui ai dit, il a été un peu surpris d'ailleurs,
00:26:16je lui ai dit, voyons, si je vous demandais
00:26:20de procéder à un essai nucléaire, est-ce que vous m'obéiriez ?
00:26:24Et il m'a répondu, non, monsieur le Premier ministre,
00:26:27c'est le président de la République qui décide.
00:26:29Je lui ai dit, c'est également mon avis.
00:26:32Donc, je prends acte du fait que vous ne suivriez pas mes instructions
00:26:36si je vous donnais de pareilles instructions.
00:26:40Et j'ai donc dit à mes interlocuteurs de la majorité
00:26:44qui étaient venus me donner des leçons d'autorité,
00:26:47de courage, d'affirmation,
00:26:50que ce n'était pas la peine de s'agiter
00:26:53et que moi, Premier ministre, je ne voulais pas introduire
00:26:55le désordre dans l'État sur un sujet d'une pareille importance
00:26:58et d'une pareille gravité.
00:26:59La cohabitation n'empêche pas que sur certains pouvoirs précis,
00:27:02c'est un exemple, le président a le dernier mot.
00:27:06Les choses ne sont pas arrêtées le lendemain.
00:27:08Il n'y a pas eu démission du président,
00:27:11dissolution de l'Assemblée, etc.
00:27:13Non, ça a continué.
00:27:14Il y a un désaccord précis qui a été tranché dans ce sens
00:27:16et ça a continué.
00:27:18C'est juste Édouard Balladur qui a dû serrer les dents et faire avec.
00:27:20Il n'y a rien.
00:27:21En tant que Premier ministre, il avait une thèse,
00:27:23il a bien dû reconnaître que sur ce point,
00:27:24c'est le président qui avait le dernier mot.
00:27:27Il faut jouer le jeu. Voilà.
00:27:29Enfin, ceux qui ne m'aimaient pas beaucoup,
00:27:31ils étaient quand même quelques-uns,
00:27:33en ont conclu que décidément,
00:27:34j'étais un homme qui n'avait pas le caractère nécessaire.
00:27:37La politique française, à présent.
00:27:39Édouard Balladur entame son quatrième mois à l'hôtel Matignon.
00:27:43Et le Premier ministre a présenté un bilan
00:27:45des 100 premiers jours de son gouvernement.
00:27:48Pour Édouard Balladur, Matignon, c'est une affaire de temps.
00:27:52Et le Premier ministre de la Deuxième Cohabitation le répète,
00:27:55il a deux ans pour agir.
00:27:57Pourtant, depuis 100 jours,
00:27:59Édouard Balladur a plutôt choisi le style
00:28:02marche forcée, des projets de loi par dizaines,
00:28:05un plan de redressement économique, plus un emprunt d'Etat,
00:28:08plus des privatisations annoncées,
00:28:11et pour les résultats, la nécessité de convaincre
00:28:14ou de faire patienter les sceptiques.
00:28:17En tout cas, la cote de popularité du Premier ministre
00:28:20de la Deuxième Cohabitation reste étonnamment élevée
00:28:22après ses 100 premiers jours de gouvernement.
00:28:25Tous les instituts de sondage ne font-ils pas d'Édouard Balladur
00:28:28le meilleur présidentiable de droite devant Jacques Chirac ?
00:28:31Vous savez quelle est la dernière rumeur de la matinée ?
00:28:35On est venu me dire, des députés, un député RPR,
00:28:38certainement bien renseigné,
00:28:41que Balladur aurait dit, hier ou avant-hier,
00:28:46qu'il avait l'intention d'être candidat au présidentiel.
00:28:52Ça, c'est vraiment un type de rumeur inepte.
00:28:56Car s'il ne peut pas être candidat au présidentiel,
00:29:00car s'il le pensait, il ne le dirait pas.
00:29:03J'ai entendu, hier, à la radio, Simone Veil et François Léotard
00:29:07souhaiter votre candidature à l'élection présidentielle.
00:29:10Je n'étais pas au courant, ils ne m'ont pas prévenu.
00:29:12Bien sûr. D'ailleurs, j'ai dit à mes proches,
00:29:15le Premier ministre est trop fin
00:29:17pour afficher maintenant ses ambitions de la sorte.
00:29:19En effet, oui, cela ne pourrait que me gêner.
00:29:22Bien, car je vous annonce
00:29:24que je n'ai pas l'intention de me laisser bousculer.
00:29:27Je ne vois pas par quelle magie baladure,
00:29:30par quel tour de passe-passe,
00:29:32vous pourriez nous éliminer, Chirac et moi.
00:29:34Je ne me laisserai pas faire.
00:29:35Mais enfin, M. le Président, pourquoi me dites-vous cela ?
00:29:37Quels propos ai-je tenus ? Quelle attitude ai-je eue
00:29:40qui puisse fonder votre remarque ?
00:29:43Tout, tout, tout.
00:29:44Il ne faut jamais choisir un Premier ministre
00:29:47qui sera candidat à l'Élysée.
00:29:49Car il ne gouverne plus, il ne pense plus qu'à devenir président.
00:29:51On a huit jours de tranquillité
00:29:53et le neuvième jour, les difficultés commencent.
00:29:55Voilà. Je tenais à vous dire ce que je vous ai dit,
00:29:58mais bien sûr, cela n'est pas un avertissement.
00:30:01Ah bon ? Et qu'est-ce donc alors ?
00:30:03Je ne vois vraiment pas ce qui, dans mon attitude,
00:30:06peut fonder vos soupçons.
00:30:07Et permettez-moi de vous faire remarquer, M. le Président,
00:30:09que vous n'aviez pas à me dire ce que vous m'avez dit.
00:30:12Soyons clairs.
00:30:13Il y a de grandes chances pour que vous me succédiez.
00:30:16Je n'ai rien contre Chirac,
00:30:18mais il n'a pas le niveau nécessaire.
00:30:20Quant à Giscard, il n'existe plus, il a gâché sa carrière.
00:30:23Vous, c'est autre chose.
00:30:25Certes, vous ne méritez pas que des compliments,
00:30:27mais vous gouvernez en pensant au pays et à son avenir.
00:30:32M. le Premier ministre,
00:30:34je suis convaincu que vous feriez un très bon président de la République.
00:30:41Tout ceci n'est pas mon problème aujourd'hui.
00:30:50Deux décrets publiés aujourd'hui au journal officiel
00:30:52instituent le CIP.
00:30:54Désormais, les entreprises pourront payer leurs jeunes employés
00:30:58à un salaire égal à 80 % du SMIC.
00:31:01Le contrat d'insertion professionnelle,
00:31:03ça ressemble furieusement à la création d'un SMIC jeune
00:31:07qui ne dit pas son nom.
00:31:08Aujourd'hui, ce que veut le gouvernement,
00:31:10c'est sous-rénumérer les jeunes.
00:31:11Et ça, c'est inacceptable,
00:31:12parce que ce n'est pas la solution de l'avenir.
00:31:14Ils ont déserté les lycées, les IUT et les facs.
00:31:179 000 manifestants, selon la police,
00:31:19près de 15 000 selon les organisateurs.
00:31:21Mobilisation très forte des jeunes.
00:31:23L'agressivité contre le gouvernement
00:31:25est due à l'inquiétude et au désarroi.
00:31:27En 1993, comme aujourd'hui d'ailleurs,
00:31:29l'accès des jeunes sur le marché du travail est très difficile,
00:31:32très compliqué.
00:31:33Donc la logique a souvent conduit des économistes, des sociologues
00:31:37et, in fine, des responsables politiques
00:31:39à dire qu'il faudrait modifier les conditions de travail
00:31:41d'entrée des jeunes sur le marché du travail
00:31:44pour leur permettre précisément de mettre un pied
00:31:47et ensuite de retrouver le chemin normal, par exemple,
00:31:50d'un contrat à durée indéterminée.
00:31:52Donc ça suppose un sas d'entrée.
00:31:55La réflexion amène assez naturellement à ce type de conclusion.
00:31:59Dès que vous essayez de le faire pratiquement,
00:32:01vous déclenchez contre vous des forces que vous ne maîtrisez pas.
00:32:04Qu'est-ce que dit le contrat d'insertion professionnelle ?
00:32:07Il dit qu'un jeune qui a moins de 25 ans
00:32:10peut se voir offrir, pour une durée de six mois
00:32:13et prolongée de six mois, un an au total,
00:32:16un contrat dans lequel on le paie 80 % de la rémunération normale
00:32:20Pourquoi ?
00:32:21Parce que pour une partie de son temps,
00:32:23il est mis sous l'autorité d'un tuteur
00:32:26qui lui apprend comment fonctionne l'entreprise
00:32:29et qui lui transmet son expertise et son savoir.
00:32:32Voilà ce dont il s'agit.
00:32:33Merci, M. le Premier ministre.
00:32:36Je vous mets en garde.
00:32:37Vous allez avoir de grandes difficultés sur le plan social
00:32:40avec cette affaire de CIP.
00:32:41Mais enfin, pourquoi cela ?
00:32:43Ce n'est pas contre vous.
00:32:44Nous sommes dans une situation où l'opinion refuse tout.
00:32:47Mais, M. le Président,
00:32:49comment refuser une mesure qui vise à combattre le chômage des jeunes
00:32:53et qui, en plus, favorise leur insertion professionnelle ?
00:32:56Vous allez les payer à 80 % du salaire normal
00:33:00parce qu'ils ne travailleront qu'à 80 %
00:33:02et que le reste de leur temps, ils recevront une formation.
00:33:04C'est louable, mais les jeunes ne vont pas comprendre.
00:33:07Ils vont retenir uniquement
00:33:09que vous les payez à 80 % du salaire normal.
00:33:13Et cela va les retourner contre vous.
00:33:17M. le Président,
00:33:18je ne retirerai pas ce texte.
00:33:21Je ne vous demande pas de retirer cette mesure.
00:33:23D'ailleurs, cela ne me regarde pas.
00:33:26Il faudrait inventer
00:33:28quelque chose de présentable pour l'opinion.
00:33:32Par exemple, il y a un chômage des jeunes.
00:33:36Je cherche de bonne foi toutes les solutions.
00:33:39Mieux vaut travailler, ne pas travailler.
00:33:42Aidez-moi.
00:33:43Il faut que vous apparaissiez comme le défenseur des jeunes.
00:33:48Mais, M. le Président,
00:33:51il me semble que le CIP va précisément dans ce sens.
00:33:56La manif des jeunes contre le contrat d'insertion professionnelle
00:34:00a commencé dans le calme, elle a terminé différemment.
00:34:03Baladur, c'est les meufs ! On n'en veut pas toute vitesse !
00:34:06Sur les pancartes, les patrons en rêvaient
00:34:08Baladur l'a fait.
00:34:09Un slogan fédérateur contre le contrat d'insertion professionnelle,
00:34:13le SMIC jeunes dans la ligne de mire des lycéens et des étudiants.
00:34:16On veut qu'ils le retirent en entier, c'est tout ce qu'on demande.
00:34:19Quand Baladur se retrouve entre 93 et 95
00:34:23face à la rue,
00:34:24vous imaginez que Mitterrand ne va pas bouder son plaisir
00:34:28et ne va pas jeter un peu de poivre, un peu de sel ici et là
00:34:31pour bien en retenir la flamme des protestataires.
00:34:35C'est évident.
00:34:37Votre Premier ministre a été secoué ces jours-ci.
00:34:39On lui a reproché de mettre en place une sorte de SMIC jeunes.
00:34:42Est-ce que c'est une décision maladroite et grave ?
00:34:46Annoncer que les jeunes,
00:34:48et particulièrement ceux qui ont fait des études,
00:34:51déjà, c'est important.
00:34:53Bac plus deux.
00:34:56On leur offre quoi ?
00:34:57C'est la meilleure dont la chose a été dite.
00:34:5980 % du SMIC.
00:35:03Vous ne pouvez que créer la panique.
00:35:06François Mitterrand est la seule guêpe au monde
00:35:08qui puisse piquer plusieurs fois sans disparaître pour autant.
00:35:11À chaque fois, il sait exactement le moment
00:35:14où il va falloir piquer et faire mal.
00:35:16En disant 80 % du SMIC, on s'attaque au principe du SMIC.
00:35:20On le met en cause.
00:35:21On avoue que l'un des objectifs du patronat,
00:35:25c'est de faire sauter ce levier.
00:35:29François Mitterrand reste, malgré la maladie,
00:35:32malgré l'affaiblissement,
00:35:33un animal politique extrêmement aiguisé.
00:35:37Il voit bien la difficulté d'Edouard Balladur.
00:35:40Il le laisse s'affaiblir.
00:35:42Au moment où il est assez faible,
00:35:45il délivre sa parole
00:35:47pour faire en sorte
00:35:49qu'Edouard Balladur soit contraint de retirer son projet.
00:35:52Plus bas face au CRS, le ton monte.
00:35:54Casseur contre force de l'ordre.
00:35:56Plusieurs étudiants essaient de s'interposer en vain.
00:35:59En plus, les jeunes et les réseaux
00:36:02qui interviennent sur le CIP,
00:36:06c'est les réseaux François Mitterrand,
00:36:08ces générations Mitterrand,
00:36:10ces proches,
00:36:11c'est les bébés Mitterrand
00:36:13qui sont aussi derrière ça
00:36:15et qui accompagnent les jeunes qui manifestent.
00:36:17C'est l'occasion au président
00:36:18de commenter la politique de son Premier ministre.
00:36:21Et là encore, il tense Edouard Balladur.
00:36:24La cohabitation n'était pas si douce que ça.
00:36:26Bien sûr que non.
00:36:28Et là, je dirais que ça fait partie du jeu.
00:36:30Dès que vous en avez un qui commence à avoir le mollet
00:36:33qui se porte un peu moins bien et commence à boitiller,
00:36:36l'autre en profite.
00:36:38A l'intérieur de nos frontières, le drame du chômage,
00:36:41le problème des banlieues, le problème des jeunes,
00:36:44votre jugement sur l'action d'Edouard Balladur ?
00:36:47M. Balladur fait une politique qui sort bien des plans.
00:36:50Je n'approuve pas certains aspects de sa politique sociale.
00:36:54Ça n'implique pas la mise à mal d'un certain nombre d'acquis sociaux.
00:36:59Mais ça, tous les Français le savent.
00:37:02J'espère que je ne vous ai pas blessé hier soir à la télévision.
00:37:05Non.
00:37:06Je n'ai aucune raison de le faire sur le plan personnel.
00:37:09Je sais que vous me combattez sur le plan politique.
00:37:12J'ai l'intention de continuer ainsi,
00:37:14mais sans vous enfoncer.
00:37:17Je le sais, M. le Président.
00:37:21Le Premier ministre a décidé de suspendre, à partir d'aujourd'hui,
00:37:25l'application du chômage.
00:37:27Je finis par retirer ce texte,
00:37:29mais ça a été considéré comme un recul.
00:37:34Le grand tort n'est pas de reculer,
00:37:37c'est d'avoir avancé sans avoir vraiment exploré le terrain.
00:37:41J'aurais dû dire, écoutez, très bien,
00:37:44vous voulez qu'il soit payé à 100 %,
00:37:46ils seront payés à 80 % par l'entreprise
00:37:48puisqu'ils travaillent à 80 % pour l'entreprise.
00:37:51Et les Français, ils sont payés à 80 % par l'entreprise.
00:37:54Ils travaillent à 80 % pour l'entreprise.
00:37:57Et les 20 %, c'est l'État qui les prendra à sa charge.
00:37:59Ça les coûtera moins cher que les indemnités de chômage.
00:38:02Comme ça, ils auront leur salaire à 100 %.
00:38:05Je n'ai pas eu ce réflexe et je l'ai regretté depuis,
00:38:07mais je n'ai pas pensé sur le moment.
00:38:0920 ans après le CIP, on a toujours un problème d'emploi des jeunes
00:38:13qu'on n'a pas su résoudre.
00:38:14L'entrée sur le marché du travail est aussi difficile qu'il y a 20 ans.
00:38:17On n'a rien fait pour ça.
00:38:19Donc, rétrospectivement,
00:38:22on peut se dire qu'Edouard Balladur avait plutôt raison
00:38:24et les jeunes avaient plutôt tort.
00:38:25Et c'est une autre affaire qui s'étale ce matin,
00:38:27la une de libération.
00:38:29Ce quotidien fait en effet état d'une liste de 114 demandes d'écoute
00:38:33qui auraient été initiées par la cellule antiterroriste de l'Élysée.
00:38:37Écoute téléphonique qui visait des personnes, a priori,
00:38:39tout à fait étrangères aux questions de terrorisme.
00:38:42Je porte plainte pour écoute illicite
00:38:46et violation de la vie privée.
00:38:48Jean Hédernalier intéressait-il
00:38:50parce qu'il s'apprêtait à publier un pamphlet
00:38:52sur François Mitterrand ?
00:38:54A-t-on voulu écouter Carole Bouquet
00:38:56parce qu'elle était proche de Jacques Attali ?
00:38:58Une chose est sûre,
00:39:00ces nouveaux documents sont frappés du tampon source secrète,
00:39:03celui qui figurait déjà sur les transcriptions
00:39:06des écoutes concernant Edouard Plenel, journaliste au Monde.
00:39:11D'abord, il y a eu cet article dans Libération
00:39:13sur les écoutes téléphoniques auxquelles auraient procédé
00:39:15les gendarmes de l'Élysée.
00:39:17Et voilà qu'aujourd'hui, les avocats d'Edouard Plenel
00:39:19demandent qu'on lève le secret défense.
00:39:21C'est absurde !
00:39:23Ce journaliste du Monde et ses hommes de loi
00:39:25mènent une campagne de déstabilisation.
00:39:28Il est inconcevable qu'on laisse des juges d'instruction
00:39:31perquisitionner à l'Élysée.
00:39:32Monsieur le Président, je n'ai jamais entendu dire
00:39:34qu'il était question de perquisitionner à l'Élysée.
00:39:37Quant à la levée du secret défense,
00:39:39en l'espèce, elle ne me concerne pas,
00:39:41puisque ces actes n'ont pas été commis sous mon autorité,
00:39:43mais sous celles de mes prédécesseurs,
00:39:45notamment entre 1983 et 1986.
00:39:49François Mitterrand se trouve piégé par sa vie privée.
00:39:54Il a construit une deuxième vie.
00:39:55Il l'a construite alors qu'il n'était pas au pouvoir.
00:39:58Il l'a construite, au fond, sans malice, je dirais,
00:40:00parce qu'après tout, le choix de construire sa vie privée
00:40:03appartient à un homme et ne regarde pas la citoyenneté.
00:40:06Quand il arrive au pouvoir, les services secrets
00:40:09lui disent quelque chose qui est irréfutable.
00:40:12Vous devez protéger officiellement votre famille officielle,
00:40:16mais votre famille officieuse, il faut aussi qu'elle soit protégée.
00:40:19Et donc, François Mitterrand est pris dans un piège.
00:40:21Cette seconde famille,
00:40:24il faut la protéger de manière illégale,
00:40:29puisque officieuse.
00:40:31Et les gendarmes de l'Élysée, échappant à tout contrôle,
00:40:35étant assurés de bénéficier de la part de François Mitterrand
00:40:38d'un mandat absolu,
00:40:40vont dérégler considérablement la machine.
00:40:43Ça n'a pas été voulu, ça s'est construit.
00:40:45Mais on se trouve au bout du compte
00:40:47avec un dérèglement formidable de l'appareil d'État
00:40:50que François Mitterrand réfute alors que c'est une évidence.
00:40:54Un des sujets qui concernait l'Élysée,
00:40:56c'est cette fameuse histoire des écoutes téléphoniques
00:40:59qui auraient été commandées par le groupe...
00:41:01L'Élysée n'écoute rien.
00:41:03Le groupe antiterroriste...
00:41:04Il n'y a pas de système d'écoute ici.
00:41:06C'est une révélation...
00:41:07Je suis très étonné que vous engagez le débat sur ces choses.
00:41:10Si j'avais cru qu'on allait tomber dans ces bas-fonds,
00:41:13je n'aurais pas accepté l'interview.
00:41:14Alors qu'il s'agit simplement de polémiques
00:41:17fabriquées, inventées, à laquelle je n'ai rien à voir.
00:41:20Tout au long de sa carrière, on peut repérer
00:41:23des moments où le mensonge est assez intense,
00:41:26la dissimulation est importante.
00:41:29Il y a une forme de perversion dans l'action politique
00:41:32qui fait beaucoup de mal à la citoyenneté.
00:41:35Il s'agissait d'écoutes qui auraient été commandées
00:41:37par la cellule antiterroriste de l'Élysée, bien sûr pas...
00:41:40Je les concentre encore un peu plus.
00:41:41Mais...
00:41:43Je n'ai pas l'intention, à vous,
00:41:45que rien n'autorise à cela, de répondre à vos questions.
00:41:48Si vous voulez bien, nous allons nous séparer.
00:41:53Je ne pensais pas qu'on allait tomber
00:41:55dans un tel degré de vilainie.
00:41:58Mais, M. le Président, il ne s'agissait pas de ça.
00:42:01C'est un...
00:42:02Musique de suspens
00:42:04...
00:42:11Il y avait chez lui...
00:42:14Comment vous dire ?
00:42:15Il y avait une sorte de complexe obsidional.
00:42:19Il était assez porté aux soupçons.
00:42:23Toujours sur ses gardes.
00:42:26Très vigilant pour...
00:42:28Tout ce qui pouvait avoir des allures d'agression
00:42:33ou de mise en cause de lui-même ou de ceux qui lui étaient chers.
00:42:38Il y a ça aussi.
00:42:40Tenez, regardez cet article.
00:42:43Vous saviez déjà cela ?
00:42:45On m'en a beaucoup parlé.
00:42:48Vous ne l'ouvrez pas ?
00:42:50Non, M. le Président, cela ne me regarde pas.
00:42:53Je crois ce que vous m'en dites.
00:42:54J'étais assis en face de lui et il m'a dit
00:42:57Tenez, regardez ce qu'on écrit.
00:42:58Il m'a tendu un journal
00:43:00dans lequel, effectivement, il était question de sa vie personnelle
00:43:06et de la fille qui était la sienne.
00:43:10Dans notre position, on doit s'attendre à être attaqué tout le temps.
00:43:14Mais a-t-on pensé à ma femme ?
00:43:17Bien entendu, elle n'ignore rien de cette situation.
00:43:20Mais toute cette publicité peut lui être désagréable.
00:43:22Je lui ai dit...
00:43:24Je crois lui avoir dit...
00:43:27Je ne lui ai pas dit qu'il puise,
00:43:29mais il lui a dit quelque chose qui voulait dire qu'il attendait de moi.
00:43:32A-t-on pensé aussi à ma fille,
00:43:34encore si jeune, passionnée de littérature,
00:43:37qui ne pense qu'à Baudelaire et à Rimbaud
00:43:39et qui se voit transformée ainsi en vedette ?
00:43:43Je ne souhaitais pas
00:43:47pénétrer dans un domaine qui n'était pas le mien,
00:43:50qui était celui de son intimité.
00:43:53Et donc, je considérais que je n'avais pas
00:43:57à me préoccuper ni à interférer dans ce domaine-là.
00:44:01Au fond, tout s'avait bien égal.
00:44:03Ce qui serait gênant, c'est qu'on découvre un bébé de 5 mois,
00:44:07rose et souriant.
00:44:10Une jeune fille de 20 ans.
00:44:14Bonsoir.
00:44:15M. le Premier ministre, bonsoir.
00:44:17Merci de vous prêter à cette heure de vérité exceptionnelle.
00:44:20Cela fait 10 mois que vous êtes à la tête du gouvernement.
00:44:24Je vais faire une sorte de bilan très bref et très rapide.
00:44:27La croissance, elle était négative,
00:44:29elle est redevenue positive aujourd'hui.
00:44:31Elle sera de combien, cette année ?
00:44:33Nous tablons sur 1,4, 1,5.
00:44:35C'était moins 0,8 l'année dernière.
00:44:38Ça fait quand même un écart de plus de 2 %.
00:44:41Le chômage, il continue à augmenter,
00:44:43mais il augmente deux fois moins vite.
00:44:45Le budget de l'Etat a un déficit moins important.
00:44:49Les comptes sociaux, c'était 110 milliards de déficit.
00:44:52La Sécurité sociale a été menacée de faillite.
00:44:54C'est 40 aujourd'hui, c'est encore énorme.
00:44:57Enfin, c'est quand même 40 au lieu de 110.
00:45:00Les retraites, qui étaient en état de quasi-faillite,
00:45:02nous les avons sauvées.
00:45:07En matière de politique étrangère, il n'y a pas eu de désaccords globaux.
00:45:13Pas de désaccords théoriques, pas de désaccords d'analyse.
00:45:16Le système marchait bien, le président a le dernier mot,
00:45:19mais le gouvernement joue tout son rôle.
00:45:21Le ministre Alain Juppé joue un rôle très important.
00:45:24Édouard Balladur est au courant de tout.
00:45:26Dans ces systèmes-là, tout le monde se parle toute la journée,
00:45:29tout le monde est au courant de tout, minute par minute.
00:45:31Il faut que les choses s'articulent dans l'intérêt de la France
00:45:35et que l'autorité de la France,
00:45:38sa voix, sa capacité à défendre ses intérêts fondamentaux
00:45:41ne soit pas entamée.
00:45:42Il me semble qu'il y a eu cet état d'esprit de part et d'autre.
00:45:46La mise à mort à coups de machette.
00:45:49Les bourreaux appellent ça travailler.
00:45:52Pourquoi, en étant arrivés à une telle haine,
00:45:55la communauté internationale regarde sans intervenir
00:45:58cette sauvagerie qui s'étend à tout le pays ?
00:46:00Dans cette folie meurtrière,
00:46:02les bourreaux ne s'arrêtent même plus aux portes des églises ou des écoles.
00:46:06De quoi s'agissait-il au Rwanda d'une guerre civile ?
00:46:11On nous demandait d'intervenir
00:46:13pour nous interposer entre les combattants,
00:46:16les Tutsis et les Hutus.
00:46:18Ça aurait été une véritable expédition coloniale.
00:46:21Nous, Français, qui étions suspectés
00:46:23d'avoir soutenu l'un ou l'une des deux partis,
00:46:27nous aurions été suspectés de vouloir défendre nos intérêts,
00:46:31à la fois politiques et économiques, dans cette région du monde.
00:46:35Je me suis rendu à l'ONU, au Conseil de sécurité,
00:46:40pour demander au Conseil de sécurité
00:46:43l'autorisation qu'il y ait une force française,
00:46:46mais c'est ce qu'on a appelé l'opération turquoise,
00:46:49une force, non pas d'interposition pour empêcher les combats,
00:46:53mais une force humanitaire.
00:46:54Et là-dessus, M. Mitterrand s'était rallié à mes vues.
00:46:57Nous sommes tombés d'accord pour considérer
00:47:00que la France ne pouvait pas rester passive devant le drame du Rwanda.
00:47:03Nous avons décidé d'envoyer des soldats dans la région,
00:47:06mais je suis frappé par notre isolement.
00:47:10J'ai lu la lettre que vous m'avez adressée sur cette question
00:47:13et je dois dire que je partage désormais totalement
00:47:17votre point de vue.
00:47:18Ah bon ?
00:47:19François Mitterrand monte au créneau.
00:47:21S'il le faut, a dit ce matin le président de la République,
00:47:24la France engagera toute seule une intervention militaire
00:47:27à but humanitaire au Rwanda.
00:47:29Nous voulons bien être des bons soldats de la paix
00:47:33pour les nations unies.
00:47:34Certes, les encouragements et les bonnes paroles ne manquent pas,
00:47:38mais de fait, nous sommes seuls.
00:47:40L'intervention militaire française pourrait débuter dès demain.
00:47:44Baptisée opération turquoise,
00:47:45elle devrait mobiliser environ 2 500 hommes,
00:47:48dont 1 500 sont déjà pré-procisionnés au Gabon ou encore à Djibouti.
00:47:52Le gouvernement a pris cette décision
00:47:55parce que tous les recours diplomatiques et humanitaires
00:47:57ayant été épuisés,
00:47:59les massacres ne se sont pas arrêtés
00:48:02et qu'il faut qu'à tout le moins certains Etats,
00:48:06dont la France, réagissent.
00:48:085h du matin, le feu vert est donné.
00:48:11L'opération turquoise est lancée.
00:48:14Un simple pont à la sortie de Bukavu,
00:48:16et c'est l'entrée dans le Rwanda.
00:48:18Le chef de secteur, le chef de quartier.
00:48:21Le colonel Thibault a dû expliquer à ses toupes-ci, d'abord méfiants,
00:48:24que ses troupes étaient là pour les protéger.
00:48:27Les militaires patrouillent régulièrement dans ce camp
00:48:30où l'on s'entasse dans des abris de fortune,
00:48:32où l'on souffre de dysenterie
00:48:34et où l'on se sent toujours menacé par les extrémistes Hutus.
00:48:39Nous ne devons pas donner l'impression
00:48:41de mener là-bas une expédition coloniale.
00:48:43C'est pourquoi la mission de nos soldats sur place
00:48:46doit rester humanitaire.
00:48:48Il faut assurer la protection des civils sans prendre parti.
00:48:55Nous sommes là pour une opération humanitaire,
00:48:57et pour cela seulement,
00:48:59nous sommes là pour un temps limité.
00:49:01Nous attendons des renforts d'autres nations
00:49:04et nous souhaitons que d'ici la fin du mois de juillet,
00:49:07les Nations unies prennent notre relais.
00:49:10C'est une visite éclaire mais déterminante
00:49:12pour la suite de l'opération turquoise
00:49:14qu'Edouard Balladur a entreprise aujourd'hui
00:49:15aux Nations unies à New York.
00:49:17Devant le Conseil de sécurité de l'ONU,
00:49:19Edouard Balladur a plaidé pour une coopération vaste et rapide
00:49:23de l'ensemble de la communauté internationale.
00:49:26Ce que je suis venu dire aujourd'hui
00:49:28à la communauté internationale, au Conseil de sécurité,
00:49:32c'est tout d'abord que nous souhaitions
00:49:35que l'effort de la France soit relayé.
00:49:39Et on a sauvé quand même quelques dizaines de milliers de vies comme ça.
00:49:43Évidemment, on n'a pas empêché le génocide,
00:49:45mais il faut rappeler qu'à l'époque,
00:49:47les Américains étaient tout à fait hostiles
00:49:50à une intervention ou à quelque intervention que ce soit.
00:49:59Quel temps de chien !
00:50:03Oui, c'est un mois d'août, très pluvieux.
00:50:08Comment allez-vous, M. le Président ?
00:50:09L'opération s'est bien passée,
00:50:11mais je déteste la perte de conscience
00:50:14que provoque l'anesthésie.
00:50:16Enfin, je vais mieux.
00:50:18Je mourrai d'autre chose.
00:50:21À part cela, comment voyez-vous la rentrée ?
00:50:24Les esprits commencent à s'agiter beaucoup
00:50:26en raison de la campagne présidentielle,
00:50:27mais j'essaierai de me tenir en dehors le plus longtemps possible.
00:50:30Alors ne cherchez pas à m'évincer et à prendre tous les pouvoirs.
00:50:35Mais est-ce que c'est ce que je fais, M. le Président ?
00:50:38Non, vous avez trop de finesse pour cela.
00:50:41Mais dans votre intervention récente sur RMC,
00:50:45pourquoi avez-vous parlé du Rwanda
00:50:47sans jamais vous référer à la conversation récente
00:50:51que nous avons eue sur ce sujet ?
00:50:54J'aurais dû vous citer, je l'avoue.
00:51:02C'est vrai que progressivement,
00:51:04Édouard Balladur prend un poids supplémentaire
00:51:07sur la scène internationale.
00:51:08Il le fait parce que c'est son intérêt de futur candidat
00:51:12de se donner une dimension internationale.
00:51:14Il le fait parce que François Mitterrand est affaibli
00:51:17par la maladie et affaibli politiquement.
00:51:20Et il le fait aussi parce que c'est son intérêt
00:51:23et parce que c'est irrésistible,
00:51:24quand on a été secrétaire général de l'Elysée,
00:51:27qu'on a envie de devenir président,
00:51:28qu'on est le Premier ministre de cohabitation,
00:51:31d'expérimenter de nouvelles formes de pouvoir et d'influence.
00:51:36Ça lui a nuit aussi bien en ce qui concerne l'Afrique
00:51:39qu'en ce qui concerne l'ex-Yougoslavie.
00:51:41Parce que c'est vrai qu'il y a joué un rôle plus important
00:51:44que ça n'est l'habitude de la part d'un Premier ministre.
00:51:46Mais c'est vrai aussi que Mitterrand ne le lui a pas pardonné.
00:51:49Écoutez, c'était un homme qui avait un sens très vif de lui-même,
00:51:56qui était très attaché à la vie,
00:51:59qui souffrait certainement de l'État,
00:52:01pas pour des raisons politiques, même pour des raisons de personne,
00:52:04de l'État, de sa santé, de son affaiblissement,
00:52:08et qui devait être, au fond, lui-même,
00:52:11exaspéré de se trouver dans cette situation.
00:52:14Je pense que vis-à-vis de moi, il avait des sentiments mêlés,
00:52:18à la fois, d'abord, il ne pouvait pas ne pas reconnaître
00:52:21que je faisais en sorte que les choses se passent à peu près bien,
00:52:24même si ce n'était pas toujours tout à fait conforme
00:52:26à ce qu'il aurait souhaité,
00:52:28et en même temps, d'agacement et d'exaspération
00:52:31de voir qu'il s'effaçait, qu'il n'était plus dans le jeu.
00:52:35C'était une chose qui lui était insupportable.
00:52:38C'est un homme qui avait un sens très vif de sa personne et de son rôle.
00:52:44De tout ça, j'étais conscient et je faisais en sorte
00:52:46que je ne pouvais pas éviter qu'il me fasse à l'occasion des reproches,
00:52:50mais que ces reproches ne fussent pas, à mes yeux, mérités.
00:52:53C'est ça qui comptait.
00:52:55Et votre entretien dans le Figaro ?
00:52:56Cet article intitulé
00:52:58« Ma politique étrangère » par Édouard Balédur.
00:53:01Ce n'était pas mon souhait, le journal a décidé du titre.
00:53:04Par ailleurs, M. le Président, je vous rappelle
00:53:05que dès notre premier entretien,
00:53:07vous avez parlé, à propos de politique étrangère,
00:53:09de domaines partagés entre nous.
00:53:11Sans doute, mais il faut me prévenir.
00:53:13C'est ce que je fais.
00:53:14Il faut m'informer.
00:53:15C'est ce que je fais aussi.
00:53:18Quant au fond, mis à part le fait que j'ai eu tort,
00:53:20je l'avoue, de ne pas parler de vous sur RMC à propos du Rwanda,
00:53:22je ne vois pas ce que vous pouvez me reprocher,
00:53:25qu'est-ce que j'ai fait qui ne vous convienne pas ?
00:53:27M. le Premier ministre,
00:53:29si vous ne voulez pas être soumis à des attaques,
00:53:32au lieu de faire de la politique,
00:53:33vous feriez mieux d'entrer au couvent.
00:53:35D'ailleurs, je crois que vous auriez des dispositions pour cela.
00:53:38Je crois vous avoir déjà dit, M. le Président,
00:53:40que je trouvais bien conformiste
00:53:41l'idée que vous faites de mon prétendu conformisme.
00:53:43Je me réfère à ce que je sais.
00:53:44Mais vous ne savez pas tout.
00:53:47Vers le mois d'août-septembre,
00:53:49il a trouvé que je ne respectais pas suffisamment ses prérogatives.
00:53:53Que vous en faisiez trop.
00:53:54C'est ça, oui, parce que j'avais donné une interview à un journal
00:53:57sur l'avenir de l'Europe,
00:53:59où Édouard Balladur, sollicité par Franz Olivier Gisbert,
00:54:03fait une interview dans le Figaro, où il parle d'un peu tout,
00:54:09comme Premier ministre de France en même temps,
00:54:11mais comme candidat, en quelque sorte.
00:54:13Déjà candidat, même s'il ne l'est pas officiellement à ce moment-là.
00:54:15Donc, il parle un peu de tous les sujets, y compris l'international.
00:54:19Et je crois, ne pas me tromper,
00:54:22en disant que c'est Franz Olivier Gisbert qui a fait le titre.
00:54:25Souvent, c'est les journaux qui font les titres.
00:54:27Et il met « ma politique étrangère ».
00:54:30Je me rappelle très bien l'épisode.
00:54:32François Mitterrand est ulcéré, non pas par le contenu, en réalité,
00:54:36mais par le titre qui est plein au-dessus de l'article
00:54:41et qui est « ma politique étrangère » par Édouard Balladur.
00:54:45Et c'est ce « ma politique étrangère »
00:54:47qui va achever de l'ébrouiller absolument.
00:54:51« Ma politique étrangère », comme si c'était Balladur qui parlait.
00:54:53Évidemment, dès que François Mitterrand est de retour,
00:54:56complètement, après cette opération,
00:54:58il veut répliquer à ça.
00:55:02Il réplique à ça. Et la réplique, c'est le petit jeu,
00:55:05le jour de la commémoration de la libération de Paris
00:55:09à l'Hôtel de Ville.
00:55:12Eh bien, on invente un prétexte
00:55:15qu'il ait besoin d'aller signer le livre d'or dans le bureau de Jacques Chirac,
00:55:18qui est là,
00:55:19pour se dire rien, comme ça.
00:55:22Petite conversation à bâton rompu.
00:55:24Et pendant ce temps-là, Balladur attend dans son haut-fauteuil, tout seul.
00:55:28Donc c'est juste une petite réplique à l'abus de la présentation.
00:55:33Et de ce point de vue, on peut dire que ce titre du Figaro
00:55:36a joué un rôle déterminant
00:55:38dans le choix qu'a fait François Mitterrand, au bout du compte,
00:55:42de se comporter, pendant la période de la campagne présidentielle,
00:55:46en adversaire irréductible d'Édouard Balladur,
00:55:49et d'avoir, au contraire,
00:55:51disons, une forme de sympathie discrète
00:55:54affichée aux bénéfices de Jacques Chirac.
00:55:58Madame, monsieur, bonjour. Ça n'est pas vraiment une surprise,
00:56:01mais c'en est une, tout de même.
00:56:02On se doutait que M. Jacques Chirac allait se présenter à l'élection présidentielle.
00:56:06On ne savait pas qu'il allait se présenter aussitôt.
00:56:09Je suis candidat, trois mots, de Jacques Chirac,
00:56:12à la Une de la Voix du Nord ce matin,
00:56:13et c'est toute la campagne pour les présidentielles qui est lancée.
00:56:16Jacques Chirac bouscule donc le calendrier fixé par Édouard Balladur,
00:56:19qui avait décidé l'ouverture des hostilités pour janvier 95.
00:56:26Mais aujourd'hui, il semble que l'opinion, en tout cas,
00:56:29oppose vous-même et Jacques Chirac.
00:56:31Est-ce qu'il y a entre Jacques Chirac et vous-même un pacte
00:56:34qui garantisse aux électeurs de la majorité
00:56:36qu'il n'y aura pas affrontement entre eux ?
00:56:38Je vous ai dit que je ne parlerai pas de ça en 1994.
00:56:42Bien.
00:56:44Jacques Delors a donc mis fin aujourd'hui à six mois de suspense.
00:56:47Sa position est sans équivoque, une décision irrévocable,
00:56:51prise pour des raisons personnelles, mais aussi politiques.
00:56:54J'ai décidé de ne pas être candidat à la présidence de la République.
00:56:57Votre décision que vous avez annoncée ce soir est irrévocable.
00:56:59Bien sûr. On ne va pas jouer avec les nerfs des Français
00:57:02et avec le Parti socialiste ou la gauche en général.
00:57:05Le renoncement de Delors ne m'a pas surpris.
00:57:09Il n'est pas fait pour cela.
00:57:10C'est un numéro 2, pas un numéro 1.
00:57:14En fait, il n'est pas très courageux.
00:57:17Pensez-vous que Rocard puisse être un nouveau candidat ?
00:57:20Non, pas du tout. Il n'est pas crédible.
00:57:23Alors qu'il n'ose pas ?
00:57:25N'ose pas. C'est un fin politique.
00:57:28Mais le danger pour vous, ce n'est pas le candidat de la gauche,
00:57:31c'est Chirac. Je le connais.
00:57:34En campagne, Chirac tape de tous les côtés.
00:57:37Qu'est-ce que vous allez prendre ?
00:57:39J'espère que vous vous y préparez.
00:57:43Je suis au courant de manœuvres hostiles,
00:57:47de livres en préparation.
00:57:50Je sais qu'en sous-main, on réactive des hommes de base besogne.
00:57:53Je connais les propos mensongers.
00:57:55Mais pour ma part, je n'aime pas la violence verbale.
00:57:59Et je déteste le côté ridiculement théâtral de la politique.
00:58:03Vous avez quel âge ?
00:58:0665 ans.
00:58:07L'âge que j'avais quand j'ai été élu.
00:58:10C'est bien tard.
00:58:11Enfin, ne nous plaignons pas.
00:58:14Vous, naturellement, non.
00:58:15Vous avez été élu et même réélu.
00:58:19Un Airbus A300 d'Air France à destination de Paris
00:58:22est retenu depuis la fin de la matinée sur l'aéroport d'Alger
00:58:26par 4 hommes fortement armés.
00:58:2842 passagers au total sur 271 ont été libérés
00:58:31par le preneur d'otages, dont on ignore encore pour l'instant
00:58:34les motivations précises et surtout les revendications.
00:58:37L'aéroport a été évacué.
00:58:39Des troupes d'élite ont pris position autour de l'aéroport.
00:58:42Les aéroports ont été éliminés.
00:58:44L'aéroport a été évacué.
00:58:46Des troupes d'élite ont pris position autour de l'appareil.
00:58:49D'après des témoins, plusieurs coups de feu auraient été entendus,
00:58:52mais cette information n'a pas été confirmée.
00:58:55Une prise d'otages d'un avion français
00:58:59avec beaucoup de Français à bord, c'était un défi considérable
00:59:02qui pouvait se terminer par un massacre.
00:59:04C'est vrai que ça n'a pas été géré par l'Elysée,
00:59:07mais que ça a été géré par Matignon et l'intérieur.
00:59:11Où est le président ? Que fait-il ?
00:59:13Il n'était pas là. C'était Noël.
00:59:17Je crois qu'il était parti en Italie. Je ne sais pas où.
00:59:21Il ne m'avait jamais dit où il allait.
00:59:23Je ne lui demandais pas. C'était sa vie.
00:59:25Je n'avais pas à m'en mêler.
00:59:27François Mitterrand était à Venise à ce moment-là.
00:59:30Je l'ai eu au téléphone deux ou trois fois par jour.
00:59:33Donc je l'informais constamment. Constamment.
00:59:36Et à chaque fois, il a écouté.
00:59:39Il n'a eu aucune critique à faire sur le déroulement de la gestion.
00:59:42Et j'ai effectivement géré pendant...
00:59:45toute cette affaire pendant 36 heures, à peu près.
00:59:48Une adolescente qui vient d'être libérée,
00:59:50encore en état de choc, raconte...
00:59:52C'est terrible. J'ai entendu des coups de feu.
00:59:54C'est la panique dans l'avion. Tout le monde est terrorisé.
00:59:56Les passagers exécutés ont été sortis sur la passerelle, puis tués.
01:00:01Vous avez le sentiment que la situation peut se débloquer rapidement ?
01:00:03C'est difficile à dire.
01:00:04C'est difficile à dire dans ce genre d'affaires,
01:00:06d'autant que nous sommes loin.
01:00:09Que nous, Français, nous ne sommes pas les maîtres de cette situation.
01:00:14Puisque ça se passe sur un sol étranger,
01:00:16sous l'autorité d'un gouvernement étranger.
01:00:18Et j'en suis venu à la conclusion qu'on ne pouvait régler cette situation
01:00:22qu'en faisant rentrer cet avion en France.
01:00:24Sachez que je vous tiens désormais
01:00:27pour personnellement responsable du sort des otages.
01:00:30Et finalement, j'ai dit au président algérien
01:00:32que je mettrai en cause sur le plan international
01:00:34sa responsabilité s'il arrivait malheur à nos concitoyens.
01:00:38Je vous mets en demeure, vous entendez ?
01:00:39Je vous mets en demeure de laisser décoller cet avion pour la France.
01:00:45Non, comprenez-moi bien, M. le Président, ça n'est pas un souhait.
01:00:48C'est une exigence.
01:00:51Voilà, c'est ça.
01:00:53Je vous remercie. Bonsoir, M. le Président.
01:00:57Deux heures du matin à Alger, lorsque l'Airbus A300 d'Air France,
01:01:01toujours aux mains du commando islamiste,
01:01:02a reçu le feu vert des autorités algériennes
01:01:05pour décoller à destination de l'aéroport français de Marseille, Marignane.
01:01:09J'ai fini par obtenir gain de cause et l'avion a atterri à Marignane.
01:01:14L'avion est immobilisé depuis presque dix heures.
01:01:17Tout le périmètre de l'aéroport est bouclé.
01:01:19J'ai donné l'ordre de l'assaut
01:01:23en disant que je ne me prononçais pas ni sur l'heure
01:01:26ni sur les moyens à utiliser,
01:01:29mais que je demandais qu'on libère nos otages
01:01:32et que, si besoin est, on donne l'assaut.
01:01:37Ne dites plus rien.
01:01:45L'exécution, ce n'était pas ce quoi,
01:01:48mais le choix final, c'était Édouard Balladur.
01:01:51Le risque politique, c'est Édouard Balladur qui le prenait.
01:01:54De ce point de vue, ça a certainement contribué
01:01:57à donner de lui l'image de quelqu'un qui était non seulement très intelligent,
01:02:01mais qui avait, en plus, de la fermeté.
01:02:18Oh, merde ! Il y en a qui est touché !
01:02:21Oh, putain !
01:02:25Pendant toute cette période, Mitterrand est malade,
01:02:28Mitterrand souffre.
01:02:30Pendant toute cette période, Mitterrand n'est qu'un témoin,
01:02:33ce qui lui déplaît énormément.
01:02:34L'assaut est réussi, et donc, voilà, c'est le chemin assuré
01:02:38pour Édouard Balladur, direction l'Elysée.
01:02:41L'élection présidentielle est gagnée.
01:02:47J'ai décidé de présenter ma candidature
01:02:50à la présidence de la République.
01:02:52J'avais en tête un projet
01:02:55d'action et de réforme pour la France
01:02:58que, manifestement, j'étais le seul à pouvoir défendre et à défendre.
01:03:02– Vous aviez le sentiment que vous étiez unique.
01:03:04– Que j'étais ? – Unique.
01:03:06– Unique ? Non.
01:03:08Je suis moins prétentieux que vous ne semblez le croire.
01:03:11Je n'ai pas eu le sentiment que j'étais unique,
01:03:12j'ai eu le sentiment que j'étais, parmi les candidats possibles,
01:03:17le seul qui croyait à ce type de projet
01:03:21et qui avait la volonté de le mettre en œuvre.
01:03:24– C'était un projet unique, donc ?
01:03:26– Disons, pour être simpliste un peu,
01:03:28que c'était un projet de modernisation de notre pays.
01:03:33Et que donc, tout ça m'a conduit finalement à être candidat
01:03:37et le fait que cette affaire de l'Airbus
01:03:39se soit déroulée dans des conditions conflables
01:03:42a convaincu chacun que c'était dans l'ordre des choses possibles.
01:03:48Voilà ce que je peux vous dire là-dessus.
01:03:52C'est la difficulté de la tâche entreprise,
01:03:55c'est l'ampleur de celle qui reste à accomplir,
01:03:59c'est la confiance de nos concitoyens maintenue depuis 20 mois,
01:04:03c'est la nécessité du rassemblement le plus large possible des Français
01:04:08qui me détermine à solliciter leur suffrage.
01:04:12– Au moment où la campagne démarre, mettons janvier 95,
01:04:16la gauche n'ayant pas de candidat,
01:04:18le parti socialiste n'a pas encore désigné de candidat
01:04:21au moment où Édouard Balladur se déclare,
01:04:25il apparaît sans concurrent.
01:04:27Et on n'imagine pas du tout que quelqu'un puisse empêcher
01:04:30Édouard Balladur d'accéder à l'Elysée.
01:04:32D'où d'ailleurs, dans ce climat d'euphorie,
01:04:35alors que la situation économique est difficile,
01:04:37que la crise est là, mais malgré tout dans ce climat d'euphorie,
01:04:40on voit bien qu'Édouard Balladur a ses sens un peu émoussés
01:04:44puisqu'il va se déclarer de Matignon.
01:04:47Les Français veulent un roi mais veulent que le roi soit simple.
01:04:50Donc se déclarer candidat dans un palais de la République
01:04:52c'est une bêtise énorme.
01:04:54Mais il va la faire.
01:04:55Il va la faire parce que lui-même ne voit pas bien
01:04:58qui peut lui résister et qui peut l'empêcher d'aller à l'Elysée.
01:05:03Il ne voit pas qui peut faire ça.
01:05:05Ben oui, il ne voit pas, mais il a tort.
01:05:07En cet instant,
01:05:09je mesure avec émotion la gravité de ma décision.
01:05:13Et c'est là que la machine se dérègle
01:05:16et qu'on s'aperçoit qu'on n'est pas président autoproclamé,
01:05:22qu'on n'a pas fait de campagne, qu'on n'est pas un homme politique,
01:05:25qu'on n'est pas un homme de terrain,
01:05:27la machine s'enraille très vite.
01:05:30Monsieur le Premier ministre, connaissez-vous les méthodes efficaces
01:05:34pour diriger les partis politiques ?
01:05:37Assez peu, je l'avoue.
01:05:39Eh bien, cela se voit.
01:05:41Un jour, il m'a dit, effectivement,
01:05:45est-ce que vous connaissez bien le maniement des partis ?
01:05:49C'était une façon de me dire
01:05:51qu'ils s'interrogeaient sur mes capacités politiques.
01:05:55Il y avait toujours un peu de sel dans le sucre
01:05:59des plats qu'ils préparaient.
01:06:01Alors je lui ai dit, non, pas très.
01:06:04Je ne vous cache pas que ça ne me passionne pas.
01:06:07Sans doute parce que tout cela ne m'intéresse guère.
01:06:10Les rivalités de personnes, les querelles de clans,
01:06:13les querelles de chapelles,
01:06:15les affrontements pour le pouvoir déguisés en débats d'idées.
01:06:18Tout ceci n'est pas mon affaire.
01:06:19C'est sans doute la raison pour laquelle je suis venu tard à la politique,
01:06:22mais je conviens qu'il faut en passer par là.
01:06:24Il m'a dit, il faudrait quand même apprendre.
01:06:28C'était, d'une certaine manière, un homme politique à l'ancienne.
01:06:32Il faut bâtir autour de vous une organisation
01:06:36pour peser sur les décisions.
01:06:38Il faut être craint pour être écouté.
01:06:41Je pense qu'Edouard Balladur craint d'être, à son tour, victime
01:06:46de l'art politique de François Mitterrand,
01:06:48qui est aussi un art de la séduction,
01:06:50qui est un art de la séduction en tête à tête,
01:06:54où, en effet, il peut saisir une personnalité
01:06:58et jouer, peut-être, de ses faiblesses.
01:07:02Et peut-être a-t-il deviné certaines des faiblesses d'Edouard Balladur.
01:07:06Donc Balladur, c'est ça qu'il craint.
01:07:07Moi, j'ai le cuir tanné.
01:07:10Je ne l'ai pas tanné moralement, mais politiquement,
01:07:13car il faut toujours se battre.
01:07:15La politique est une route difficile.
01:07:18On ne peut pas la pratiquer si on n'est pas suffisamment armé.
01:07:26Nous recevons aujourd'hui M. Jacques Chirac,
01:07:29candidat à la présidence de la République.
01:07:31M. le candidat, bonjour.
01:07:33Bonjour.
01:07:34M. Balladur, qui semblait bénéficier d'une sorte d'état de grâce permanent,
01:07:37presque d'état d'immunité, a commencé à décliner.
01:07:41Et dans le sondage publié hier par Le Point,
01:07:45vous êtes à égalité avec M. Jospin et M. Balladur au premier tour.
01:07:49Et surtout, vous devancez vos candidats
01:07:52dans cinq des qualités qui font un bon président de la République.
01:07:56Une deuxième campagne s'ouvre donc, à J-56.
01:08:00Une deuxième campagne qui s'annonce très ouverte.
01:08:02Il n'y a plus aujourd'hui de favori des sondages.
01:08:06Je voyais bien monter en puissance Jacques Chirac
01:08:09avec une campagne aussi efficace que démagogique.
01:08:15Et je voyais décliner Édouard Balladur
01:08:18avec une campagne qui n'était pas démagogique,
01:08:20mais qui n'était pas efficace.
01:08:21Il faut continuer à réduire les déficits.
01:08:25Il faut continuer à maintenir la stabilité de la monnaie.
01:08:29Car si on ne le fait pas,
01:08:31si on ne le fait pas, c'est la croissance qui sera menacée.
01:08:33Édouard Balladur, qui incarnait le gouvernement,
01:08:37donne des décisions difficiles.
01:08:39C'était le seul qui ne faisait pas du tout rêver.
01:08:41Il fallait aller sur le terrain pour montrer aux gens qu'il les aimait.
01:08:45Et c'est ce qu'il lui a manqué pendant la campagne.
01:08:47Les Français, en période électorale, voulaient rêver
01:08:50et non pas être réveillés.
01:08:52Ça libère la voie
01:08:55à la plus grande opération d'enfumage à laquelle on est assisté,
01:08:59c'est-à-dire Jacques Chirac, qui, depuis quelques mois,
01:09:05dans la moquerie générale, il faut bien le dire,
01:09:07est en train de rôder un discours de gauche.
01:09:10La France pour tous, le partage.
01:09:12Il n'y aura plus de pauvres, de riches,
01:09:14il n'y aura plus que des Français réunis
01:09:16dans une concorde et un bien-être général.
01:09:18Sa campagne est une campagne
01:09:22d'un vide abyssal et d'une bêtise considérable.
01:09:25Et elle marche.
01:09:27Je crois qu'aujourd'hui,
01:09:30compte tenu d'une France qui est confrontée à un vrai problème,
01:09:34qui est celui de la fracture sociale qui s'élargit.
01:09:39Il y a cette idée géniale, évidemment,
01:09:42de la fracture sociale.
01:09:44Il y a un Jacques Chirac qui commence à parler, justement,
01:09:46de gens qui souffrent dans ce pays, du chômage.
01:09:51Il fait des promesses forcément inconsidérées,
01:09:54mais on a envie de ce discours.
01:09:56Donc la période a changé.
01:09:58Et le super favori, super soutenu par tout le monde,
01:10:03va être dépassé par celui qui apparaissait
01:10:06comme l'abandonné, le pariat,
01:10:10celui qu'on disait foutu, fini,
01:10:13incapable de gagner une élection présidentielle,
01:10:15celui que la France n'aimait pas.
01:10:17Edouard Balladur a aussi un problème vis-à-vis des électeurs,
01:10:21vis-à-vis du processus électoral lui-même.
01:10:25Et donc, alors que Jacques Chirac, lui, n'a jamais fait que cela.
01:10:29Gagner et perdre des élections, c'est la vie de Jacques Chirac.
01:10:32Ce n'est pas la vie d'Edouard Balladur.
01:10:35Donc, il a, de ce point de vue-là, un handicap
01:10:38dont il va beaucoup souffrir.
01:10:40Oui, c'était une campagne qui était assez difficile
01:10:44pour moi et pour plusieurs raisons.
01:10:46D'abord, il y a des raisons qui tiennent à moi.
01:10:53Disons, pour être simple, que je ne suis pas très extraverti.
01:10:57Et puis, il y avait, contre moi, finalement,
01:11:02la majorité de la classe politique.
01:11:08J'avais contre moi la gauche, ça va de soi, c'est tout à fait normal.
01:11:12Mais il y avait le RPR,
01:11:14dont l'appareil était mobilisé contre moi,
01:11:18et une partie de l'UDF, qui était beaucoup plus faible,
01:11:22d'ailleurs, l'était aussi.
01:11:25Bref, qu'est-ce que j'avais pour moi ?
01:11:28J'avais l'opinion des Français.
01:11:31Et très astucieusement, il faut bien le dire,
01:11:35ceux qui combattaient ma candidature
01:11:38s'en sont pris, justement, à cette image qui était la mienne.
01:11:46Jospin fera, au premier tour, 20 à 22 %, s'il est bon.
01:11:50Vous, vous passerez devant Chirac.
01:11:52Aujourd'hui, vous seriez élu sans difficulté.
01:11:55Je suis confiant pour vous.
01:11:58Et pourtant, j'ai des reproches à vous faire.
01:12:00Encore. Lesquels ?
01:12:03Vous avez dit, hier, dans votre émission sur France Inter,
01:12:06que l'affaire des écoutes de l'Élysée
01:12:09était une affaire semblable à celle du Watergate.
01:12:12Non, je n'ai jamais dit ça.
01:12:14Si, vous l'avez dit.
01:12:15Non, on m'a posé une question à propos de...
01:12:18J'ai confiance en vous, mais n'êtes-vous pas concerné, vous-même,
01:12:22par une affaire d'écoutes ?
01:12:23Ah.
01:12:25Vous voulez parler des écoutes Chouler-Maréchal ?
01:12:28Cette affaire suscite un grand témoin.
01:12:31L'Élysée est assaillie de coups de téléphone.
01:12:32Même Raymond Barre a appelé pour dire son indignation
01:12:36contre le recours à de tels procédés.
01:12:40Il me faut du temps pour y voir plus clair dans cette affaire.
01:12:44Il est impossible de garder quoi que ce soit secret.
01:12:48Je vous l'ai dit, M. le Président,
01:12:49j'ai besoin d'un délai pour connaître la vérité.
01:12:51La vérité, vous savez,
01:12:54les gens aiment se fier aux apparences.
01:12:56C'est plus simple.
01:12:59L'affaire Chouler-Maréchal apparaît comme un coup monté
01:13:02par Didier Chouler, membre du RPR,
01:13:05avec l'aide de la police judiciaire et le ministère de l'Intérieur,
01:13:08pour piéger le Dr Maréchal dans une tentative d'extension de fonds.
01:13:13Maréchal aurait promis d'influencer son gendre, le juge Alphen,
01:13:17pour qu'il laisse tranquille Chouler dans l'enquête
01:13:18sur le financement occulte du RPR, le parti de Jacques Chirac.
01:13:24Pour piéger Maréchal et compromettre le juge Alphen,
01:13:26le directeur de la PJ et Charles Pascua
01:13:30ont utilisé abusivement une procédure d'urgence
01:13:33pour organiser des écoutes téléphoniques
01:13:35en dehors de tout contrôle judiciaire.
01:13:38Le scandale atteint Édouard Balladur,
01:13:41car c'est le cabinet du Premier ministre
01:13:43qui a validé la procédure.
01:13:46On a demandé une écoute téléphonique à Mathieu.
01:13:48Vous savez qu'elles sont autorisées par Matignon,
01:13:50c'est-à-dire par les services du Premier ministre.
01:13:52Mais, et là je l'ignorais,
01:13:54lorsqu'une écoute téléphonique d'urgence est demandée le dimanche,
01:13:58elle a lieu,
01:14:00et on la valide ensuite dans les jours qui suivent.
01:14:02Mais comme la commission le demande dans tous ses rapports avec force,
01:14:06il doit y avoir régularisation écrite sans délai.
01:14:09Or là, l'écoute a commencé le 15,
01:14:12la régularisation écrite a été faite le 21,
01:14:15et moi j'ai été avisé le 22, le jour où on coupait.
01:14:17Si bien qu'on a fait une écoute d'ailleurs parfaitement inutile,
01:14:20dont on a pu dire qu'on organisait des écoutes frauduleuses,
01:14:24alors que c'était la procédure normale qui avait été suivie.
01:14:28Le Premier ministre candidat affirme
01:14:30que les écoutes autorisées par Matignon étaient tout à fait légales.
01:14:33Tout a été parfaitement régulier et parfaitement légal,
01:14:38et je mets au défi quiconque de prouver le contraire.
01:14:42Les juges s'indignent, les politiques s'émeuvent,
01:14:44et les choses se précipitent.
01:14:46En début d'après-midi, les services du Premier ministre
01:14:48font savoir qu'en fait, ils ne connaissaient pas
01:14:50les véritables raisons de ces écoutes.
01:14:52La police ne lui aurait pas donné tous les éléments.
01:14:55On nous a menti sur tous les points,
01:14:57explique à l'AFP une source autorisée de l'hôtel Matignon.
01:15:00Et ce soir, les adversaires d'Edouard Balladur
01:15:02attaquent de toutes parts.
01:15:04Et maintenant, le Premier ministre semble,
01:15:06par commentaires interposés, faire marche arrière en disant
01:15:10oui, j'ai menti, mais c'est parce qu'on m'a menti.
01:15:12Les chirakiens se sont ce matin engouffrés dans la brèche.
01:15:16Avec le code pénal à la main, Jean-Louis Debré estime
01:15:18que les écoutes autorisées par Matignon
01:15:20relèvent d'un détournement de procédures.
01:15:23Voilà le code pénal.
01:15:24Le code pénal, il prévoit les écoutes administratives
01:15:27dans les cas que je vous ai cités,
01:15:29atteinte à la sécurité intérieure nationale de la France,
01:15:33prévention du terrorisme, criminalité organisée,
01:15:36sauvegarde du potentiel économique
01:15:38et reconstitution de l'église soute.
01:15:40Est-ce que cette affaire relève du terrorisme ?
01:15:42Est-ce que cette affaire relève de la prime organisée ?
01:15:44Est-ce que cette affaire relève de l'espionnage industriel ?
01:15:48Je me suis retrouvé dans ce mic-mac
01:15:50parce qu'on n'a pas suivi mes ordres.
01:15:52J'avais interdit qu'on remonte quelques opérations que ce soit
01:15:56pour essayer de déstabiliser quelques juges que ce soit.
01:16:00Et ça n'a pas été fait. Voilà.
01:16:02L'affaire Schiller-Marshall,
01:16:04ça a été un handicap pour Édouard Balladur,
01:16:08non pas parce qu'il en était responsable.
01:16:10Ce n'était pas lui qui était responsable,
01:16:12mais parce qu'il avait une image d'intégrité.
01:16:15Et que cette image d'intégrité a été fissurée par cette affaire
01:16:19au plus mauvais moment.
01:16:20C'est d'ailleurs pour ça que cette affaire a été lancée.
01:16:23Je sais, oui.
01:16:25Bon, enfin, écoutez, ça fait partie...
01:16:27Vous savez, la politique, c'est... Comment vous dire ?
01:16:31C'est l'art de...
01:16:35de manip... Parfois, de manipuler l'opinion publique.
01:16:38Vous êtes tombé dans un piège, dans un pakna.
01:16:40Ah oui ?
01:16:41Quels en sont les auteurs ?
01:16:42Écoutez, je ne le sais pas bien.
01:16:44Vous avez une petite idée, quand même.
01:16:46J'ai une idée, bien sûr.
01:16:47Mais je ne veux jeter le discrédit sur personne.
01:16:50Alors, à qui profite le crime ?
01:16:52Oui, c'est une autre façon de poser la question.
01:16:55Et il peut profiter aux autres candidats.
01:16:58À qui profite le crime ?
01:17:00À Chirac.
01:17:01Ça, alors, c'est pas l'ombre d'un doute.
01:17:03C'est-à-dire Jacques Chirac, qui est tout sauf gentil,
01:17:08tout sauf aimable, qui est un tueur.
01:17:10Tous les gens qui, à un moment ou à un autre,
01:17:11ont voulu s'opposer,
01:17:13se mettre en travers de la route de Chirac,
01:17:15ont été éliminés, assez souvent par des juges.
01:17:19Et donc surgit l'affaire Schouler-Maréchal,
01:17:22en plein cœur de la campagne présidentielle,
01:17:24au moment où l'opinion doute,
01:17:29au moment où l'opinion bouge.
01:17:31D'ailleurs, c'est le moment où on voit bien
01:17:33que les courbes commencent à se préparer à s'inverser.
01:17:36Et maintenant, le constat en guise de conclusion.
01:17:38Les événements de ces derniers jours
01:17:40interviennent dans une période cruciale,
01:17:42à deux mois seulement du premier tour
01:17:44de l'élection présidentielle.
01:17:45Et les adversaires d'Édouard Balladur
01:17:47font de l'affaire des écoutes
01:17:48une arme contre le Premier ministre candidat.
01:17:50En l'espace de 15 jours,
01:17:53j'ai perdu 10 points d'intention de vote.
01:18:02Je suis en mauvaise forme.
01:18:04La radiothérapie m'épuise.
01:18:07J'ai très mal au dos.
01:18:09Vous aussi, ça ne va pas fort ?
01:18:11Ouf !
01:18:13Cette histoire d'écoute m'a fait chuter
01:18:14brutalement de 10 points dans les sondages.
01:18:16Cela donne du piment aux commentaires de la presse
01:18:19et du suspense à l'élection présidentielle.
01:18:23Il vous reste 15 jours.
01:18:25Si vous avez quelque chose à faire pour renverser le courant,
01:18:29c'est maintenant qu'il faut le faire.
01:18:30Après quoi, il se fera trop tard.
01:18:33Je sais, M. le Président, je sais,
01:18:34mais certains procédés me répugnent.
01:18:38Ouf ! Vous avez peut-être raison.
01:18:41Ou alors, je me fais vraiment envieux.
01:18:44Je m'obstine à ne pas voir Chirac comme président.
01:18:48C'est un hanneton dans un tambour.
01:18:51S'il était élu,
01:18:53il déclarerait la guerre au Panama dans les huit jours.
01:18:58Il vaudrait mieux pour la France que ce soit vous qui la dirigeiez.
01:19:01En tout état de cause, je ne veux pas me laisser gagner
01:19:03par l'inquiétude.
01:19:05C'est cela qui compte, la paix intérieure.
01:19:09Il y a des tourbillons qui agitent les choses,
01:19:12mais au-dessous, l'âme reste un lac calme.
01:19:17Je le pense aussi, M. le Président.
01:19:21Je vous souhaite une bonne journée.
01:19:22Et moi aussi.
01:19:25Au revoir, M. le Premier ministre.
01:19:26Au revoir, M. le Président.
01:19:34Voici le choix des Français
01:19:36pour ce premier tour de l'élection présidentielle 1995.
01:19:41En tête de ce premier tour, Lionel Jospin,
01:19:43avec 23,4 % des suffrages exprimés.
01:19:46Derrière Jacques Chirac, 20 % tourons.
01:19:49Éliminé, Édouard Balladur, 18,5 % des suffrages exprimés.
01:19:54Jospin arrive en tête, surprise de général.
01:19:57Et Chirac-Balladur, ça se joue à deux points.
01:20:00Balladur ne s'écrase pas et Chirac ne triomphe pas.
01:20:04Chirac va être élu président de la République
01:20:06en ayant fait un premier tour à 20 %,
01:20:08ce qui est très médiocre, mais il va être élu.
01:20:11Et Édouard Balladur n'aura pas d'autre possibilité.
01:20:15La mort dans l'âme,
01:20:17lui aussi dans l'insincérité la plus totale.
01:20:19La politique est un jeu de dupe permanent.
01:20:22Édouard Balladur n'aura pas d'autre choix
01:20:23que d'appeler à voter Jacques Chirac.
01:20:25Qu'est-ce qu'il peut faire d'autre ?
01:20:28Qu'est-ce qu'il peut faire d'autre ?
01:20:30C'est M. Jospin et M. Chirac qui seront présents...
01:20:38Je vous demande de vous arrêter.
01:20:41Je vous demande de vous arrêter.
01:20:44Maintenant, il faut choisir.
01:20:46Au 2e tour...
01:20:51Au 2e tour, je voterai pour Jacques Chirac.
01:20:56Et je demande à tous ceux...
01:21:01Et je demande à tous ceux qui m'ont soutenu de le faire aussi.
01:21:07C'est comme ça que Jacques Chirac est devenu président de la République.
01:21:11C'est bien triste comme histoire.
01:21:17Comment était le président avec vous au lendemain de ce résultat ?
01:21:21Il m'a téléphoné pour me dire des choses aimables.
01:21:24Il m'a dit que c'était la 1re fois que je me trompe dans mes prévisions.
01:21:29C'est à cause de vous. J'avais prévu que c'est vous qui gagneriez.
01:21:33Il considérait, il n'avait pas tout à fait tort toujours,
01:21:36qu'il était un très bon analyste électoral et politique,
01:21:39ce qui est souvent vrai.
01:21:41Il m'a dit que c'était la 1re fois que je me trompe.
01:21:44Je lui ai dit que j'en suis désolé pour vous,
01:21:47et accessoirement pour moi.
01:21:49On a mis en lumière les affaires, les combines,
01:21:52qui ont influé sur le résultat de l'élection.
01:21:56Au regard de ces affaires, avez-vous le sentiment
01:21:59qu'on vous a volé votre rendez-vous avec l'histoire ?
01:22:02Les rendez-vous avec l'histoire,
01:22:04quand ils n'ont pas lieu,
01:22:06c'est celui qui a donné rendez-vous qui en est responsable.
01:22:10On ne se fait pas voler un rendez-vous. Ce n'est pas vrai.
01:22:13Chirac ou Jospin ? Jospin ou Chirac ?
01:22:16Il est presque 20h, quelques petites secondes de suspense.
01:22:19Voici le nom du successeur de François Mitterrand.
01:22:28Jacques Chirac, élu président de la République.
01:22:32Dernier virage avant l'Elysée. Jacques Chirac arrive.
01:22:36Sur le perron, le président sortant attend son successeur.
01:22:40Comme on s'y attendait,
01:22:42Edouard Balladur a présenté la démission de son gouvernement.
01:22:46Un Premier ministre démissionnaire.
01:22:47Et à Matignon, c'est l'heure du traditionnel déménagement
01:22:51jusqu'à la désignation par Jacques Chirac de son Premier ministre.
01:22:55Vous quittez vos fonctions.
01:22:57Quel souvenir gardez-vous de cette cohabitation ?
01:23:00Le souvenir d'une époque où j'ai fait des choses
01:23:04que je crois avoir été importantes pour notre pays,
01:23:07intéressantes pour moi,
01:23:09et d'avoir joué un rôle utile.
01:23:12Un peu le souvenir d'une occasion manquée,
01:23:14parce que j'aurais aimé que ça se termine autrement,
01:23:18pour ce qui me concernait.
01:23:20Et j'ai été en contact avec quelqu'un
01:23:24avec qui j'avais certaines infinités,
01:23:26mais nous étions extrêmement différents l'un de l'autre.
01:23:29Vous gardez quelle image de lui celle d'un adversaire,
01:23:32où il y avait quelque chose qui peut ressembler à de l'amitié ?
01:23:36C'est un sentiment, peut-être ?
01:23:39D'un adversaire ?
01:23:42Oui, mais de l'amitié, non.
01:23:45Vous savez, l'amitié, c'est à base de confiance.
01:23:49Et j'avais toujours tendance à me demander
01:23:53quel est l'objectif qu'il poursuivait en me disant telle ou telle chose.
01:23:57Mais enfin, c'était un personnage intéressant à coup sûr.
01:24:04Voilà. Merci.
01:24:12Est-ce que vous revoyez votre adversaire par la suite,
01:24:16et en quelles circonstances ?
01:24:18Non, je n'ai eu aucun rapport avec lui.
01:24:21Et puis, il m'a fait savoir qu'il aurait souhaité me voir.
01:24:25C'était au mois de décembre, je crois. Je suis donc allé le voir.
01:24:29Dans l'appartement qu'il occupait près de l'école militaire.
01:24:33J'ai trouvé un homme qui n'était pas en très bonne forme,
01:24:37qui était fatigué, qui avait une mauvaise mine,
01:24:41qui avait beaucoup maigri.
01:24:44Et puis voilà. Les choses ont pris fin comme ça.
01:24:48Je suis heureux de vous voir.
01:24:51Bonsoir, M. Leclerc.
01:24:54Je me souviens de vous.
01:24:57Je me souviens de vous.
01:24:59Je suis heureux de vous voir.
01:25:02Bonsoir, M. le Président.
01:25:15Pourquoi n'êtes-vous pas venu plus tôt ?
01:25:19Je craignais de vous importuner.
01:25:21Vous êtes toujours le même.
01:25:24Vous attendez qu'on vous sollicite.
01:25:26Et pourtant, cela vous a coûté cher aux élections.
01:25:30Vous avez attendu que les Français viennent vous chercher,
01:25:33au lieu d'aller vers eux.
01:25:35Cela aurait dû vous servir de leçon.
01:25:38Leçon trop tardive, M. le Président. A quoi bon maintenant y revenir ?
01:25:42Permettez-moi de vous le redire.
01:25:45Vous êtes trop orgueilleux.
01:25:48Vous attendez qu'on fasse appel à vous.
01:25:51C'est vrai.
01:25:53Mais il vous est arrivé parfois de me donner quelques leçons de modestie.
01:25:55Oui.
01:25:57Oui, je sais.
01:26:00Vous êtes fait ainsi.
01:26:04Vous ne vous dites pas que vous auriez pu prendre davantage sur vous ?
01:26:10Que vous auriez pu sortir de vous-même ?
01:26:14Peut-être.
01:26:17Mais vous le savez, je crains beaucoup le ridicule de la comédie.
01:26:22Et puis, je n'aime guère les marchandages.
01:26:27Je souhaiterais beaucoup vous revoir.
01:26:31Vous n'aurez qu'à me le faire savoir.
01:26:34Je me demande si le temps m'en sera laissé.
01:26:39Je le souhaite, M. le Président, de tout cœur.
01:26:45Que retiendrez-vous de notre cohabitation ?
01:26:51Honnêtement ?
01:26:54Sincèrement.
01:27:00Eh bien, je retiendrai que le pouvoir ne se partage pas.
01:27:07Décidément.
01:27:09Vous êtes comme moi.
01:27:11Je ne veux pas vous fatiguer plus longtemps. Je vais me retirer maintenant.
01:27:16Au revoir, M. le Président.
01:27:19Je ne vous raccompagne pas.
01:27:42Adieu, M. le Premier ministre.
01:27:59François Mitterrand est mort quelques semaines plus tard, le 8 janvier 1996,
01:28:05sans que je le revoie.
01:28:06Quant à moi, il m'arrivait de croire que de ce que j'avais fait,
01:28:11il resterait une trace, que je n'avais pas travaillé en vain.
01:28:15J'ai repris mon rôle au Parlement.
01:28:18J'ai mené à bien diverses missions.
01:28:21Et puis, je me suis retiré du monde politique.
01:28:25Désormais, je profite du temps qui me reste dans la liberté retrouvée.
01:28:37Je trouve que quand on vieillit, il faut faire preuve de bienveillance.
01:28:42Et que le grand risque de la vieillesse,
01:28:45qui est l'âge dans lequel je suis,
01:28:48c'est la résignation d'abord.
01:28:50Il ne faut pas trop se résigner parce que sans quoi on n'est plus vivant.
01:28:54Et en même temps, il faut demeurer optimiste
01:28:57et avoir un jugement sympathique pour son prochain.
01:29:02Rien n'est pire que l'égreur.
01:29:06Le président de la République, François Mitterrand,
01:29:09a-t-il un souvenir ou un élément que vous gardez de cette cohabitation ?
01:29:13La grande question de la destitution ou non du président de la République
01:29:18en raison de son état de santé.
01:29:20Je vois que le pouvoir concerne, d'une certaine façon,
01:29:23car François Mitterrand, de mon point de vue,
01:29:27n'aurait certainement pas pu résister aussi longtemps
01:29:30s'il n'avait pas été élu président de la République.
01:29:32Il n'aurait certainement pas pu résister aussi longtemps
01:29:36s'il n'avait pas eu ce désir d'aller jusqu'au terme de ses deux septennats.
01:29:40La cohabitation de 1995 qui met aux prises deux personnages forts,
01:29:45dissimulateurs, calculateurs,
01:29:49à une dimension romanesque.
01:29:53Qu'est-ce que je retiens de cette cohabitation ?
01:29:57Forcément un jeu de dupe.
01:30:00C'était une cohabitation de dupe très intelligente et très cruelle.
01:30:06Je retiens le fait que même quand les électeurs, par leur vote,
01:30:10créent une situation compliquée,
01:30:13heureusement ils se trouvent dans ce pays, aussi bien droite qu'à gauche,
01:30:17des gens qui ont en tête avant tout l'intérêt du pays,
01:30:20la cohérence du pays, la clarté de sa parole
01:30:24et qui font les efforts nécessaires pour qu'il en soit ainsi.

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