Hugo Bardin, alias Paloma, l'homophobie ambiante des réseaux

  • il y a 2 mois
Dans le podcast "Mentionné.e", la journaliste Marion Mariani donne la parole à des victimes de cyberharcèlement, afin de recueillir leur témoignage sur leur vécu, sur l'après et sur ce qu'elles pensent des réseaux sociaux
Dans cet épisode de Mentionné.e, Hugo Bardin raconte, au micro de Manon Mariani, son cyberharcèlement. C'est le témoignage d'un homme queer confronté à l'homophobie ambiante qui règne sur les réseaux, qu'il soit lui-même ou sa version drag-queen Paloma.
Tous les épisodes du podcast en audio sur le site de France Inter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/mentionne-e

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00:00Des hommes habillés en prostituées sur le service public.
00:06J'ai des envies qui me pousseraient en prison quand je vois ça.
00:08Si le gars approche mes gosses à moins de 50 mètres, je fais comme dans GTA, mais dans
00:14la vraie vie.
00:15Hugo Bardin, bonjour.
00:17Bonjour.
00:18Merci d'en mentionner aujourd'hui.
00:21Hugo, vous avez remporté la première saison de Drag Race France avec votre version IPRA
00:26féminine de vous, c'est comme ça que vous la définissez.
00:29Paloma, la drag queen Paloma.
00:31Depuis, vous êtes devenue une personnalité queer très importante, très influente en
00:36France.
00:37Pour commencer, je voulais savoir, je demande ça un peu à tous les invités, est-ce que
00:40vous évoque le mot mentionné ? Est-ce que vous le rapportez au réseau, forcément ?
00:43Oui, c'est vrai, je le relie au réseau.
00:45C'est marrant.
00:46On ne l'utilise pas ou rarement en notre époque, en dehors de ça.
00:49Ça a une connotation plutôt positive ou négative ?
00:53Il y a un peu l'idée, quand on est mentionné, qu'on est inclus ou qu'on existe, ce qui
01:00est un peu dramatique d'ailleurs, quand on y réfléchit bien.
01:02Est-ce que ne pas être mentionné, ça veut dire qu'on n'existe pas ?
01:07Sujet à débat, en tout cas.
01:09Hugo, en 2022, vous participez à la première saison de Drag Race France, la version française
01:15du célèbre show animé par la drag queen américaine RuPaul, un show qui est devenu
01:19une véritable franchise, voire un objet de pop culture, on peut le dire, à part
01:23entière, qui s'est décliné dans plus de 15 pays.
01:25Est-ce que, quand vous avez décidé de participer à la version française ou quand on vous
01:29a contacté, vous avez tout de suite pensé aux réactions que ça pourrait engendrer
01:34derrière ou pas du tout ?
01:35Oui, mais moi, je suis allé plus loin que ça parce que je n'ai pas forcément pensé
01:40à l'impact que ça allait avoir les réseaux sociaux, la haine, le cyberharcèlement.
01:45Je n'ai pas pensé à ça.
01:46J'ai plutôt pensé à l'image que ça allait me donner.
01:49Je viens du théâtre, je viens du cinéma, qui sont des milieux qui sont quand même
01:52assez snobs.
01:53En France, on ne mélange pas la télé avec le cinéma.
01:56Donc, je me suis demandé si ça n'allait pas être un frein pour ma carrière.
02:00Le fait de me confronter à un public très large, donc forcément pas toujours acquis
02:06à la cause, je n'y ai pas pensé tout de suite.
02:08Je pense qu'on y a vraiment pensé quand on s'est retrouvés sur le tournage et qu'on
02:11en a parlé entre nous.
02:12On s'est dit, dans quelques mois, on va être exposés au monde et, de fait, à la violence.
02:18Et donc, on avait très à cœur que l'émission, notre saison en tout cas, soit bienveillante,
02:24qu'il y ait une sorte de pédagogie, en tout cas qu'on explique les choses, qu'on montre
02:27notre humanité sans forcément être dans un truc très tape à l'œil où on va faire
02:31du scandale.
02:32On voulait absolument éviter de donner du grain à moudre aux homophobes, aux transphobes.
02:37Mais bon, il y a un moment où on peut empêcher les imbéciles d'avoir un avis.
02:40Oui, c'est ça, parce que là, du coup, c'était pendant le tournage.
02:43Et après, diffusion, comment ça s'est passé pour vous, la diffusion sur les réseaux ?
02:48Étonnamment bien, en fait, c'est ça qui m'a le plus étonné, c'est que j'ai reçu
02:53aucune haine dans les premiers mois, c'est-à-dire que de l'annonce du casting jusqu'à la diffusion,
03:00j'ai l'impression d'avoir été très épargné par les haters, sauf à quelques
03:04rares occasions où on a été présenté dans des émissions de très grand public
03:09où, fatalement, il y avait des commentaires sur les vidéos.
03:12Quelle horreur, qu'est-ce que c'est que ça ? C'est la fin de notre humanité.
03:16Mais même si j'ai toujours tout regardé, je suis très, très attentif aux commentaires.
03:22Je regarde toujours tout.
03:23Parfois, je devrais m'abstenir, d'ailleurs.
03:25Ça ne m'a pas atteint à ce moment-là.
03:27À ce moment-là, c'était assez bienveillant et je pense que les gens qui nous ont vus
03:32à la télévision, qui ont regardé l'émission, étaient des personnes qui étaient contentes
03:37de le voir, qui étaient acquises à la cause.
03:39Je pense que les personnes qui n'ont pas envie de voir Drag Queen sur le service public
03:45ne tombent pas sur Drag Race par hasard.
03:47Vous dites que ça ne vous a pas touché à ce moment-là, à quel moment ça a commencé
03:52à vous toucher ? Encore une fois, j'ai été très épargné
03:55pendant la diffusion et puis, en plus, j'ai reçu beaucoup, beaucoup d'amour pendant
03:58la diffusion.
03:59Donc, c'est vrai que je me suis concentré là-dessus, même au sein de la communauté
04:03qui, parfois, peut être dure.
04:04Et puis, le public de Drag Race, c'est un public de fans.
04:08Donc, forcément, quand il y a des fans, il y a des fans pour un tel, des fans pour
04:11une telle.
04:12Et globalement, on était très épargné par les commentaires négatifs.
04:16La tournée nous a confortés parce qu'on a eu une tournée avec Drag Race pendant trois
04:22mois qui a cartonné et qui nous a permis de rencontrer un public qui était tout autant
04:29acquis à la cause.
04:30On n'a pas du tout eu de problème à ce moment-là.
04:32Et c'est après, en fait, quand j'ai commencé, déjà quand j'ai gagné, que je me suis
04:36retrouvé à faire des émissions comme aujourd'hui pour des plateformes, pour des chaînes de
04:42télévision.
04:43Mainstream du coup.
04:44Mainstream.
04:45Tout un tas de médias comme ça, que ce soit sur le net ou en linéaire, qui après diffusaient
04:50les vidéos sur le web, les commentaires sont ouverts à tout le monde.
04:55Donc, forcément, là, je me suis confronté à beaucoup, beaucoup, beaucoup de violence.
05:00Et puis, surtout quand j'ai fait quotidien, là, c'est là où tout d'un coup, je suis
05:05rentré dans le foyer des gens et pas forcément des gens qui avaient envie de me voir.
05:08Je me retrouvais à 21 heures sur une émission, très grand public, à faire des sketchs.
05:14Alors, on aime ou on n'aime pas mon humour, ça, c'est une autre question, mais tout d'un
05:19coup, j'étais le travelo qui venait faire des blagues et ça, ça ne plaisait pas.
05:25Parce que du coup, vous avez été chroniqueur pendant quelques mois.
05:28J'ai fait 3 ou 4 mois, pas très longtemps.
05:30Vous aviez hésité avant d'accepter ou au contraire, vous étiez, vous étiez content.
05:34Pas du tout.
05:35C'était un de mes rêves de faire quotidien.
05:36Moi, j'ai grandi avec le petit journal, j'ai grandi avec cet esprit canal.
05:39Pour moi, quotidien, c'était exactement ce qu'il fallait que je fasse pour pouvoir
05:42faire ce que je veux faire dans la vie, savoir jouer, faire des spectacles, faire de l'humour,
05:47réaliser.
05:48Les modèles que j'ai dans la vie, c'est Valérie Lemercier, c'est Alex Lutz, c'est des gens
05:52qui sont passés par la casse canale ou qui sont passés par ce genre de format.
05:55Donc, ça me paraissait très cohérent et c'était une vraie chance que j'ai pris très au sérieux.
06:00C'est arrivé du jour au lendemain, j'ai eu très peu de temps pour me préparer et du
06:03jour au lendemain, je me suis retrouvé avec non seulement une chronique à faire toutes
06:07les semaines, mais en plus de ça, à devoir m'adapter aussi au retour du public.
06:14Et là, c'était quoi les retours, justement ?
06:16Vous savez, sur Internet, les gens qui aiment bien, ils donnent rarement leur point de vue.
06:20C'est souvent les gens qui détestent, qui se manifestent, surtout sur les réseaux sociaux,
06:25principalement X, anciennement Twitter, toutes ces plateformes où, en général, sont diffusés
06:29les contenus, comme les sketchs que je pouvais faire.
06:34Et quand on est confronté à 300 messages de haine, on perd un peu la notion de ce qui
06:41est vrai, de ce qui n'est pas vrai.
06:42Et puis moi, en tant qu'artiste, j'ai besoin de savoir ce que le public pense et j'ai la
06:46curiosité d'aller voir, ce qui est une mauvaise chose.
06:49Moi, toutes les personnes que je connais dans ce métier et qui sont là depuis longtemps
06:52m'ont toujours dit ne lis pas les commentaires.
06:54C'est la pire chose à faire.
06:55Mais je pense que c'est ou un instinct un peu narcissique de vouloir avoir des retours
07:02immédiats du public.
07:03Et en même temps, une curiosité aussi, je pense, de savoir ce qu'on peut dire de moi.
07:09Donc je suis allé voir et c'est vrai qu'il n'y avait rien de constructif.
07:12À aucun moment, je pouvais me dire je peux avancer, je peux m'améliorer avec ça.
07:16C'était de la haine pure et de l'homophobie, tout simplement.
07:21C'est à dire qu'il y avait un truc qui s'est mélangé entre ce que je produisais
07:24réellement en tant que comédien et qui j'étais en tant que personne.
07:28Ça m'a dérangé parce qu'avant d'arriver sur Quotidien, j'ai fait un travail de recherche.
07:32Je me suis dit qu'est-ce qui a été fait avant moi ?
07:33Donc j'ai regardé des trucs que faisaient Alex Lutz et Bruno Sanchez, j'ai regardé
07:39ce que faisait Louise Bourgoin, j'ai regardé Laura Felpin, j'ai regardé Deconé Garcia
07:43à l'époque sur Canal, où ils étaient travestis la plupart du temps, où ils étaient
07:49quand même très souvent dans une représentation de la féminité très vulgaire, très drôle
07:54mais très vulgaire.
07:55Et ils étaient adulés, applaudis tous les soirs parce que c'était deux mecs hétéros
08:00qui mettaient des perruques et qui se marraient.
08:02Donc il n'y avait pas de danger.
08:04Moi tout d'un coup, alors que j'ai toujours fait attention de ne pas basculer dans la
08:08vulgarité avec mes sketchs, parce que c'est pas mon écriture et parce que je sais que
08:12je suis une drag queen, donc j'ai une responsabilité plus grande par rapport à ça, notamment
08:17par rapport à la représentation des femmes dans l'humour, de l'imagerie féminine plutôt.
08:22J'ai fait attention à ça et automatiquement, parce que je suis un homme homosexuel, et
08:28je tiens à le dire, homosexuel, qui se travestit pour gagner sa vie et qui fait de l'humour
08:35avec ça, ça devient pervers.
08:36Donc de fait, tous les commentaires que je recevais, c'est pervers, c'est le diable,
08:41c'est t'approches pas de nos enfants, si on te voit à la sortie des écoles, on te
08:45balance de l'acide au visage.
08:47C'était ce genre de choses.
08:48Ça ne vous a pas fait peur ?
08:49Ça m'a fait peur parce que j'avais des exemples, malheureusement, qui me donnaient
08:54raison d'avoir peur.
08:55Je pense à Bilal, par exemple, Bilal Hassani, qui a dû interrompre des dates de tournée
09:00parce qu'il était menacé, parce que son public était menacé.
09:06Au chiffre, plein d'artistes queers aujourd'hui ne peuvent même plus aller jouer dans certaines
09:10villes parce qu'ils ont peur.
09:12Donc je me suis dit, bon, au pire, si c'est moi qui suis attaqué de manière isolée,
09:17c'est chiant, mais c'est devenu stressant quand j'ai commencé à jouer mon spectacle.
09:22Parce que je me suis dit, si dans certaines villes, j'ai quand même un public qui est
09:26très varié, mais j'ai aussi un public qui peut être parfois très jeune, un public
09:30de drag race, c'est souvent des gens qui ne sont qu'entre 15 et 19 ans.
09:34Il y a un public plus large, mais il y a beaucoup de très jeunes, de queers très jeunes.
09:40Je me suis interrogé, je me suis dit, si ces jeunes, ils se font agresser à la sortie
09:44du théâtre, est-ce qu'il y a des villes où il vaut mieux éviter d'aller jouer ?
09:52On ne l'a pas fait, on a pris le risque.
09:53Vous avez décidé de ne pas le faire.
09:54On ne l'a pas fait.
09:55Mais encore une fois, à chaque date, je me dis, ce soir, il peut y avoir un fou dans
10:00la salle.
10:01Et quand vous voyez ces commentaires, pour vous, qui est le plus insulté ?
10:05C'est Hugo, c'est Paloma, c'est les deux ?
10:08C'est Hugo quand même, parce que Paloma, ce n'est pas elle qui lit les commentaires.
10:13C'est un personnage, même si on se ressemble beaucoup et que je ne change pas d'identité
10:19quand je deviens Paloma, ça reste un personnage joyeux, de divertissement, qui n'a pas de
10:24problème.
10:25C'est quand même moi qui articule Paloma et c'est quand même moi qui fais la paperasse
10:31et la compta en rentrant à la maison, donc c'est aussi moi qui me prends les problèmes
10:35dans la tronche.
10:36Et surtout, ce n'est même pas Hugo adulte que ça blesse, c'est Hugo enfant, parce que
10:42moi, cette violence-là, je l'ai connue toute ma vie.
10:45Quand j'avais 10 ans, 11 ans, 12 ans, jusqu'à mes 15 ans, je me la prenais en direct, cette
10:50violence.
10:51Et de devenir un personnage queer médiatisé, un peu superstar aussi, parce que première
11:00saison de Drag Race, donc première représentation de drag en France pour beaucoup de gens, je
11:05sais que j'ai une responsabilité, certes, vis-à-vis de ce public, mais j'ai aussi une
11:10place un peu à part.
11:11Et de me dire que c'est ce personnage qui m'a donné ma carrière, qui m'a un peu sauvé
11:16la vie aussi à plein de moments, qui peut provoquer autant de haine et de violence,
11:24pour moi, c'est compliqué à comprendre.
11:26J'ai grandi en regardant Shirley Dino à la télé, j'imagine qu'il ne devait pas recevoir
11:31beaucoup de violence.
11:32Et pourtant, ce que je fais n'est pas très différent.
11:35Quand j'analyse vraiment mon métier, je fais...
11:38Mais il n'y avait pas les réseaux à l'époque.
11:40Il n'y avait pas les réseaux, alors peut-être qu'ils se seraient pris des trucs de « oh,
11:43c'est pas drôle, oh, ils sont ringards », des choses comme ça, j'imagine.
11:47Mais est-ce qu'on les aurait menacés de leur jeter de l'acide au visage ? Juste parce
11:51que, pour ce qu'ils sont, non.
11:54Et de fait, des humoristes qui ont pris le risque de jouer avec le genre tout en ayant
12:00dans leur vie privée une sexualité différente, il n'y en a pas tant que ça.
12:05Et en France, je pense que le meilleur exemple, c'est Elikaku.
12:08Et on me dit aussi si sa vie n'a pas été marrante.
12:11Donc j'espérais quand même, en faisant Drag Race, que les choses avaient un peu changé.
12:15Finalement, pas tant que ça.
12:17Et justement, quand vous êtes arrivé chez Quotidien, que vous avez reçu ces vagues
12:21de haine en ligne, vous en avez parlé ? Un peu à la chaîne, à la direction ?
12:26Non, très peu.
12:28Je pense que j'avais envie de faire les choses bien et de ne pas...
12:32Comment dire ? J'avais pas envie de devenir un problème.
12:36Il y a plein de gens dans les chaînes de télévision qui sont queers, comme moi, et
12:39qui ne sont pas forcément outés ou qui n'ont pas envie que ce genre de problématique
12:47devienne la problématique majeure.
12:49Je ne dis pas que c'est leur cas.
12:50Ils m'ont beaucoup protégé.
12:52Je pense qu'ils m'ont même trop protégé, d'une certaine manière.
12:54Pourquoi ?
12:55Parce qu'en fait, quand on fait des sketchs à la télévision, ils sont découpés,
12:59ils sont balancés sur les réseaux sociaux.
13:01C'est ça aussi qui fait vivre les sketchs, au-delà de l'audimat de l'émission.
13:05Bien sûr.
13:06Même pour vous, en tant qu'artiste.
13:07Hyper important.
13:08Je me souviens, moi, à l'époque, Louis Bourgoin, ses sketchs faisaient le tour d'Internet.
13:12C'est ça qui l'a fait connaître.
13:16Moi, ils m'ont diffusé un sketch.
13:19Il y a eu 300 commentaires homophobes et ils ont arrêté du jour au lendemain.
13:24En invisibilisant ma présence, d'une certaine manière, ils ont évité la haine.
13:31Mais n'empêche que la haine, elle existait quand même.
13:33Je recevais des messages, moi, sur mes réseaux.
13:36Et je n'en ai pas parlé.
13:37Parce que je me suis dit, je n'ai pas envie de poser problème.
13:40Et puis, j'ai compris qu'on me protégeait surtout.
13:43Vous avez pris ça pour de la protection.
13:45Oui, pour de la protection.
13:46A aucun moment, je ne me suis senti en danger.
13:48C'est vraiment une équipe géniale.
13:50En plus, c'est une prod qui est quand même très queer.
13:54Ils sont très au fait de ce genre de questions.
13:56Ils sont très vigilants.
13:59Je ne sais pas comment il aurait fallu gérer la situation.
14:02En fait, je me suis dit, c'est moi qui ne suis pas bon.
14:05D'une certaine manière, je me suis dit, je mérite qu'on m'insulte
14:07parce que mes sketchs ne sont pas à la hauteur.
14:10Donc, je n'en ai pas fait un flanc.
14:12Et vous ne pensez pas qu'il aurait fallu, peut-être justement,
14:15les laisser en mettre plus, etc.
14:18Pour vous montrer, pour vous mettre en avant.
14:21Mais aujourd'hui, je le crois.
14:22Je pense que de toute façon, des gens ne font pas d'omelettes sans casser des oeufs.
14:25Et en plus de ça, on ne fait pas de grandes avancées sociales
14:27sans un moment donner un coup de pied dans la porte.
14:31Je cite toujours cet exemple qui est un drôle d'exemple,
14:34mais qui pour moi est l'exemple le plus parlant.
14:36C'est Virginie Despentes.
14:37C'est un moment où il n'y avait pas des prods qui lui avaient permis de se faire baise-moi.
14:40C'était un truc hyper coup de poing, hyper punk.
14:43Elle n'aurait pas pu faire King Kong Théorie
14:45ou des trucs beaucoup plus subtils et beaucoup plus grand public.
14:49Je pense qu'il y a un moment où il faut qu'il y ait des quotas.
14:51Il y a un moment où il faut qu'on impose des présences
14:54pour que les choses se banalisent.
14:57Je ne dis pas que j'ai correspondu à un quota.
14:59Et je pense que parfois, je corresponds à un quota.
15:03Parfois, on peut venir dans les émissions parce que c'est à la mode,
15:05parce qu'il faut une drag queen,
15:06parce qu'on a besoin d'avoir des discours queer.
15:09Et je suis très content d'être un quota.
15:11Si je peux être un quota pour qu'un jour, il n'y ait plus besoin de quota,
15:15très bien.
15:19Mais il faut assumer derrière.
15:22Moi, je veux bien assumer la violence,
15:24mais je ne veux pas qu'on m'invisibilise
15:28pour ce genre de raisons.
15:31Parce que là, maintenant, si on vous propose,
15:33je suppose que vous avez aussi pas mal de propositions,
15:35vous faites attention à ça.
15:36C'est quelque chose que vous diriez maintenant.
15:38Je fais un sketch, je veux que ce soit sur Instagram,
15:41je veux que ce soit sur YouTube.
15:42Je veux de la modération aussi.
15:44Oui, la modération, j'estime que ça devrait être partout.
15:48Les réseaux, on peut trop dire de choses.
15:50Tout le monde donne son point de vue, de toute façon.
15:52Blanche Gardin qui disait ça, elle a bien raison.
15:54Elle dit aujourd'hui, on a envie de dire un truc,
15:57on le dit, on ne le réfléchit plus.
15:58Alors qu'à une époque,
16:00il y avait des personnes, des grands penseurs
16:03qui mettaient six mois avant de coucher leurs idées sur le papier.
16:07Disons qu'aujourd'hui, je fais attention
16:09à ce que je ne sois pas là juste pour être…
16:14pour faire joli.
16:16C'est plutôt ça.
16:17C'est-à-dire que si on me donne la parole,
16:19il faut assumer que ce que je dis ne va pas forcément plaire.
16:21Et je me suis bridé un petit peu quand j'étais à l'antenne
16:26parce que je savais que j'avais cette responsabilité
16:29d'être la première drag queen sur cette chaîne,
16:32dans cette émission à faire des sketchs.
16:34Donc de fait, il fallait que je représente de manière grand public,
16:38que je n'aille pas dans un truc trop punk, trop politique non plus.
16:42J'essayais de plaire à tout le monde.
16:44Et je pense que c'est un peu l'erreur,
16:45c'est que moi j'ai un certain type d'humour
16:47qui est justement à poil à gratter.
16:50Mon spectacle, il est humour noir,
16:52il est trash, ça va dans des endroits obscurs.
16:56Et beaucoup de gens qui viennent voir mon spectacle aujourd'hui me disent
16:59« Ah ben je préfère ça ! »
17:01J'ai adoré, je préfère ça,
17:02à ce que tu faisais dans le quotidien.
17:04Et je pense qu'en fait dans le quotidien je me suis beaucoup bridé
17:06parce que j'avais peur justement de recevoir trop de haine.
17:09Et en fait je pense que j'aurais plus assumé de me prendre de la haine
17:14si j'avais vraiment été au bout de mon idée.
17:17Voilà.
17:18C'est pour ça que parfois c'était un petit peu compliqué pour moi
17:20parce que je me disais est-ce que c'est moi qui suis le...
17:22qui provoque ça, j'en sais rien.
17:24Oui, vous vous êtes senti un peu comme toute victime aussi de cyber harcèlement
17:31qui à un moment donné se pose des questions sur elle-même
17:33alors qu'elle n'a pas à le faire.
17:34Bien sûr.
17:35Et ça a été fulgurant parce que je suis passé de vraiment de...
17:41la reine du drag français que tout le monde aime bien
17:44et qui ne reçoit pas de haine à tout d'un coup
17:47des centaines et des centaines de messages de haine
17:49qui venaient de personnes qui ne me connaissaient pas.
17:51C'était même pas mon public qui était déçu,
17:53c'était des gens qui me découvraient via l'émission
17:58et là je me suis dit ah ouais d'être exposé comme ça
18:02à 21h dans une émission très populaire
18:04c'est aussi s'exposer à toutes les violences.
18:06Quand cette haine elle vient d'un public
18:08qui n'est pas du tout le public qu'on essaie de séduire
18:11ça passe un peu mieux mais...
18:16Disons que juste avant moi il y a eu Laura Felpin
18:18sur Quotidien et qui elle aussi s'est pris beaucoup beaucoup de violences
18:24et je suis allé regarder un peu ce qu'elle se prenait aussi
18:26je me suis dit mais en fait c'est vraiment toujours les mêmes personnes qui commentent
18:30c'est toujours les mêmes personnes qui se défoulent sur les réseaux sociaux
18:34et c'est une réflexion sexiste, une réflexion homophobe
18:45ouais c'est vraiment on donne la parole à tout le monde
18:50donc forcément toutes les paroles ne sont pas modérées.
18:54Justement on va maintenant s'interroger ensemble sur l'attitude des plateformes face à ce cyberharcèlement
18:59pour vous, si vous deviez citer une plateforme qui est la plus dangereuse aujourd'hui
19:04pour le cyberharcèlement, ça serait laquelle ?
19:07Je pense que c'est Instagram, Twitter
19:10pour la simple bonne raison que les gens peuvent relayer une phrase
19:14et en faire un truc viral et le sortir de son contexte
19:18je vois aussi que maintenant sur ce réseau là on peut
19:22comment on dit, call out quelqu'un en une demi journée
19:26et ça devient le tribunal public
19:29et moi qui suis très sensible à la justice
19:31je suis le premier à dire il faut dénoncer certaines choses
19:35il y a des actes qui sont répréhensibles
19:38il faut donner la parole aux victimes, il faut donner la parole aux personnes concernées
19:42mais le problème c'est que tout le monde devient juge sur ce genre de réseau
19:47donc ça peut aller très vite et ça peut créer beaucoup de dommages
19:52moi je sais que quand je me suis fait vraiment harceler pour mes sketchs
19:57il y a un moment heureusement que j'étais entouré
20:00heureusement que j'avais mon agent, que j'avais des équipes, j'avais mon co-auteur
20:03j'avais mes amis, j'avais mon mec
20:05j'avais quand même plein de personnes autour de moi qui étaient capables de me dire
20:08prends du recul, ne lis pas
20:10si j'avais été un peu fragile, un peu isolé
20:14je ne sais pas comment j'aurais réagi à tout ça
20:17et je pense qu'il y a, et je comprends aussi pourquoi
20:20il y a des personnes qui viennent à se foutre en l'air
20:23à cause de ces harcèlements, parce qu'on se sent misérable
20:27tout d'un coup on ouvre
20:28moi pour préparer cette émission
20:30je me suis replongé dans des...
20:32alors comme moi je bloque systématiquement les commentaires négatifs
20:35j'ai eu du mal à retrouver tout ça
20:37donc je suis allé sous les commentaires de vidéos qui sont visibles de tous
20:41et juste de voir la haine, de ressasser la haine
20:44en une heure ça m'a déprimé
20:47on peut vraiment brouiller du noir très vite
20:50mais justement c'est une vraie question, vous êtes le premier à me dire ça
20:54vous vous bloquez, c'est-à-dire que quand vous voyez
20:56chaque personne, chaque commentaire, c'est bloqué
20:58je bloque pour deux raisons
21:00déjà parce que ce que je ne vois pas ne peut pas me faire de mal
21:03c'est un peu la politique de l'autruche
21:05mais parfois c'est bien de se protéger
21:08et puis parce que je me dis que si cette personne
21:11a ce point de vue-là sur moi aujourd'hui
21:16et qu'elle le verbalise comme ça
21:18même si elle change d'avis demain
21:21cette personne s'est permis de m'attaquer et d'être violente
21:24donc je ne veux plus avoir accès à cette personne
21:29et ça m'est arrivé de bloquer des gens
21:32qui font partie de mon public et qui
21:34a priori m'aiment bien mais qui un jour se sont permis de dire un truc
21:37je me suis dit non, ce n'est pas parce que je suis une personne publique
21:40que je mets mon travail en ligne
21:43que je médiatise ce que je fais
21:47que ça autorise les gens à dire tout ce qui leur passe par la tête
21:53je ne dis pas que je refuse la critique
21:56parfois la critique est constructive, parfois elle est argumentée
21:59parfois elle est intéressante, celle-là m'intéresse
22:02même quand elle est négative
22:04la haine pure et le commentaire juste dégradant
22:08pour moi n'est pas utile
22:12il ne me fait pas avancer en tant qu'artiste
22:14il me fait du mal donc je ne veux pas le voir
22:17est-ce que pour vous il y a des réseaux aujourd'hui
22:19qui sont plus LGBTQIA plus friendly que d'autres ?
22:23honnêtement je ne sais pas
22:25mon premier instinct ce serait de dire Instagram
22:28parce que je trouve un média un peu safe
22:31dans le sens où c'est du visuel
22:34où on est maître des commentaires
22:36on peut les effacer, ce qui n'est pas le cas sur X
22:39ou ce qui est gravé est gravé
22:41je peux juste ne pas le voir
22:43sur mon Instagram je peux supprimer les commentaires qui me déplaisent
22:46je peux bloquer les gens, je peux restreindre les gens
22:49et je peux aussi ne pas ouvrir les commentaires
22:52après ça reste quand même un réseau
22:55où l'image a beaucoup d'importance
22:59donc il y a aussi une politique de l'image
23:01une dictature de l'image
23:03je ne sais pas si c'est toujours très safe pour les queers
23:06qui justement sont souvent victimisés pour l'image
23:10pour des raisons d'image
23:12et par exemple si on vous proposait
23:14je ne sais pas d'animer une émission
23:16genre sur Twitch en Paloma
23:18c'est quelque chose que vous feriez ?
23:20j'ai participé une fois avec Monsieur Poulpe
23:22et j'ai découvert par la même occasion
23:24l'existence de Twitch
23:26puisque je suis un boomer
23:29je trouvais que sa communauté était bienveillante
23:32donc je ne me suis pas pris
23:34enfin je n'ai pas vu
23:36mais c'est vrai que c'est comme les lives
23:38c'est un truc où tu es en direct
23:40tu le prends tout de suite
23:42je ne sais pas si je me vois faire ça
23:44mais ce qui est sûr c'est que je me vois
23:46sur le service public
23:48sur des chaînes de grande audience
23:50faire des trucs à des heures de grande écoute
23:52oui parce que mon ambition dans la vie
23:54c'est de me faire bouger les lignes
23:56et pour moi, laisser quelques plumes
23:58ce n'est pas grave
24:00je suis un grand garçon
24:02j'ai fait 10 ans d'analyse
24:04je suis rodé à l'exercice
24:06et encore une fois
24:08je vous ai cité
24:10toute cette période
24:12où je me suis fait harceler
24:14elle n'a pas eu beaucoup d'impact sur moi
24:16ça a été dur à un moment
24:18je me suis questionné sur ce que j'étais en train de produire artistiquement
24:20c'est pas Hugo qui a souffert
24:22c'est Hugo le scénariste
24:24l'auteur des sketchs
24:26oui vous n'êtes pas dit je vais tout arrêter je vais couper mes réseaux
24:28non je me suis dit
24:30en fait je ne suis pas en train de faire les choses correctement
24:32et je me suis dit
24:34on a encore du travail surtout à faire pour que ça passe
24:36moi j'en ai parlé
24:38avec Alex Lutz
24:40quand il a fait Catherine et Liliane
24:42pendant un an
24:44il recevait des courriers papier
24:46des lettres chez Canal Plus
24:48en leur demandant d'arrêter l'émission
24:50et ils se sont entêtés
24:52là où c'est similaire
24:54son cas avec le mien
24:56c'est qu'il jouait un personnage féminin
24:58il était en drague
25:00et sa sensibilité
25:02sa personnalité
25:04la subtilité avec laquelle il jouait le personnage de Catherine
25:06pouvait laisser penser
25:08je pense à beaucoup de gens
25:10qu'il était homosexuel
25:12donc il y a eu une ambiguïté sur la sexualité d'Alex Lutz pendant très longtemps
25:14ce qui fait que je pense
25:16il s'est retrouvé dans la même situation que moi
25:18et au bout d'un moment ils se sont entêtés
25:20c'est devenu cultissime
25:22et après les gens ne voulaient plus que ça s'arrête
25:24donc j'aurais peut-être aimé
25:26que ça dure un peu plus longtemps
25:28après je suis parti en tournée donc je ne pouvais plus continuer le quotidien
25:30mais je pense qu'il faut s'obstiner
25:32et quand vous voyez que
25:34encore aujourd'hui
25:36les personnes les plus cyber assolées dans le monde sont
25:38les personnes LGBTQIA+,
25:40ça vous attriste ?
25:42c'est un sujet
25:44qui est épuisant
25:46parce qu'on parle de la sexualité des gens
25:48c'est vraiment le truc le plus privé
25:50et qui a priori ne doit pas être discuté
25:52quand on voit ce que
25:54certaines personnes très connues, hétérosexuelles
25:56font de leur
25:58vie privée
26:00on se dit oulala
26:02la loupe n'est pas mise au bon endroit
26:06moi ce qui m'embête
26:08c'est que
26:10on souffre d'un manque de représentation
26:12c'est en train de changer
26:14mais c'est ça qui est dangereux
26:16la violence elle existera toujours
26:18la violence elle existe pour les personnes racisées
26:20elle existe pour les femmes
26:22elle existe pour les handicapés
26:24elle existe pour les queers
26:26elle existe depuis toujours
26:28c'est juste qu'à un moment quand il y a de la représentation
26:30bon bah on se raccroche
26:32on se dit ah bah cette personne y arrive
26:34j'ai un modèle
26:36et nous avec Drag Race je pense qu'on a un peu créé ça
26:38c'est à dire que tout d'un coup
26:40pour tout un tas de jeunes queers
26:42qui étaient isolés et qui étaient face au cyber harcèlement
26:44qui étaient face à la violence
26:46et qui se sentaient seuls tout d'un coup bah ils se sont dit
26:48ah bah en fait
26:50la Grande Dame, Soha, Paloma, Lolita
26:52ils ont tel parcours de vie
26:54mais ils deviennent des surstars
26:56donc c'est très rassurant d'avoir des modèles
26:58moi mon seul modèle
27:02je saurais même pas vous dire quand j'avais 10 ans
27:04la seule personne queer à la télévision c'était Vincent Bregdoum
27:06et c'était la risée
27:08des cours de récréation
27:10et quel courage il a eu
27:12franchement
27:14moi je l'ai croisé à 23 ans
27:16je lui ai dit on oublie que t'as été le pionnier
27:18en tant que personne queer
27:20non binaire
27:22quand même en plus très pointu
27:24en termes de représentation
27:26on avait que ça
27:30c'est important d'avoir des modèles
27:32en tout cas d'avoir des représentations
27:34et qu'est-ce que vous
27:36je pense que quand il y a de la représentation
27:38n'est pas plus facilement supportable
27:40mais au moins il y a un super héros en face
27:42qui peut vous sauver
27:44c'est ce que vous diriez à un jeune qui est victime de cyber harcèlement aujourd'hui ?
27:46je dirais d'abord
27:48que ça va pas être le cas toute ta vie
27:50que c'est une étape
27:52que c'est
27:54ça va le rendre plus fort
27:58et puis que ça ira mieux après
28:00merci beaucoup Hugo Bardand
28:02de nous avoir livré votre témoignage et votre vision
28:04sur le cyber harcèlement
28:06et si vous aussi vous en êtes victime
28:08n'hésitez pas à contacter le 30 18
28:10le numéro national pour les victimes de violences numériques

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