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"Pour beaucoup de Français, l'ennemi prioritaire n'est plus le RN mais LFI", explique Jean Guarrigues. L'historiens, spécialiste de la politique, questionne le concept de "front républicain" à l'approche des élections législatives. Il est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 24 juin 2024.

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Transcription
00:00Andine Bégaud et Yves Calvi, RTL Matin, jusqu'à 10h.
00:04RTL 8h20, bonjour Jean Garrigue.
00:06Bonjour.
00:07Merci de nous rejoindre dans la matinale d'RTL, vous êtes historien, vous présidez le comité d'histoire parlementaire.
00:11En trois semaines, notre paysage politique a profondément changé.
00:15Peut-on parler de recomposition politique ?
00:17Moi je pense que la recomposition, elle était déjà en oeuvre avant la dissolution,
00:21mais que la dissolution l'a donné un coup d'accélérateur formidable
00:25et qui n'était pas forcément celui qui était prévu par le président de la République.
00:28C'est-à-dire ?
00:29C'est-à-dire que j'imagine que ce qu'il entrevoyait, c'était d'ailleurs d'aller jusqu'au bout du travail de la poutre pour la droite.
00:36Ça c'est plus ou moins réussi.
00:38Au fond, on va se retrouver avec une polarisation et un grand parti qui sera le Rassemblement National,
00:43qui ressemblera un petit peu au RPR des années 60.
00:47Grand parti de droite, mais plus vers la droite.
00:50Et à gauche, je pense qu'il comptait aller jusqu'au bout de ce qui venait de se passer aux élections européennes,
00:56c'est-à-dire un changement du rapport de force avec les socialistes qui passaient devant LFI.
01:00Et là, c'est pas du tout ce qui s'est passé.
01:02Alors face au Rassemblement National, le front républicain existe-t-il toujours comme en 2002 par exemple ?
01:08Non, le front républicain a explosé.
01:10Il a explosé d'une part parce que ce qui constituait le noyau de ce front républicain,
01:16c'est-à-dire un électorat centriste, un électorat macroniste on va dire,
01:20est en train de se réduire comme une peau de chagrin.
01:22Et parce qu'au fond, la marque front républicain,
01:25elle a été annexée au moment de ces élections par le nouveau front populaire.
01:29C'est-à-dire que c'est quelque chose qui apparaît d'ailleurs assez paradoxal,
01:33parce qu'on a vu justement la France insoumise notamment,
01:36qui menaçait un certain nombre des grandes valeurs, des grands principes républicains.
01:41Et on les voit aujourd'hui reprendre cette marque à leur profit.
01:44Et là, c'est un échec pour Emmanuel Macron.
01:46J'ai vu que vous affirmez que pour beaucoup de Français,
01:48l'ennemi prioritaire n'était plus le Rassemblement National, mais les Insoumis.
01:51Pourquoi ?
01:52Ça paraît évident, la stratégie de conflictualité de Jean-Luc Mélenchon
01:57a transformé la France insoumise en un véritable parti,
02:00je dirais un peu comme le parti communiste des années 30 aux années 60,
02:05qui était un parti qui était à côté, qui était à l'écart.
02:08En tout cas, au moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
02:11Et aujourd'hui, c'est quelque chose qui touche la France insoumise,
02:15alors que le Rassemblement National, au contraire, a réussi,
02:18on est obligé de le dire, sa stratégie de normalisation, de dédiabolisation.
02:23Est-ce que ça veut dire que Jean-Luc Mélenchon fait peur ?
02:24Qu'il est une sorte de repoussoir ?
02:26Vous voyez bien qu'il est un repoussoir, y compris pour son camp,
02:29parce qu'il est un repoussoir, y compris au sein de LFI,
02:32pour des gens comme Raquel Garrido ou Corbière,
02:35mais il est aussi un repoussoir pour Roussel, pour Ford,
02:39pour tous les autres dirigeants du Nouveau Front Populaire.
02:42Le président Macron s'adresse lui ce matin aux Français,
02:44dans une lettre publiée dans plusieurs quotidiens régionaux.
02:46Que vous inspire-t-elle ?
02:48Pas grand-chose, si ce n'est que le président est résolu
02:51à rester au pouvoir, à ne pas démissionner.
02:53Il ne démissionnera pas ? C'est ça le message ?
02:55Ce qui veut dire qu'au fond, il a intégré l'idée
02:58que peut-être il se va se retrouver en cohabitation
03:01avec un Premier ministre du Rassemblement National,
03:04et que peut-être son intention, ce serait éventuellement
03:07de dissoudre dans un an, mais qui sait ?
03:09Alors le président reconnaît un malaise démocratique
03:11et entend gouverner autrement.
03:13Après ces temps de pouvoir, ça peut s'entendre ?
03:16C'est un peu difficile, parce qu'il a répété ça
03:19plusieurs fois depuis qu'il est là,
03:21et même dès le premier quinquennat,
03:23après la crise des gilets jaunes,
03:25après toute la crise des retraites, etc.
03:27Il nous disait qu'il allait mieux comprendre les Français,
03:30et finalement ça ne marche plus.
03:33On voit bien que ça ne fonctionne plus,
03:35et que c'est le dégagisme au contraire aujourd'hui
03:37qui a le vent en poupe.
03:38Alors, n'ayez pas peur, nous dit le président,
03:40mais en fait, en le lisant justement d'au fond,
03:41si ce n'est pas lui qui a un petit peu peur en ce moment,
03:43peur d'avoir été à la fois le marche-pied du RN,
03:46peur d'être lâché par une partie de sa majorité,
03:49on voit bien qu'Edouard Philippe ou Bruno Le Maire
03:51sont en train de prendre une forme d'indépendance
03:53parce qu'ils pensent à l'avenir,
03:54et j'ai envie de vous dire,
03:55de leur point de vue, c'est normal.
03:56Comment vous analysez ça ?
03:57Il a fait exploser sa majorité, c'est très clair.
04:00Le macronisme s'est construit,
04:02et c'est finalement assez logique,
04:04sur l'homme providentiel qu'il était,
04:06il n'est plus l'homme providentiel,
04:08il aurait pu essayer de faire reconstruire sa majorité
04:12en prenant le temps.
04:13La dissolution, on pouvait très bien la faire beaucoup plus tard,
04:16ce qu'il est, c'est le temps de se reconstruire.
04:18Là, il les a pris de vitesse,
04:19y compris son premier ministre,
04:21y compris Horizon,
04:22y compris le modem de François Bayrou.
04:24Bayrou voulait une dissolution beaucoup plus tardive,
04:26et donc avec tous ces éléments-là,
04:28il fait exploser son camp,
04:30il accélère la recomposition,
04:32mais il ne les met pas dans les meilleures conditions
04:34pour la mener, cette recomposition.
04:35Que nous dit cette recomposition politique,
04:37finalement, de la société française, peut-être, en ce moment ?
04:40De façon plus large, là, je m'adresse à nouveau à l'historien,
04:42et on peut avoir un regard aussi sociologique sur ce qui se passe.
04:45Bien sûr, elle nous dit que la crise démocratique est là,
04:49je veux dire que la crise de confiance entre les Français
04:52et leurs élites politiques,
04:54elle se traduit par l'abstention.
04:56Aujourd'hui, pour ces élections, il y a une repolitisation,
04:59ça veut dire que les gens sont concernés par ce qui se passe,
05:02mais qu'a priori, ils vont voter pour les extrêmes,
05:04pour les gens qui sont les plus polarisés,
05:06parce qu'il y a ce malaise,
05:08parce que ce pacte de confiance
05:09avec nos institutions, avec ceux qui les représentent, est rompu.
05:13Vous qui êtes historien,
05:14notre société politique a-t-elle déjà été à ce point fracturée ?
05:18Écoutez, franchement, je ne vois pas de période républicaine,
05:24en tout cas, où la société politique aura pu être autant fracturée.
05:28Parce que si vous prenez même l'exemple d'un moment de tension très forte,
05:31qui est celui du Front Populaire,
05:32vous avez une espérance,
05:33vous avez toute une partie des couches populaires, justement,
05:37qui se reconnaissent dans ce que représente à l'époque le Front Populaire,
05:41qui ont un horizon d'espoir.
05:42Aujourd'hui, je n'ai pas l'impression que l'horizon d'espoir existe.
05:46Mais alors justement, cette alliance des gauches,
05:47qui va finalement de Philippe Poutou à François Hollande,
05:49elle ne peut pas durer.
05:51Je pense que c'est une alliance purement électorale, de circonstances.
05:56Les différences sont tellement grandes,
05:58y compris programmatiques, entre les uns et les autres,
06:00que ce soit sur l'Ukraine, sur Gaza,
06:02sur des choses beaucoup plus fortes,
06:04comme l'économie, le social, l'énergie.
06:08On est dans des lignes totalement différentes,
06:10dans des gauches qui sont, à mon sens, irréconciliables.
06:13Alors, on en arrive à certaines questions,
06:15j'allais vous dire, envie de vous dire définitives.
06:17Le macronisme, qui a été un événement dans la vie politique française,
06:21est-ce que c'est terminé ?
06:22En tout cas, c'est ce qu'affirme d'une certaine façon le président Hollande,
06:24qui a par ailleurs des comptes à régler avec son ancien ministre.
06:27Mais voilà, comment vous percevez ces choses-là ?
06:29Le macronisme ?
06:30C'est le macronisme, pardonnez-moi,
06:31alors peut-être j'ajoute, c'est le macronisme qui est fini,
06:33ou Emmanuel Macron en tant que tel ?
06:35Moi, je pense que c'est Emmanuel Macron,
06:37et d'une certaine manière, le macronisme,
06:39parce que le macronisme était justement
06:41ce resserrement des centres, des modérés,
06:44autour d'une personnalité emblématique.
06:46Je pense qu'il y a aujourd'hui,
06:48il peut y avoir aujourd'hui une reconstruction politique
06:50autour de ce « et à droite et à gauche »
06:52qu'on a beaucoup raillé,
06:54mais qui est une réalité politique de la France.
06:57On a toujours voulu aller « et à droite et à gauche »
07:01et au fond, aller vers quelque chose
07:02qui était de l'ordre de la modération.
07:04Aujourd'hui, on est dans un moment de protestation,
07:07on est dans un moment où on va vers les extrêmes,
07:09mais cette aspiration à quelque chose
07:11qui rassemble justement les hommes de bonne volonté,
07:14les républicains modérés,
07:15c'est quelque chose, je répète,
07:16qui est un fil conducteur de notre histoire
07:18et qui peut renaître,
07:19mais il ne renaîtra pas de la manière
07:21dont Emmanuel Macron l'a conçue,
07:23de cette manière un peu jupitérienne
07:25qui faisait tout converger autour de lui.
07:27Et de cette manière, à mon sens,
07:28le macronisme en tant que tel, il est terminé.
07:31– Mais on peut retrouver un clivage droite-gauche
07:32plus classique, si je peux dire,
07:34après, on va dire, l'extinction de Jupiter ?
07:36– Ce serait possible si, précisément,
07:40à gauche pouvait se constituer un pôle
07:42de gauche de gouvernement.
07:44On voit qu'on n'en prend pas le chemin.
07:46Et c'est là que se pose un problème.
07:48Vous avez d'un côté une polarisation de la droite
07:51avec ce rassemblement national
07:53qui prend la place des républicains
07:56et de l'autre côté, vous avez une gauche
07:58dans laquelle la gauche de gouvernement,
08:00la gauche, j'allais dire modérée, sociale-démocrate,
08:02est encore minoritaire.
08:04– Une toute dernière question,
08:05est-ce qu'Emmanuel Macron peut tenir encore trois ans ?
08:07– Oui, il peut tenir trois ans.
08:09Les institutions de la Vème République lui permettent.
08:12Il a tenu depuis 2022 avec une majorité relative.
08:15Il peut tenir en cohabitation.
08:17Les cohabitations n'ont pas toujours été
08:18les périodes les plus mauvaises de la Vème République.
08:21– Merci beaucoup Jean Garrigue.

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