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00:00Ici, c'est le 6-9 France-Bleu-Occitanie.
00:04Nous sommes le jeudi 20 juin 2024.
00:06Merci d'avoir choisi France Bleu et France 3 Occitanie.
00:087h46, début du quart d'heure Toulousain.
00:10On parle de votre santé, de vous.
00:12Est-ce que vous avez du mal à trouver un médecin près de chez vous ?
00:14Vous participez au quart d'heure Toulousain en appelant Fanny au 05 34 43 31 31.
00:19Bonjour docteur Mathieu Boulanger.
00:21Jusqu'à demain soir, vous êtes le seul et unique médecin généraliste de Saint-Antonin-en-Bleu-Valle dans le Tarn-et-Garonne.
00:27Et vous avez décidé de quitter la ville demain, de quitter la maison de santé dans laquelle vous travaillez depuis deux ans et demi. Pourquoi ?
00:34C'est une décision qui a été très difficile à prendre.
00:37Je me suis retrouvé dans une situation inextricable de me retrouver seul,
00:42lumière médicale finalement, sur un territoire de plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde.
00:47Et donc, il a fallu faire des choix entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle.
00:51Vous étiez trois dans cette maison de santé ?
00:53Absolument, on était trois médecins.
00:55Où sont partis les deux autres ?
00:56Un premier qui a cessé son activité prématurément et qui est parti dans une autre région de France.
01:00Une deuxième qui a été recrutée par la sécurité sociale pour devenir médecin conseil dans un autre département.
01:06Et juste dès le dernier, j'ai récupéré la patientèle de tous mes confrères.
01:09On a essayé de révolutionner notre méthode de travail avec mon assistante médicale qui m'a permis de tenir.
01:14Et malgré tous nos efforts pour changer notre métier, pour faire de nouvelles choses, investir dans des équipements pour travailler mieux,
01:21il y a un moment donné où ça craque.
01:24J'ai failli me mettre dans le fossé, la fatigue, la part de contact avec la famille.
01:28Vous avez dit en arrivant dans le studio, j'ai une famille des années 50 à la maison.
01:31Ça veut dire quoi ? C'est votre épouse, votre compagne qui gère absolument tout ?
01:34Ma femme fait tout.
01:35Parce que vous n'avez pas le temps d'être là ?
01:36Absolument.
01:37En fait, mon plus petit devait être suivi parce que je ne l'ai pas vu grandir.
01:42Il a 5 ans aujourd'hui.
01:43Il va bien, merci.
01:46Je ne l'ai pas vu grandir en fait.
01:48Il part à l'école, il en rentre, il va faire ses activités périscolaires.
01:52Je ne le vois pas.
01:53J'ai le compte rendu de ma femme le soir, de ce qui s'est passé dans la journée.
01:56Quelques photos.
01:58C'est ma vie.
02:00Un médecin a le droit de dire aussi, stop, je suis épuisé, je n'y arrive plus ?
02:03C'est une bonne question.
02:04C'est ce que vous faites aujourd'hui ?
02:06Oui.
02:07Ce n'est pas facile.
02:08Ce n'est pas facile.
02:09Parce qu'on n'est pas là, nous, pour se pencher habituellement.
02:12Je fais, j'ai un peu honte.
02:15Nous sommes les dernières personnes qui recueillons les confessions de patients, les souffrances,
02:21les bons jours, les mauvais jours.
02:22Hier, j'ai passé quasiment trois quarts d'heure à discuter avec une famille qui se déchire
02:26de manière très violente et essayer de les aider à progresser dans leur dossier,
02:29à trouver une conduite à tenir, une stratégie pour sortir de là.
02:32Nous, on est là pour aider les gens.
02:33On n'est pas là pour aller pleurer sur les plateaux, bien sûr.
02:36Et là, vous dites quoi à ces 3000 patients qui se retrouvent sans personne demain soir ?
02:41Elles doivent être dures, les réponses.
02:43Je pense que je passe le plus...
02:44C'est vraiment une question qui...
02:45J'ai pris le parti d'annoncer à mes patients très longtemps à l'avance la décision.
02:49J'ai beaucoup communiqué avec mes patients pour qu'ils soient au courant d'heure en heure
02:52de ce qui se passait.
02:53J'ai essayé de confier mes patients à mes confrères périphériques.
02:56On a fait des listes de patients.
02:57On a vraiment...
02:58On a fait un travail de fond énorme.
02:59Je n'ai pas eu de succès.
03:00J'ai échoué.
03:01J'ai complètement échoué là-dessus.
03:02On n'a pas...
03:03Vous partez exercer...
03:04À Gaillac.
03:05À Gaillac.
03:06Là où vous habitez.
03:07Certains de vos patients vont vous suivre, vont faire les 40 kilomètres pour venir vous voir ?
03:11Oui.
03:12Et certains plus.
03:13J'ai des patients de l'Aveyron qui m'ont déjà demandé si je pouvais continuer à faire leur
03:18suivi depuis Gaillac.
03:19Et j'estime qu'il vaut mieux ça que de se retrouver sans suivi.
03:23Parce que quand vous avez des médicaments pour du diabète, pour votre maladie cardiaque,
03:27quand vous avez une relation particulière avec votre médecin à qui vous avez parlé
03:30pendant des années, et que tout d'un coup il disparaît, vous n'avez pas envie de changer
03:33et de ne trouver un interlocuteur tout de suite.
03:35C'est difficile pour eux.
03:36Je pense qu'ils vont s'en retrouver un parce que c'est difficile de courir les collines
03:38quand vous avez mal au dos, quand vous avez une sciatique, quand vous avez une colique
03:42néphritique ou autre chose.
03:43Mais vous allez faire en sorte de mettre en place un système de covoiturage pour les
03:47patients qui veulent vraiment rester avec vous ?
03:49Absolument.
03:50Grâce à la communauté de communes de Saint-Antonin, il y aura un système de covoiturage grâce
03:55à une association qui met en relation les conducteurs et les passagers.
03:59Et donc comme ça, on va essayer d'amortir l'impact pour tous nos passagers, nos patients
04:03non véhiculés du village.
04:05Parce qu'il faut continuer, il faut maintenir le service.
04:09Absolument.
04:10Et ce que vous racontez, docteur, fait évidemment et sans surprise réagir nos auditeurs.
04:1305-34-43-31-31 du côté de Castelginest au nord de Toulouse avec Cédric.
04:18Bonjour Cédric.
04:19Oui, bonjour.
04:20Avez-vous un médecin, vous Cédric ?
04:22Oui, sous la pluie.
04:24Bon, sous la pluie.
04:26Vous avez un médecin, un médecin traitant ?
04:29Oui, donc tout à fait.
04:31Ça fait dix ans que j'ai aménagé à Castelginest.
04:35A Castelginest, il y a quatre ou cinq cabinets de médecins.
04:40Donc il y a dix ans déjà, personne n'a voulu me prendre.
04:44Et j'ai trouvé mon médecin à Saint-Alban.
04:47C'est juste à côté.
04:48Et en dix ans, dans le cabinet de médecins où ils étaient deux, il y en a un qui a
04:55pris sa retraite.
04:56Il a été remplacé pendant un mois.
04:58Le remplaçant n'a pas tenu.
05:00Donc il reste l'autre médecin que j'ai depuis dix ans, qui a soixante-dix ans.
05:06Et le porc, il fait des huit heures, vingt heures, vingt-et-une heures pratiquement
05:12tous les jours de la semaine, le week-end.
05:14Et sur Doctolib pour prendre rendez-vous, il faut entre huit, sept, dix, douze jours.
05:20Alors vous faites comment concrètement, Cédric ?
05:22Quand il va partir, pour de bon ?
05:25Je ne sais pas.
05:26Tant qu'il est là, je croise les doigts pour qu'il reste en bonne santé, le porc.
05:30Et vous aussi, du coup.
05:33Et après, franchement, je ne sais pas.
05:40Juste une chose aussi.
05:42Je suis papa depuis huit ans.
05:44Et pour avoir un pédiatre, c'était la même galère.
05:49Et il a fallu qu'on aille jusqu'à Fenouillé, à dix-douze kilomètres, pour trouver un pédiatre.
05:56Merci de ce témoignage.
05:57Cédric, pour votre appel depuis Castelgenès, j'imagine que ce témoignage,
06:00Docteur Boulanger, va vous faire réagir, puisque votre papa lui-même,
06:03qui est médecin à la retraite, vient d'épanouir dans votre maison de santé.
06:07Oui, absolument. Il a pris le parti de m'aider à écoper.
06:10On était, nous, à trois mois d'attente en automne,
06:12pour les rendez-vous réguliers, pas les urgents.
06:15Et donc, du coup, c'est une situation qui est complètement inacceptable,
06:17puisqu'on fait des ordonnances de trois à six mois,
06:19et à peine j'avais fait l'ordonnance, qu'il fallait déjà,
06:21que le rendez-vous n'était déjà pas possible à prendre.
06:23Donc, on a fait des gros progrès, grâce à mon père.
06:26Il a quel âge, votre papa ?
06:27Il s'en bat sur 70 ans.
06:29Pareil, ouais.
06:30Je lui rends hommage, parce que je pense qu'il a pu permettre de prolonger un petit peu.
06:35Je ne trouvais pas de remplaçant, tout simplement.
06:37J'étais à la fac de médecine de Toulouse, j'ai cherché, j'ai publié.
06:39J'ai essayé de rendre ça extrêmement attrayant pour mes copains,
06:42de leur montrer que Saint-Antonin vaut le coup de se bouger.
06:44C'est un beau village.
06:45Tiens, on est dans le Tarn, à Groyer.
06:47Beau village aussi.
06:48Bonjour Louise !
06:49Oui, bonjour.
06:50En direct sur France Bleu et France 3 Occitanie.
06:52On vous écoute Louise.
06:53Bonjour, moi c'est pareil, j'ai un problème.
06:56J'ai mon médecin de traitant, mais c'est tous les trois mois que je la vois.
07:00En ce moment, c'est très très dur d'avoir un médecin.
07:06Moi, j'ai une maladie chronique, et des fois j'ai des douleurs un peu partout.
07:12Vers où me tourner ?
07:15Soit vers les urgences, mais ils ne vous prennent pas de suite non plus.
07:19C'est ça, il risque d'y avoir également un afflux.
07:22Déjà qu'il y en a un aux urgences, au docteur Boulanger, c'est le risque.
07:25Dans ces zones, il n'y a pas de médecin.
07:26Oui, c'est ce qu'ils me demandent.
07:28Alors, les conduites à tenir, Groyer c'est particulièrement terrible aussi.
07:32Groyer, Gaillac, où je m'installe, c'est terrible.
07:35Toute la zone finalement.
07:36Et donc effectivement, les patients qui ont des problèmes urgents,
07:38on les oriente vers les urgences quand on peut.
07:40Mais les urgences, nous les refusent maintenant.
07:42Ils n'ont pas les moyens de faire de la médecine de ville.
07:44Absolument, et surtout, si vous n'avez pas l'âge qu'il faut,
07:47les urgences ne vous prennent pas.
07:48On ne peut pas envoyer nos patients toujours.
07:49Qu'est-ce qu'on fait désormais ?
07:50Merci beaucoup pour votre témoignage depuis le temps.
07:53Qu'est-ce qu'on fait désormais ?
07:54On a fait sauter le numerus clausus dans les facs de médecine,
07:56mais il faut du temps pour former un médecin.
07:58On finance des maisons de santé.
08:00Les maisons de santé que vous quittez à Saint-Antonin,
08:03les déserts médicaux sont toujours là.
08:05Comment on va sortir de cette impasse ?
08:08Je n'ai pas la prétention de faire des prescriptions à l'État, bien sûr.
08:11Ce qui m'a triste, et je l'avais découvert dans ma thèse à l'époque,
08:14c'est que les raisons, on les connaît depuis longtemps.
08:17L'INSEE avait même fait une étude.
08:19Ils avaient trouvé les causes pourquoi 10% des médecins généralistes
08:22arrêtent leur activité au bout de 8 ans d'activité,
08:24et 20% au bout de 18 ans.
08:26Imaginez donc, il faut les former.
08:27Mais en plus de ça, il y en a un gros paquet.
08:29Ce ne sont pas mes chiffres, ce sont les chiffres de l'État.
08:31Ils avaient trouvé les causes.
08:32Ils avaient dit que le métier ne ressemblait plus trop à ce qu'on voulait faire.
08:35Ils avaient dit qu'on était souvent attirés, nous, médecins généralistes,
08:37par d'autres carrières.
08:38Mais il y a les maisons de santé qui ont un peu contrôlé vos horaires et votre rythme.
08:41Ça n'a pas marché, visiblement.
08:42Ce n'est pas fait pour contrôler, c'est fait pour stimuler la coordination.
08:46Et moi, j'adore.
08:47D'être à plusieurs pour être plus fort.
08:49Exactement, créer un réseau.
08:50C'est-à-dire que moi, quand j'ai besoin d'une psychologue pédiatrique
08:52ou des choses comme ça, des orthophonistes,
08:54pour un patient qui a fait un AVC, qu'il faudrait éduquer rapidement,
08:57parce que le temps compte.
08:59Avoir une équipe, ça aide.
09:00Est-ce qu'il y avait une solution très rapide qu'on pourrait prendre ?
09:02Ce serait laquelle ?
09:03Encore une fois, je ne veux pas faire de prescription.
09:05On sort tout juste d'une négociation, d'une convention
09:07qui a été extrêmement compliquée à accoucher.
09:10On a une profession qui est aussi morcelée.
09:12Je ne veux pas m'improviser un cantateur ou un prescripteur de politique.
09:18C'est sûr qu'on a beaucoup de confrères qui s'en vont travailler au Canada,
09:21en Suisse, dans d'autres pays,
09:22parce qu'ils pensent que les conditions de travail seront plus favorables.
09:25Moi, je m'en désole.
09:27Parce qu'on a une mission en France.
09:29On a une population qui vaut le coup de se démener.
09:31J'adore ma patientèle de Saint-Antonin.
09:33On est dans une impasse quand même.
09:35On est dans une impasse, mais on essaie de sortir.
09:38On essaie de développer.
09:39Moi, je me rapproche de chez moi,
09:40parce que je ne vais plus avoir à faire mes 40 minutes de petite route.
09:42J'espère pouvoir travailler davantage.
09:43C'est aussi une petite solution à mon échelle.
09:45Et vous allez également former des internes
09:47qui vont devenir les médecins qui vous remplaceront.
09:49Je pense que le futur de notre métier, c'est aussi dans la transmission.
09:52On a un métier de compagnonnage.
09:53Je veux former des jeunes, leur donner la passion du métier,
09:55et peut-être en faire plus tard mes collègues.
09:57Et monter et repartir à l'assaut.
09:59Je ne me désespère pas.
10:00Je me protège, mais je veux continuer à aller au front.
10:03Merci beaucoup Mathieu Boulanger.
10:04Vous partez soigner vos derniers patients à Saint-Antonin-de-Nobleval
10:07avant de vous installer à Gaillac dans le Tarn.
10:10Vous êtes également très attendu.
10:11Merci docteur.
10:12Merci à vous.
10:13Merci d'être venu dans le studio de France Bleu Occitanie, 7h56.