Francis Morisset part en retraite ce jour après 49 ans de carrière à Météo France. Il est le dernier prévisionniste du bureau de Biarritz. Il revient sur l'évolution de son métier et du climat sur ce demi-siècle
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00:00Il a passé un demi-siècle à faire la pluie et le beau temps.
00:03Notre invité ce matin c'est Francis Morisset, prévisionniste et climatologue à Météo France, à Biarritz donc.
00:09C'est son dernier jour de travail aujourd'hui après 49 ans de carrière.
00:12Il en a passé 25 à Biarritz, Alia.
00:14Bonjour Francis Morisset, merci d'être avec nous ce matin en studio.
00:18Bonjour à vous tous, merci de me recevoir.
00:21C'est donc une journée spéciale pour vous, le dernier jour de votre carrière après 49 ans passé à scruter le ciel et les nuages.
00:28Qu'est-ce que vous en retenez ?
00:30Qu'est-ce que j'en retiens ? D'accélérer au moment.
00:33C'est une carrière super avec des moments forts, des moments aussi parfois un petit peu d'angoisse.
00:40Mais dans l'ensemble, il faut dire que j'ai débuté ma carrière à l'école de la météo au fort de Saint-Cyr à l'époque en septembre 1975.
00:51Vous parlez de moments forts et de moments d'angoisse. Dans quel contexte c'est angoissant votre métier ?
00:56Angoissant, ces dernières années, on a eu pas mal de restructurations, comme dans beaucoup de services publics.
01:07Et donc, c'est vrai qu'on ne savait pas trop à quelle sauce on allait être mangé.
01:11Mais ceci dit, j'ai beaucoup voyagé, j'étais prêt à voyager de nouveau si ça s'avérait nécessaire.
01:18Or, il s'est trouvé que mon choix était le bon, Biarritz.
01:22Donc, Météo France Biarritz.
01:24Vous avez fait 49 ans de carrière à Biarritz notamment. Comment votre métier a évolué depuis vos débuts ?
01:33Au départ, c'est l'armée de l'air qui m'a fait découvrir la météo.
01:37J'y ai passé 17 ans, j'étais formé par elle.
01:40Et je suis sorti au bout de 17 ans, cadre de maîtrise de ma spécialité par un concours interne.
01:45La Météo Nationale, qui n'était pas encore Météo France, m'a recruté en 1991.
01:52Et donc, au départ, c'est le dessin qui m'a séduit.
01:56On dessinait beaucoup en météo.
01:58On traçait nos cartes, on faisait nous-mêmes nos coupes du temps qu'il allait faire pour la journée uniquement.
02:04On présentait ses coupes lors de briefings aux pilotes de chasse.
02:09Et donc, ça m'a bien formé, cet apprentissage a été excellent.
02:15On commençait d'ailleurs comme observateurs pendant 6-7 ans et on devenait prévisionnistes.
02:20Je suis devenu, j'ai commencé à faire des prévisions, des protections pour les pilotes en 1983.
02:25L'informatique ensuite s'est emmenée mêlée à la fin des années 80.
02:29On a été les premiers à expérimenter.
02:31Donc, c'est l'observation qui a été automatisée en premier, qui a été informatisée.
02:36Elle est devenue automatique il y a une quinzaine d'années, complètement.
02:39Et maintenant, c'est la prévision qui va devenir automatique.
02:43C'est pour ça qu'on vit une période un peu difficile à Météo France actuellement.
02:47Justement, votre poste va être remplacé par une intelligence artificielle.
02:53Est-ce que c'est vraiment fiable ? Comment ça fonctionne, ces calculateurs ?
02:58On n'y est pas encore à l'intelligence artificielle.
03:00Météo France n'utilise pas encore l'intelligence artificielle.
03:02Pour l'instant, ce sont les GAFAM, je crois, telle Google, Huawei qui expérimentent tout ça.
03:08Et c'est vrai que c'est très prometteur.
03:10Pour l'instant, on se fie à nos modèles qui sont issus de la prévision numérique
03:15grâce à la montée en puissance de nos supercalculateurs.
03:18Il faut dire qu'on a multiplié notre puissance de calcul en 30 ans.
03:22On a multiplié par 10 millions la puissance de calcul.
03:25C'est-à-dire qu'à l'époque où j'ai quitté Limoges,
03:31on était à une puissance de calcul de 6 Go.
03:34Vous vous rendez compte que votre ordinateur actuel chez vous...
03:37Ça veut dire quoi, ça, pardon ?
03:38C'est-à-dire qu'on pouvait faire des prévisions sur la journée, le lendemain, etc. et pas aussi loin ?
03:42Voilà, les modèles n'étaient pas aussi fiables.
03:44On peut aller jusqu'à 8-10 jours pour les prévisions météo.
03:50On va beaucoup plus loin pour des projections climatiques.
03:54Mais pour les prévisions météo, on peut aller jusqu'à 8-10 jours.
03:57C'est le bout du chemin.
03:59Comment ça marche ?
04:01On quadrille la Terre, c'est ce qu'on appelle le maillage, en petits carrés.
04:06Ces petits carrés deviennent des petits cubes, par exemple.
04:09Et on se pose la question mathématiquement, grâce à une équation de l'évolution du temps,
04:13le petit cube qu'il y a sur Bayonne, actuellement, avec telle température, telle pression, telle humidité,
04:18que va-t-il devenir dans 5 minutes ?
04:19Puis 5 minutes après, puis 5 minutes après.
04:20C'est ce qu'on appelle des pas de 5 minutes, 5 heures, 5 jours, 10 jours, 15 jours.
04:25Et on en retire la substance jusqu'à 8-10 jours à Météo France.
04:28Est-ce que c'est vraiment fiable ?
04:30Alors, c'est fiable, mais on arrive au bout du bout de ce que pouvaient donner les modèles,
04:36les supercalculateurs.
04:40Puisque, pour des raisons électroniques, qu'on n'arrive plus à réduire les puces,
04:46on ne peut pas aller plus loin, parce qu'on arrive au bout du bout de ce que peuvent nous donner.
04:50Donc, on va faire appel à l'intelligence artificielle, qui, elle, se base sur toutes les données
04:55mises en archivé depuis des décennies, déjà.
04:58Les données d'images, d'observations qui sont faites automatiquement toutes les minutes,
05:05de ballons-sondes, etc., de bouées, d'avions.
05:10Donc, toutes ces situations archivées seront mises en comparaison avec le temps qui fait actuellement.
05:18Pour l'instant, l'intelligence artificielle arrive à 98% à donner de bonnes prévisions, effectivement.
05:2498%. Et les 2%, par contre, les 2% restants, ça bug.
05:29Et on ne sait pas pourquoi, pour l'instant.
05:31Météo France attend encore un petit peu avant d'utiliser.
05:34Il est 8h20 sur France Bleu Pays Basque.
05:36Francis Morisset, prévisionniste et climatologue à Météo France Imbérites,
05:39vit son dernier jour de boulot et il nous explique un petit peu comment fonctionne son métier.
05:43Vous disiez 2% de risque de se tromper,
05:47surtout que, chez nous, la météo est quand même assez changeante.
05:51Au Pays Basque, est-ce que c'est la même chose de prévoir la météo ici qu'ailleurs ?
05:55Quand je suis arrivé en 99, c'était beaucoup plus délicat.
05:59C'est vrai qu'il y a toujours des phénomènes locaux,
06:01tels l'effet de Feun par vent de sud
06:04et le phénomène de la brouillarde,
06:06qui sont des phénomènes vraiment typiques de la Côte Basque en France.
06:09Qu'est-ce que c'est ces 2 phénomènes que vous venez de citer ?
06:11L'effet de Feun, c'est dû au vent de sud.
06:13C'est la montagne des Pyrénées,
06:15donc la chaîne Cantabrico-Pyrénéenne,
06:18qui vient compresser la masse d'air qui nous vient du sud
06:21et la réchauffe et la sèche.
06:23Ce qui fait qu'on a plusieurs jours de grand beau temps,
06:25alors qu'on part tout ailleurs, il fait mauvais.
06:28Nous, on a du grand beau temps par effet de Feun
06:30et des températures exceptionnelles.
06:32Il m'est arrivé de trouver des 27 degrés
06:34en plein mois de février ou mois de mars,
06:36à n'importe quelle période de l'année.
06:38Donc ça, c'est l'effet de Feun.
06:39Et on a également ce phénomène de la brouillata
06:41qui intervient...
06:45On a plusieurs jours de beau temps,
06:472 à 3 jours de beau temps, avec des températures
06:49qui dépassent de 10 degrés la température de la mer.
06:53Donc on a 32 degrés sur Terre,
06:55et puis 20 degrés en mer.
06:58Et donc d'un seul coup,
06:59on a une entrée d'humidité de basse couche,
07:01de très basse couche,
07:02qui est accompagnée d'un fort coup de vent parfois,
07:04ce qu'on appelle une forte galerne.
07:06On appelle ça embata à Hondaï,
07:09brouillata à Saint-Jean-de-Luz
07:11et galerna en Espagne.
07:13Ça a donné galerne en France.
07:15Entrée maritime brutale.
07:17Sur justement les prévisions météo,
07:19je peux vous en parler aussi dans le sens
07:21où je la fais tous les jours,
07:22la météo sur France Bleu, Pays Basque,
07:23on reçoit les bulletins de Météo France,
07:25on a les cartes aussi.
07:26Régulièrement, il faut le dire aussi,
07:28je suis désolé si ça ne vous fait pas plaisir,
07:30mais on n'est pas toujours sûr.
07:32Vraiment, ça ne correspond pas toujours.
07:34Et par exemple, quand je prends l'application de mon téléphone,
07:36j'ai l'impression que ça correspond un peu plus
07:38à la vérité de ce qu'on a dans le ciel le jour même.
07:40Comment est-ce qu'on peut l'expliquer ça ?
07:42Parce que je ne pense pas que la méthode de mon téléphone à la pomme
07:44ce soit Météo France.
07:46Alors, l'application Météo France,
07:49actuellement, elle est dans les choux.
07:51On est en une période de transition
07:53où on a mis un petit peu la charrue avant les bœufs.
07:57C'est-à-dire que la prévision était départementale
08:01depuis la fin des années 80.
08:03Elle est devenue régionale à partir des années 2010-2012.
08:07Et depuis novembre 2023,
08:10elle est nationale.
08:11C'est-à-dire que l'expertise est nationale.
08:13Et donc, vous prenez n'importe quelle application,
08:16le Météo Ciel, Météo News ou autre,
08:19elle va vous donner d'aussi bonnes prévisions météo
08:24que celles de Météo France.
08:26Actuellement,
08:29les sorties de modèles de Météo France
08:33ne sont plus expertisées que par une seule personne.
08:36Alors qu'il y a quelques mois,
08:38elles étaient expertisées par plusieurs personnes,
08:40plusieurs régions.
08:41Et auparavant, même tous les chars que département.
08:44Donc, il y a moins de monde, tout simplement.
08:46Et donc, c'est moins précis.
08:47On a même été obligé de recruter un peu plus ces derniers temps.
08:51Et on est à peu près à 2600 personnes,
08:53alors qu'on était à 3700 auparavant.
08:56Justement, ça ne risque pas de s'arranger
08:58avec la suppression de votre départ à la retraite
09:02et le poste qui n'est pas...
09:04Oui, personne n'est irremplaçable.
09:06Et donc, c'est un mauvais moment que l'on passe.
09:11On a connu déjà ça en 92,
09:13lorsque la météopole a déménagé du pont de l'Alma
09:19au pied de la tour Eiffel à Toulouse.
09:21Et donc, je me souviens de période où,
09:24à cette période-là, tous les anciens,
09:26la plupart des anciens, ont pris leur retraite.
09:29On ne pouvait prendre leur retraite que d'aller à Toulouse.
09:31Et il n'y avait plus que des jeunes.
09:33Et on a vécu des moments très difficiles.
09:35On s'en est remis, puisque Météo France
09:37s'est hissé quand même au troisième rang mondial
09:39des services de prévision.
09:41Derrière les Etats-Unis et l'Angleterre,
09:43je crois, le Royaume-Uni.
09:45Et là, on est un petit peu en train de décliner.
09:49En ce moment, les prévisions ne sont pas très fiables.
09:51On va s'y remettre.
09:53Et je pense qu'avec l'arrivée de l'intelligence artificielle,
09:56même s'il y a des raisons d'angoisser un petit peu,
10:02d'être un petit peu inquiets,
10:04je pense qu'on va rebondir.
10:06Après avoir touché un petit peu le fond, ça va aller.
10:08Vous ne nous rassurez pas beaucoup ce matin, quand même.
10:10Vous ne nous rassurez pas beaucoup, quand même, ce matin.
10:13Surtout dans la période de réchauffement climatique, etc.
10:16Justement, d'un point de vue climatique,
10:18vous êtes un peu aux premières loges
10:20face à ce réchauffement climatique.
10:22Où on en est chez nous, aux Pays-Bas ?
10:24Comment ça évolue ?
10:26Alors, comme partout,
10:28vous prenez l'histogramme des températures de Biarritz,
10:30comme partout en France,
10:32ça se réchauffe.
10:34Depuis le début des années 80,
10:37hormis 84,
10:39qui a été une petite anomalie froide,
10:43chaque année a été une anomalie chaude
10:46depuis le début des années 80.
10:48Avec un point culminant en 97,
10:522003, 2006,
10:54et a dépassé depuis en 2020,
10:56la première place 2022,
10:58et la deuxième place 2023.
11:00Donc ça se réchauffe comme partout.
11:02C'est la température qui nous inquiète.
11:04Au niveau des précipitations,
11:06ça reste stable, à peu près.
11:08On a eu beaucoup de pluie ces dernières semaines.
11:10Ah oui, cette année, on a eu beaucoup de pluie.
11:12Mais bon, nous, en climatologie,
11:14il faut savoir qu'on prend la moyenne
11:16de tous les temps qu'il a fait sur plusieurs décennies,
11:18sur 30 ans par convention,
11:20et donc on est à peu près stable
11:22au niveau des précipitations.
11:24Par contre, la température qui augmente,
11:26la transpiration, les vapeurs de transpiration qui augmentent,
11:28elle a augmenté de 25% depuis les années 70,
11:31et le bilan est négatif.
11:33Donc on a effectivement
11:35un assèchement
11:37des sols, puis des nappes
11:39progressives.
11:41Merci Francis Morisset,
11:43prévisionniste et climatologue
11:45à Météo France Biarritz,
11:47et bonne retraite !