Le président de la République est à Oradour-sur-Glane, dans la Haute-Vienne, ce lundi 10 mai. Il rend hommage aux 643 civils tués par la division SS "Das Reich" il y a 80 ans, le 10 juin 1944.
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00:00 -Cher Franck-Walter Steinmeier,
00:02 merci pour vos mots,
00:04 leur profondeur et leur sincérité.
00:10 Merci, ici, de les avoir dits en français.
00:14 Vous l'avez aussi exprimé.
00:20 Dans le silence d'Auradour,
00:24 toute parole semble inutile,
00:28 parce que la mémoire est visible
00:30 et que le lieu est discours.
00:33 Et ce village couleur de suie et de cendres,
00:38 ces maisons aux embrasures dévorées
00:41 comme sans paupières,
00:44 tout porte le rappel des flammes,
00:48 des détonations,
00:50 des hurlements,
00:52 de l'horreur brute.
00:56 Derrière la vision de cauchemar, on peut encore deviner
01:00 le village français de jadis,
01:03 celui que vous avez demandé d'imaginer aux enfants.
01:10 Avec son maire, son instituteur, son coiffeur,
01:16 son charron et ses commerçants,
01:18 son fourmillement quotidien,
01:20 l'odeur du pain frais, de la boulangerie et les enfants qui jouaient
01:25 et les cloches qui marquaient le temps.
01:27 Mais les cloches se sont tues
01:31 et le temps s'est arrêté pour jamais
01:35 à 14h, un 10 juin.
01:38 Il y a 80 ans,
01:41 jour pour jour,
01:43 l'heure où un détachement de la division d'Azraïch
01:48 a encerclé soudainement le village,
01:50 cette même unité SS qui, la veille,
01:54 avait pendu 99 hommes au balcon de Tulle
01:58 avant de déporter 149 autres.
02:01 Elle forme un étau qui se resserre méthodiquement
02:05 depuis la lisière du village.
02:07 Rabats hommes, femmes, enfants et vieillards
02:10 sur la place du champ de foire.
02:12 Ceux qui ne peuvent pas marcher sont abattus.
02:16 Les hommes sont séparés des femmes et des enfants,
02:21 poussés dans des granges
02:23 dans lesquelles les SS installent des mitrailleuses
02:26 pour les fusiller.
02:27 Les femmes et les enfants sont regroupés dans l'église,
02:33 bientôt mitraillés, dynamités, incendiés.
02:39 Le sacré bafoué doublement,
02:44 outrageant la foi de ceux qui croient en Dieu
02:46 comme la foi de ceux qui croient en l'homme.
02:51 Les corps éliminés par le feu, jetés dans des charniers
02:54 pour rendre leur identification impossible,
02:56 pour prolonger la terreur par l'interdiction du deuil.
03:00 643 suppliciés,
03:05 dont 207 enfants
03:08 et 246 femmes.
03:11 Non pas simplement victimes, mais bien martyrs,
03:16 parce qu'ils ont été pris pour boucs émissaires de la liberté.
03:21 Martyrs.
03:22 Parce qu'Auradour avait accueilli par centaines les exilés,
03:27 les réfugiés et les révoltés,
03:30 républicains espagnols chassés par le franquisme,
03:33 évacués alsaciens, expulsés mausolens,
03:37 réfugiés du Nord et du Pas-de-Calais,
03:39 de Montpellier et d'Avignon,
03:42 juifs de la région parisienne,
03:45 de Morte-et-Moselle ou de Bayonne ou de l'étranger,
03:48 fuyant les persécutions.
03:51 Auradour était devenue une petite France,
03:56 avec ses racines et ses ramures,
04:00 son ancrage et sa vocation à l'universalité.
04:05 Les massacres d'Auradour
04:12 sont de l'ordre de l'impensable,
04:16 l'indicible,
04:19 l'imprescriptible.
04:20 Et les vers du poète Jean Tardieu raisonnent.
04:26 "Auradour n'est plus qu'un cri,
04:30 "non de la haine des hommes, non de la honte des hommes."
04:35 Il a fallu 10, 20, 50, 80 ans
04:43 pour qu'Auradour, non de la honte,
04:46 devienne aussi, non de la mémoire
04:49 et non de la réconciliation.
04:52 Que ce nom de la haine des hommes, non de leur deuil,
04:59 soit à nouveau prononcé avec des accents de paix.
05:02 Et c'est bien avec ces accents
05:04 que nous prononçons aujourd'hui ce nom d'Auradour.
05:08 Et votre présence aujourd'hui à nos côtés,
05:13 M. le Président,
05:15 votre présence fraternelle,
05:17 nous parle de ce dialogue que nous avons renoué
05:21 par-dessus les tempêtes,
05:22 que nous ne cessons de faire vivre
05:25 et que nous avons encore approfondi
05:27 il y a 2 semaines ensemble en Allemagne.
05:30 Nos 2 peuples
05:33 regardent en face Auradour, main dans la main,
05:37 côte à côte,
05:39 comme son côte à côte aujourd'hui
05:42 la petite fille allemande d'Adolf Heinrich,
05:45 l'un des Waffen-SS qui a participé au massacre,
05:49 et la petite fille française du dernier témoin,
05:55 celui à qui nous pensons tant aujourd'hui,
05:59 Robert Ebrard.
06:01 Elles n'ont pas peur.
06:05 Elles n'ont pas peur aujourd'hui de regarder l'histoire en face.
06:11 Elles n'ont pas peur.
06:13 Pas peur de se connaître, de s'estimer,
06:17 de dialoguer, de témoigner,
06:19 de raconter ensemble inlassablement.
06:22 Et ce sont elles, aujourd'hui,
06:26 qui nous tendent ce flambeau de la mémoire qu'elles ont repris.
06:31 Et à leur suite,
06:34 nous n'aurons pas peur d'aller de l'avant
06:37 et de construire.
06:40 Vous en avez parlé plus tôt ce matin, je le sais.
06:44 Il y a dans ce village
06:47 des murs qui ont tenu,
06:50 quelques-uns qui ont survécu,
06:52 et ce chêne de 1848
06:55 qui jamais ne s'est abattu.
06:58 Mais au-delà
07:04 de cette vie qui a survécu avec l'innocence et l'injustice,
07:09 l'innocence qui l'accompagne,
07:11 il y a le chemin qui n'est pas moins glorieux
07:15 et si difficultueux de la mémoire et de la réconciliation.
07:19 Il y a le chemin que Robert Hébras et plusieurs autres à ses côtés,
07:26 que vos associations, que vous, M. Le Maire,
07:28 et nombre de vos prédécesseurs,
07:31 et que tant d'entre vous, habitants d'aujourd'hui, avez mené.
07:34 Celui de connaître
07:38 et de ne pas oublier
07:40 est celui
07:44 de nous réconcilier.
07:47 Parce que dans cette réconciliation se tient l'amitié
07:51 entre l'Allemagne et la France,
07:53 et se tient notre Europe,
07:55 projet si singulier,
07:59 fou de paix.
08:01 "Le pardon est la promesse", disait Hannah Arendt.
08:08 Mais il n'y a dans ce projet rien d'évident,
08:11 rien de spontané, rien de naturel.
08:14 Il y a le courage des générations qui l'ont vécu.
08:18 Et il doit y avoir le même courage et la même détermination
08:23 de leurs petits-enfants comme celui que vous nous avez montré,
08:26 mesdames, à l'instant.
08:28 C'est ce chemin qu'il nous faut emprunter.
08:34 Alors oui, nous nous rappellerons d'Auradour,
08:38 toujours.
08:39 Parce que l'histoire jamais ne recommence,
08:43 qu'elle soit choisie,
08:48 qu'elle soit parfois subie.
08:50 Et c'est dans ce souvenir,
08:55 dans les cendres d'Auradour, que nous devons faire renaître
09:00 la force de cette réconciliation,
09:03 la sève de notre projet européen.
09:06 Et notre volonté,
09:08 encore bien présente,
09:10 de liberté, d'égalité et de fraternité.
09:17 Merci, M. le Président, d'être à nos côtés en ce jour,
09:23 d'avoir tenu ces mots.
09:25 Et merci, mes chers compatriotes,
09:28 d'être là, dans le silence de ce village
09:31 où nous n'oublions rien.
09:34 Où nous n'oublions rien,
09:36 mais où nous voulons,
09:38 fraternels, français,
09:42 bâtir notre avenir.
09:45 Vive la République, vive la France.
09:48 (Applaudissements)
09:50 (...)