Journées du Livre Russe 2017 - Joseph Kessel, la vie jusqu'au bout

  • il y a 4 mois
Une conférence littéraire, avec Marc Alaux.

Les Journées du Livre Russe & de la Littérature Russophone est un salon littéraire organisé chaque année à Paris.

Le Prix Russophonie qui récompense la meilleure traduction littéraire du russe vers le français, fêtait cette année son 11e anniversaire.

Le thème de cette 8ème édition 2017 était: Les Voix de la Diaspora Russophone.

Pour en savoir plus:
Le site JLR - http://journeesdulivrerusse.fr/
Le site Asso France-Oural - http://france-oural.fr/
La page Prix Russophonie - http://journeesdulivrerusse.fr/prix/

Images: Jonathan Favorel, Serge Marie.
Montage: Jonathan Favorel.
Transcript
00:00 [Musique]
00:15 Bonjour, merci d'être venu pour cette première d'une grande série de conférences de table ronde dans cette salle des fêtes
00:24 où j'espère vous voir encore plus nombreux au fur et à mesure de la journée
00:28 et notamment lors de la cérémonie de la 18h30 de la remise du prix Russophonie.
00:34 Je pense que vous vous êtes habitués aux journées de livres en russe,
00:40 j'en dirais quand même un petit mot.
00:43 C'est une manifestation que l'association France Orale organise pour la mixte de la même foi
00:48 et dont l'idée principale est de promouvoir et de faire connaître au public français
00:54 à la fois les écrivains et les oeuvres écrites en russe,
00:59 qu'elles émanent d'écrivains ayant la citoyenneté de la nationalité russe
01:04 ou d'autres écrivains qui n'ont pas la nationalité russe, mais qui écrivent en russe.
01:12 Et vous pouvez vous rencontrer tout au long de ces deux journées,
01:15 et c'est pour ça que ces journées ont été aux sacrés hôtels de la diaspora,
01:20 qu'il y a beaucoup d'écrivains, et en particulier en France, d'origine russe,
01:25 qui ont continué à écrire en russe tout en étant parents en Russie.
01:33 Et l'un de ces écrivains, c'est Joseph Tessin,
01:38 qui vous sera présenté, qui vous sera détaillé par Marc Gallo,
01:43 qui autrement passe une grande partie de son existence, si j'ai bien compris,
01:50 dans le désert de Gomi, dans le désert de Gomi,
01:55 qui sillonne de l'an large depuis plusieurs années,
01:58 et donc il est aussi bien capable de vous parler de la Mongolie,
02:02 des steppes et de loyer de Mongolie, que de Joseph Tessin.
02:07 Bon, je lui passe le parole.
02:10 Merci. Alors je suis très heureux de prendre la parole devant vous aujourd'hui
02:14 au sujet de Joseph Kessel, dans cette très belle salle des fêtes.
02:17 Puis salle des fêtes, c'est un bel endroit fait pour évoquer Joseph Kessel.
02:21 Alors on m'a demandé de me tenir sur la scène, donc je vais faire quelque part en arrière,
02:26 et vous dire quand même qu'évoquer ce doux gredin qui a vu Joseph Kessel en une heure
02:34 est assez difficile. Parler, résumer, tenter de faire le tour
02:39 de quelqu'un qui a été écrivain, journaliste, scénariste,
02:44 auteur d'un champ connu mondialement, le champ des partisans,
02:48 qui a été résistant à traverser deux guerres en tant que combattant
02:52 et frôlait la mort à neuf reprises,
02:54 qui a produit 85 ouvrages et encore plus d'articles,
03:00 qui a eu trois femmes et encore plus d'amortis, mais vraiment beaucoup plus,
03:05 et qui a allouté quasiment à toutes les drogues et à tous les alcools.
03:09 Donc du coup tout ça en une heure c'est assez difficile.
03:12 Alors comme les hommes revivent un peu dans le récit qu'on fait de leur vie,
03:16 je vais tenter de faire le récit rapidement de celle de Joseph Kessel, né en 1898.
03:24 Je vais tout de suite aller éteindre les lumières de manière à ce qu'on entend,
03:28 à ce qu'on voit un peu mieux.
03:31 Voilà, c'est visible là-bas ? Oui ?
03:34 Alors, j'ai rencontré Joseph Kessel de manière assez étonnante,
03:37 non pas en lisant le lion à l'école, lecture qu'on nous inflige souvent,
03:42 alors que ce n'est pas un livre conçu pour les enfants à l'origine.
03:46 Mon père, mon oncle et mon frère avaient boîtres militaires,
03:50 je n'avais ni Mermoz, ni l'équipage, ni l'armée des ombres,
03:56 et puis lorsque je s'y flottais en me promenant dans la campagne,
04:00 le chant des partisans, c'était sans en savoir le nom des auteurs.
04:05 Non, c'est au camp de Satori, lorsque j'effectuais mon service militaire,
04:08 qu'on a féminement unifié à Kessel.
04:11 Chose amusante, c'est la même qu'au début de la première guerre,
04:14 il avait été incorporé et qu'il effectuait ses premières armes.
04:18 Pourrait-on dire "me voici un jour sur la place du rapport,
04:20 avec mes collègues de sous-France, toute la section est en garde à vous,
04:23 et puis le gradé s'approche de nous, vérifie".
04:26 Moi je me dis "bon c'est bon, le traitier est propre,
04:28 j'ai la main sur la couture, mes rangers sont cirés trois fois par jour,
04:31 rien de tout normal".
04:32 Puis le voilà qui s'arrête en face de moi et qui me dit "allô".
04:35 Je commence à trembler, je me dis "bon le verret est à 45 degrés,
04:38 tout est bon".
04:39 Il me dit "allô, toi qui pars dans la steppe".
04:41 Et à ce moment-là, je préparais mon premier voyage à pied
04:44 dans le désert de Gaulle, 6 mois de marche,
04:46 et il en avait entendu parler, et il me dit "allô, toi qui pars dans la steppe,
04:50 prends ce livre-là, il est fait pour toi".
04:52 Et il me tend le livre en folio que vous voyez là, "Les Cavaliers".
04:57 Et voici que, peut-être parce que justement j'étais habitué à la discipline dans la famille,
05:02 je le lis dans mon agro-sac.
05:04 Et me voici ensuite durant 6 mois, à la lueur de la bougie du feu de camp,
05:08 en me protégeant des abeilles sous de neige ou en écoutant le hurlement des loups,
05:13 me voici à lire et relire Quessène.
05:15 Et au retour, après ces 6 mois de vagabondage en compagnie de Quessène,
05:21 j'entame un voyage encore plus ambitieux,
05:23 le voyage à travers son oeuvre riche de 85 volumes,
05:27 qui m'a occupé ce voyage une dizaine d'années.
05:29 Et puis j'ai bien autoré ça par 3 ou 5 années d'écriture sur le sujet.
05:34 Alors rassurez-vous, je ne vais pas vous faire l'intégralité de la géographie de Quessène,
05:38 c'est simplement cette carte-là pour vous montrer la manière avec laquelle il a dû,
05:44 durant les 80 années de son existence, sillonner le globe.
05:49 A 5 reprises en Afghanistan, à 4 ou 5 reprises en Israël,
05:53 mais aussi, surtout, il est né en Argentine, dans la région de Clara.
05:58 Il n'y passe à peine qu'une année, et en 1899, ses parents,
06:02 qui sont des Juifs d'origine russe, plutôt russe par sa mère dans la région de Rondour
06:08 et lituanienne par son père dans la région de Chaoui,
06:12 déménagent d'Argentine, où ils travaillaient comme médecins,
06:16 pour regagner la région de Rondour.
06:18 Et voici que durant les 10 premières années de vie de Quessène,
06:22 il va se produire quasiment une dizaine de déménagements,
06:25 entre différentes régions de France, Rondour à deux reprises,
06:29 la région parisienne, Tarn-et-Garonne,
06:31 pour finalement, à un moment, s'arrêter de manière vraiment importante,
06:36 et c'est là qu'il va se construire le jeune Quessène.
06:40 Toute son adolescence va être passée à 10.
06:43 C'est notamment là qu'à l'école, il va avoir un excellent professeur,
06:48 Hubert Mouran, son professeur de français et puis d'humanité, de la taille de grec,
06:53 qui va initier ce jeune garçon à la grande littérature.
06:57 Alors ce garçon qui était quand même un lecteur précoce,
07:00 et qui déjà avait lu des grands auteurs russes,
07:03 lorsque à 10 ans, il était encore au porte de l'Oise,
07:07 et le voici maintenant à lire, au début de l'adolescence,
07:11 Kipling, dit Quess, et puis plus tard, vers 17 ans, Dostoyevski,
07:15 et là c'est un véritable flash.
07:17 Parce qu'il retiendra une formule qui est dans les frères Karamazov,
07:22 "Puisque Dieu n'existe pas, tout est permis."
07:25 Et ça deviendra presque une phrase symbolique
07:29 de la manière avec laquelle il a embrassé l'existence.
07:33 Le voici à gauche, avec à droite son jeune frère Lafar,
07:37 qui se suicidera et qui sera le thèbre biologique de Maurice Brune.
07:45 À ce moment-là, Joseph ne se destine qu'au théâtre,
07:50 ou plutôt se destine au théâtre,
07:52 mais a un goût furieux pour la bagarre, pour la boxe.
07:55 Déjà un petit peu pour l'écriture, il effectue ses premières piges
07:58 grâce à son professeur de français.
08:00 Il traduit des articles de journaux russes,
08:03 mais Quessette ne s'attarde pas dans l'enfance.
08:05 Il a 17 ans, alors qu'au bruit de bottes succède le nondemain des canons
08:10 et que la première guerre s'engage,
08:12 lui s'engage comme infirmier volontaire dans l'hôtel impérial
08:16 qui est transformé en hôpital pour les gueules cassées,
08:20 pour toutes ces âmes en souffrance qui reviennent du front
08:23 et qu'on essaie de soigner.
08:25 C'est aussi là qu'il va faire ses premières amours
08:30 avec quelques infirmières dont les maris sont profonds.
08:34 Puis très vite, dès qu'il en a l'opportunité,
08:37 dès qu'il a l'âge suffisant, il va s'engager.
08:40 Il s'engage, je l'ai dit, au camp de Satori, dans l'artillerie,
08:43 mais en juin 1917, apparaît devant lui,
08:48 un peu comme moi mais avec beaucoup plus d'élégance,
08:51 sur scène un officier, pilot,
08:55 portant le képi frappé des ailes de l'aviation,
09:01 avec des bottes en cuir, avec son ceinturon et son uniforme aîné,
09:05 va tenter de recruter parmi les infirmières des volontaires
09:10 de manière à servir d'observateur à l'aviation
09:13 qui n'est à ce moment-là globalement qu'une aviation d'observation
09:16 et qui sert à régler le métier en artillerie.
09:19 Et qu'Essel voit dans cette opportunité non pas la possibilité de voler,
09:23 même si plus tard, le grisement, le vrombissement du moteur,
09:28 le sifflement des balades verts, le crépitement de la mitrailleuse, etc.,
09:31 voici quelle est la motivation qui l'a poussé à s'engager dans l'aviation.
09:36 C'est un extrait de l'équipage, son deuxième livre,
09:39 qui me fait paraître en 1923, à seulement 25 ans,
09:42 et qui le lancera avec un succès incroyable.
09:46 Il savait bien ce qui l'avait poussé dans l'aviation.
09:49 Ce n'était pas soif d'héroïsme, mais vanité.
09:52 Il s'était laissé tenter par la séduction de l'uniforme,
09:56 des insignes glorieux, par le prestige de l'homme aimé sur les femmes.
10:00 Elle, surtout, l'avait décidé.
10:03 Pour qu'Essel s'engageait durant la première guerre,
10:06 ça ne met pas tant à défendre la France,
10:09 même si pour lui ce devoir est impératif,
10:12 c'est surtout rejoindre la cohorte des ennemis qui volent
10:15 et qui, surtout, combattent de manière très sporadique.
10:19 C'est-à-dire qu'on est très loin, à cette époque-là,
10:21 du nettoyage des tranchées à la baïonnette et à la grenade.
10:24 On vole quelques heures par jour et on va se reposer en arrière du front
10:28 où, éventuellement le soir, on va boire un verre dans le café environnant.
10:34 Et finalement, ce que qu'Essel décrit comme une école huissonière,
10:38 cette première guerre, il va la vivre de manière très intense,
10:41 dans l'escadrille S39, du côté de Reims.
10:45 Il est observateur, comme des papillotes,
10:49 il vole sur des appareils britanniques,
10:53 comme celui-ci, un Sophie, un Samson.
10:56 Et voilà, encore une fois, on demande des volontaires.
10:59 Cette fois-ci, c'est en 1918, l'Alliance de l'Ouest
11:03 tente d'ouvrir un nouveau front, en vérité,
11:06 de bloquer la course des bolcheviks vers l'Est, en Sibérie.
11:09 Et on a besoin d'improvisionner les troupes du général Chamin,
11:13 qui justement les combattent.
11:15 On va recruter des tentistes, des aviateurs,
11:19 des fantassins, parmi l'armée française, pour les envoyer,
11:23 en passant par les États-Unis, à Vladivostok,
11:26 de manière à renforcer le contingent de Chamin.
11:29 Kessel, qui est russophone, voit là, encore une fois,
11:32 moins une possibilité de continuer de servir sous les armes,
11:35 qu'une possibilité de vivre l'aventure, et il s'engage.
11:39 Ils vont quitter Brest, le jour même de l'armistice,
11:44 alors que les cloches sonnent la fin de la guerre,
11:47 la routine des missions militaires étant excessivement lourde à enrayer.
11:51 Le bateau part quand même, et voici 300 Français lancés
11:54 à travers l'Atlantique, et puis à travers les États-Unis,
11:57 New York, et puis surtout San Francisco,
11:59 où ils vont vivre largement, avec leur double solde,
12:05 sur les rivages du Pacifique,
12:10 et puis notamment à San Francisco, où Kessel va découvrir
12:14 la joie de vivre, la liberté des Américains,
12:17 et surtout des Américaines.
12:19 Il a marqué son passage par un très beau livre,
12:22 "Dame de California", qui dit bien tout la légèreté de Meurs,
12:26 qui a pu plaire à ce jeune garçon qui avait à peine 20 ans,
12:29 et qui déjà avait vécu la guerre, et perdu des amis.
12:34 Les voici à Vladivostok, et là c'est une sorte de bascule de Chine,
12:39 pourrait-on dire, dans un enfer.
12:42 Vladivostok, en 1918-1919, recueille tous les gens qui fuient,
12:47 tous les réfugiés de la révolution bolchéviste,
12:50 et lui, étant le roi des épidémies de ticus,
12:53 à une grande pauvreté, éloge en plus 3 000 soldats japonais,
12:58 des centaines de soldats canadiens, américains, français,
13:02 bref, une sorte d'ambiance martiale, où le jeune Kessel,
13:06 s'il est russophone, et bien qu'il soit aviateur,
13:09 est logé de manière spartiate dans le musée de la télégraphie,
13:13 et on lui confie le rôle, comme il parle le russe,
13:16 d'affrêter des trains, avec une sacoche d'argent,
13:19 d'affrêter des trains, une locomotive, des coulis chinois
13:21 pour charger les wagons de libre, etc.,
13:23 et les envoyer vers l'ouest, sur l'avenue du train sibérien,
13:26 en direction des troupes de Jannot.
13:28 En vérité, tous les trains qui l'affrèteront seront interceptés
13:32 par Semenov, qui hantait les troupes à l'ouest, à Sibérie.
13:36 Voici Kessel à 21 ans. Il fête ses 21 ans dans le bar
13:41 le moins mal famé de Vladivostok, à ce moment-là.
13:46 Je dis le moins mal famé, puisque l'un des jeux
13:49 d'un des compagnons canadiens de Kessel était,
13:52 lorsqu'il était libre, de vider son barillet
13:55 dans le plafond de cette boîte de nuit,
13:59 hantée par des prostituées qui arrivaient de partout en Russie.
14:04 Kessel est démobilisé. Il va embarquer, sauter sur un bateau
14:09 en tout début 1919, et regagner la France
14:12 en bouclant son cours du monde.
14:14 Mais, en faisant état, au Japon, en faisant état,
14:17 à Shanghai, où, à l'occasion d'une soirée parfumée d'opium
14:23 et d'alcool, le consul de France lui propose
14:27 de prendre la direction de la police de la concession étrangère à Shanghai.
14:36 Vous imaginez comme les choses pouvaient aller très vite.
14:39 Et, pour vous dire un mot, quand même, de la folie
14:42 de Kessel à ce moment-là, de son espèce de bruit maladif
14:46 de vivre à ce moment-là, lisons un passage de "La Rose de Gérard"
14:50 qui est un roman parfaitement autobiographique.
14:54 J'étais pareil à un enfant qui affole une trop grande abondance de jouets
14:58 ou à un barbare en un vrai de présent dont il ne sait pas se séparer.
15:02 Dans le même après-midi, je montais à cheval, je courais à des thés,
15:05 à des cocktails, je me faisais conduire en rickshaw dans la ville chinoise,
15:09 je portais des fleurs à une Anglaise, du champagne à une Russe,
15:12 et je discutais sérieusement avec des banquiers
15:15 l'établissement d'une ligne aérienne Shanghai-Pékin.
15:18 Au cours de la même soirée, j'accumulais un dîner orgiaque,
15:22 des rendez-vous dans toutes les boîtes de nuit,
15:24 j'avalais, sans compter le whisky, une demi-douzaine de bouteilles de champagne,
15:28 la fumée d'une vingtaine de pipopium, sac à jambes,
15:31 massaquant le plus subtil et le plus délicat des sortilèges.
15:34 Puis je me relevais pour jouer aux cartes, me rendais au théâtre chinois,
15:37 retournais à un établissement nocturne où une entraîneuse me conduisait dans son lit.
15:41 Jour après jour, nuit après nuit, la ronde infernale continuait.
15:45 Je ne dormais plus pour un sidi, j'agissais comme une sorte d'automate déchaînée
15:50 sur qui son inventeur me perdait le contrôle.
15:53 Henri Torres, que nous verrons tout à l'heure, avait dit de Kessel dans les années 30
15:57 qu'il était devenu un fonctionnaire de la nuit, du monde de la nuit,
16:01 tellement effectivement était devenue classique cette routine d'opium, d'alcool, de fêtes,
16:08 et puis aussi d'années.
16:11 Alors sur le bateau qui me ramène en France au départ de Shanghai,
16:14 Kessel va rencontrer une jeune moumène qui revient du Japon
16:17 où elle étudiait notamment les arts martiaux,
16:20 Sanbi, qui deviendra sa première épouse,
16:23 et puis vraiment la femme de sa vie, même si elle s'est remariée à deux reprises,
16:27 parce que Sanbi va mourir très vite de tuberculose,
16:32 tuberculose qui ne tue que 8 personnes sur 2 à l'époque.
16:35 Alors une photo simplement pour illustrer la profondeur, la ressource littéraire de Kessel.
16:44 Et puis les livres qu'il a extraits de son voyage en direction de la Russie,
16:52 de sa traversée des Etats-Unis.
16:55 En un seul voyage, il va extraire au moins 5 ouvrages,
16:59 autant de reportages, et sous la forme de récits, de romans, de nouvelles.
17:05 Bref, ça montre non seulement, comme je vous le disais,
17:08 une épaisseur, une capacité à extraire de chaque détail, une histoire,
17:13 un sens des affaires.
17:15 Kessel deviendra un homme d'affaires absolument fascinant par de l'époque.
17:20 Et voici l'équipage, son deuxième livre,
17:23 un livre à relever chez Gallimard en 1923,
17:26 et qui à 25 ans le fait connaître en succès absolument énorme.
17:29 Même des décennies après, l'équipage restera une des meilleures ventes de Gallimard,
17:33 et Kessel un des meilleurs chevaux de course de cette maison médicinale.
17:39 Kessel rentre à Paris.
17:41 Il fait ses premières piges avant la guerre.
17:44 Là, il est véritablement embauché comme journaliste,
17:46 et voilà qu'on le délègue sur des tâches comme la fête du Luguet,
17:51 le 1er mai, la Sainte-Catherine...
17:54 Bref, voilà que ce jeune homme qui a coupé un tour du monde,
17:58 vu ses compagnons de monde à nourrir,
18:01 goûté au voyage, à la liberté, s'ennuie dans Paris.
18:05 Heureusement, le Paris de cette époque,
18:07 autour de Montmartre, et puis autour de Montparnasse,
18:10 va finalement lui permettre de bourrer un tramway.
18:13 Il va voyager, il va connaître un certain exotisme dans Paris.
18:17 Alors, il n'est pas le seul, après les grands écrivains de l'époque,
18:20 et puis les journalistes se sont intéressés au petit monde à la pègre, on pourrait dire.
18:26 Et donc Kessel va fréquenter le monde de la nuit,
18:30 avec évidemment ses prostituées, les grosses voleurs, les macrons.
18:35 Il produira de très beaux livres sur ces sujets-là,
18:39 et notamment celui de gauche qui a été illustré au cinéma par Benoît Héliot.
18:45 Voilà. Pour chacun de ces reportages, Kessel trouvera ce qu'il appelait une clé,
18:51 c'est-à-dire le personnage central, l'espèce de climeau, de porte d'entrée,
18:56 qui lui permettra d'accéder très rapidement,
18:59 comme en trouvant un tramway de chambre au centre du sujet.
19:04 Et là, en l'occurrence, c'est Henri Torres,
19:06 l'avocat de la pègre dans les années 1920 et les années 1930,
19:10 qui avait fait ses premières armes durant la première guerre en défendant les soldats,
19:14 qui témoignait refusé de monter en première ligne de chargeur.
19:18 Et Torres introduira Kessel au monde de la nuit, au monde des réunions.
19:24 Kessel, avec son sens des affaires, aura, notamment avec son frère,
19:29 le génie de lancer plusieurs revues chez Galbraith,
19:32 notamment ce journal "Detective", qui deviendra l'un des plus grands succès commerciaux de Gavinard à l'époque,
19:38 ce qui permettra à Kessel de faire...
19:40 Bon, c'est d'actualité, on parle d'emploi fictif en ce moment.
19:43 Kessel fit embaucher son frère, notamment dans ce journal,
19:46 et c'est pour vous dire les magouilles qu'y entourait Joseph Kessel à cette époque-là,
19:52 c'est que le comptable de ce journal était un ancien bagnard.
19:58 Alors, puisque nous en sommes aujourd'hui au livre russe quand même,
20:02 évoquons la présence, l'omniprésence des russes à Paris à ce moment-là,
20:07 fin des années 10, début des années 20,
20:09 qui fuient le nouvel ordre établi en Russie et qui se remontent,
20:14 notamment autour de Montmartre, dans les cabarets russes et dans les cabarets tégals,
20:18 et puis non loin d'ici, avec Nostradamus d'Hélena, sur la place de Port-Royal,
20:23 et puis à Montparnasse également.
20:24 Kessel rencontrera nombreux d'entre eux,
20:27 parce que la Russie, c'est son enfance, sa langue, sa littérature,
20:31 sa première littérature, et puis ensuite c'est aussi là,
20:34 notamment où il a fait la guerre, et puis il y a tracé beaucoup d'avis,
20:39 il se consacrera à tous ces réfugiés, notamment,
20:43 plusieurs de ses ouvrages, pas forcément les meilleurs,
20:47 sinon "Mémoire d'un commissaire du peuple",
20:50 et puis surtout son premier livre, "La Steppe",
20:52 dont je dédouaille absolument ce qu'il raconte.
20:54 Il rencontre aussi les grands écrivains de l'époque, de passage à Paris,
20:58 on voit ici le Romain Panay, qui sera quasiment oublié de nos jours,
21:02 mais qui connut un succès très important dans les années 30,
21:06 et qui mourut aussi très jeune.
21:08 Voici Kessel en 1932, lorsque pour son roman "Les Captifs",
21:12 dédié à son épouse tuberculeuse, il reçoit le prix de l'Académie française.
21:17 Vous voyez que déjà il commence tout gentiment de prendre de l'épaisseur,
21:24 dix ans plus tard, sa mère le dira "fou de graisse",
21:27 tellement il s'est empatté.
21:30 Alors, l'aventure à Paris c'est bien bon,
21:33 mais Kessel c'est quand même le grand large et l'horizon.
21:37 Et en 1929, il a l'opportunité,
21:40 en rencontrant deux pilotes de l'aéropostale, Rennes et Seine,
21:43 d'embarquer avec certains d'entre eux pour rejoindre l'Afrique de l'Ouest.
21:47 Il sera un des premiers journalistes à comprendre le sujet.
21:51 Et surtout, c'est une manière pour lui de revoir le monde de l'aviation,
21:56 de réintégrer cette cohorte d'élus, d'hommes qui volent,
22:01 finalement, qui se détachent de la masse,
22:03 et qui surtout se sacrifient pour une cause plus grande qu'eux,
22:07 à savoir le courir.
22:09 On voit évidemment, il a l'opportunité de rencontrer Saint-Exupéry,
22:13 dont beaucoup de pilotes lui parlaient,
22:16 avec un glissement d'œil dans le sens où
22:20 il mettait en avant aussi l'aspect mystérieux de ce personnage
22:24 qui aimait aller marcher seul dans les vues,
22:27 mais surtout celui qui deviendra le grand-anet de Kessel,
22:32 et qui, par son goût de la fête,
22:34 était beaucoup plus proche de l'O.I.C. Mermoz,
22:37 mort en 1936, et à qui Kessel délivra une très belle biographie,
22:43 une âgeuse biographie, pourrait-on dire,
22:45 absolument splendide, deux années après sa mort.
22:48 La seule fois où Mermoz, Saint-Exupéry et Kessel
22:53 ont été vus en public,
22:56 Saint-Exupéry conduisait sa Bugatti
22:59 et descendait à vive allure des Champs-Elysées.
23:01 À sa droite, Kessel, il a,
23:04 et derrière lui, Mermoz qui lui cachait les yeux.
23:09 L'aventure collective, mais aussi, un an plus tard, en 1930,
23:13 l'aventure individuelle, presque égoïste,
23:16 avec Henri de Monfrèvre, personnalité incroyable,
23:20 qui quitte la France en étant, comment dire,
23:25 dégoûté de l'apathie qu'il constate chez ses concitoyens,
23:30 et va, à force d'aventures, de trafic en tout genre,
23:35 établir un commerce en mer rouge
23:38 entre l'Arabie du Sud et la Corne de l'Afrique.
23:41 Trafic de hachis, trafic d'armes,
23:44 certains ont dit trafic d'esclaves,
23:46 et puis évidemment la vente de cafés,
23:48 de couvres, de cartouches, tout type de choses.
23:50 Kessel va pouvoir proposer au journal Le Matin
23:54 un reportage absolument incroyable
23:56 qui restera dans les annales de l'histoire du journalisme,
23:58 puisque durant des décennies,
24:00 ce sera le reportage le plus cher de l'histoire de la Confession.
24:05 Le patron du Matin avait eu la très mauvaise idée
24:08 de proposer à Kessel de lui donner carte blanche pour le budget.
24:12 Voilà, ici, à l'époque, il y avait bien quelqu'un
24:14 à qui il ne fallait pas donner carte blanche,
24:16 c'était Jeff, comme il se faisait à l'époque.
24:18 Et voici que Jeff va, grâce à Monfrèvre,
24:21 qui devient sagglé, comme le reste était dans la paix,
24:24 s'intéresser au trafic d'esclaves,
24:26 justement, entre l'Afrique et le Proche-Orient.
24:29 Il va assister à des captures d'esclaves,
24:33 il va suivre une caravane,
24:35 et puis, à travers ce thème,
24:39 il va découvrir une région parfaitement exotique,
24:42 pour lui, peuplée d'hommes rudes,
24:45 exemple typique de l'homo Kesselianus,
24:48 comme on le disait, ou comme disent certains auteurs,
24:51 en parlant de ces héros qui hantent l'œuvre de Kessel
24:56 et qui descendent parfaitement de la géographie dont ils sont issus,
25:02 tant elle les a inspirés,
25:04 une géographie rude,
25:06 en fantant pour Kessel des hommes forcément rudes.
25:09 Alors, il traverse l'Éthiopie, le Tchétchénie,
25:12 il traverse ensuite le Yémen,
25:15 et puis, voici qu'à son retour,
25:17 il fait paraître son reportage dans le journal Le Matin.
25:22 Et là, le patron, finalement, avait bien fait de lui donner carte blanche,
25:26 parce que dès le premier numéro,
25:28 le tirage du Matin bondit de 150 000 exemplaires.
25:32 Et c'est lié en 1930-1931.
25:35 Kessel est déjà une force de vente absolument fabuleuse,
25:38 et à partir de là, il va pouvoir imposer ses sujets
25:41 et en même temps ses tarifs.
25:43 Et il n'aura jamais de critique pour les éditeurs.
25:46 Alors, il y a un extrait, comme d'habitude,
25:49 et un reportage, et des...
25:52 une fiction, un roman, ou des nouvelles,
25:55 en l'occurrence un roman, l'un de ses plus beaux romans d'aventure,
25:58 Fortune Carré, dans lequel on retrouve tous les personnages de ce reportage,
26:01 y compris mon frère, sous un autre nom.
26:04 À la fin des années 30, l'Europe s'embrase,
26:07 et on a souvent dit que Kessel,
26:10 on l'a souvent dit "grand résistant".
26:12 Alors, je me suis beaucoup intéressé au sujet,
26:15 et c'est finalement une autre réalité que j'ai découvert,
26:18 en le sens où, au début de la guerre,
26:21 cet ancien de 14 hésite entre
26:24 le camp de Gaulle et le camp Pétain.
26:27 Non pas, évidemment, il était de famille juive,
26:30 donc non pas idéologiquement,
26:33 mais tout simplement, il faut se remettre dans l'ambiance de l'époque.
26:36 Les combattants de la première guerre
26:39 ont une idée très forte du Maréchal Pétain,
26:42 et ne peuvent pas concevoir
26:45 que celui-ci puisse trahir la France.
26:48 Et pourtant, il va s'engager dans la résistance,
26:51 mais ça, il va le faire grâce à son amante de l'époque,
26:54 une femme qu'on a très souvent dit
26:57 légère, superficielle.
27:00 Alors, oui, c'est une actrice, oui, c'est une chanteuse,
27:03 elle avait un sourire très commercial, etc.
27:06 En fait, au début de la guerre, Géraldine Savoy, comme c'est tel,
27:09 s'engage dans un réseau de résistance, le réseau de Gartz,
27:12 dans lequel elle sera très active,
27:15 elle regroupera beaucoup. Et puis, dès que la France sera libérée
27:18 avec l'arrivée, avec le débarquement en Provence, aussitôt,
27:21 elle s'engagera dans les groupes alliés en tant qu'infirmière
27:24 jusqu'à la fin de la guerre. Et c'est en fait grâce à elle
27:27 que, non seulement, Questel s'est engagé dans la résistance,
27:30 mais avant même qu'il ait revenu en France.
27:33 En 1941, il est puis à la France,
27:36 il est au Portugal, et il hésite à rejoindre
27:39 son frère, Saint-Ex, aux États-Unis.
27:42 Et voici qu'il reçoit un courrier
27:45 de Germaine Salon qui dit "Écoute, Jeff,
27:48 j'habite en France, j'y ai un mari,
27:51 deux enfants et un pays. J'y reste."
27:54 Et quasiment le lendemain, il écrit un courrier à son frère,
27:57 alors qu'avant il hésitait, en lui disant
28:00 "Voilà, je rentre en France, je préfère
28:03 respirer l'air de la France tout en étant menotté,
28:06 je préfère me sentir libre quitte à croupir dans une jaube."
28:09 Et ça n'est finalement qu'en 1943,
28:12 Londres l'informe qu'il va être pris.
28:15 Alors, il s'est engagé dans le réseau Carte pour faire passer
28:18 des armes. Ses contacts dans la pègre
28:21 lui ont permis de fournir de faux papiers aux résistants.
28:24 Il a aidé à exfiltrer
28:27 des espions britanniques
28:30 qui avaient été parjurés en France.
28:33 Et tout ça depuis la Montreau de Toulon,
28:36 la baie d'Agué, qui est justement
28:39 dominée dans le château des descendants de Saint-Axe.
28:42 En 1943, on l'informe qu'il sera pris.
28:45 La police et la milice ont déjà visité à trois reprises
28:48 son logement. Il fuit par l'Espagne et le Portugal
28:51 jusqu'à Londres où il rencontre De Gaulle.
28:54 Et puis là, Kessel est toujours,
28:57 on est toujours surpris par l'espèce de naïveté
29:00 un peu enfantine de Kessel.
29:03 Et il demande au général,
29:06 "Mais général, mettez-moi, je veux combattre,
29:09 mettez-moi dans une unité combattante."
29:12 Et De Gaulle, avec toute sa subtilité,
29:15 lui répond au goût de sérieux
29:18 "Ecoutez, vous êtes écrivain déjà, écrivez sur la résistance,
29:21 produisez-vous quelque chose sur la résistance."
29:24 Bon, Kessel lui obéit et puis va produire
29:27 un point enflé, comme on l'émerveille,
29:30 le maréchal Pétain, tout simplement en signant,
29:33 en commençant la collaboration.
29:36 Et puis surtout, il produira deux choses.
29:39 L'armée des ombres, qui est un recueil de témoignages différents,
29:42 glanait, en ayant changé les noms,
29:45 des résistants qui revenaient de France
29:48 après avoir échappé à la Gestapo.
29:51 Le bataille militaire qui sera en vérité le premier livre écrit
29:54 par un être, Maurice Ruyon, préparation de copie
29:57 à laquelle Kessel ajoute sa patte.
30:00 Il est surtout connu pour le chant des partisans.
30:03 Il a justement écrit un dimanche
30:06 après une bonne bouffe, le midi,
30:09 avec Maurice Ruyon et Anna Marini, que nous voyons ici.
30:12 Anna Marini était d'origine russe, elle était légérie,
30:15 la chantote légérie de la petite communauté
30:18 de France Libre à Londres.
30:21 En reprenant une mélopée russe,
30:24 elle l'adapte, et c'est sur cette mélopée
30:27 que Kessel et Ruyon vont poser
30:30 des paroles qui vont se diffuser,
30:33 partir comme une traînée de poudre.
30:36 À l'heure où ils rentrent en France,
30:39 ils ont du mal à comprendre comment
30:42 ce chant a pu devenir quasiment celui de la résistance,
30:45 au point même qu'à la Libération,
30:48 on en a fait, avec le chant du départ à la Marseillaise,
30:51 le troisième chant national de France,
30:54 et puis lors de l'entrée, décembre, non loin d'ici,
30:57 de Jean-Louis-en-Panthéon.
31:00 C'est le chant des partisans qui est entendu.
31:03 Et en 44, L'Odyssée David, qui dirigeait le BCRA,
31:06 les services secrets de la France Libre,
31:09 lui propose d'intégrer une unité secrète
31:12 de la Royal Air Force, dans laquelle on a besoin
31:15 de radios francophones.
31:18 Kessel va avec son ami André Béhenchtein,
31:21 qui deviendra son très vieil chien préféré,
31:24 Yoko Taro, va donc embarquer dans ses avions
31:27 dès les 25, de minuit à 4h du matin,
31:30 une nuit sur deux quasiment,
31:33 pour survoler la France et communiquer par radio
31:36 avec des résistants qui ont été entraînés
31:39 par un technique commando et parachuté,
31:42 de manière à recueillir des informations
31:45 juste avant et juste après le débarquement
31:48 sur l'avancée et la remontée des troupes alliées.
31:51 La guerre s'achève, Kessel revient en France
31:54 et il est re-engroché par ce qui était
31:57 Jalvis Parisois, mais qui devient François,
32:00 avec notamment son grand ami de l'époque,
32:03 Pierre Lazareff, "Pierrot les bretelles",
32:06 comme Kessel le surnommait,
32:09 c'est à ce titre qu'il va assister au procès pétain
32:12 expédié en quelques semaines.
32:15 Alors Kessel n'a jamais été un grand chroniqueur judiciaire,
32:18 il fait de très beaux portraits,
32:21 mais il va surtout, notamment durant le procès Nuremberg,
32:24 s'illustrer par des portraits absolument étonnants
32:27 des différents dirigeants du Reich.
32:30 Les chroniques de Kessel sont moins le récit
32:33 du procès que la tentative de serrer
32:36 la personnalité, le caractère de ces genres.
32:39 Et notamment Deichmann en 1960,
32:42 Deichmann c'était le logisticien de la solution finale
32:45 que Mossad, le service social israélien,
32:48 capture en Argentine,
32:51 et puis il est jugé à Jérusalem.
32:54 Kessel y est, et là c'est la première fois
32:57 qu'il avoue, en tant que journaliste,
33:00 dans la tentative de lecture d'un caractère
33:03 et d'un comportement, une défense.
33:06 Et chose étonnante, lui qui est juif,
33:09 à son retour de Jérusalem,
33:12 il déjeune avec l'un de ses amis,
33:15 qui lui dit alors "Qu'est-ce que vous pensez de ce monstre ?"
33:18 Et Kessel qui lui dit "Écoute, je crois que tout simplement
33:21 il n'a pas été suffisamment aimé par sa mère."
33:24 Et là, il y a quelque chose d'assez représentatif de Kessel,
33:27 c'est-à-dire ce refus de juger,
33:30 mais toujours cette volonté absolue de comprendre,
33:33 de gratter la personne qui est en face de lui,
33:36 de l'interroger jusqu'à ce qu'il pense avoir saisi
33:39 les ficelles principales du comportement.
33:42 Alors il s'intéresse même des années plus tard,
33:45 notamment en 1960, en faisant paraître
33:48 cette biographie magnifique,
33:51 "Les mains du miracle", c'est la biographie de Félix Kerstel,
33:54 qui était le thérapeute d'Himmler,
33:57 sorte de masseur-magnétiseur
34:00 qui, un peu comme Schindler,
34:03 a extrait, a sauvé de la déportation
34:06 quelques milliers de personnes
34:09 à chaque séance, à chaque session de massage
34:12 de magnétisme auprès d'Himmler.
34:15 Kessel continue de s'intéresser
34:18 à l'héritage de la Deuxième Guerre,
34:21 aux conséquences de la Deuxième Guerre
34:24 et à la cause juive, à la cause israélienne,
34:27 puisque dès 1926, il avait eu l'opportunité
34:30 de se rendre en Palestine,
34:33 au Liban,
34:36 en Syrie, jusqu'à Téhérsour,
34:39 pour y effectuer un très beau reportage
34:42 sur les premiers colons juifs
34:45 qui, à ce moment-là, s'implantaient.
34:48 Il avait été invité par certains de ses colons
34:51 pour effectuer ce reportage.
34:54 C'est de bon cœur qu'il y est allé,
34:57 mais toujours avec plus le goût de l'aventure
35:00 que la volonté de défendre une cause.
35:03 Et là, une chose amusante,
35:06 ces deux livres qui sont sous des titres différents
35:09 ont en fait le même texte.
35:12 Et là aussi, on voit bien la machine Kessel
35:15 qui, pendant cette même vie,
35:18 il y a quelques décennies d'intervalle,
35:21 il a réussi à se bouffer des éditeurs parisiens.
35:24 Voilà, il avait eu l'opportunité de rencontrer
35:27 Heinrich Weizmann, qui était l'un des fondateurs
35:30 du mouvement sioniste depuis la Grande-Bretagne,
35:33 et qui lui a dit "Allez-y, allez-y, vous verrez".
35:36 Et Kessel, qui n'était pas du tout,
35:39 pour lui le sionisme, c'était une utopie,
35:42 dès son arrivée là-bas, il a été complètement séduit
35:45 par les paysages, la géographie, la région,
35:48 mais surtout par l'espèce de naïveté,
35:51 de volonté dont faisaient preuve
35:54 ces colons qui parlaient 20 langues différentes,
35:57 qui étaient issus de 20 pays différents,
36:00 de strates sociales parfaitement mêlées,
36:03 qui tous se serraient les goudes
36:06 et faisaient fleurir le désert.
36:09 Il produira sur eux plusieurs livres,
36:12 intéressants sur le plan documentaire,
36:15 mais où là, on le souvient un peu moins.
36:18 Alors que d'habitude, je ne dirais pas qu'il est
36:21 du côté de la veuve et de l'orphelin,
36:24 ou du côté de l'oprimède, mais là,
36:27 on a un peu plus de mal à le suivre,
36:30 notamment lorsqu'il donne aux soldats de Zaharal
36:33 une sorte de pureté, de caractère,
36:36 et autant en 1926 et en 1948,
36:39 sur ses deux premiers séjours en Israël,
36:42 on le suit parfaitement, on comprend son enthousiasme,
36:45 autant ensuite, en 1965 et en 1970,
36:48 et on sait à ce moment-là quels événements
36:51 embrasent la région, on a du mal à le comprendre.
36:54 Alors la méthode de travail de Kessel, c'est simple.
36:57 C'est une méthode assez circonscrite dans le temps
37:00 et qui est toujours bornée avant et après
37:03 des répailles fascinantes, et donc on se demande
37:06 toujours comment il sort.
37:09 Selon certains médecins, Kessel était dypsomane,
37:12 c'est-à-dire qu'il avait une forme d'alcoolisme,
37:15 il avait développé une forme d'alcoolisme
37:18 qui lui permettait à la fois de sombrer
37:21 dans les excès les plus fous, et puis ensuite
37:24 dans l'ascétisme tout aussi extrême.
37:27 Et Kessel, face à sa copie, c'est une chambre d'hôtel,
37:30 quasiment, une chambre d'hôtel, quelques meubles,
37:33 et puis ensuite du papier, et le voici à écrire.
37:36 Toutefois, il écrit très vite. Parmi ses chefs-d'œuvre,
37:39 on a l'équipage qui est écrit en trois semaines
37:42 de temps, et qui s'éloigne vers des centaines
37:45 de milliers d'exemplaires, ou encore
37:48 les temps sauvages, qui est écrit pareil,
37:51 apparemment en quelques semaines.
37:54 Alors nous sommes en 1956, Kessel n'est pas vieux,
37:57 et surtout il sent son métier évoluer.
38:00 La radio, et puis surtout l'image, l'arrivée de la télévision,
38:03 et voici qu'il va trouver dans le cinéma
38:06 une opportunité pour financer un voyage d'une règle
38:09 depuis longtemps, l'Afghanistan. Et pour cela, il va
38:12 s'entourer de jeunes qui, comme
38:15 Raman Gupta, qui sera le grand preneur d'image
38:18 de la Nouvelle Vague, ou comme Pierre Schoendorfer,
38:21 qui sera plus tard le réalisateur du Trafton-Bond,
38:24 de la Cinquième Section, etc., va s'encadrer de jeunes
38:27 tirés de l'Indochine, qui souvent ont lu Kessel,
38:30 sont assez fascinés par son aspect de
38:33 barboudeur, ou d'aventurier indestructible,
38:36 et les voici partis sur le moindre scénario, sans argent,
38:39 avec du matériel qui est à moitié doué, à moitié volé,
38:42 pour six mois en Afghanistan. Et en vérité,
38:45 ça va être une sorte de renaissance pour Kessel,
38:48 de second souffle après l'Israël,
38:51 il va véritablement s'éprendre
38:54 de cette région d'Asie centrale.
38:57 Je vous montre deux photos prises au moment même,
39:00 en 1956, où Kessel est en Afghanistan,
39:03 par un géographe français qui s'y trouve, Jean Piraillis,
39:06 et que Kessel évoque justement dans ses reportages.
39:09 Et voyez l'Orient Internet
39:12 qui a fasciné Kessel,
39:15 un Orient qui vit au rythme des caravanes, des saisons,
39:18 une société au mœurs quasi-médiévale,
39:21 forcément un peu misogyne, il y a une certaine misogynie,
39:24 au moins dans les premiers textes, dans les textes de jeunesse de Kessel,
39:27 ensuite beaucoup moins, voire plus,
39:30 mais voilà, Kessel est absolument fasciné,
39:33 et de ce séjour, il extraira
39:36 évidemment un film, La Passe du Diable,
39:39 qui est une sorte de docu-fiction, on dirait aujourd'hui,
39:42 et puis surtout Les Cavaliers,
39:45 dont je vais vous parler,
39:48 en texte qu'il mettra quasiment
39:51 une dizaine d'années à écrire,
39:54 et puis voici le reportage, Le jeu du roi, qui désigne le Mouskatchi,
39:57 ce jeu-et-qu'est-ce pendant lequel des équipes de cavaliers
40:00 se disputent une dépouille de quitter Capitaine.
40:03 Oui, juste un clin d'œil,
40:06 un timbre de République centrafricaine
40:09 qui commémore Kessel et les cavaliers.
40:12 Alors que toutes les adaptations,
40:15 ou l'immense majorité des adaptations au théâtre et au cinéma
40:18 des œuvres de Kessel ont été un échec absolu,
40:21 en revanche, ces dernières années,
40:24 alors que l'on ne le parlait plus guère de Kessel,
40:27 éprouveront à mi-enceinte l'œuvre magistrale
40:30 d'une des plus belles de Kessel, Les Cavaliers.
40:33 Ils sont seulement trois ou quatre sur scène,
40:36 ils changent de vêtements, ils changent de voix,
40:39 et c'est un gag enfanté par Kessel qui se déroule sous nos yeux.
40:42 Si vous avez l'opportunité d'y assister, c'est une merveille.
40:45 Alors on pourrait comme ça,
40:48 que l'on désoeure et grainer les voyages,
40:51 les femmes, les drogues, et bref,
40:54 à la fois les merveilles et puis les tristesses
40:57 qui ont émaillé la vie de Kessel.
41:00 Si vous me demandiez quelle est la distance entre Mungung et Makao,
41:03 je vous dirais cinq heures de bateau et huit scotches.
41:06 Mais on pourrait aussi évoquer dans les années 60
41:09 son séjour en Afrique,
41:12 Afrique centrale et Afrique australe,
41:15 qui lui permettra d'écrire l'un de ses grands succès,
41:18 voire le plus grand.
41:21 On pourrait aussi évoquer un aspect plus sombre de son existence,
41:24 l'alcoolisme terrible
41:27 et les dix-sept cures de désintoxication
41:30 qu'a subi sa troisième épouse, Michelle O'Brien,
41:33 qui était d'origine irlandaise,
41:36 et Kessel se sentant coupable,
41:39 puisque lui avait cette capacité naturelle à résister aux poisons,
41:42 alors qu'elle a véritablement sombré terriblement dans la boisson.
41:45 Il a, d'une certaine manière,
41:48 en se sentant coupable,
41:51 non pas pour se racheter,
41:54 mais pour effectuer ce reportage aux États-Unis
41:57 sur l'Association des Alcooliques Anonymes.
42:00 C'est un grand nom de l'association en France.
42:03 Et voilà, pour finir, la photo de Kessel,
42:06 lorsque, dans les années 60,
42:09 après avoir été élue à l'Académie française en 62,
42:12 il l'intègre en 64,
42:15 il achève une petite maison dans le Vex pour tenter d'échapper
42:18 au rythme chronophage de Paris.
42:21 Il pourrait essayer de mettre sa femme au verre aussi
42:24 et lui permettre d'échapper aux soirées
42:27 où l'alcool coule à feu.
42:30 C'est à Averne, dans le Vex, une très belle petite maison
42:33 où il s'est un bras, justement, en juillet 79.
42:36 Dans les années 50,
42:39 on lui avait demandé comment il souhaitait mourir.
42:42 Il avait répondu comme par bravade
42:45 sur un bateau en pleine tempête
42:48 ou un avion en feu, etc.
42:51 Et puis, quelques années après sa mort, on lui demande à nouveau
42:54 de mourir devant la télé
42:57 dans un fauteuil en fumant une cigarette.
43:00 Et il est mort devant la télé en fumant une cigarette dans son fauteuil.
43:03 Et ses dernières paroles, c'était les 20 reportages
43:06 de Spéléologie au 20h.
43:09 Et voici ce monsieur qui semble avoir tout vu
43:12 et tout fait à travers le monde, se retourne vers ses amis
43:15 qui étaient là et leur dit "Regardez comme le monde est merveilleux".
43:18 Et voilà, Kessel, c'est ça, un refus absolu
43:21 d'une sorte d'appétit,
43:24 de vivre constant,
43:27 d'empathie pour l'autre, avec ce refus
43:30 de juger, cette volonté absolue
43:33 de comprendre.
43:36 Il y a une formule assez touchante qu'il avait développée,
43:39 c'est les cœurs mûrs. Pour lui, un cœur mûr,
43:42 ce n'est pas quelqu'un qui n'a jamais commis d'erreur.
43:45 C'est quelqu'un qui vit ses erreurs comme
43:48 ses plus belles actions, sans le moindre revoir,
43:51 en assumant parfaitement. Autrement dit,
43:54 les officiers du KGB qui torturaient
43:57 pouvaient, selon Kessel, être des cœurs mûrs
44:00 s'ils croyaient fermement,
44:03 même si ce qu'ils effectuaient était horrible,
44:06 s'ils croyaient fermement à ce qu'ils faisaient,
44:09 pareillement pour Eichmann, il essayait toujours de comprendre ces gens.
44:12 Voilà, je crois que j'arrive au terme
44:15 du temps qui m'était alloué. J'ai eu
44:18 l'opportunité, il y a un peu plus d'un an,
44:21 de faire paraître cette biographie
44:24 consacrée à Kessel. Moi, je l'ai consacrée
44:27 aux dix ans de lecture, aux dix ans de voyage
44:30 avec lui, et puis surtout cinq ans de recherche et d'écriture,
44:33 de vérification des sources.
44:36 Et lui, ça a été une vraie joie
44:39 de tenter d'ancrer ce personnage dans chaque chapitre,
44:42 dans un lieu qui l'inspirait, ou autour d'une des valeurs
44:45 qu'il a construites, ou sur lesquelles il a écrit,
44:48 ou sur lesquelles il s'est exprimé.
44:51 Et puis ensuite, je me suis amusé à clore cette biographie
44:54 qui est narrative, avec une chronologie narrative,
44:57 à la clore par des miscellanées. Alors des miscellanées,
45:00 c'est un genre littéraire assez amusant où vous rassemblez
45:03 des éléments très disparates qui, en apparence,
45:06 sont légers, superficiels, sans importance, et puis
45:09 très diversifiés, mais qui, rassemblés hors données,
45:12 finalement, livrent beaucoup d'informations sur le personnage
45:15 ou le thème en question. Et du coup,
45:18 je me suis amusé à rassembler, à lister
45:21 les différentes entourloupes,
45:24 les plus grosses entourloupes de Kessel, ses superstitions,
45:27 ses surnoms, par exemple.
45:30 Vous apprenez dedans pourquoi on l'appelait
45:33 "Capitaine Fracas" dans le Montmartre des années 30.
45:36 Pourquoi on l'appelait "Popochka"
45:39 durant son enfance. "Popochka" signifie en russe
45:42 "jolie, adorable petite fesse" ou "jolie petite fesse".
45:45 Ou bien pourquoi son nom de scène au théâtre était
45:48 "Jean Dourac". "Dourac", en russe, c'est "le crétin".
45:51 Ou bien encore, pourquoi les tenanciers
45:54 de bars et de restaurants et de boîtes de nuit
45:57 de Montmartre l'appelaient "ma vieille pute".
46:00 Voilà. Je crois qu'il est temps pour moi
46:03 peut-être de répondre à des questions
46:06 dont j'ai beaucoup parlé. Alors je vais répéter
46:09 les questions que tout le monde entend.
46:12 Écrivait-il exclusivement en français ou en russe ?
46:15 Non, il écrivait en français. Lorsqu'on lui demandait
46:18 quelle était la langue qu'il maîtrisait le mieux,
46:21 c'était le français. Il se sentait russe de naissance
46:24 mais véritablement profondément français.
46:27 Et d'ailleurs en Russie, il est quasiment connu.
46:30 Il s'est fait connaître par les artistes russes à Paris.
46:33 Alors le lien principal, en fait, c'était un lien
46:36 effectivement avec le monde de la musique et notamment
46:39 les Tigan. Sa découverte de la musique tigan, c'est à Riga
46:42 en 1921. Oui, 1921, à Riga en Etohiopie.
46:45 Et après, il n'a de cesse
46:48 d'essayer de retrouver la flamme
46:51 qui brûle. Tant pis, je vais vous lire
46:54 un extrait à ce sujet dans ses livres
46:57 sur les soirées russes.
47:00 Je crois que j'ai ça.
47:03 Évidemment.
47:06 En ce temps, lorsque je me trouvais à Paris
47:09 et s'il me restait quelque argent ou crédit,
47:12 je passais mes nuits chez les russes. Antis, obsession,
47:15 intoxication. Leur langue était la mienne et il me fallait
47:18 ses mélodies, ses accents qui, pour exprimer
47:21 joie et détresse, possèdent une frêne, une brûlure,
47:24 une morsure que l'on ne trouve point ailleurs.
47:27 Tigan, au Cossac, Jean de Saint-Pétersbourg ou de Moscou, d'Oural,
47:30 d'Ukraine, du Caucase ou de Sibérie, ils étaient tous mes amis nocturnes,
47:33 mes frères de l'aube hallucinée.
47:36 Pour lui, la musique, c'est finalement une sorte de support
47:39 à l'hallucination. C'est un accompagnement terrible
47:42 et ça évoque son enfance dans l'Oural,
47:45 les cinq années qu'il a passées autour
47:48 de Rambourg. Ensuite, s'il vous plaît, je vous donnerai
47:51 de manière à vous fournir plus d'informations détaillées sur le sujet,
47:54 notamment des noms d'artistes ou de plasticiens
47:57 qu'il aurait fréquentés. Mais oui, son
48:00 attachement aux artistes russes était quasi
48:03 exclusivement et dans une certaine ambiance
48:06 festive par la musique tigan.
48:09 (Applaudissements)

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