Le film a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2024
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00:00 J'aurais été très très mal à l'aise de demander à des acteurs de faire semblant d'être des déportés.
00:05 Le contexte du film c'est la déportation et l'histoire se passe à quelques kilomètres des camps
00:21 et il y a des scènes qui se passent dans les camps.
00:23 Encore une fois, ce n'est pas le sujet, ce n'est pas le cœur de l'histoire,
00:26 mais c'est un contexte qui est assez fort.
00:28 Et la question de la représentation de la déportation, la représentation des camps,
00:33 c'est une question qui est très actuelle.
00:35 Et du fait de la disparition des derniers survivants,
00:40 du fait de l'éloignement dans le temps de cette histoire-là,
00:44 la représentation change et se pose la question de basculer dans la fiction,
00:50 de la perte du sacré, etc.
00:52 Mais pour autant, il y a des questions qui ne bougent pas tellement,
00:55 en tous les cas pour moi, pour quelqu'un de ma génération.
00:58 Soit vous dites, vous montrez ce qui s'est passé,
01:01 et auquel cas vous créez des images à peu près inregardables,
01:06 peut-être même obscènes, je ne sais pas,
01:07 mais en tous les cas, vous forcez le spectateur à sortir, si ce n'est de la salle, au moins du film.
01:13 Parce que ce n'est pas…
01:15 En plus, quand vous faites ça, vous adoptez la mise en scène des nazis,
01:19 ce que je n'avais pas forcément envie de faire.
01:22 Ou alors l'autre choix, c'est de ne pas montrer et à ce moment-là, il y a un risque de mensonge.
01:26 C'est-à-dire, vous dites, vous présentez une image des camps qui est erronée.
01:30 J'aurais été très très mal à l'aise de demander à des acteurs de faire semblant d'être des déportés.
01:36 L'avantage de l'animation, même si ça ne règle absolument pas tous les problèmes,
01:40 mais le dessin, c'est une suggestion, c'est une proposition.
01:44 Le rapport à la réalité, finalement, je le laisse au spectateur, c'est lui qui tire les fils.
01:50 Et le dessin suggère.
01:54 Quand on voit des acteurs qui vont prétendre être des déportés,
01:59 pour moi, il y a tout de suite un truc un petit peu rédhibitoire.
02:02 En tous les cas, moi, je ne me serais pas collé à cette histoire-là,
02:04 même si, par exemple, le fils de Saul a répondu brillamment à cette problématique-là.
02:11 C'est-à-dire, c'est sans doute possible,
02:13 mais moi, je n'y serais pas allé si ce n'avait pas été de l'animation.
02:18 Je trouvais cette histoire fabuleuse.
02:21 C'est très rare de tomber...
02:23 Enfin, quand vous êtes, pour moi, en tous les cas, comme réalisateur,
02:25 il y a plein d'endroits dans mon métier où,
02:28 je ne sais pas que j'ai confiance en moi, mais je sais que je vais prendre du plaisir
02:32 à penser une scène, à la mettre en scène, à trouver des moments de cinéma, etc.
02:37 Mais avoir derrière tout ça une histoire qui soit à la fois belle,
02:42 et forte, et profonde, et légère à la fois, etc.
02:45 Pour moi, c'est très rare.
02:46 En tous les cas, je dirais que ce n'est pas mon point fort.
02:51 Donc, tout d'un coup, quand Jean-Claude Grambert me confie cette histoire,
02:55 via Patrick Sobellman et Studio Canal,
02:58 parce qu'on m'a proposé ce projet,
03:01 et je dois dire que l'animation faisait déjà partie de la proposition,
03:04 c'était comme un cadeau, en fait.
03:06 C'est parce que cette histoire, elle est extrêmement belle,
03:10 d'une simplicité...
03:12 En fait, quand j'ai lu, je me suis dit,
03:13 mais j'ai eu l'impression que cette histoire avait toujours été là.
03:16 En parlant avec Jean-Claude, il m'a dit,
03:17 "Mais tu sais, moi, ce n'est pas trop le truc.
03:19 Moi, en fait, ce que je voulais montrer,
03:21 c'est que même dans cette horreur, il peut y avoir des belles choses."
03:25 Et en fait, quand il m'a dit ça, ça m'a complètement illuminé.
03:27 Ça m'a donné le cap, en fait.
03:29 Et je me suis dit, mais en fait, c'est ça.
03:31 C'est...
03:34 La force de cette histoire-là,
03:35 c'est qu'elle arrive à concilier de manière extrêmement simple,
03:39 extrêmement modeste, l'air de rien,
03:42 vraiment ce que l'homme et la femme ont de meilleur,
03:45 et le pire dont ils sont capables.
03:48 J'ai fait une école d'art avant de faire du cinéma,
04:04 mais je dessine depuis que j'ai 10 ans,
04:07 mais de manière très intime.
04:08 C'est-à-dire, je n'ai jamais eu le besoin de montrer quoi que ce soit.
04:12 C'est juste la pratique du dessin.
04:14 Il a fallu apprendre à être réalisateur d'animation,
04:17 parce que je ne suis pas au départ.
04:19 C'est une espèce de machine où vous avez une première étape,
04:22 où vous faites tout, vous avez une deuxième étape, vous faites tout,
04:24 et en fait, vous voyez le premier plan fini,
04:26 vous le voyez à la toute fin.
04:28 Donc, c'est une manière de penser le cinéma qui est très, très différente.
04:33 Vous avez beaucoup moins d'impondérable,
04:37 beaucoup moins d'aléatoire, beaucoup moins de...
04:40 Tout ce qui est dans un film d'animation est créé.
04:43 Que ce soit en images ou en sons.
04:45 Moi, normalement, je dessinais avec papier et crayon.
04:47 Donc, au début, j'ai fait tous mes croquis, mes trucs, mes personnages.
04:52 En fait, moi, je ne me suis occupé que des personnages.
04:54 Je dessinais les personnages, mais j'avais une équipe, évidemment.
04:57 Et le reste, j'ai fait comme un réalisateur normal.
04:59 C'est-à-dire, je dis ce que je voulais, je faisais mes cadres,
05:02 et j'avais des gens qui fabriquaient les décors, etc.
05:05 Vous travaillez avec plein d'animateurs,
05:06 vous travaillez avec plein de gens, ce qu'on appelle des assistants,
05:09 qui reprennent les dessins, etc.
05:11 Vous faites des pausings, des réflexes.
05:13 En fait, c'est des allers-retours incessants.
05:14 Donc, le nombre de dessins, c'est énorme.
05:18 Si je devais compter, je ne sais pas, mais c'est énorme.
05:21 Parce qu'ils m'envoyaient un truc, je disais non, je le refaisais,
05:23 ils le refaisaient, je le refaisais.
05:25 Moi, j'ai commencé à travailler à l'écriture et les premiers dessins,
05:28 il y a cinq ans et demi.
05:30 Mais la fabrication elle-même, je dirais que c'est un peu moins de deux ans.
05:33 Très rapidement, j'ai dit, il faut qu'on bloque le narrateur.
05:36 Et très rapidement, j'ai dit à Patrick Sobelman, le producteur,
05:41 on va demander à Trintignant.
05:43 Ils m'ont tous dit, il est quand même très vieux.
05:46 J'ai dit, oui, il est très vieux, mais c'est la plus belle voix du cinéma français.
05:49 La plus belle voix.
05:51 Il y a peut-être Jean-Pierre Mariel aussi qu'on peut mettre, mais c'est autre chose.
05:53 Mais Trintignant, il y a quelque chose d'extrêmement émouvant.
05:57 Je l'ai appelé et puis ça a été vraiment une rencontre pour moi,
06:01 en tous les cas, hyper belle, hyper émouvante.
06:04 On a beaucoup parlé, il a été extrêmement bienveillant.
06:09 Il était aveugle, donc il a fallu qu'il m'a demandé d'enregistrer, moi,
06:14 la voix pour qu'il puisse la prendre à l'oreille.
06:17 Et puis sa femme, Marianne Trintignant, l'a beaucoup aidé.
06:19 Alors, ce n'était pas du tout prémédité de ma part, mais ce texte-là,
06:25 d'où vient cette voix aujourd'hui, ça prend effectivement une couleur très particulière.
06:31 Mais au-delà de ça, je crois que même si on ne connaît pas Trintignant,
06:37 il y a une sensibilité d'acteur et une manière de poser la voix qui est extrêmement émouvante.
06:44 [Musique]