• il y a 7 mois
Transcription
00:00 Audible Studios présente "Ça" de Stephen King.
00:05 Traduit de l'anglais par William Desmond.
00:08 Lu par Arnaud Romain.
00:10 Tome 1
00:14 C'est avec gratitude que je dédie ce livre à mes enfants.
00:19 Ma mère et ma femme m'ont appris à être un homme.
00:23 Mes enfants m'ont appris à être libre.
00:26 Naomi Rachel King, 14 ans.
00:29 Joseph Hillstrom King, 12 ans.
00:32 Owen Philip King, 7 ans.
00:35 Enfant, la fiction n'est que la vérité que cache le mensonge.
00:39 Et la vérité cachée dans ce récit est suffisamment simple.
00:43 La magie existe.
00:46 Aussi longtemps qu'ils me souviennent, ce vieux pâtelin, c'était chez moi.
00:53 Je serai mort depuis longtemps que ce pâtelin sera toujours là.
00:57 À l'ouest, à l'est, faut le regarder de près.
01:01 Tu t'es pas arrangé, mais je t'ai toujours dans la peau.
01:04 Michael Stanley Band
01:07 Mon vieil ami, que cherches-tu ?
01:11 Après tant d'années ailleurs, voici que tu reviens plein d'images, entretenues sous d'autres cieux.
01:16 Loin, très loin de la mère patrie.
01:20 George Seferis
01:26 Première partie
01:28 Tout d'abord, l'ombre.
01:32 Elle commence. Les perfections s'affinent, la fleur déploie ses pétales colorés, grandes ouvertes au soleil.
01:41 Mais la langue de l'abeille les manque.
01:44 Elle retombe dans la terre grasse en criant.
01:47 On peut appeler cris ceux qui les parcourent, frissons avec lesquels elles se flétrissent et disparaissent.
01:54 William Carlos Williams
01:56 Atterson
01:58 Venu au monde dans la ville d'un mort
02:03 Bruce Springsteen
02:05 Chapitre 1 Après l'inondation 1957
02:13 1
02:17 La terreur qui n'allait cesser qu'au bout de vingt-huit ans, mais a-t-elle vraiment cessé, s'incarna pour la première fois à ma connaissance.
02:26 Dans un bateau en papier journal, dévalant un caniveau gorgé d'eau de pluie.
02:31 L'esquiffe vacilla, gita, puis se redressa, plongea crânement dans de perfides tourbillons, et descendit ainsi Wicham Street jusqu'au carrefour, avec Jackson Street.
02:43 Tous les feux de signalisation étaient éteints en cet après-midi de l'automne 1957, et pas une maison n'avait de lumière.
02:51 Cela faisait une semaine qu'il pleuvait sans discontinuer, et depuis deux jours le vent s'était mis de la partie.
02:58 La plupart des quartiers de Derry se trouvaient toujours privés d'électricité.
03:03 Un petit garçon en ciré jaune et caoutchouc rouge courait gaiement à côté du bateau de papier.
03:10 La pluie, moindre eue, crépitait, pour son oreille, comme sur un toit de tôle.
03:15 Bruit agréable, presque rassurant.
03:19 Il s'appelait George Denbrough, et avait six ans.
03:23 Son frère William, connu de la plupart des gosses de la communale, comme des maîtres qui ne se seraient pas permis de l'appeler ainsi devant lui,
03:31 sous le sobriquet de Bill Lebeg, hoquetait à la maison les dernières quintes de tout d'un méchant rhume.
03:37 En cet automne 1957, huit mois avant les vrais débuts de l'épouvante qui allait durer vingt-huit ans, Bill Lebeg avait dix ans.
03:47 C'est Bill qui avait conçu le bateau que faisait naviguer George.
03:52 Il l'avait fabriqué dans son lit, adossé à une pile d'oreillers,
03:56 tandis que leur mère jouait au piano, la lettre à Élise, dans le salon, et qu'au dehors la pluie balayait inlassablement les fenêtres de la chambre.
04:04 Un peu avant l'intersection aux feux éteints, Wicham Street était interdite à la circulation par des fumigènes et quatre barrières oranges.
04:13 Sur chacune on pouvait lire « Travaux publics de Derry ».
04:17 Au-delà, la pluie avait débordé des caniveaux qu'encombraient branches, cailloux et feuilles, agglutinées en tas épais.
04:25 L'eau avait tout d'abord, comme du bout des doigts, foré de petits trous dans la chaussée avant de l'emporter à grandes poignées à vide, dès le troisième jour de pluie.
04:34 À midi le quatrième jour, c'était par plaque entière que le revêtement dévalait la rue jusqu'au carrefour de Wicham et de Jackson, comme autant de radeaux miniatures.
04:44 On avait lancé, un peu nerveusement, les premières plaisanteries sur Noé et son arche ce même jour.
04:51 Les services de voirie de Derry avaient réussi à maintenir ouverte Jackson Street, mais Wicham Street restait impraticable depuis les barrières jusqu'au centre-ville.
05:01 Le pire était pourtant passé de l'avis général.
05:05 La quenne de Skeeg n'était pas sortie de son lit dans les friches mortes et était montée à quelques centimètres des berges en ciment du canal qui landiguaient pour franchir le centre-ville.
05:16 Juste à ce moment-là, une équipe d'hommes, qui comprenaient entre autres Zach Denbrough, le père de Bill et George, retirait les sacs de sable entassés la veille dans une hâte fébrile.
05:27 La crue avait en effet paru inévitable avec son cortège de dégâts.
05:33 Celle de 1931 avait fait plus de vingt victimes et coûté des millions de dollars.
05:39 On avait retrouvé l'un des corps à quarante kilomètres de Derry.
05:42 Les poissons lui avaient dévoré les deux yeux, le pénis, trois doigts et l'essentiel de son pied gauche.
05:48 Le malheureux serrait encore le volant d'une Ford dans ce qui restait de ses mains.
05:53 La rivière venait cependant d'entamer sa décrue et grâce au nouveau barrage de Bangor, en amont, cesserait bientôt de constituer une menace.
06:04 Tel était du moins l'opinion de Zach Denbrough, employé d'Hydroélectricité Bangor.
06:10 Pour l'instant, il fallait faire face à la situation, rétablir le courant et oublier ses mauvais moments.
06:17 À Derry, la faculté d'oublier les tragédies et les désastres confinait à l'art, comme Bill Denbrough allait le découvrir avec les années.
06:26 George fit halte juste après les barrières, au bord d'une ravine creusée dans le goudron selon une diagonale presque parfaite qui traversait Wicham Street.
06:37 Elle aboutissait de l'autre côté de la rue, à environ douze mètres en contrebas de l'endroit surélevé où il se tenait.
06:44 Il éclata de rire, manifestation solitaire de joie enfantine, rayon de soleil trouant la grisaille de l'après-midi,
06:51 tandis que son bateau était happé par les remous des rapides à échelle réduite qui dévalaient la ravine.
06:57 Il passa ainsi d'un bord de Wicham Street à l'autre tellement vite que George dut courir pour se maintenir à sa hauteur.
07:04 L'eau boueuse jaillissait sous ses caoutchoucs dont les boucles cliquetaient gaiement alors qu'il se précipitait vers son étrange mort.
07:12 Il se sentait tout plein à cet instant-là d'un amour clair et simple pour Bill, un amour un peu attristé du fait de l'absence de son frère avec qui il aurait voulu partager sa joie.
07:23 Certes il essaierait de lui décrire ses aventures une fois à la maison mais il savait qu'il serait incapable de les lui faire voir comme Bill, dans le cas contraire, les lui aurait fait voir.
07:34 Bill lisait bien, écrivait bien, mais ce n'était pas uniquement pour cela qu'il raflait tous les premiers prix en classe.
07:41 George en dépit de sa jeunesse s'en rendait compte lui-même.
07:44 Bill savait raconter. Mais surtout il savait voir.
07:51 George s'imaginait maintenant que son bateau était une vedette lance-torpille, comme celle qu'il voyait dans les films de guerre au cinéma de Derry le samedi en matinée avec son frère.
08:01 John Wayne contre les Japs.
08:04 La proue de papier journal soulevait de l'écume comme un vrai navire et atteignit ainsi le caniveau de gauche de Wicham Street.
08:11 Un autre ruisselet convergeait sur ce point et le tourbillon qui en résultait risquait de le faire chavirer.
08:17 Le bateau pencha de façon alarmante et George poussa un cri de joie quand il le vit se redresser, pivoter et se précipiter vers le carrefour.
08:26 George accéléra pour le rattraper.
08:28 Au-dessus de lui, les rafales aigres du vent d'octobre secouaient des arbres que la tempête avait presque complètement dépouillé de leurs feuilles, richement colorées.
08:37 Moisson brutal.
08:41 [Musique]