Mort du président iranien : "Beaucoup d'Iraniens expriment, à mots couverts, leur satisfaction"

  • il y a 4 mois
Le président iranien Ebrahim Raïssi est mort dans un accident d'hélicoptère dimanche dans une zone montagneuse. Il revenait d'un déplacement à proximité de la frontière avec l'Azerbaïdjan.

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Transcript
00:00 - Notre invité, grand reporter au magazine, le point spécialiste du Proche et du Moyen-Orient,
00:05 auteur d'un « Printemps à Téhéran » paru chez Plon, Armin Aréfi, bonjour.
00:09 - Bonjour.
00:10 - Le président iranien Ebrahim Raisi est donc mort dans le crash de son hélicoptère,
00:15 ainsi que son ministre des Affaires étrangères.
00:18 Nouvelle de première importance évidemment, compte tenu du rôle de l'Iran,
00:21 ennemi juré d'Israël dans cette région qui risque de s'embraser à tout moment.
00:26 Quel est l'impact selon vous de ce qui vient de se passer ?
00:29 Est-ce que vous arrivez à l'évaluer à chaud ?
00:33 - Écoutez, ça ouvre une période on va dire d'incertitude en Iran pendant 50 jours,
00:40 date à laquelle la prochaine élection présidentielle est fixée.
00:44 Maintenant, comme l'a rappelé hier le guide suprême,
00:46 l'ayatollah Khamenei, le véritable chef de l'État en Iran,
00:51 d'après lui, il n'y aura pas de perturbations dans la marche des affaires en Iran.
00:55 Il ne faut pas oublier que Ibrahim Raisi, déjà n'était pas le numéro 1 iranien,
01:00 il était le numéro 2, le chef de l'exécutif.
01:02 C'était un président de second rang, qui était relativement peu charismatique,
01:06 assez peu compétent, il faut le dire dans l'ensemble des dossiers auxquels il avait affaire,
01:12 et qui a été propulsé à ce poste par le guide suprême lui-même en 2021,
01:16 à l'issue d'élections présidentielles, qui avait été verrouillée par les autorités,
01:20 de sorte que la tendance la plus dure du régime iranien,
01:23 la tendance ultra conservatrice, s'arroge les premiers pouvoirs.
01:27 Donc je ne suis pas certain que, en tout cas dans le court terme,
01:30 cet accident sans précédent en Iran depuis en tout cas 1981,
01:34 provoque un chamboulement dans la politique étrangère iranienne, mais également antérieure.
01:38 Donc le guide suprême, Ali Khamenei, va rester l'homme fort, omnipotent de l'Iran,
01:44 et ça ne va rien changer pour l'instant ?
01:47 Il est déjà, il va le rester jusqu'à sa mort.
01:50 C'est vrai qu'à ce moment-là...
01:51 Il est nommé à vie, il est élu par un collège, Collège des experts.
01:55 Oui, il a surtout été désigné par son prédécesseur, l'ayatollah Khomeini,
02:01 avant sa mort en 1988. Il est élu à vie, c'est lui le véritable commandant en chef des armées.
02:09 Au décès de celui-ci, il ne faut pas oublier que le guide suprême est atteint d'un cancer
02:13 depuis maintenant plusieurs années.
02:14 Là s'ouvrira une grande période d'incertitude pour la République islamique.
02:18 Pour ce qui est du président Raisi, c'est en tout cas sans précédent depuis 1981.
02:24 Mais, comme je l'ai dit, ça ne va pas chambouler la politique de la République islamique d'Iran.
02:28 Malgré tout, sur le plan symbolique, est-ce que c'est si anodin que cela pour le régime
02:33 quand on voit des réactions de joie qui ont été relayées notamment sur les réseaux sociaux ?
02:38 Est-ce que cela peut réveiller encore la jeunesse qui se révolte depuis deux ans maintenant ?
02:44 Est-ce qu'elle peut essayer, cette jeunesse, de s'engouffrer dans une brèche ?
02:48 C'est vrai qu'il y a eu des réactions assez fortes de joie à travers le pays.
02:52 Des feux d'artifice ont été lancés par exemple dans la ville de Sarez,
02:55 la ville dont est originaire Massa Amini, cette jeune iranienne tuée pour un voile mal porté
03:00 dont la mort a déclenché des manifestations sans précédent en 2022.
03:05 Ce n'est pas étonnant vu qu'il y a aujourd'hui une vraie fracture entre la jeunesse iranienne,
03:08 une grande partie de la population, pratiquement 80%, et le régime islamique.
03:12 Maintenant, je ne suis pas certain que cet accident peut provoquer, en tout cas dans le court terme, des manifestations.
03:22 Beaucoup d'Iraniens expriment à mot couvert leur satisfaction face à la mort d'un responsable iranien.
03:28 On en a entendu quelques-uns effectivement dans le journal de 7h tout à l'heure.
03:30 Dont ils savent malgré tout que ce n'était pas, en tout cas, le principal décideur.
03:35 D'ailleurs, le nom de Ibrahim Raisi n'a pratiquement jamais été prononcé,
03:39 il a été scandé par les manifestants en 2022 et même avant.
03:43 Ce qui indique quand même la place qu'il avait au sein de la hiérarchie religieuse iranienne.
03:49 Évidemment, on ne peut pas faire abstraction du contexte régional dans lequel intervient sa mort.
03:55 Évidemment, la guerre à Gaza, le conflit entre Israël et le Hezbollah,
03:59 instrument du régime iranien au Liban, conflit de plus en plus ouvert.
04:02 L'attaque inédite lancée par Teheran sur Israël il y a un mois, 350 drones et missiles.
04:08 Il y a tout cela autour.
04:10 Qu'est-ce que la mort du président iranien peut changer dans la région ?
04:14 Est-ce qu'elle peut changer quelque chose ?
04:17 Je ne suis pas certain qu'elle change quoi que ce soit dans la politique iranienne,
04:21 qui en tout cas depuis le 7 octobre est une politique qui vise à harceler Israël
04:26 sans pour autant être impliqué dans une attaque directe.
04:29 C'était le cas, cela a changé à partir de l'attaque sans précédent que vous avez évoqué il y a maintenant un mois.
04:34 Mais celle-ci s'inscrivait davantage dans une réplique à l'élimination par Israël
04:40 d'un haut gradé des gardiens de la révolution.
04:42 Donc encore une fois, je ne suis pas certain que cela change quoi que ce soit en tant que politique.
04:45 Peut-être pas dans la politique étrangère de l'Iran,
04:47 mais on voit déjà, alors même que la mort du président Raisi n'était pas encore confirmée,
04:54 que la machine à spéculation, à rumeur, voire à théorie du complot est lancée,
04:59 on ne peut qu'imaginer que cet accident, puisque rien n'indique que ça n'en soit pas un pour l'instant,
05:06 soit utilisé, voire manipulé de toute part.
05:10 Ce qu'on sait c'est qu'il y avait une tempête, notamment de neige,
05:14 dans les montagnes du nord-ouest de l'Iran où l'hélicoptère s'est craché.
05:19 Ce qu'on sait également c'est que deux autres hélicoptères de la délégation présidentielle, eux, sont rentrés à quai.
05:25 Pour l'instant, tout indique qu'il s'agit encore une fois d'un accident.
05:29 On peut s'interroger sur la raison qui a poussé le pilote de cet hélicoptère,
05:32 l'hélicoptère d'ailleurs de fabrication américaine qui avait 50 ans d'âge,
05:35 voilà le poids des sanctions américaines sur les avions et les appareils iraniens qui ont joué.
05:41 On a du mal à comprendre la décision qui l'a poussé à prendre malgré tout le risque de voler.
05:46 Maintenant, ce qu'il faut rappeler également, si on veut avoir tous les éléments,
05:49 c'est qu'Ebrahim Raisi était l'un des potentiels candidats à la succession du guide suprême,
05:55 Zayed Oda Khamenei, quand celui-ci viendra à mourir,
05:59 en même temps que le fils de celui-ci, Mojtaba Khamenei, le fils de l'actuel guide suprême.
06:05 Il y a déjà eu des règlements de comptes en Iran par le passé.
06:08 On pense notamment, par exemple, à la mort suspecte de l'ancien président Hashemi Rafsanjani dans sa piscine,
06:13 alors qu'il était quand même bien portant.
06:16 Donc, c'est peut-être, éventuellement, en tout cas c'est un contexte qui existe.
06:21 Troisième chose, il faut aussi rappeler que cet accident a eu lieu après l'inauguration par le président Raisi
06:29 avec le président azerbaïdjanais, Alief, d'un barrage à la frontière entre l'Iran et l'Azerbaïdjan.
06:34 Or, l'Azerbaïdjan est un allié d'Israël.
06:37 On sait que le Mossad est présent sur le territoire azerbaïdjanais, aux portes de l'Iran,
06:42 et on sait que l'Iran et Israël sont à couteau tiré.
06:45 Maintenant, encore une fois, rien n'indique qu'il s'agirait d'une opération israélienne,
06:51 quand bien même l'Iran et Israël sont à couteau tiré,
06:53 et que la réponse israélienne à l'attaque iranienne n'est pas terminée.
07:00 Rien n'indique qu'il s'agirait d'une action israélienne.
07:04 Mais vous n'y voyez pas un danger d'étincelle ?
07:06 Non, parce qu'il n'y a pas, en tout cas pour l'instant, de volonté iranienne de souffler,
07:10 en tout cas sur les Brests, d'utiliser cet accident comme une étincelle.
07:14 Si ça avait été le cas, les Iraniens auraient désigné, ou en tout cas suggéré, une implication israélienne.
07:20 Un mot encore du profil d'Ebrahim Raisi, 63 ans, ultra conservateur,
07:26 il était surnommé le "boucher de Téhéran" pour son passé de procureur.
07:31 Effectivement, c'est un religieux de rang moyen qui a passé toute sa carrière politique
07:36 dans le pouvoir judiciaire iranien, le pouvoir judiciaire politisé.
07:41 Il avait un profil très sécuritaire et effectivement, il est accusé d'avoir fait partie de ce qu'on appelle
07:46 le "comité de la mort", à savoir ces quatre juges qui étaient chargés à la fin de la guerre iran-iraque
07:52 de signer l'acte de mort et l'exécution de milliers de prisonniers politiques iraniens,
07:56 y compris des jeunes femmes qui, pour ne pas aller au paradis, étaient violées avant d'être pendues.
08:02 Donc oui, il a un passé extrêmement lourd et ça, la majorité des Iraniens aujourd'hui s'en souviennent.
08:07 Trouver la mort dans le crash de son hélicoptère la nuit dernière, on reviendra évidemment sur cette information
08:14 dans le journal de 8h. Armine Arefi, merci beaucoup, grand reporter au point.
08:17 Je rappelle le titre de votre livre paru chez Plon, "Un printemps à Téhéran".

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