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00:00Bonjour, je suis Aurélie Pallude, professeure en Culture Générale en prépa ECT et ECG
00:10au lycée Ozen de Toulouse.
00:12Alors on peut d'abord s'interroger peut-être sur les liens entre plaisir et violence.
00:21Le lien ne va pas de soi, puisqu'à priori on a tendance à rejeter la violence, et pourtant
00:26il existe un plaisir associé à la violence.
00:29D'abord, le plaisir que l'on pourrait prendre dans l'action violente que l'on inflige ou que l'on subit.
00:36Alors évidemment, on pense au sadisme, le sadisme qui est associé au Marquis de Sade,
00:41auteur au XVIIIe siècle des « 120 journées de Sodome ».
00:46Alors attention, son oeuvre ne se réduit pas à cet aspect-là, mais des psychiatres
00:52comme Kraft et Bing ont théorisé le sadisme en expliquant que c'était le désir de faire
00:59souffrir l'objet sexuel par humiliation et soumission.
01:02Deuxième aspect, le masochisme.
01:06Le masochisme, c'est le plaisir que l'on prend à la violence que l'on subit.
01:11Alors pour illustrer cette thématique, on peut regarder le film « Belle de jour » de
01:18Louise Bunuel, interprété par Catherine Deneuve.
01:23Donc Catherine Deneuve, il joue une bourgeoise mariée qui va se prostituer les après-midi
01:29pour concrétiser ses fantasmes masochistes.
01:32Et puis, dernier aspect, c'est la délicate question du plaisir que les enfants prendraient
01:39à être violents.
01:40Alors pour cela, on peut penser à l'essai « Quelques pensées sur l'éducation » de
01:47John Locke.
01:48Et voilà ce qu'il remarque.
01:50Il remarque que si personne ne les en empêche, les enfants, je cite, « traitent cruellement
01:57les oiseaux, les papillons et autres petites bêtes qui tombent entre leurs mains, et cela
02:03avec une sorte de plaisir ».
02:04Alors il faut se méfier quand même de cette expression « avec une sorte de plaisir » parce
02:08qu'on ne sait pas si l'enfant ressent du plaisir ou si l'adulte interprète cette
02:14violence et ce plaisir.
02:16Mais voilà ce que dit aussi John Locke, il dit que derrière les actes violents envers
02:22les animaux, il y a peut-être une volonté d'explorer, de comprendre, de découvrir.
02:28Voilà ce qu'il dit « L'enfant martyrise les animaux, le plus souvent sans se douter
02:34qu'il leur fait du mal.
02:35Il torture un chat comme il éventre sa poupée, pour exercer son besoin d'activité et pour
02:41satisfaire sa curiosité ».
02:43Donc on voit ici que l'enfant va essayer de découvrir à travers les actes violents,
02:49mais qu'il ne fait pas ces actes en ayant conscience de faire du mal.
02:53Donc finalement, ils sont violents peut-être sans le vouloir.
03:00Autre aspect peut-être, et en cela plus universel peut-être, c'est le plaisir que nous prenons
03:06face au spectacle de la violence.
03:08La violence est en effet mise en scène au cinéma ou dans la littérature et cette violence
03:16peut être source de fascination, que l'on pense aux tragédies, aux polars, aux thrillers
03:22ou aux films gore.
03:23Et le frisson vient peut-être aussi du fait que cette violence finalement reste à distance,
03:29à travers le média.
03:30Alors Aristote, dans sa poétique, a théorisé ce qu'on appelle la catharsis.
03:37Donc on n'est pas du tout sûr que ça fonctionne, mais l'idée c'est qu'à travers le spectacle
03:41de la violence, on va se purger de nos passions.
03:45C'est-à-dire qu'on va se défaire de nos pulsions et de nos frustrations de façon
03:52symbolique et s'ennuire à autrui.
03:54Donc il y aurait une vertu en quelque sorte du spectacle violent.
03:58Alors lorsqu'on pense aux liens entre violence et plaisir, on pense évidemment à un cinéaste
04:04comme Tarantino, cinéaste qui a créé Kill Bill, Pulp Fiction ou Une Grosse Bastarde.
04:11On sait que la violence est très forte chez Tarantino et qu'elle devient presque excessive
04:19jusqu'à devenir irréelle.
04:20Il y a presque une violence cartoonesque dans certains de ses films.
04:24Alors évidemment, on l'a accusé de complaisance envers la violence et pour se défendre, il
04:31reprend à son compte une phrase de Jean-Luc Godard « Ce n'est pas du sang, c'est du
04:37rouge ». Autrement dit, il souligne que la violence qu'il montre ne représente en
04:43rien la réalité.
04:44Et lorsqu'on regarde un Tarantino, il y a de tels déchaînements de violence que
04:50le spectateur est satisfait lorsque l'individu mauvais est puni.
04:54Donc il y a presque aussi un désir de violence qui naît chez le spectateur et un soulagement
05:00lorsqu'il y a la punition finale.
05:06Que penser de cette esthétisation de la violence ?
05:09Ça pose quelques problèmes moraux, quelques questions.
05:12Est-ce qu'il n'y a pas une sorte de banalisation de la violence à travers ses films ?
05:20Est-ce que ces images violentes sont vraiment répulsives ?
05:25Est-ce qu'elles ne sont pas plutôt incitatives ?
05:28Et puis finalement, est-ce que le spectateur ne devient pas un peu un voyeur complice de
05:36cette violence ?
05:37Donc la question est complexe et le débat reste ouvert, mais j'aime bien mobiliser
05:42la référence que constitue Vincent Jouve, qui a réfléchi sur la lecture.
05:46Alors voilà ce qu'il dit, il dit que la fiction a un fonctionnement particulier, parce
05:52que la fiction est un mélange d'immersion et de mise à distance.
05:58Donc dans le temps de la fiction, nous sommes aux côtés des personnages et le lecteur
06:03a le droit de se mettre aux côtés des méchants.
06:06Il y a un plaisir aussi pris dans la fiction à être complice peut-être de la violence.
06:14Mais attention, il y a aussi un effet de distance, c'est-à-dire que le lecteur sait qu'il
06:20est en train de lire une fiction et lorsqu'il repose le livre, il prend du recul, il analyse
06:25et il peut rejeter ce personnage de qui il avait été complice le temps de la lecture.
06:30Donc en fait, Vincent Jouve, lui, il mise peut-être sur l'intelligence et l'esprit
06:35critique du lecteur.
06:36On a donc le droit de prendre plaisir à la violence littéraire, dès lors qu'ensuite
06:42on s'en distancie, on prend du recul sur ce qu'on vient d'expérimenter.
06:45Et puis, j'aimerais aussi évoquer un dernier cas un peu particulier, c'est celui de la
06:56violence dans les contes pour les enfants.
06:58Beaucoup de contes présentent une forme de violence, que l'on pense à Cendrillon par
07:06exemple, qui commence par la mort de la mère et qui évoque des tensions au sein de la
07:12fratrie.
07:13Que l'on pense au petit pousset et à l'abandon des enfants.
07:16Donc on a une violence dans les contes.
07:18Alors, est-ce qu'elle est néfaste ? Ça n'est pas sûr, puisque le psychanalyste Bruno
07:23Bettelheim, dans « Psychanalyse des contes de fées », estime que l'enfant a besoin
07:29de cette violence des contes, parce qu'en fait il a des angoisses, des conflits intérieurs,
07:33mais il n'a pas les mots pour verbaliser cette violence.
07:38Et dans les contes, il va trouver des mots et des images qui vont l'aider à résoudre
07:43en quelque sorte ces conflits intérieurs.
07:45Donc il va trouver un apaisement.
07:47A une condition toutefois, c'est que le conte finisse bien.
07:52Et c'est pour cela que Bettelheim déplore ou rejette la version du Petit Chaperon Rouge
07:59selon Perrault.
08:00Parce que, souvenez-vous, à la fin, le loup dévore l'enfant et la grand-mère et il
08:05n'y a pas d'autre issue.
08:06Donc il pense que c'est un conte qui ne fonctionne pas.
08:08Le débat reste actuel, mais les psychanalystes estiment qu'il ne faut pas édulcorer les
08:15contes, parce que la violence est finalement constructive pour les enfants.
08:24Effectivement, ça peut paraître un peu surprenant, mais il y a bien un lien possible entre rire
08:29et violence.
08:31Certaines œuvres, par exemple, vont chercher à nous faire rire de la violence.
08:35En littérature, on peut penser à Hubert Roy d'Alfred Jarry.
08:39En cinéma, je vous recommande la scène de Sacré Graal des Monty Python.
08:44C'est la scène du combat contre le Chevalier Noir.
08:47Un combat entre deux chevaliers, l'un des deux finit complètement démembré, il a
08:52perdu les quatre membres et il veut encore se battre.
08:54Donc il y a ici du burlesque et donc on peut rire d'une violence extrême.
08:58Plus largement, on se rend compte qu'il y a une violence inhérente au rire.
09:04Parce que si on regarde les dessins animés ou encore les pièces de Molière, de quoi
09:09rit-on ? Des chutes, des coups de bâton, des insultes et de la faiblesse des personnages.
09:15Donc il y a bien cette association entre le plaisir et la violence.
09:22Dans son essai Le Rire, Bergson raconte l'anecdote de touristes qui voient un homme tomber, trébucher
09:29sur la bordure du trottoir.
09:31Et cela suscite leur rire.
09:33Bergson en déduit donc que l'on rit du malheur des autres, peut-être à une condition,
09:40c'est de ne pas avoir de lien affectif trop fort avec la victime.
09:45Et il dit bien que lorsqu'on rit de la violence, il a ce qu'il appelle une anesthésie
09:51momentanée du cœur.
09:53Et Nietzsche dit aussi, rire c'est se réjouir d'un préjudice mais avec bonne conscience.
10:00Donc on voit ici que dans le plaisir pris face à la violence, il y a en fait toute
10:05l'ambiguïté du rapport entre soi-même et l'autre.
10:10Je pense que l'idée même que la violence puisse être attachée à un plaisir ne va
10:16pas de soi.
10:17Donc il faut pouvoir l'envisager.
10:19Mais effectivement, il faut faire preuve de nuances.
10:22Moi, je vous ai dit que je m'appuyais sur le théoricien Vincent Jouve.
10:26Mais on peut lire aussi des articles qui montrent qu'il y a un effet mimétique de la violence
10:31et que les images violentes suscitent ensuite des actes violents.
10:34Donc il y a vraiment un débat qui mérite d'être ouvert, d'être mené.
10:38Et je ne voudrais pas conclure trop vite.
10:45C'est aussi la question peut-être de l'humour et de ses limites.
10:49En fait, à quel point peut-on être agressif ?
10:51Peut-on être violent dans ses propos pour faire rire ?
10:54Parfois, ça a le charme de la provocation.
10:56Ça favorise aussi une réflexion.
10:58Mais cela peut en retour heurter un certain nombre de personnes.
11:02On peut effectivement provoquer le cas des caricatures et de leurs réceptions délicates.