• il y a 7 mois
Dimitri Vouzelle, professeur d'histoire au lycée Charles de Gaulle de Dijon, auteur du livre "Être juif en Côte-d'Or (1933-1952), Espoirs et désastre", nous parle du devoir de mémoire. En cette année des 80 ans de la Libération, la Ville va inaugurer "des pavés de la mémoire", le 24 mai 2024.

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Transcription
00:00 L'actu de votre région c'est ici à 7h46 avec notre invité.
00:04 La semaine dernière, la ville de Dijon a inauguré un passage au nom de Misak et Méliné Manouchian.
00:09 A la fin du mois, ce sera au tour d'une allée de porter le nom de la résistante dijonaise dont on parlait, Blanche Grenier Godard.
00:16 Les grandes figures de la résistance, on en parle ce matin avec vous, Féline Leloir-Duhaut et votre invité.
00:21 Dimitri Vouzel, en quoi les figures locales sont importantes pour incarner l'histoire ? Pourquoi c'est important d'en parler ?
00:28 C'est très important parce que ça montre qu'on a une histoire de proximité.
00:34 Ça montre aussi que, par exemple, pour la résistance, tout le monde peut s'engager.
00:38 Que l'on soit jeune, moins jeune, un homme, une femme, c'était le cas de 1940 à 1944.
00:44 Pour ceux qui ont été déportés parce qu'on les a considérés comme étant juifs, c'est intéressant de faire leur histoire locale.
00:50 Parce qu'on se rend compte que ce sont aussi des voisins, ce sont des collègues de travail à l'époque, ce sont des camarades de classe.
00:56 Donc ça incarne et puis ça met en perspective cette histoire importante.
01:03 Vous vous étiez vous-même engagé pour que Blanche Grenier Godard, cette résistante disjonnaise, obtienne une rue à son nom à Dijon.
01:10 Qu'est-ce que vous ressentez à l'idée qu'elle en ait enfin une à la fin du mois ?
01:14 Alors je suis très content pour la famille en particulier parce qu'elle a encore un fils qui est vivant, qui est Jean Grenier Godard, qui est donc son fils cadet.
01:22 Elle a également une petite fille qui est très fière, qui a bien connu sa grand-mère et qui est très contente qu'elle ait enfin une reconnaissance.
01:28 Parce qu'il est vrai que pendant plusieurs décennies, elle a été oubliée à ses actions.
01:33 Et donc je suis très très content et puis très honoré d'avoir pu contribuer et d'avoir fait un travail de mémoire la concernant.
01:42 Oui, vous le disiez justement, la mémoire de Blanche Grenier Godard a été largement oubliée, contrairement à celle de son fils René qui lui est mort dans les camps de concentration.
01:50 Est-ce que ça montre que les figures féminines de la Résistance sont plus souvent invisibilisées par rapport à celles de leurs homologues masculins ?
01:57 Alors oui, pendant longtemps. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, ce n'est plus le cas je dirais depuis 20-25 ans.
02:03 Mais pendant très longtemps, c'est vrai que la Résistance a été perçue, alors à part quelques grandes figures comme Germaine Tillion et d'autres,
02:10 mais pendant très très longtemps, elle a été perçue comme étant masculine.
02:14 Et j'ai un collègue historien qui notamment utilisait l'expression que pendant longtemps, les femmes sont restées au seuil de la porte
02:20 concernant la reconnaissance de leur engagement pour la Résistance.
02:23 Par exemple, les médailles de la Résistance, si on regarde le nombre de médailles de la Résistance, il y a 8,6% de médailles qui ont été données aux femmes.
02:30 Ce qui est très peu, puisqu'on peut estimer qu'il y a peut-être le double, alors c'est difficile de donner les chiffres, mais de femmes qui ont été résistantes.
02:38 - Et avec la mémoire de Blanche Grenier Godard, j'imagine que d'autres figures de la Résistance locale vont être aussi mises en avant ?
02:45 Est-ce qu'il y en a d'autres qui sont oubliées et qu'on pourrait remettre en avant au goût du jour aujourd'hui ?
02:51 - Alors oui, en particulier je pense que pour tout ce qui est Résistance pionnière, donc la Résistance pionnière c'est celle qui commence dans l'été 1940,
02:57 qui se poursuit jusqu'en 1941-1942, parce que souvent, comme ça a été pionnier, ils sont souvent arrêtés très précocement,
03:04 condamnés, déportés pour un certain nombre d'entre eux. Donc je pense qu'il y a encore des travaux à faire sur le sujet.
03:08 La complexité c'est de trouver des archives, parce que cette Résistance pionnière a laissé très peu de traces.
03:13 Autant les maquis en 1943-1944, il y a plein de traces, parce qu'il y a des comptes rendus, parce que ce sont des organisations militaires,
03:18 donc ils font des comptes rendus d'action presque au quotidien, donc on peut documenter, on peut expliquer tout ce qu'ils ont fait.
03:24 La Résistance pionnière c'est beaucoup plus difficile.
03:26 - Vous avez aussi travaillé sur l'histoire des Juifs en Côte d'Or entre 1933 et 1952, vous nous en parliez.
03:32 C'est l'objet de votre livre, car le département a joué un rôle dans la déportation des Juifs, si j'ai bien compris.
03:39 Même il y a eu une espèce de changement avant l'arrivée des nazis, et après l'arrivée des nazis,
03:44 la ville de Dijon a vraiment eu un changement radical sur cette question.
03:48 - Oui, la ville de Dijon c'est une ville importante dans le dispositif allemand,
03:51 puisque vous avez tous les services de répression allemand qui sont présents.
03:54 C'est aussi une ville importante dans l'organisation administrative de Vichy.
03:58 Vous avez par exemple la Dijon à l'intendant de police, qui est le bras droit du préfet régional.
04:03 Et donc à partir de 1941, vous aurez les premières arrestations, et puis ensuite il y aura des rafles importantes.
04:10 La plus oubliée c'est celle du 26 février 1942, pour laquelle le dépôt et une mémoire vont être posées.
04:17 Et puis la dernière Côte d'Orienne arrêtée et déportée, elle habite Pontailly-sur-Saône, c'est Clarice Vale.
04:24 On est quand même le 5 juillet 1944, et elle est déportée le 31 juillet 1944 par le dernier grand convoi, le convoi n°77.
04:32 - Et justement, vous me disiez, ce travail sur la question des juifs en Côte d'Or,
04:37 ça a été un long travail pour vous de recherche dans les archives.
04:40 Est-ce que ça veut dire que cette question a longtemps été oubliée, peu traitée ?
04:44 - Alors, il y a un historien qui avait traité il y a une dizaine d'années un livre de témoignages,
04:50 c'est vrai qu'une étude historique pas exhaustive, parce que c'est jamais exhaustif, sur le sujet, ça n'avait pas encore été fait.
04:57 Non pas que, je pense, les gens ne s'y intéressaient pas, mais parce qu'il y avait d'autres sujets de recherche.
05:02 Donc, il y a en tout cas des documents, tous les documents sont ouverts, tous les documents sont accessibles,
05:07 ils sont aux archives départementales, ils sont aussi à Caen, à Caen il y a les dossiers notamment de déportation,
05:12 et puis aussi les témoignages, les témoignages des survivants et de leurs descendants,
05:15 qui ont permis de nourrir la réflexion sur ce sujet.
05:18 - Et vous nous parliez là du projet de pavé de la mémoire, qui sont en l'honneur de cette,
05:24 enfin pour commémorer cette rafle de février 1942, est-ce que vous pouvez nous en parler,
05:29 parce que vous avez travaillé dessus avec vos élèves, je crois ?
05:31 - Donc en fait, cette rafle du 26 février 1942, c'est donc des otages, donc c'est un peu différent des rafles qu'ils vont avoir lues après,
05:38 donc ce sont 11 Dijonais qui sont arrêtés à leur domicile par la police allemande,
05:42 et qui seront déportés dans le convoi numéro 2, donc le 5 juin 1942, aucun d'entre eux n'est revenu,
05:47 et donc ça m'a semblé important qu'on les rende à nouveau visibles,
05:51 puisqu'ils ont été invisibles pendant très très longtemps, pendant presque 80 ans,
05:55 et donc ces pavés de mémoire seront inaugurés le 24 mai prochain,
05:59 et cela permettra de se rappeler qu'ils ont vécu,
06:03 puisque c'est aussi l'intérêt de penser qu'il n'y a pas que des juifs morts, il y a aussi des juifs qui ont été vivants,
06:07 qui ont eu des enfants, qui ont eu un travail, qui ont eu des amis,
06:10 et donc ces pavés seront situés dans le cœur de ville de Dijon, où ils habitaient en fait,
06:14 et selon leur adresse, par exemple, il y en aura un rue de la Liberté, il y en aura un rue du Bourg,
06:17 il y en aura un rue Berbizet, il y en aura un place Barbe, etc.
06:20 parce qu'il y en aura 11 en fait, et c'est les premiers, il pourrait y en avoir d'autres dans le futur.

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