• il y a 6 mois
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00:00 [Musique]
00:17 Bonjour, Slobanin Despacito.
00:19 Bonjour Irina.
00:21 Vous êtes écrivain, auteur de plusieurs ouvrages, notamment "Le Miel", "Le Rayon Bleu" chez Gallimard,
00:27 contributeur à plusieurs médias un peu partout, et également vous avez créé un petit presse.
00:33 Donc merci d'être là avec nous aujourd'hui depuis la Suisse.
00:37 Vous vous souvenez, nous avons organisé une conférence ensemble il y a quelques...
00:41 Déjà dès le début du conflit en Ukraine, au milieu de l'année 2022,
00:46 et à cette époque nous évoquions différentes manipulations, les non-dits, l'autocensure de journalistes,
00:53 parfois même tout simplement les mensonges concernant ce conflit en Ukraine.
00:58 Et aujourd'hui j'aimerais bien vous poser cette question.
01:01 Qu'est-ce qui vous gêne le plus dans la couverture de ce conflit depuis deux ans ?
01:08 J'imagine que vous voulez parler de la couverture de ce conflit ici, en Europe de l'Ouest, j'imagine.
01:15 Parce que ce qui me gêne d'un côté n'est pas la même chose que ce qui me gêne de l'autre.
01:21 Parce que je suis la couverture de ce conflit de plusieurs côtés, notamment du côté russe,
01:28 aussi du côté des médias asiatiques, qui sont un petit peu hors du... au-dessus de la mêlée.
01:37 Mais évidemment que ce qui est le plus désastreux, c'est la couverture en Europe de l'Ouest,
01:45 enfin dans le monde occidental, dans la mesure où tout simplement il n'y a plus de journalisme.
01:52 Sauf évidemment dans les médias alternatifs et dans certains cas comme ça qui sont un petit peu des exceptions qui confirment la règle.
01:58 Mais il n'y a pas de journalisme.
02:00 Il y a la récitation d'un scénario préécrit qui est celui imposé par le pouvoir politique, par l'OTAN,
02:09 et il y a tri des informations, élimination des informations dissonantes,
02:15 et censure des voix ou des sources qui seraient susceptibles de nuancer le scénario ou le récit qui est fait de cette guerre dans les médias occidentaux.
02:32 Donc c'est en tout premier lieu un naufrage historique du métier de journaliste.
02:39 C'est un petit peu, si vous voulez, quand nous avons créé l'Antipresse, comme son nom l'indique,
02:46 c'est un contrepoint à la presse de grand chemin, comme je l'appelle, donc la presse officielle,
02:53 lorsque nous l'avons créée il y a huit ans, il y avait déjà cette crainte, ce constat, que le journalisme était en train de disparaître.
03:02 D'ailleurs un de nos soutiens, un des soutiens de la première heure, un abonné qui est aussi un penseur, nous avait dit
03:09 "en ces temps orvéliens, l'Antipresse c'est la presse".
03:12 Et la presse, disons, officielle ne fait plus son travail.
03:16 On ne peut pas considérer qu'on informe son public en reprenant, sans aucune vérification,
03:25 les nouvelles qui vous parviennent d'une des parties au conflit.
03:27 Ce seraient d'ailleurs des nouvelles qui viennent de l'état-major de l'armée russe, je dirais la même chose.
03:34 Malheureusement ce qu'on fait c'est qu'on reprend les nouvelles qui viennent de Kiev,
03:38 ou alors qui viennent du département d'état américain, ou des agences américaines qui sont en fait les mentors de Kiev.
03:45 Donc il n'y a pas de couverture journalistique, il y a un appareil de propagande.
03:51 Et la couverture, puisqu'on parle souvent des médias, et parfois on dit que les médias anglo-saxons,
03:58 les journalistes anglo-saxons sont beaucoup plus libres, il y a beaucoup plus de champs de communication.
04:04 Est-ce que vous voyez cette différence dans la couverture, dans les médias, notamment peut-être même en Inde,
04:10 puisque vous parlez des médias asiatiques, mais aussi anglo-saxons, même américains,
04:15 est-ce qu'il y a cette différence nette entre l'Europe de l'Ouest et ces médias-là ?
04:20 Alors il y a une différence absolument flagrante.
04:26 Il y a une différence flagrante dans le parti pris, dans le niveau de professionnalisme,
04:34 et même je dirais dans le niveau de qualité de la langue.
04:39 La langue est devenue extrêmement pauvre dans les médias, par exemple francophones d'Europe occidentale.
04:47 On utilise des expressions toutes faites, on peut repérer l'origine des informations
04:56 au fait que les mêmes syntagmes, les mêmes morceaux de phrases se répètent partout
05:00 et remontent par exemple à des agences de relations publiques ou alors à des instances officielles.
05:07 Donc ils ne prennent même pas la peine de masquer les traces, tellement c'est mauvais.
05:15 Il est vrai, vous avez raison, il est vrai que dans le monde anglo-saxon, en particulier aux États-Unis,
05:22 il y a beaucoup plus de diversité.
05:25 Il y a beaucoup plus de diversité d'abord parce que vous avez des canaux qu'on assimilerait chez nous
05:31 à des alter-médias, des médias alternatifs ou des médias comme on appelle en France des médias de réinformation.
05:38 Je n'aime pas du tout ce terme. Il y a de l'information ou de la non-information,
05:42 mais la réinformation c'est un terme qui est idiot en soi.
05:49 Donc il y a des gens qui ont des audiences non seulement équivalentes à celles des médias du système,
05:58 mais qui les dépassent. L'audience d'un Tucker Carlson, qui vient des médias du système
06:04 mais qui a constitué sa propre plateforme à l'abri de Twitter X, son audience dépasse sauf erreur
06:12 dans les grandes interviews de six fois l'audience cumulée des chaînes classiques américaines,
06:18 les médias historiques ABC, NBC, CBS, etc.
06:21 Donc de ce côté-là, aux États-Unis, la bataille médiatique est en quelque sorte beaucoup plus vive
06:29 et beaucoup plus sanglante aussi.
06:32 Et puis il y a aussi ceci, on peut dire que Tucker Carlson est essentiellement un interviewer,
06:38 mais vous avez des médias d'investigation comme The Grey Zone par exemple,
06:42 qui font exactement le travail de recherche, de recoupement, de vérification
06:48 que les médias de grand chemin devraient faire et qu'ils ne font pas.
06:53 Et ces médias-là réussissent à contrecarrer le récit simpliste qui nous est servi.
07:02 Certains collaborateurs de ces médias, je pense à Keith Klarenberg ou à Max Blumenthal,
07:07 sont aussi des gens qui sont invités quelquefois dans des forums politiques aux Nations Unies pour témoigner, etc.
07:14 Donc ils ont quand même un impact qui est sans commune mesure, je dirais, avec ce qu'on trouve en Europe de l'Ouest.
07:21 En Europe de l'Ouest, les altères médias sont pour l'instant, disons,
07:29 témoignent plutôt d'une énergie civique, d'une énergie individuelle,
07:35 qui ne constitue pas un antisystème à proprement parler, à mon avis.
07:40 J'ai compris, je ne vais plus utiliser le terme réinformation, que j'utilise parfois.
07:46 Alors, nous vivons…
07:48 Qu'est-ce que ça veut dire ? J'ai été… Je ne sais pas moi…
07:54 Vous pouvez repeindre votre maison, mais si vous êtes soit informé, soit vous ne l'êtes pas.
07:58 Si vous êtes informé, il n'y a pas besoin de vous réinformer.
08:01 Donc, ça c'est aussi un témoignage de ce que les gens ne réfléchissent pas aux termes qu'ils ont…
08:06 Excusez-moi Irina, vous utilisez ce terme parce qu'il est dans l'air,
08:11 mais ceux qui l'ont créé auraient dû réfléchir.
08:14 Nous vivons à l'époque de storytelling, comme on dit,
08:18 donc les médias créent un narratif qui est censé être la vérité absolue.
08:23 Et si vous osez mettre en question tel ou tel propos,
08:29 vous êtes traité, on le sait très bien, on est traité de propagandiste, d'agent russe, complotiste.
08:36 Voilà, les termes les plus connus.
08:38 J'ai choisi trois narratifs les plus soutenus par les médias mainstream, notamment en France,
08:43 pas tous les médias, mais quelques médias mainstream, sur le conflit en Ukraine.
08:47 J'aimerais bien voir votre commentaire.
08:50 Donc, la première… Le premier propos, c'est « La Russie menace l'Europe ».
08:57 Il faut absolument combattre la Russie.
09:00 Deuxième, l'Ukraine est un pays formidable, elle se bat pour sa liberté et elle gagne la guerre.
09:08 Et troisième, il n'y a pas de nazis en Ukraine, c'est un peuple libre, il se bat pour sa souveraineté.
09:16 Bon, ça ne fait pas trois narratifs, j'en ai compté en tout cas six, six ou sept.
09:26 Ou un seul grand narratif, en fait.
09:29 En fait, oui, on peut décomposer le flux, disons, de l'information qui va toujours dans la même direction
09:36 en plusieurs courants, en faisceaux.
09:40 Il y a des faisceaux qui, évidemment, consistent à noircir la partie qui est adverse,
09:47 qu'on considère comme étant l'adversaire,
09:49 et puis l'autre qui consiste à blanchir ou à, disons, disculper la partie à laquelle nous sommes alliés.
09:58 Évidemment, la première chose que vous avez dite, c'est que la Russie, c'est…
10:03 Elle menace l'Europe.
10:05 Alors, ça, c'est un argument qui ne date pas d'hier, c'est un argument historique.
10:13 C'est quelque chose qui remonte à… en tout cas au 19e siècle, n'est-ce pas ?
10:20 Et il y a nombre d'études, mais là on devrait entrer vraiment dans les études historiques,
10:29 il y a un nombre d'études qui ont été faites sur l'origine de cette hallucination russophobe.
10:37 Pourquoi je parle d'hallucination russophobe ?
10:40 D'ailleurs, je recommande à ce propos le livre de Guy Méton,
10:48 qui est un livre d'encyclopédie, qui est un résumé de l'histoire de la russophobie,
10:54 du conflit, disons, intellectuel, du conflit diplomatique et géopolitique entre l'Occident et la Russie,
11:00 et sa traduction, notamment dans les écrits académiques, dans le journalisme, etc.
11:05 C'est un conflit de mille ans, n'est-ce pas ?
11:07 Et c'est vrai que si on va vraiment chercher les origines,
11:11 on va tomber sur le schisme entre l'Église d'Orient et l'Église d'Occident,
11:16 mais ça nous mène très loin.
11:17 En tout cas, ce qu'on peut dire, c'est que la Russie pose un problème évident à l'Europe de l'Ouest,
11:24 en ceci que, elle est en gros, historiquement, si vous voulez,
11:31 elle est en gros la seule réelle puissance sur le continent
11:35 qui ne soit pas généalogiquement dérivée du Saint-Empire romain-germanique,
11:47 c'est-à-dire de l'axe franco-allemand.
11:52 Comme vous le savez, au temps des royautés, et aujourd'hui encore,
11:58 pratiquement toutes les dynasties européennes sont des dynasties allemandes,
12:02 à commencer par la famille royale de Grande-Bretagne,
12:07 vous avez une conception du monde, une vision du monde qui s'est développée
12:12 pendant des siècles, pendant en tout cas cinq siècles, sinon davantage,
12:19 qui a consisté à identifier la vision du monde, les croyances et les valeurs
12:26 de l'axe franco-allemand, c'est-à-dire du Saint-Empire romain-germanique,
12:31 avec les valeurs universelles.
12:34 Un historien russe du début du XXe siècle, qui s'appelle Étouff Skoy,
12:38 a écrit un livre sur les rapports entre la Russie et l'Europe,
12:43 où il relevait que le grand biais, la grande distorsion du regard historique
12:50 des Européens de l'Ouest, consistait à étendre le provincialisme romain-germanique
12:59 à l'univers entier, c'est-à-dire à considérer que la seule vision du monde,
13:03 la seule manière de se comporter, la seule manière de construire une société
13:07 qui soit légitime, qui soit civilisée, c'est ce que font, grosso modo,
13:13 les Français, les Allemands, par extension les Britanniques,
13:18 puisque la Grande-Bretagne est une extension de la France, n'est-ce pas ?
13:21 Et puis, évidemment, les royaumes dépendants, comme les néerlandais, les espagnols, etc.
13:27 Et donc, la Russie arrive là-dedans comme héritière de Byzance,
13:34 comme pôle de la civilisation chrétienne d'Orient, comme pôle de souveraineté,
13:43 et elle a aussi cette particularité, je vais très loin, mais je pense que c'est très important
13:50 de dire ces choses pour essayer de comprendre pourquoi on n'arrive pas,
13:54 mais de manière séculaire, à se comprendre.
13:58 La Russie est à la fois quelque chose qui est séparé du monde occidental,
14:04 qui est séparé et construit sur la base de cette partie de la civilisation européenne
14:09 que le monde occidental, depuis grosso modo le 11e, 12e siècle, a décidé d'ignorer,
14:15 de ne pas connaître.
14:17 Je veux dire, en Occident, personne n'a de souvenirs, par exemple, du sac de Constantinople en 1204.
14:24 Donc, une croisade qui est censée libérer les lieux saints des Ottomans, des musulmans,
14:31 qui finit par simplement mettre à sac Byzance parce que c'est plus près et puis que c'est plus riche,
14:36 et puis qu'on peut le faire.
14:38 Personne ne s'en souvient en Occident, c'est même pas enseigné dans les manuels scolaires,
14:42 mais tout le monde grec orthodoxe, c'est-à-dire grec, serbe, russe, se souvient de ça.
14:50 Ces moments sont capitaux. Lorsque Rome, après la chute de Constantinople,
14:58 reprend la couronne ou le titre, la dignité de 3e Rome,
15:04 elle entre en conflit direct avec la Rome du Vatican,
15:09 avec le pôle, le centre de la religion chrétienne d'Occident,
15:16 qui se considère comme la seule religion légitime et qui est en train, à ce moment-là, de conquérir le monde.
15:21 Par parenthèse, personne ne sait, par exemple,
15:27 et ça c'est vraiment un fossé dans la vision de l'histoire du monde occidental,
15:36 personne ne sait quand est mort le dernier empereur romain.
15:42 Le dernier empereur romain, par lignes de succession, revêtu de la toge pourpre des empereurs romains,
15:48 il n'est pas mort au 5e siècle à cause des invasions barbares sur Rome,
15:54 il est mort en 1453 sur les murailles de Constantinople et il était ethniquement d'origine gréco-serbe.
16:01 Personne ne l'enseigne, personne, on ne le sait pas,
16:06 alors que la légitimité de l'Empire était encore incarnée sur les murailles de Constantinople au moment du siège.
16:12 Bon ben voilà, vous avez ces deux histoires parallèles de l'Europe
16:17 qu'on n'a jamais pris la peine de coordonner.
16:23 Et puis vous avez ce phénomène de la Russie qui au moment où elle commence à se développer comme une puissance européenne,
16:29 notamment lorsqu'elle commence à sortir sur les mers grâce à Pierre Le Grand,
16:33 veut absolument s'intégrer à l'Europe.
16:35 Je dirais que ça c'est une erreur russe, au lieu de suivre sa propre voie,
16:42 elle veut absolument imiter l'Europe dans sa culture, ses perruques, ses habits, sa langue,
16:52 puisque jusqu'à aujourd'hui les bonnes familles russes parlent encore français.
16:57 Et donc en fait, elle ne cesse depuis des siècles d'étaler à la face des Européens de l'Ouest
17:05 un complexe d'infériorité absolument injustifié.
17:08 Ça c'est très drôle ce que vous dites, puisque j'ai déjà attendu il y a quelques semaines justement lors de notre conférence,
17:17 M. Saint-Georges a dit la même chose, il faut que les Russes arrêtent de se sentir inférieurs.
17:24 Donc vous considérez que cette fameuse fenêtre sur l'Europe de Pierre Le Grand est en quelque sorte une erreur russe ?
17:31 Le fait d'avoir ouvert une fenêtre sur l'Europe n'est pas une erreur.
17:36 Le prodige qu'a constitué, avec tous les sacrifices humains évidemment que ça a représenté,
17:42 mais le prodige qu'a constitué la construction de Saint-Pétersbourg dans les marées de la Neva,
17:47 c'est quelque chose qui n'a pas d'équivalent dans la civilisation européenne.
17:53 Personne n'a fait ça.
17:55 Alors pourquoi est-ce que l'Europe, qui en plus, à Saint-Pétersbourg, voit une espèce de...
18:04 elle voit un miroir ou un musée de sa propre culture de la plus haute époque ?
18:10 De la plus haute époque entre le classicisme, le baroque et la période, disons, la fin du baroque, le début du romantisme.
18:19 Vous avez un résumé de l'architecture, de l'art, de la peinture, de l'urbanisme européen qui se trouve à Saint-Pétersbourg.
18:28 L'Europe n'en a jamais vraiment tenu compte.
18:33 C'est... oui d'accord, c'est comme un parc d'attractions, mais elle n'a pas compris le message qui lui était adressé.
18:39 Pourquoi ? Parce qu'il l'était adressé par quelqu'un, Pierre Le Grand, et ses successeurs,
18:47 qui ont trop voulu, ont trop voulu rendre hommage à l'Europe.
18:53 Quand vous construisez des copies de Saint-Pierre de Rome, des églises de marbre néoclassiques,
19:00 et que vous y célébrez la liturgie orthodoxe, il y a une dissonance qui est frappante.
19:06 La liturgie orthodoxe avait habité des lieux qui, architecturalement, fonctionnellement, n'étaient pas les lieux de la religion d'Occident.
19:16 Pourquoi est-ce qu'il fallait faire entrer de force la culture, l'héritage culturel et religieux, spirituel, de la Russie dans des moules occidentaux ?
19:27 Cela ne peut que soulever le mépris de celui qui y est copié.
19:32 Alors que la Russie, à ce moment-là, qui est déjà une très grande puissance,
19:36 est toute heureuse de copier les petits marchands hollandais avec leurs pipes.
19:40 Qu'est-ce que c'est ? C'est rien du tout. C'est fou.
19:46 Je rappelle à nos auditeurs que les relations diplomatiques franco-russes ont été établies pendant cette période, en 1717.
19:55 Il y avait quand même de belles choses aussi.
19:58 Bien sûr.
19:59 Pour revenir quand même à aujourd'hui, et d'ailleurs on parle de cette histoire,
20:03 vous dites que l'histoire n'est pas connue, mais l'histoire tout récente n'est pas connue,
20:07 sans parler, chaque fois je mets cet exemple, des sondages à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
20:15 La fameuse question "Qui a contribué le plus à la défaite de l'Allemagne nazie ?"
20:19 Aujourd'hui, 60%, voire plus, répondent que c'était les États-Unis d'Amérique et l'Angleterre.
20:27 Et ils oublient le prix. Je ne dis pas évidemment qu'ils n'ont pas contribué, les autres pays,
20:33 mais 26 millions de morts soviétiques, ce n'est quand même pas discutable dans cette affaire.
20:39 Pour revenir au conflit d'aujourd'hui, j'aimerais bien juste rapidement votre commentaire sur ce narratif,
20:49 et vous, vous en avez parlé, sur pourquoi il n'y a pas de fascisme en Ukraine aujourd'hui.
20:53 J'aimerais bien, parce que c'est important.
20:55 Alors, j'ai vu que sur votre chaîne, vous aviez souvent des invités qui étaient très calés sur ce genre de sujet.
21:05 J'y ajouterai mon petit grain de sel, parce que, effectivement, la question de la présence,
21:13 ou du rôle plutôt, de l'idéologie néo-nazie, et je mets là des guillemets sur ce mot, parce que je vais vous dire pourquoi,
21:24 cette question est en fait centrale. Personnellement, je ne sais pas si ça a filtré jusque chez vous à Paris,
21:36 mais j'étais à l'origine d'une espèce de campagne de presse au mois de mars-avril en Suisse,
21:45 parce que, participant à une émission de débat à la radio, à laquelle je participe régulièrement,
21:52 j'avais fait observer que les Pays-Baltes auraient certainement de meilleures relations avec la Russie
22:01 s'ils ne permettaient pas la restauration de mouvements national-socialistes, néo-nazis,
22:06 et s'ils traitaient mieux leurs minorités. C'était un scandale, c'est quelque chose qu'on ne doit pas dire.
22:10 C'était littéralement, je veux dire, on n'a pas attaqué le fait que j'ai soulevé, puisque c'est un fait,
22:19 puisque même le Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme, en 2023,
22:24 publiait encore des mises en garde contre la violation des droits des minorités dans les Pays de la Baltique.
22:31 Mais la mention de ce réveil d'une idéologie qui est prohibée d'abord en Europe de l'Ouest, est pratiquement interdite.
22:43 Et ce qui m'a frappé, c'est que je me suis trouvé confronté au même mur d'ignorance volontaire
22:49 qu'il y a 30 ans, ou un petit peu plus, lorsque la même idéologie est apparue en ex-Yougoslavie,
22:58 comme facteur de destruction de l'ex-Yougoslavie, en particulier en Croatie.
23:03 Comme vous le savez, la Croatie a connu sa première période de pseudo-indépendance en 1941,
23:11 lorsqu'elle est devenue un état satellite de l'Allemagne hitlérienne, sous le nom d'État indépendant de Croatie,
23:17 et où elle a mis en place un génocide absolument épouvantable de sa population serbe.
23:23 Lorsque les mêmes symboles, les mêmes drapeaux, sont réapparus en Croatie,
23:29 évidemment que la population serbe de Croatie a pris cela comme une provocation du dernier degré,
23:34 et elle a commencé vraiment à avoir très peur.
23:37 Ce qui est intéressant, en plus les Croats ont porté à leur tête un président de la République
23:46 qui était un historien révisionniste, monsieur Tudjman,
23:50 qui réécrivait complètement l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
23:54 On comprend pourquoi l'Allemagne en sous-main soutenait ces mouvements,
23:58 parce que ça lui permettait, elle, de se blanchir historiquement par des canaux collatéraux
24:05 auxquels le reste du monde ne faisait pas attention.
24:07 Ça permettait de faire le ventriloque, de faire dire à d'autres ce que les Allemands ne pouvaient pas dire
24:12 sur leur ressentiment.
24:15 Et puis aussi ça permettait de créer des mouvements qui, tout en étant socialement pas majoritaires,
24:24 encore qu'ils n'étaient pas non plus totalement marginaux,
24:28 mais ces mouvements, que ce soit en Croatie puis en Ukraine,
24:34 ces mouvements donnent le ton de la vie publique.
24:38 On vous répond que Svoboda ou d'autres, en Ukraine, qui sont des mouvements,
24:43 tous ceux qui se réclament de Bandera et de Shushkevich,
24:48 ce sont des gens qui vénèrent des collaborat, des collabos du nazisme
24:57 qui sont des terroristes.
24:59 Ces mouvements, on ne sait pas comment les qualifier sinon de néo-nazis.
25:06 Mais on vous dit en Europe, lorsque vous soulevez cette question, vous vous disiez
25:10 "oui mais enfin, ils ont 2%, ils sont minoritaires au Parlement,
25:15 Svoboda est arrivé à 30 quand même au tout début, n'est-ce pas ?
25:19 Donc tant qu'ils ne sont pas à 51%, tant que le chef de l'État n'est pas un des leurs,
25:26 ils n'existent pas.
25:28 Alors comme il se trouve que le chef de l'État est un acteur d'origine juive,
25:31 tout va bien, il n'y a aucun problème.
25:34 Mais ces mouvements, à quoi servent-ils dans la vie politique d'un État
25:43 qui se veut une démocratie, même s'il en est très éloigné,
25:46 enfin où il y a une vie parlementaire ?
25:48 La présence de tels mouvements, elle désinhibe les mouvements
25:57 du système, les mouvements acceptables, les mouvements honorables,
26:02 ceux qui ne portent pas des uniformes, n'est-ce pas ?
26:06 Mais elle leur permet, sur le marché des idées politiques qui existent dans ce pays,
26:13 elle permet de dire "oui mais si ce n'est pas nous qui proposons ça,
26:17 ça va favoriser les extrémistes".
26:20 Donc les extrémistes, avec leur position, ils vont tirer tout le spectre politique
26:26 vers des idées qui ne sont pas acceptables.
26:29 Et alors évidemment, le grand mystère sur lequel tout le monde devrait s'interroger,
26:35 en particulier les Français qui vont nous regarder, c'est comment cela se fait
26:41 qu'en France, non seulement il n'est pas permis de défiler avec des uniformes
26:49 de la Légion Charlemagne, non seulement il n'est pas permis de glorifier le nazisme,
26:55 non seulement il n'est pas permis de remettre en question, je veux dire,
26:59 dans les travaux académiques, l'histoire de la Seconde Guerre mondiale,
27:02 ou de renommer des rues. Je ne sais pas, moi vous avez une rue Stalingrad à Saint-Denis,
27:06 tout d'un coup vous allez dire que ça va être la rue Pierre Laval,
27:09 mais ça ne va pas tenir six minutes. Le maire va être mis en prison.
27:16 Et vous permettez que tout cela se fasse dès que vous êtes à l'est de Vienne.
27:22 Vous permettez que ça se fasse en Croatie, qu'on enlève des noms de résistants communistes
27:29 ou même des noms de, je ne sais pas moi, quelconques, et qu'on donne les noms de rue
27:34 à des héros, disons des héros de la période nazie. Vous permettez que ça se fasse en Ukraine.
27:41 Il n'y a absolument aucune réaction, ce qui veut dire qu'il y a une complicité.
27:46 Si vous ne réagissez pas, à un moment donné, si vous avez conscience d'une communauté de valeurs,
27:56 non pas seulement avec les Russes, mais d'une universalité de vos valeurs,
28:01 or, l'Occident, je reviens au début de notre entretien, l'Occident s'est construit
28:06 sur la conviction que ces valeurs étaient universelles.
28:11 Donc, parmi ces valeurs, défendues en Occident notamment par le système juridique, légal,
28:17 il y a le fait que le nazisme, c'est mauvais, ça doit être combattu et interdit.
28:22 Eh bien, vous arrêtez, vous faites exception sur ce système, cette partie de votre système de valeurs
28:30 lorsque des nouvelles occurrences de ce phénomène, évidemment retravaillées, modifiées,
28:36 transformées par les circonstances historiques, c'est pour ça que je n'appelle pas ça le nazisme,
28:41 j'appelle ça le hennisme. D'abord parce que quand vous êtes sur YouTube, on vous coupe la vidéo
28:45 lorsque vous prononcez quelquefois ces mots trop souvent, et ensuite parce que je pense qu'il faut
28:52 trouver une appellation qui tienne compte de la transformation.
28:57 Ce n'est plus le mouvement d'Adolf Hitler basé sur le revanchisme allemand après les traités de Versailles.
29:05 C'est autre chose, qu'il y a des composantes communes avec le mouvement hitlérien,
29:11 mais qui est adapté à l'époque où nous sommes. Mais ces composantes, elles sont très facilement identifiables.
29:16 La première, c'est le volontarisme absolu, la célébration de la force. Ensuite, c'est évidemment
29:25 la discrimination ethnique ou raciale, et puis aussi un certain nombre de convictions,
29:34 notamment la croyance au scientisme, etc. Mais l'essentiel est là.
29:39 Donc comment se fait-il que l'Occident, et ça ne date même pas de 2014, ça ne date même pas du Maïdan,
29:47 ça date de l'immédiat du moment où l'URSS s'effondre, comment se fait-il que l'Occident donne libre cours
29:56 en Europe de l'Est à des idéologies qui ne tolèrent pas une seconde chez lui ?
30:01 Comment cela se fait-il ? Comment se fait-il, pour revenir à la question qui est moins polémique aujourd'hui,
30:07 mais qui permet d'étudier les phénomènes avec plus de sérénité, la question des États baltes ?
30:12 Vous avez des monuments pour des vétérans de la SS qui sont construits dans les années 1990.
30:19 En 1999, il y a un mémorial de la SS qui est construit dans les États baltes.
30:24 Ce n'est pas un moment où la Russie menace l'Europe ou quiconque, ce n'est pas un réflexe de défense.
30:30 La Russie en 1999 n'existe pas sur le plan diplomatique et militaire.
30:33 Elle n'est même pas capable de s'opposer à la destruction de la Yougoslavie.
30:37 Et vous avez ces mouvements qui naissent et personne ne réagit. Pourquoi ?
30:42 Bonne question. Également, je vous pose la question. Il y a de mauvaises victimes et de bonnes victimes.
30:49 Il y a les mauvaises minorités et les bonnes minorités.
30:52 Pour revenir à une histoire un petit peu plus lointaine, mais assez importante,
30:57 et à vos yeux surtout, puisque vous avez des origines serbes, il y a 25 ans,
31:02 les avions de l'OTAN bombardent la Serbie sans l'accord de l'ONU.
31:07 Est-ce que ce conflit-là vous rappelle partiellement, aussi au cœur de l'Europe, la guerre en Ukraine ?
31:16 Ou entièrement ?
31:18 Vous savez, partiellement, partiellement, non. Entièrement, oui. C'est une préfiguration.
31:24 Et je vous dirais, pour employer un parallélisme qui va peut-être vous surprendre,
31:30 la guerre contre la Serbie de 1999 préfigure la guerre d'Ukraine,
31:38 comme la gestion de la pandémie de H1N1 en 2009 préfigure la gestion du Covid en 2020.
31:46 C'est-à-dire qu'il y a un scénario qui est mis en place,
31:54 et dans une première itération, ça péclote, ça marche comme ci, comme ça,
32:00 et dans la deuxième itération, ça devient un scénario complètement verrouillé,
32:05 sur la période où il est appliqué.
32:07 En Occident, le scénario sur la nature de la maladie de 2020, la manière de la traiter,
32:17 et les conséquences sociales, notamment en termes de limitation des droits individuels,
32:25 en 2020, c'était verrouillé. Il n'y avait aucun moyen de s'y opposer.
32:30 En 2009, avec H1N1, pandémie comparable, c'était le brouillon.
32:36 En 2022, 2024, alors que vous avez accès, ou la planète entière a accès à l'Internet,
32:48 et donc à une information alternative amplement disponible,
32:53 alors que même il vous suffit d'aller sur Google pour obtenir des traductions de bonne qualité d'ailleurs,
33:03 de textes russes ou chinois ou arabes, ou tout ce que vous voulez,
33:08 on a réussi à enfermer les gens, en Europe de l'Ouest et dans le monde occidental,
33:14 dans une parfaite province de l'information.
33:18 C'est-à-dire qu'en dehors, c'est vraiment un village médiéval.
33:24 Au-delà de ce que mes yeux voient, il n'y a pas de monde, il n'y a rien.
33:28 Et ce que mes yeux vont voir dans un monde qui est géré par TF1, LCI, BFMTV,
33:37 c'est ce que, grosso modo, c'est la colline d'à côté.
33:42 Il n'existe rien en dehors.
33:45 Mais maintenant, pour ce qui est des parallèles beaucoup plus précis,
33:49 il y a un précédent qui a été créé par la guerre contre la Yougoslavie,
33:56 sur lequel on n'a pas suffisamment réfléchi,
33:58 mais je pense que les diplomates, eux, savent très bien de quoi il s'agit.
34:02 Il y a le fait que, d'abord, l'Alliance occidentale, l'OTAN,
34:06 est sortie de son rôle, disons, de défense pour agresser un pays.
34:11 La Yougoslavie, fédération de Serbie et du Monténégro,
34:15 qui était en proie à un processus de dissolution,
34:20 d'ailleurs alimenté par certaines puissances occidentales, notamment l'Allemagne,
34:24 qui était donc en proie à ce processus depuis 1990-91,
34:29 se retrouve en 1999 bombardée par 18 pays de l'Alliance atlantique,
34:35 dont aucun n'était menacé par la Serbie-Monténégro.
34:40 Aucun pays de l'OTAN n'était menacé.
34:43 Que font ces pays ?
34:45 Le but de l'opération, enfin, il ne sera pas d'ailleurs atteint militairement,
34:52 il sera atteint diplomatiquement dans les années qui vont suivre,
34:57 c'est de détacher le Kosovo, c'est de prendre le Kosovo à la Serbie
35:00 et d'y installer une base militaire américaine
35:03 et de permettre également aux compagnies multinationales américaines ou autres
35:08 de faire main basse sur les ressources minières et autres qui sont très importantes du Kosovo.
35:15 C'est le but.
35:17 Les Occidentaux vont organiser une conférence en 1999,
35:26 sous prétexte de résoudre un problème humanitaire, comme toujours,
35:30 qui est celui de la guerre civile larvée dans le sud de la Serbie
35:34 entre les forces de sécurité serbes et le mouvement terroriste de l'Utcheka,
35:39 le mouvement nationaliste albanais de l'Utcheka.
35:42 En 1998, les États-Unis retirent l'Utcheka albanaise de la liste des organisations terroristes à combattre
35:51 et donc on voit qu'ils s'apprêtent à l'utiliser comme allié.
35:54 C'est un peu comme Al-Qaïda, vous voyez.
35:57 Et puis en 1999, donc en février, mars, on a cette conférence à Rambouillet en France
36:04 qui est là uniquement pour imposer à la Serbie un traité de colonisation, d'occupation militaire.
36:14 Le contenu du traité que la Serbie a finalement refusé de signer en mars 1999,
36:21 c'était que vous permettez à l'OTAN de circuler sur votre territoire de manière impunie
36:29 et en plus vous allez en assumer les frais.
36:32 Aucun pays souverain ne pouvait signer un tel accord.
36:35 Curieusement, après l'exemple fait avec la Serbie,
36:39 78 jours de bombardements qui ont détruit l'essentiel des infrastructures du pays,
36:44 eh bien des tas d'autres pays vont signer cet accord sans broncher.
36:48 Le dernier à avoir signé le même accord, pratiquement, que celui de Rambouillet en 1999,
36:53 c'est la Suède au moment où elle est entrée dans l'OTAN.
36:56 Nous n'avons pu non plus publié cette semaine dans l'Antipresse un article
37:00 ahurissant de notre correspondance suédoise qui montre que la Suède,
37:04 alors sans discussion, sans aucun débat public,
37:07 a signé sa colonisation militaire avec les Américains,
37:10 pas avec l'OTAN, avec les Américains directement.
37:13 C'est-à-dire que la Suède a signé sans broncher le document que la Serbie avait refusé
37:19 et à cause de laquelle l'OTAN a bombardé la Serbie.
37:22 Et on voit à quoi a servi ce précédent.
37:25 Ça c'est un premier parallèle.
37:27 Une autre chose, c'est que le bombardement de la Serbie intervient,
37:33 comme je vous l'ai dit, à la fin d'un processus de décomposition de la Yougoslavie,
37:36 décomposition violente.
37:38 On ne s'est jamais demandé, ni à l'époque ni par la suite,
37:42 si cette décomposition de la Yougoslavie était nécessaire,
37:46 ni si elle devait, si elle était nécessaire, si elle devait nécessairement être violente.
37:51 Il y avait un processus constitutionnel de dissociation des républiques fédérées de la Yougoslavie.
37:56 On n'a pas voulu le suivre.
37:58 On a favorisé les sécessions violentes des républiques du Nord, Slovénie et Croatie,
38:02 qui étaient soutenues diplomatiquement et financièrement par certains pays d'Europe.
38:08 En 92, mais tenez-vous bien, ça c'est quelque chose qui est tout à fait ahurissant.
38:15 En 92, on sent que la guerre civile qui fait déjà rage en Croatie
38:22 risque de s'étendre à la Bosnia-Herzegovina,
38:27 qui est une poudrière parce qu'il y a trois communautés,
38:30 serbes, croates et bosniaques musulmans,
38:32 qui ne s'aiment pas et qui n'ont pas envie de vivre ensemble.
38:35 L'Union européenne, enfin la communauté européenne à l'époque,
38:39 organise une série de discussions, de négociations sur une éventuelle dissociation
38:46 de la Bosnia-Herzegovina par la voie pacifique.
38:49 Cette négociation, ce traité est appelé le traité Carrington-Cutiliero.
38:59 Enfin, Cutiliero était un ambassadeur, un diplomate portugais
39:02 qui patronnait cette discussion de paix.
39:05 Ce traité est signé au printemps 92, qui permet en avril, sauf erreur,
39:10 qui permet la séparation à l'amiable des trois communautés de Bosnie.
39:16 Il est signé par tout le monde, mais à ce moment-là,
39:19 l'ambassadeur des États-Unis dans la région, en ex-yougoslavie,
39:24 monsieur Zimmerman, appelle le leader des bosniaques,
39:28 des musulmans bosniaques, qui est un fondamentaliste par ailleurs,
39:31 monsieur Izetbegovic, et lui dit « mais pourquoi vous avez signé ça ?
39:34 Avec notre soutien inconditionnel, vous aurez toute la Bosnie.
39:39 Retirez votre signature ».
39:42 À ce moment-là, les bosniaques retirent leur signature
39:45 et la guerre civile féroce commence en avril 92.
39:50 C'est exactement le même scénario que celui qu'on a vu en Ukraine en mars 2022,
39:59 lorsque les Russes et les Ukrainiens paraffent déjà un traité
40:03 qui, vu avec la perspective d'aujourd'hui, est extrêmement clément pour l'Ukraine.
40:11 Ils paraffent ce traité, ils sont sur le point de signer,
40:14 arrive Boris Johnson, on le sait aujourd'hui, Boris Johnson arrive à Kiev
40:18 et il dit à Zelensky « mais tu es fou, pourquoi est-ce que tu signes ça ?
40:21 Tu ne veux pas récupérer la Crimée ? Enfin tout ce qui t'appartient,
40:25 nous allons te soutenir aussi longtemps qu'il le faut ».
40:28 C'est pratiquement les mêmes termes qui sont employés.
40:31 Et on déclenche une guerre dont les conséquences vont, démographiquement,
40:39 mais je ne parle même pas d'économie, vont rendre infirme la nation ukrainienne
40:44 pendant des générations.
40:46 De la même manière, on a déclenché une guerre en Bosnie-Herzégovine
40:53 au seuil de la paix.
40:55 Et quelques années plus tard, puisque la Serbine refusait toujours
41:00 de jouer le jeu de l'OTAN, on a déclenché encore une guerre
41:04 avec des fausses négociations pour détacher le Kosovo.
41:07 Et alors, une fois qu'on a détaché le Kosovo de cette manière,
41:10 d'ailleurs on l'a fait après, après la fin de la guerre,
41:13 la guerre s'est terminée sur un armistice, d'où l'armée serbe est sortie tête haute,
41:18 elle a perdu 13 blindés et 100 ou 200 soldats.
41:23 Ce n'était pas l'armée serbe qui était visée, c'était la population.
41:28 Donc, il y aura quoi ? Une résolution des Nations Unies de 1244
41:35 qui règle l'après-guerre mais qui maintient l'idée de la souveraineté serbe
41:41 sur le Kosovo.
41:43 Eh bien, les Occidentaux vont pousser à la reconnaissance d'un Kosovo indépendant
41:47 au mépris de cette résolution.
41:49 Donc, il n'y a plus de droit international.
41:51 De la guerre de 99 contre la Serbie et du détachement du Kosovo,
41:55 il n'y a plus de droit international.
41:57 Il y a un droit, plutôt, il y a un ordre mondial, comme disent les Américains,
42:02 basé sur des règles, c'est-à-dire sur les règles qui nous conviennent
42:05 et que vous devez suivre.
42:07 C'est tout le divorce entre la Russie et l'Occident
42:12 et le rapprochement entre la Russie et la Chine
42:15 qui est contenu en germe dans la guerre de 99.
42:20 Quand je parle de rapprochement de la Russie avec la Chine,
42:23 on se souviendra aussi que l'OTAN, peut-être par erreur, peut-être non,
42:28 a détruit l'ambassade de Chine à Belgrade avec un missile
42:32 et qu'il y a eu des morts.
42:33 Et les Chinois ne sont pas du genre à oublier ce genre de choses.
42:36 Donc, l'OTAN, en 99, en bombardant la Serbie, a créé toutes les conditions
42:42 pour sa propre destruction, d'abord son discrédit,
42:46 et ensuite sa destruction, parce que tout le monde aura compris une chose
42:50 que les médias ici n'ont jamais relevée, que les diplomates n'ont jamais relevée,
42:56 mais que tous les stratèges, tous les militaires du monde entier
43:00 auront observé, c'est que l'OTAN était incapable de mener une guerre réelle.
43:07 L'OTAN, qui a attaqué un pays de 9 millions d'habitants
43:12 déjà épuisés par une guerre civile, n'a pas mis un seul soldat au sol.
43:18 Ce fut uniquement une guerre aérienne, parce que la Serbie n'avait pas de défense aérienne.
43:23 Si, elle avait une défense aérienne, elle l'a illustrée,
43:26 mais on a bombardé depuis très haut.
43:28 Sinon, l'OTAN n'a absolument pas réussi à vaincre ce pays,
43:33 il a signé un armistice.
43:35 Depuis 99, depuis 25 ans, nous savons, les Russes le savent,
43:40 les Chinois le savent, seul M. Macron ne le sait pas,
43:43 que l'OTAN n'est pas capable de mener une guerre avec des soldats
43:46 contre une puissance armée qui ne soit pas simplement
43:50 une organisation terroriste quelque part dans les sables du désert.
43:54 Justement, pour illustrer votre propos, Blinken, il y a quelques jours,
43:59 a dit qu'il n'allait pas envoyer les troupes au sol en Ukraine,
44:04 il ne voyait pas la possibilité pour ça.
44:07 Puisque vous dites que le divorce est prononcé entre la Russie et l'Europe,
44:14 et notamment entre la Russie et la France,
44:16 puisque nous sommes au dialogue franco-russe,
44:18 Stéphane Sejourné, il y a quelques jours, hier, a dit que finalement,
44:22 France n'a aucun intérêt, je cite, à discuter avec les responsables russes.
44:29 Donc, on ne se comprend plus, on ne se parle plus.
44:33 C'est le point de non-retour ?
44:37 Moi, je ne comprends pas ça.
44:44 Il y a dix ans, quand ce conflit a éclaté avec le coup d'État de Kiev,
44:57 appelé le Maïdan ou le Euromaïdan,
45:00 j'avais écrit un petit essai qui a beaucoup circulé,
45:04 qui s'intitulait "Le syndrome Tolstoyevski",
45:08 qui partait, à mes yeux, qui n'était pas seulement rationnel,
45:12 qui était aussi un cri du cœur,
45:14 mais enfin, qui partait, à mes yeux,
45:16 moi, je suis quelqu'un qui... je suis écrivain,
45:19 je suis un homme de culture, je suis un littéraire,
45:23 je lis et j'écris quatre langues européennes,
45:29 dont le russe, le français, l'anglais,
45:32 et je ne peux pas imaginer qu'à l'intérieur de cet univers culturel
45:41 aussi dense et aussi, comment dirais-je, imbriqué,
45:48 qu'à l'Europe, y compris la Russie,
45:50 il puisse y avoir un tel divorce.
45:52 Ce que je disais, c'est que le problème avec les élites occidentales aujourd'hui,
45:56 ce n'est pas leur manque de volonté de savoir,
45:59 c'est leur excès de volonté de ne pas savoir.
46:02 Et aujourd'hui, vous avez des gouvernements,
46:06 dirigés d'ailleurs par des gens qui sont parfaitement incompétents,
46:09 qui ne maîtrisent même pas leur propre langue maternelle,
46:12 qui n'est pas la mienne,
46:14 mais qui, manifestement, ils ne maîtrisent pas le français,
46:18 ces gens décrètent qu'ils n'ont pas besoin de discuter avec les Russes,
46:25 bon d'accord, avec les diplomates russes,
46:27 ils n'ont pas besoin non plus, manifestement,
46:30 d'une analyse de la situation sur le terrain qui soit véridique,
46:35 parce que quand vous avez des médias du système
46:38 qui, pendant deux ans, font parler des commentateurs
46:42 qui se trompent de jour en jour et de semaine en semaine
46:45 et qu'ils ne les remplacent pas,
46:47 et qu'ils ne mettent pas en phase 2 des gens
46:49 qui sont susceptibles de nuancer le propos,
46:52 ça veut dire qu'ils ne veulent rien savoir,
46:54 non pas seulement de la Russie, mais de la réalité elle-même.
46:58 Et ça, c'est une recette pour le désastre.
47:01 C'est une recette pour le désastre.
47:05 Maintenant, vous êtes, enfin, la France est théoriquement
47:11 en pointe d'une sorte de nouvelle armada,
47:16 de nouvelle guerre de Crimée, n'est-ce pas ?
47:21 Elle veut envoyer des troupes au sol en Russie.
47:26 Mais il faut vraiment ne même pas avoir lu les rapports,
47:33 même d'ailleurs des anglo-saxons,
47:36 même des services anglo-saxons,
47:38 pour ne pas se rendre compte que 20 000 hommes
47:41 dans une guerre qui fait 500 ou 1 000 tués et blessés par jour,
47:47 20 000 hommes, même si ce sont des super combattants,
47:50 ne vont rien y changer.
47:52 S'ils vont changer quelque chose,
47:54 et malheureusement c'est peut-être le calcul,
47:57 ils vont se faire tuer,
47:59 et on espère qu'en faisant tuer ces Français,
48:02 on va susciter un électrochoc pour que d'autres Européens,
48:06 d'autres membres de l'OTAN, et surtout les États-Unis,
48:09 viennent les épauler.
48:11 Mais ça c'est le chemin vers la Troisième Guerre mondiale,
48:15 vers la destruction de tout le monde.
48:17 Est-ce que c'est ça qu'on veut ?
48:19 Je pense que les gens qui affirment qu'ils n'ont pas besoin
48:23 de dialoguer aujourd'hui dans une situation aussi dangereuse,
48:26 qu'ils n'ont pas besoin de dialoguer avec les Russes,
48:28 ce sont des gens qui devraient commencer par dialoguer
48:30 avec eux-mêmes et leur propre cerveau.
48:32 Et ça, ce n'est pas encore gagné.
48:34 Ce n'est pas encore gagné.
48:36 Il y a cependant quelques tendances souverainistes en Europe,
48:41 notamment, oui, je vois votre sourire,
48:45 effectivement, tendances qui sont bannies par les médias pratiquement.
48:50 Le président hongrois, ou par exemple le nouveau élu président slovac,
48:56 qui ne soutient pas cette guerre.
48:59 Dans quelques mois, les élections présidentielles aux États-Unis,
49:03 et les personnes qui sont anti-guerre,
49:07 attendent beaucoup de l'élection, notamment de Donald Trump.
49:10 Croyez-vous que son élection puisse changer quelque chose,
49:13 dans ce sens-là ?
49:15 Vous savez, les États-Unis sont dans un tel état de délabrement mental
49:22 et de délabrement institutionnel,
49:26 puisqu'on voit que l'institution judiciaire est entièrement politisée,
49:31 embrigadée pour essayer de barrer la voie à Trump.
49:36 Je dis ça sans être un soutien particulier de Trump,
49:40 je n'ai pas de parti pris dans cette affaire,
49:42 mais je vois ce qu'ils font.
49:44 Je vois aussi que les démocrates, à ce jour,
49:47 n'ont pas réussi à proposer un candidat,
49:52 ne serait-ce que mentalement viable pour remplacer le vieil arc à Kachim,
49:59 qu'on voit souffrir de jour en jour devant les caméras,
50:03 et qui leur sert de président ?
50:05 C'est une farce.
50:06 Mais Trump a prouvé pendant sa première présidence
50:14 que c'était un homme qui n'aimait pas le conflit,
50:17 qui n'aimait pas la guerre,
50:19 qui a essayé d'ailleurs de retirer les troupes américaines du Moyen-Orient,
50:23 mais on lui a tout simplement désobéi,
50:25 ou alors il s'est laissé désobéir, je ne sais pas,
50:27 il est peut-être aussi tordu que les autres, j'en sais rien.
50:30 Mais en tout cas, il est allé voir le Coréen,
50:34 il a de bonnes relations avec tout le monde,
50:39 parce qu'il sait qu'à une époque où les grandes puissances
50:44 ont le moyen de détruire plusieurs fois l'humanité entière,
50:47 la guerre n'est pas une solution.
50:49 Ça devrait être le béabat de tout le monde.
50:52 Ça ne l'est pas.
50:53 Donc je pense qu'effectivement, en cas d'élection de Trump,
50:57 on peut s'attendre à ce que des sérieuses discussions reprennent
51:02 entre Washington et Moscou.
51:05 Mais reste le ventre mou, reste ce "no man's land"
51:11 qui est devenu l'Europe.
51:13 Ils vont faire quoi ?
51:14 Manifestement, les dirigeants européens actuels
51:17 ont deux cauchemars qui sont aussi fantasmatiques l'un que l'autre,
51:22 c'est de se retrouver face à Poutine en Europe
51:26 ou de se retrouver face à Trump à Washington.
51:29 Ces gens, en plus de toutes leurs erreurs de jugement,
51:35 en plus de toutes leurs bévues, en plus de toute leur arrogance,
51:39 misent stratégiquement sur la reconduite d'une présidence
51:46 de Joe Biden qui ne sait plus comment il s'appelle.
51:49 C'est absolument ahurissant.
51:52 Merci Slobodan pour ce dialogue franco-russe-serbe-suisse,
51:59 finalement.
52:01 Pour reprendre un petit peu le questionnaire de Proust,
52:05 parfois je pose des questions à nos intervenants,
52:10 et chez Proust, il y a la question "quel serait notre grand malheur ?"
52:14 et moi j'ai envie de vous demander "quel serait notre grand espoir ?"
52:18 dans tout ça.
52:20 Notre grand espoir, et la raison pour laquelle je suis toujours
52:26 de bonne humeur, comme vous le savez, c'est que derrière le théâtre
52:33 de la politique, des redemontades, de la passion médiatique
52:43 pour la peur et la tragédie, je vois autour de moi
52:47 beaucoup de gens normaux.
52:49 Je vois dans toute l'Europe, vous savez, on n'est quand même pas tombés
52:52 de la dernière pluie, il y a beaucoup de gens normaux,
52:55 il y a beaucoup de gens qui ne croient pas ces âneries.
52:59 Je suis absolument convaincu en plus que si les gouvernements
53:06 européens essayaient d'entraîner leur peuple dans des guerres,
53:11 ils auraient de très très grosses surprises.
53:14 De très très grosses surprises.
53:16 Et puis il y a une autre chose, qui est plutôt pour moi,
53:22 c'est plus qu'un espoir, c'est plutôt un divertissement
53:25 ou un amusement.
53:27 Nous sommes à quelques mois des Jeux Olympiques à Paris.
53:31 Il faudrait quand même que la puissance la plus belliqueuse
53:35 aujourd'hui vis-à-vis de la Russie choisisse si elle veut jouer
53:40 au sport ou à la guerre, parce que les deux sont incompatibles.
53:45 Merci Slobodan.
53:48 Justement les gens normaux sont partout, ils nous regardent
53:51 et vont nous regarder.
53:53 Cet enregistrement, cette vidéo, je les remercie,
53:56 je remercie nos auditeurs.
53:58 N'oubliez pas que nous existons grâce à vous, grâce à vos dons
54:01 et cotisations pour le Dialogue francorus.
54:03 Merci Slobodan.
54:05 Excusez-moi Irina, je vais quand même rajouter quelque chose.
54:09 Votre institution est une passerelle.
54:13 C'est un espace de dialogue qui est d'autant plus important
54:18 que les autres liens de dialogue, les autres ponts pour le dialogue
54:23 sont rompus.
54:25 Eh bien, je profite de cette passerelle pour dire aux Français
54:31 qu'il n'y a rien de mieux pour comprendre à la fois la situation
54:35 actuelle, à la fois la manière dont les Russes font la guerre,
54:42 à la fois les raisons des conflits, il n'y a rien de mieux que d'aller
54:48 dans leur librairie et de ramasser tous les grands romans russes
54:53 qu'ils doivent lire et qu'ils n'ont pas encore lus.
54:56 Je veux parler de Dostoevsky, je veux parler de Gérépée,
54:59 de Tolstoy, qui très peu ont lu.
55:01 Je veux parler d'Ossorgin, je veux parler de Vassily Grossman,
55:07 je veux parler de tout cet immense héritage littéraire qui fait partie
55:12 de la culture européenne et qui explique l'actualité beaucoup mieux
55:18 que moi-même, que l'antipresse ou que n'importe quel organe de presse.
55:22 Ne peut pas annuler.
55:25 Voilà, c'est irréfutable.
55:28 Merci Slavonor, et à très bientôt pour la rencontre à la Concurrence.
55:32 [Musique]
56:01 ♪ ♪ ♪