Avant #MeToo, le culte du "bad boy" dans les films et les séries s'est ancré dans l'inconscient collectif, normalisant les violences envers les femmes. Comment la pop culture a participé à banaliser des comportements masculins toxiques, et par conséquent à créer une forme de "désir", y compris dans la vie réelle ? La chanteuse Lio et la journaliste Chloé Thibaud tentent de déconstruire ces clichés dans l'essai "Désirer la violence", préfacé par Lio et publié aux éditions Les Insolentes.
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Court métrageTranscription
00:00 Demandez aux hommes de votre entourage qui sont leurs héros d'enfance préférés.
00:03 Il y a de très fortes chances pour qu'ils vous répondent
00:06 Indiana Jones, James Bond et Han Solo dans Star Wars.
00:08 Eh bien je suis vraiment désolée de vous apprendre que ces trois hommes-là,
00:11 ce sont des agresseurs sexuels.
00:13 En 33 ans, j'ai passé quasiment l'essentiel de ma vie
00:17 à prononcer une phrase comme "les hommes gentils ne m'intéressent pas"
00:21 et en fait à sacraliser les hommes qui se comportaient mal avec moi,
00:25 voire qui étaient violents avec moi.
00:27 Une fois que, à titre personnel, j'ai fait le tour de mes névroses familiales,
00:31 j'ai suivi différentes thérapies,
00:33 je me suis rendue compte qu'il y avait quand même un axe qui était majeur dans ma vie
00:36 qui est celui de la culture,
00:37 donc notamment des films et des séries,
00:39 en tout cas de toutes les fictions avec lesquelles j'ai grandi,
00:41 qui m'ont éduquée à désirer les comportements toxiques,
00:45 voire violents, chez les hommes.
00:46 J'entends à l'aise, blesse, des discussions comme
00:50 "le film, nous ne vieillirons pas ensemble, ça est formidable, c'est extraordinaire",
00:54 les valseuses "ah mais quelle liberté, c'est génial,
00:58 mais que des grands acteurs, c'est toute une nouvelle génération".
01:01 Mais je me rends compte que ça a façonné chez moi l'idée
01:04 que la violence, on devait faire avec,
01:07 parce que c'était que quelques fous, que quelques personnes spéciales uniques.
01:10 Et j'ai mis beaucoup de temps à me rendre compte que c'était un système
01:12 et quand je m'en suis rendue compte,
01:14 je me suis dit que c'était bien insidieux
01:16 et qu'il fallait vraiment qu'il y ait une réflexion,
01:18 que les femmes s'en partent de ce sujet.
01:20 Le livre, il est né de là,
01:21 il milite vraiment contre une pop culture du viol
01:25 omniprésente dans la fiction,
01:26 qui vraiment nous apprend, aussi bien les hommes que les femmes,
01:29 à se comporter de façon nuisible,
01:31 voire très dangereuse les uns pour les autres.
01:33 Ce qui est très insidieux, c'est que la plupart des films,
01:36 qui sont des films cultes, sont violents,
01:38 mais ne sont pas présentés comme des films violents.
01:41 Moi, ce qui m'a le plus intéressée dans mon travail de recherche,
01:43 c'était justement de m'attaquer à la violence dissimulée.
01:46 Et dans ce que décrit Lyo,
01:47 donc notamment avec un film comme "Les valseuses",
01:50 là, actuellement, les hommes qui sont au pouvoir,
01:53 se sont construits avec un film comme "Les valseuses".
01:55 Tout ce qu'il voit à l'écran, qui est complètement banalisé, normalisé,
01:58 les violences à minima sexistes mais à maxima sexuelles,
02:01 ils finissent par les banaliser dans la vie réelle.
02:04 C'est très difficile de comprendre, si on ne nous l'explique pas,
02:06 que ce qu'on voit à l'écran, on ne doit pas le reproduire dans la réalité.
02:09 Or, ce film-là, ce sont des agressions envers les femmes
02:12 et des viols du début à la fin.
02:14 À 10 ans, moi, j'ai été violée à l'arrière de la voiture de la famille
02:19 par un ami de la famille.
02:22 Et je me rappelle que dans mon premier livre,
02:24 j'en parlais comme d'un épisode.
02:26 Le mot "viol", je l'ai mis il y a deux ans,
02:28 alors que j'ai le nez dedans, dans les luttes.
02:31 Il y a un autre exemple dans les années 70,
02:32 c'est "La fièvre du samedi soir".
02:34 Je suis à peu près sûre que si on fait un micro-trottoir dans la rue
02:37 et qu'on demande aux gens de le résumer,
02:39 on va vous dire "Ah, c'est le film super, là, avec John Travolta,
02:42 ses chemises en satin, Colt Pelletard qui fait du disco sur les Bee Gees".
02:46 Les gens ont complètement zappé que dans "La fièvre du samedi soir",
02:49 il y a plusieurs agressions sexuelles et même un viol collectif.
02:53 John Travolta, le héros Tony dans "La fièvre du samedi soir",
02:55 s'en sort avec une super réputation de héros cultes qui dansent du disco,
03:00 alors que c'est un sérial agresseur.
03:02 Une scène comme celle de Goldfinger dans "James Bond",
03:05 lorsqu'il s'en prend à Poussig alors qu'il est présenté comme une femme badass,
03:10 il y a une scène culte dans le foin où ils se battent et elle, elle le repousse
03:14 et on se dit qu'ils sont à égalité.
03:16 Mais il finit vraiment par la plaquer au sol.
03:18 Il est très, très clair qu'on n'est pas du tout dans le consentement
03:20 parce qu'elle le repousse, elle le tient par le cou,
03:22 elle dit non, elle tourne la tête.
03:24 Sauf que, évidemment, ça finit par une musique avec des violons
03:28 et un baiser romantique.
03:29 Donc finalement, c'est un exemple typique dans le cinéma du "le nom des femmes
03:33 veut toujours dire oui" et ça vaut le coup d'insister.
03:36 Et de la même façon avec "Indiana Jones",
03:37 je pense que vraiment tout le monde a cette référence.
03:40 À la fin d'"Indiana Jones et le temple maudit",
03:42 comment est-ce qu'il rattrape la femme qui lui a dit non ?
03:44 À grand coup de lasso, comme si c'était un cow-boy qui rattrape sa vache.
03:48 Évidemment, elle finit par être contente et tout finit bien,
03:50 ils sont applaudis et ils s'embrassent.
03:51 Ça, ce sont des héros qui comptent énormément dans le patrimoine culturel,
03:56 avec lesquels les enfants d'aujourd'hui se construisent aussi.
03:59 Parce que les grands frères, les pères, leur monde,
04:01 il me semble vraiment primordial d'alerter sur le danger de scènes pareilles.
04:05 En 2002, quand "L'auberge espagnole" sort, moi j'ai 12 ans
04:08 et donc il y a cette scène du baiser entre Xavier et Anne-Sophie,
04:11 donc Romain Duris et Judith Gaudrech,
04:13 où finalement, Xavier a eu des conseils d'une de ses amies
04:17 qui est incarnée par Cécile de France, Isabelle,
04:18 et qui lui dit en gros que les femmes c'est toutes des salopes
04:21 et que de toute façon, il faut insister et qu'elles aiment ça
04:23 et qu'il faut qu'ils leur prennent la cuisse et qu'ils y aillent,
04:26 parce qu'il est un peu mou du genou.
04:28 Et donc, on se retrouve à une scène dans le parc à Barcelone,
04:30 où justement, Anne-Sophie dit non parce qu'elle est mariée
04:34 et elle lui dit non sept fois.
04:36 Et malgré tout, lui, il en a terriblement envie et c'est "non, non, Xavier, non".
04:40 Et finalement, il y va, il s'embrasse et encore une fois,
04:42 petite musique qui va bien.
04:43 Finalement, elle est contente, ils couchent ensemble, etc.
04:45 Ce qui me donne la chair de poule vraiment,
04:47 c'est le debriefing de Xavier ensuite auprès de son amie Isabelle,
04:50 parce qu'il lui dit précisément "putain, je te jure, c'était trop bon,
04:53 c'était comme dans les films".
04:55 Et il lui dit, au début, elle était là "non, non, non",
04:58 et puis après "oui, oui, oui".
04:59 Donc moi, j'ai 12 ans, je vois cet exemple-là,
05:02 c'est mon film culte d'ado,
05:03 et je me dis "bah oui, en fait, quand on dit non, non, non,
05:05 ça veut dire oui, oui, oui".
05:06 Donc là, j'ai grandi 20 ans plus tard,
05:08 et j'ai la chance d'être journaliste et autrice,
05:10 et je me suis dit "tiens, si j'en parlais avec Cédric Lapiche".
05:12 Et ce qui m'a étonnée, mais fait plaisir en même temps,
05:14 c'est qu'il m'a confié le fait qu'il attendait
05:16 que quelqu'un vienne lui donner l'occasion de s'expliquer là-dessus.
05:20 Et ça fait des générations d'hommes et de femmes.
05:23 Les femmes qui, du coup, vont aussi développer un masochisme,
05:26 où elles auront beaucoup de mal à se défaire,
05:28 et d'hommes qui vont développer un sadisme
05:30 en disant que tout va bien dans le meilleur des mondes.
05:33 Et tant que ce sont ces hommes-là, ce patriarcat qui tient,
05:37 ben non, on n'en veut aucun le patriarcat, ni celui-là, ni un autre.
05:40 Ça, on est bien d'accord.
05:41 Là, Léo soulève un point qui, moi, m'intéresse énormément,
05:44 c'est la part de responsabilité qu'ont les femmes dans cette affaire-là,
05:48 mais qui n'en est pas vraiment une in fine,
05:50 puisqu'on la doit toujours à ce qui est au-dessus de nous pour l'instant,
05:53 c'est-à-dire le patriarcat.
05:54 Mais c'est que nous, en tant que femmes,
05:55 on se construit en étant bien obligées de désirer ces comportements-là,
05:59 puisqu'on ne nous présente pas de comportement qui soit sain dans les films.
06:03 Moi, je dis souvent qu'on n'a pas érotisé la gentillesse
06:06 au cinéma.
06:07 Je ne peux même pas spontanément vous citer un exemple de film
06:10 avec un héros qui se comporte bien,
06:11 et où je me serais dit "Waouh, qu'est-ce qu'il est canon, qu'est-ce qu'il est sexy !"
06:15 Ce que tu viens de dire, franchement, ça me bouleverse,
06:17 parce que c'est exactement ça.
06:19 À partir du moment où la femme ne se construit que sur des fantasmes masculins
06:22 qui intègrent la souffrance comme quelque chose de désirable,
06:25 et que la femme va développer un masochisme,
06:28 forcément, elle va toujours se mettre dans une position de souffrance,
06:30 dans une position de soumission,
06:32 où elle n'aura pas la liberté, l'espace,
06:34 de considérer sa propre sexualité et ses propres désirs.
06:37 *bruit de clavier*