• il y a 7 mois
Christophe, 56 ans, s'apprêtait à partir en vacances au ski quand il a croisé la route de l'assaillant de la Gare de Lyon. Il revient sur le déroulement de l'agression au cours de laquelle il a été blessé par arme blanche au cou et aux mains.

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Transcription
00:00 On a envie de prendre de vos nouvelles parce que vous avez été très gravement blessé en intervenant.
00:04 Comment ça va aujourd'hui ?
00:05 Bonjour, ça va mieux. Je me reconstruis.
00:10 J'ai eu un suivi psychologique pendant plusieurs semaines.
00:14 Là maintenant, j'attaque une psychothérapie aussi.
00:17 Je tiens vraiment à retrouver la plénitude de mes moyens et surtout la plénitude de mon esprit.
00:24 Vous arrivez à raconter ce qui s'est passé ce jour-là ?
00:27 J'arrive à raconter ce qui s'est passé, mais toujours avec beaucoup d'émotion,
00:32 puisque le traumatisme a été violent et très grave.
00:36 Il y a cette scène qui se déroule devant vous, cet homme qui met le feu sur son sac à dos,
00:40 qui va sortir un couteau, un marteau, qui va s'en prendre à des gens, notamment à une jeune femme.
00:45 Vous êtes là, très vite vous appréhendez, vous sentez qu'il y a quelque chose qui se passe.
00:49 De suite, j'appréhende quelque chose de vu.
00:54 J'ai une appréhension dès que je vois le sac en haut de l'escalator.
00:58 On nous ressasse les messages, abonnéciant naturellement, comme quoi il faut toujours se méfier quand il y a un sac.
01:05 Je vois le sac en haut de l'escalator et je me dis, là, il se passe quelque chose d'anormal.
01:11 Alors que dans vos têtes, c'est les vacances, si je me trompe pas ?
01:13 C'est les vacances.
01:14 Vous partez au ski, c'est ça ?
01:15 Je pars au ski, je vais rejoindre un ami de plus de 30 ans avec qui j'avais commencé ma carrière professionnelle.
01:21 Et là, c'est difficile.
01:25 C'est difficile.
01:26 J'entends crier, j'entends une dame crier.
01:29 Je sais que je dois faire quelque chose.
01:31 J'ai toujours dit, il était hors de question que je fuis.
01:34 Je précise aussi que je ne suis pas la seule personne qui soit intervenue,
01:39 puisqu'il y avait d'autres personnes, d'autres personnes qui certainement allaient prendre leur train.
01:44 Mais il fallait faire quelque chose, parce que j'ai senti aussi tout de suite que l'agresseur était venu pour faire du mal
01:50 et pour tuer, armé de son couteau et d'un marteau.
01:54 Vous avez un courage qui impressionne, parce qu'effectivement, il y a quelqu'un avant vous qui va essayer de faire tomber,
02:00 qui va réussir à faire tomber cet individu.
02:02 Et vous, là, à ce moment-là, vous décidez de vous jeter sur lui pour l'interpeller.
02:07 Qu'est-ce qui se passe dans votre tête à ce moment-là ?
02:09 En fait, ce qui se passe dans ma tête, c'est que dès que je vois la personne tomber,
02:14 que je vois aussi la personne qui a fait tomber, qui se trouve à côté de l'assaillant,
02:19 que je vois l'assaillant qui est en train de se relever, je me dis, là, c'est le moment d'intervenir,
02:23 puisque il n'y aura pas d'autre occasion.
02:25 Et en une fraction de seconde, je saute sur la victime.
02:29 Naturellement, il s'en suit, je vais appeler ça une bagarre, mais c'est beaucoup plus violent qu'une bagarre,
02:36 puisque moi, je pars au ski, je suis tranquille, je ne suis nullement expert d'art martial,
02:41 je sais que la victime est armée d'un marteau et d'un couteau,
02:46 je sais que ça va être très très risqué pour moi, et la victime cherche à tuer,
02:52 puisqu'elle m'assène plusieurs coups de couteau, mes vêtements sont percés au niveau de la poitrine,
02:59 au niveau de la gorge, au niveau du coude, j'ai eu une plaie au niveau du coude,
03:03 et l'un des coups de couteau va me frapper dans le cou.
03:07 Vous l'appelez la victime, mais c'est bien l'assaillant qui vous apporte des coups de couteau.
03:11 C'est l'assaillant qui me porte des coups de couteau, pardon.
03:13 La victime, c'est moi, même si certains me qualifient comme héros, ce que je peux entendre,
03:20 avant tout, je reste la victime.
03:23 Quand vous agissez, vous pensez à ce qui peut se passer, c'est-à-dire que vous mettez votre vie en danger ?
03:30 Ma principale motivation, c'est de sauver des vies et de faire le danger.
03:38 Je ne pense pas à mettre ma vie en danger, c'est plus après coup que j'ai réalisé que ma vie était réellement en danger.
03:47 Et même quand je me suis aperçu que j'étais blessé, j'ai eu tendance à minimiser les blessures.
03:54 Vous vous en êtes rendu compte parce que vous avez un coup extrêmement violent qui vous est porté au cou,
03:59 avec ce couteau, qui aurait pu trancher vos artères, qui aurait pu être fatal.
04:03 Vous vous en rendez compte ou pas ?
04:05 Je m'en rends naturellement compte, surtout que j'ai échangé encore avec le chirurgien dernièrement,
04:11 et il m'a dit que dans mon malheur, j'avais eu une chance inouïe, puisque la lame de couteau était passée entre...
04:19 Enfin, très proche, je ne suis pas biologiste, vous comprendrez, très proche de la carotide, de la veine jugulaire,
04:26 et des deux nerfs qui sont directement reliés avec la langue.
04:30 Qui auraient été fatales.
04:32 J'ai frôlé la mort, j'ai frôlé la mort.
04:35 Et ça me provoque toujours des émotions violentes, le fait d'avoir frôlé la mort,
04:41 même si je m'en suis sorti, on pourrait croire que je pourrais être animé d'émotions positives, mais non, ce n'est pas le cas.
04:48 C'est évidemment un traumatisme très fort, Med, que votre client a vécu.
04:53 Un acte, est-ce qu'il a été reconnu, cet acte ?
04:57 Il a été reconnu, il a même été revendiqué comme étant un acte sous-tendu par des motivations politiques et idéologiques.
05:06 Raison pour laquelle il est effectivement surprenant et questionnant que cet acte n'ait pas donné lieu à une saisine du parquet national antiterroriste.
05:16 Et je me réfère à un article du Code pénal, l'article 421.1,
05:21 qui dit que les actes terroristes sont des actes intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective,
05:27 ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
05:32 Qu'est-ce que c'est d'autre que cet acte commis à la gare de Lyon ?
05:36 Et on était à Marseille tout à l'heure, et ça me fait penser à cet attentat de la gare de Marseille-Saint-Charles en 2017,
05:45 où un assaillant avait attaqué trois personnes et tué trois personnes au couteau.
05:50 Où est la différence ? Je pose la question. Où est la différence ?
05:53 Ça avait été qualifié de terroriste.
05:55 Vous demandez aujourd'hui au parquet national antiterroriste de se saisir de ce dossier ?
05:59 Alors l'enjeu est conséquent, parce que ce ne sont évidemment pas les mêmes moyens d'action,
06:04 ce ne sont pas les mêmes magistrats, ce sont des magistrats spécialisés.
06:07 Il y a des enjeux sur le régime de la détention provisoire,
06:11 les mises en examen en matière de terrorisme sont évaluées pour leur dangerosité et leur radicalisation,
06:18 pour réfléchir à les placer en quartier spécialisé.
06:24 Il y a évidemment également des conséquences sur la formation de la cour d'assises,
06:29 puisque c'est dans ces cas-là une cour d'assises spéciale qui est saisie avec des magistrats professionnels et pas un jury populaire.
06:37 Il y a des conséquences sur la peine, évidemment, sur le quantum de la peine, et puis aussi sur le suivi de la peine.
06:42 Et ça, c'est quelque chose qu'on ne doit pas négliger.
06:45 C'est important de donner leur juste valeur aux choses,
06:49 si on veut s'assurer que l'État et les Français puissent être protégés, parce que là on est face à quoi ?
06:56 On est face à une attaque sur le sol français, contre des Français avec des motivations politiques.
07:03 Quand vous agissez, j'imagine qu'on ne pense pas à tout ça, évidemment, on pense à quoi ?
07:09 D'abord, sauver la vie des gens qui sont là ?
07:12 On pense d'abord à sauver la vie des gens, et je me suis dit aussi, ça, ça va être un acte qui va desservir l'Afrique.
07:20 C'est une des premières questions qui a traversé mon esprit,
07:24 mais avant tout, la question qui m'a polarisé, c'était de sauver la vie des gens, vous savez.
07:30 L'espace où l'attaque s'est produite, ce n'est pas immense, ce n'est pas un gymnase.
07:37 Donc, quand je suis arrivé en haut des escalators, la personne qui criait, la dame qui criait,
07:43 elle était très proche de moi, l'assaillant était très très proche de moi.
07:47 Donc, ça s'est passé très très rapidement, très très rapidement,
07:51 et c'est comme si j'avais un instinct au fond de moi-même qui m'a poussé à intervenir sans réfléchir.
07:56 Vous avez dans votre vie privée des engagements, des "prédispositions" à agir dans ce genre de situation de stress total ?
08:05 J'ai toujours soutenu mes amis, toujours.
08:08 Et j'ai toujours eu des amis, un cercle d'amis très très fort.
08:12 J'ai eu des valeurs fortes qui m'ont été inculquées dans ma vie professionnelle.
08:16 J'ai eu des valeurs fortes qui m'ont été inculquées dans ma vie d'adolescent, d'enfant.
08:22 C'est peut-être anecdotique de dire ça, mais je suis allé chanter au Monument aux Morts,
08:28 et je crois que toutes ces valeurs-là se sont exprimées dans la réaction que j'ai eue le 3 février.
08:35 Est-ce que vous avez gardé des liens avec les personnes qui ont été victimes aussi ce jour-là ?
08:40 Non, j'ai eu aucun lien, j'ai eu aucun contact avec les personnes qui ont été victimes ce jour-là.
08:45 Est-ce qu'on vous a correctement accompagné ?
08:49 Lorsque vous avez sauvé la vie d'autres personnes,
08:51 est-ce qu'on vous a correctement accompagné derrière pour vous aider face aux traumatismes que vous avez vécu ?
08:55 Il y a des améliorations à produire.
08:59 J'ai eu des documents qui m'ont été remis quand je suis sorti de l'hôpital.
09:05 Je n'ai pas eu de suivi psychologique directement à l'hôpital, et ça je le déplore.
09:10 Après, il a fallu que je me débrouille avec le maire de ma ville,
09:15 qui a œuvré dans mon sens et qui a été aussi très très impliqué.
09:21 Donc après, le psychologue m'a rappelé, j'ai eu un suivi psychologique, j'ai été décoré.
09:27 Mais dans les 15 premiers jours, j'ai eu un appel de l'État français,
09:33 suite à l'intervention que j'avais fait dans l'une de vos émissions.
09:38 Après, je n'ai plus rien eu.
09:41 J'ai aussi eu la SNCF qui s'est manifestée dans les 15 premiers jours.
09:46 J'ai reçu une décoration, un texte formel, formalisé,
09:52 dans lequel on ne me demande pas si je vais bien,
09:56 et ça, ça m'a aussi profondément touché.
09:59 Ce que vous racontez est évidemment très dur, Maître.
10:01 Ça veut dire qu'on a du mal aujourd'hui à avoir les bons processus
10:05 pour accompagner des gens qui ont donné leur vie, entre guillemets,
10:09 ou qui ont failli donner leur vie pour sauver d'autres ?
10:11 Oui, et malheureusement, je crains que ça participe d'une forme de banalisation
10:15 de ce type d'acte.
10:17 Évidemment, il aurait dû avoir une prise en charge particulière pour ces victimes.
10:21 Il le dit, il a frôlé la mort dans un lieu public,
10:27 alors qu'il allait prendre son train pour partir au ski.
10:30 Il a senti qu'il était en train de sauver des gens, de quelque chose de très grave.
10:35 Qu'est-ce qui se serait passé si mon client n'était pas intervenu ?
10:38 Qu'est-ce qui se serait passé face à cette personne animée d'une intention de tuer,
10:43 armée d'un marteau et d'un couteau, qui ne s'arrêtait pas ?
10:47 Évidemment, il aurait eu besoin d'un soutien psychologique particulier,
10:52 qu'il soit immédiatement mis au contact d'une cellule psychologique formée
10:58 à ce type de vécu, qui encore une fois n'est pas un vécu ordinaire
11:02 et ne doit pas être considéré comme un vécu ordinaire.
11:05 Et aujourd'hui, le fait que mon client soit dans cette procédure en tant que victime,
11:13 et partie civile maintenant dans cette procédure d'instruction,
11:16 mais en tant que victime de violences aggravées et non de tentatives d'assassinat,
11:20 est une aberration et encore une fois le signe d'une banalisation.
11:25 Ce que vous attendez du procès, alors on verra où il a lieu,
11:28 si c'est repris par le Parquet national antiterroriste ou si ça poursuit sa voie judiciaire actuelle,
11:32 vous attendez réparation, mais qu'est-ce que ça veut vraiment dire,
11:36 réparation, quand on a vécu ce que vous avez vécu ?
11:38 Alors, la réparation financière n'est évidemment jamais à la hauteur du préjudice
11:44 que peut avoir subi la victime et a fortiori une victime comme mon client,
11:51 qui encore une fois a frôlé la mort et a vécu quelque chose de terrifiant.
11:58 Il y a un avant et un après dans sa vie, ce n'est pas une indemnisation financière qui va compenser tout ça,
12:04 mais le procès c'est aussi un moment qui aide à la réparation en soi,
12:12 il y a une vertu thérapeutique aussi du procès.
12:16 Mon rôle est d'accompagner ce héros victime au mieux dans cette procédure
12:27 et même s'il vous dit aujourd'hui "je ne suis pas un héros, je suis avant tout une victime",
12:32 je pense qu'il ne faut pas oublier dans cette entreprise de banalisation que j'évoque,
12:38 que sans lui, on ne sait pas ce qui se serait passé et qu'il a eu un courage hors du commun.
12:44 Christophe, votre vie d'après, elle ressemble à quoi ? Elle est bouleversée, elle a changé ?
12:51 Elle est chamboulée, car naturellement les pensées tournent en rond dans ma tête, ça a modifié ma vie.
13:00 Certaines activités en ont été directement impactées, certaines relations en ont été directement impactées aussi.
13:08 Les sorties entre amis sont devenues difficiles, par exemple j'étais invité au salon de l'agriculture,
13:15 j'ai préféré ne pas y aller, les sorties au parc, je préfère ne plus y aller parce que je me sens oppressé par la foule
13:24 et puis je redoute une éventuelle attaque, vous comprenez ?
13:30 De prendre le train, pour moi, la gare de Lyon n'a plus la même saveur,
13:35 ce n'est plus synonyme de vacances et d'évasion, c'est synonyme d'attaque, de traumatisme.
13:41 Donc oui, ma vie a changé, mais je garde encore beaucoup d'amis qui me soutiennent,
13:49 j'ai eu beaucoup de soutien de la part de mes anciens collègues, et ça c'est très réconfortant.
13:56 Merci beaucoup, merci d'être venu sur le plateau du Live BFM, bon courage pour la suite,
14:01 et merci d'avoir raconté cette histoire qui a permis de comprendre l'acte héroïque que vous avez eu ce jour-là,
14:06 cette réaction qui a permis de sauver la vie d'autres personnes.
14:09 Merci beaucoup d'être sur le plateau du live.

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