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00:00 Paul Auster, écrivain emblématique des éditions Actes Sud. Bonjour Jade Arguerolle, vous êtes éditrice de Paul Auster chez Actes Sud.
00:08 Merci beaucoup de répondre à ces quelques questions.
00:11 Vous aviez découvert son œuvre à 18 ans, je crois, à travers la trilogie new-yorkaise.
00:15 Qu'est-ce qui vous avait séduit et marqué à l'époque ?
00:18 Bonjour. C'était mon prof d'anglais d'Hippocane qui nous avait fait découvrir ce texte.
00:26 Et ça a été une rencontre très marquante où je me suis dit tout simplement "Ah d'accord, on peut faire ça en littérature".
00:36 C'est la rencontre avec une liberté absolue de création en fait.
00:40 Et une forme de révélation qu'on a, je pense, toutes et tous un jour ou l'autre avec un livre.
00:45 Pour moi c'était celui-là et c'est cette découverte qui m'a guidée sur le chemin de la littérature,
00:51 de la traduction, de l'édition, de l'amour des mots qui caractérise tant Paul Auster.
00:56 C'est vrai que c'est le genre d'écrivain dont les livres marquent, une façon d'accrocher le lecteur.
01:01 Et des années après on se souvient encore de l'histoire.
01:04 À quoi c'est dû selon vous ? À sa maîtrise de la narration ? C'est ce qu'on retient surtout ?
01:09 Alors on peut retenir ça, une subtilité, une intense attention portée à la construction.
01:19 Mais je pense à sa sensibilité. Paul Auster c'est quelqu'un d'ultra généreux, de très humaniste.
01:28 Et je pense que cette sensibilité, les lecteurs la ressentent à la lecture.
01:33 Et puis il y a une part de lui dans beaucoup de ses livres,
01:37 même ceux qui ne sont pas proprement parlés des récits autobiographiques.
01:41 Et je pense que les lecteurs ont toujours senti à quel point il mettait de lui.
01:47 Et cette générosité-là, elle passe entre les lignes.
01:51 Y compris à travers ses personnages, parfois un peu désorientés, en quête existentielle ?
01:57 Oui, parce que la perte d'identité c'est un fil rouge de son œuvre.
02:02 Donc on se retrouve tous un petit peu là-dedans.
02:06 Sa narration est riche en jeux de miroirs, en digressions, en histoire à tiroirs, en labyrinthe.
02:13 Mais très facile d'accès.
02:15 Je dirais une phrase faussement simple, mais extrêmement facile d'accès pour tous.
02:21 D'ailleurs, est-ce que les jeunes générations lisent Paul Auster ?
02:25 Oui, justement, j'ai une anecdote à ce propos.
02:28 Je pense que quand on a entendu une fois la petite voix et la petite musique de Paul Auster,
02:34 on la reconnaît dans chacun de ses livres.
02:36 Et c'est un réconfort, une sorte de baume quand on la retrouve.
02:42 Et à l'occasion de la sortie de son dernier roman en mars aux éditions Actes Sud,
02:47 qui s'intitule "Baumgartner" comme son personnage principal,
02:50 j'ai eu de très jeunes représentants de notre équipe commerciale
02:55 qui avaient peu lu, ou pour certains d'entre eux, pas lu encore Paul Auster,
03:01 et qui ont eu une révélation et qui m'ont dit avoir discuté avec de jeunes libraires
03:06 qui n'avaient pas non plus lu Paul Auster, parce que ce n'était pas leur génération,
03:10 mais ils se sont constitués autrement, et qui étaient subjugués,
03:15 et qui se disaient "mais c'est ça Paul Auster, je ne me doutais pas, c'est génial, c'est extraordinaire".
03:21 Donc je crois que c'est quelqu'un qui parle à tous les âges
03:25 et qui n'est pas ancré particulièrement dans une époque.
03:29 La trilogie new-yorkaise, c'est une grande modernité.
03:32 C'est paru en 87 en France, ça se lit aujourd'hui, pour moi, sans date de pélant dessus.
03:39 Vous teniez à nous lire un extrait de l'un de ses livres, vous pouvez le faire ?
03:43 Oui, je peux le faire. En fait, je voulais vous lire un très court passage
03:48 d'un récit autobiographique qui s'appelle "Chroniques d'hiver",
03:51 où il parle de la façon dont l'écriture s'ancre dans son corps.
03:56 Donc pour parler d'un écrivain tel que lui, je pense que c'est une bonne idée
03:59 de parler de sa façon de ressentir l'écriture. Voilà l'extrait.
04:03 "Pour faire ce que tu fais, il te faut marcher. Marcher, c'est ce qui attire les mots à toi,
04:08 ce qui te permet d'entendre les rythmes des mots à mesure que tu les écris dans ta tête.
04:12 Un pied en avant, puis l'autre. Le double battement du tambour de ton cœur.
04:17 Deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, deux pieds. Ceci, puis cela. Cela, puis ceci.
04:24 Écrire commence dans le corps, c'est la musique du corps.
04:28 Et même si les mots ont un sens, s'ils peuvent parfois en avoir un,
04:31 c'est dans la musique des mots que commence ce sens.
04:34 Tu t'assis à ton bureau pour noter les mots, mais dans ta tête, tu es encore en train de marcher,
04:39 toujours en train de marcher, et ce que tu entends, c'est le rythme de ton cœur, le battement de ton cœur.
04:44 Combien de paires de sandales d'an t'as usées en travaillant sur la Comedia ?
04:48 Se demandait Mandelstam. L'écriture comme forme inférieure de danse."
04:53 Merci, merci infiniment.
04:55 Ces mots de Paul Auster qui sont à retrouver chez Actes Sud.
04:58 Merci beaucoup, Jade Arguerolle, d'avoir accepté et évoqué son oeuvre.