Invité de l'émission L'Équipe de choc, sur la chaîne L'Équipe, Patrice Canayer, l'entraîneur de Montpellier, est revenu sur la déroute du MHB en Ligue des champions, renversé par Kiel malgré ses neuf buts d'avance au match aller (39-30 ; 21-31).
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00:00 Car c'est un monument du homme français qui entraîne le club de Montpellier depuis 30 ans.
00:04 Patrice Cavaillé, je l'aperçois, il est avec nous en direct de l'Hérault.
00:07 Bonjour Patrice, un petit peu de soleil dans l'équipe de Chagues, ça fait du bien.
00:11 Bonjour, mais je ne suis pas en direct, je suis en direct de Paris,
00:14 parce qu'on vient d'arriver de Quille et on est rentré à l'aéroport
00:16 puisqu'on a échangé un déplacement à Orléans demain.
00:19 On m'a menti, je pensais qu'on allait avoir un peu de soleil, un peu de réchauffement.
00:23 Ce n'est pas grave, c'est bien aussi Paris.
00:25 Patrice, comment il se réveille ce matin après l'élimination de l'équipe de champions d'hier soir ?
00:31 Ce n'est pas facile, je vous remercie de me faire repasser autre chose.
00:37 C'est difficile, c'est une élimination en quarts de finale d'un but à l'issue d'un match comme on a vécu hier.
00:43 C'est difficile à digérer, il va falloir plusieurs jours pour digérer ça.
00:47 Tu as réussi à dormir ? On ressasse un peu ? On trouve le sommeil ou absolument pas ?
00:52 Non, je suis allé marcher sur les quais de Kiel, c'est au bord de la Baltique.
00:56 C'est assez séduisant, il ne faisait pas très chaud et donc j'ai marché pendant deux heures après le match.
01:01 Ça m'a permis d'essayer de décompresser un petit peu.
01:04 C'est ma manière à moi d'évacuer pour pouvoir repartir.
01:08 On a l'impression que vos joueurs ont été submergés un petit peu par la peur hier soir.
01:13 Vous partagez ce sentiment ?
01:13 Oui, je pense.
01:15 Je le pense, je pense.
01:16 Alors déjà, pour être tout à fait honnête, si on était arrivé dans cette situation,
01:20 c'est qu'on avait fait un match incroyable au match allé puisqu'on avait gagné de 9 buts,
01:24 ce qui est une performance énorme contre un club du calibre de Kiel.
01:28 Donc ça, personne ne pourra nous l'enlever.
01:30 Par contre, on savait à quoi on s'attendait au retour.
01:33 Je pense qu'on n'avait pas les moyens de gagner à Kiel, ça c'est clair,
01:36 mais on avait les moyens de se qualifier en ayant 9 buts d'avance.
01:39 Et clairement, on a manqué de force mentale dans les 10-15 dernières minutes,
01:43 au moment où le match se jouait encore.
01:45 Et là, on s'est, à mon sens, un petit peu trop liquéfié.
01:49 Voilà, ce n'est pas tellement une histoire de handball,
01:51 c'est plutôt au niveau mental qu'on a fait preuve un peu de faiblesse
01:55 dans ce dernier quart d'heure pour aller chercher la qualification.
01:57 Bertrand Latour.
01:58 Bonjour Patrice.
02:00 C'est peu dire que vous ne manquez pas d'expérience compte tenu de votre carrière
02:04 et cette situation que vous avez vécue hier, qui est rarissime en handball.
02:10 Comment est-ce que vous la vivez en tant que coach ?
02:13 Je sais que nous, on parle beaucoup de foot au quotidien
02:15 et souvent les entraîneurs sont animés de sentiments très forts
02:20 et qui sont difficiles à vivre.
02:22 Est-ce qu'il y a de la culpabilité de se dire
02:24 « comment j'aurais pu mieux faire passer le message
02:26 pour que mes joueurs ne passent pas par ces émotions-là ? »
02:29 Comment vous, vous traversez quelque chose sur lequel vous n'avez pas la main
02:33 et que vous voyez vous échapper en fait ?
02:36 Oui, quand on est entraîneur, pendant le match,
02:40 on essaye de maîtriser le plus possible ses émotions.
02:42 C'est pour ça que c'est un métier qui est extrêmement fatigant et pénible.
02:45 C'est qu'on passe notre temps à contrôler les émotions
02:48 mais à un moment donné, il faut qu'on les évacue.
02:51 Et c'est évident qu'il y a des sentiments mêlés,
02:54 des sentiments de colère, des sentiments de frustration,
02:57 des sentiments très divers.
03:00 Mais c'est multifactoriel et c'est vrai que de voir
03:06 que quelque chose passe aussi près et que ça nous échappe,
03:09 c'est vraiment frustrant.
03:11 Après, je crois que l'une des difficultés
03:14 quand on arrive à ce niveau-là de compétition,
03:16 c'est de comprendre que le sport,
03:18 ce n'est pas qu'une affaire de technique,
03:19 ce n'est pas qu'une affaire de tactique,
03:21 c'est une affaire aussi d'expression, de détermination, de force mentale.
03:27 Et c'est ce qui qualifie les bonnes équipes des très très bonnes équipes.
03:30 Hier, on avait une opportunité de devenir une très très bonne équipe.
03:34 On n'a pas su la saisir, donc on reste une bonne équipe.
03:37 On était dans les 8 meilleures équipes européennes,
03:39 ça fait 3 ans que c'est le cas.
03:41 Mais il nous manque encore des choses pour passer un cran au-dessus,
03:45 avec peut-être à mon sens, une des raisons,
03:47 c'est aussi une trop grande inexpérience de ce genre de situation,
03:51 c'est-à-dire des joueurs jeunes qui ne connaissent pas ça.
03:54 Et tant qu'on ne l'a pas vécu, on peut l'expliquer,
03:55 mais tant que vous ne l'avez pas vécu dans votre chair,
03:58 c'est difficile à comprendre.
03:59 - Mais c'est quand même pas passé loin.
04:00 Pierre-Etienne Minonzio.
04:01 - Oui, déjà juste un petit mot déjà pour vous remercier,
04:03 parce que c'est quand même rare qu'un coach,
04:05 après une telle défaite, accepte de parler.
04:07 - Moi, parmi les facteurs, est-ce qu'il n'y a pas un peu l'arbitrage aussi ?
04:10 - Ah, tout de suite !
04:11 - Non, mais c'est une question, moi j'ai regardé un peu le début du match,
04:14 il y a un joueur de Kiel, je crois que c'est Viencec,
04:16 qui fait une grosse faute, qui n'est pas sifflé.
04:18 Ça a été un match très physique.
04:19 Est-ce que vous avez la sensation ou pas
04:21 que parfois l'arbitrage vous a été défavorable ?
04:23 Ou pas ?
04:24 - Ça a été un arbitrage qui a été, on va dire, un peu limite.
04:30 Mais c'est le propre des clubs européens,
04:35 des grands clubs européens, quand ils sont arbitrés chez eux,
04:37 n'oublions pas que Kiel avait perdu de 9 buts à l'année.
04:42 Et donc l'arbitre, il est dans le contexte aussi.
04:45 Et à un moment donné, je pense que c'était normal que le match démarre comme ça,
04:49 et on démarre plutôt bien, au bout d'un quart d'heure, on est bien positionnés.
04:53 Ils ont pris déjà un carton rouge, donc ils ont été aussi sanctionnés.
04:56 Je pense que la difficulté, on a bien tenu le choc,
04:59 psychologiquement et physiquement, dans le premier quart d'heure.
05:02 Mais petit à petit, on s'est liquéfié, et ça c'est la réalité.
05:06 Après, moi je pense que les arbitres, à un moment donné,
05:09 quand vous leur donnez vraiment, quand ils voient chez vous une vraie force mentale,
05:13 et qu'ils se disent "cette équipe-là, ils ne sont pas venus pour rigoler",
05:17 après ils se calment aussi par rapport à ça.
05:19 Et je crois qu'on n'a pas donné de signes suffisamment positifs aux arbitres
05:23 pour qu'ils inversent un petit peu leur arbitrage.
05:25 - On vous promet qu'on va parler d'autre chose et qu'on va essayer de vous redonner le sourire,
05:28 mais c'est quand même historique ce qui s'est passé hier,
05:29 et on a plein de questions sur le match. Tidiani.
05:31 - Bonjour Patrice. On a beaucoup parlé là du match.
05:34 Moi j'aimerais évoquer l'entre-deux-matchs,
05:36 parce que c'est souvent un moment un petit peu délicat aussi,
05:39 quand on a à gérer une telle avance.
05:42 Bertrand a fait l'analogie avec le football,
05:44 on a des exemples récents en Coupe d'Europe également.
05:46 Vous, est-ce que vous estimez que vous avez bien géré l'entre-deux-matchs,
05:50 et sur quoi vous avez insisté, justement pour préparer,
05:54 quand on a justement une telle marge ?
05:56 On se dit que c'est facile, mais finalement, est-ce que c'est si facile que ça ?
06:01 - Ça serait prétentieux de vous dire que je pense que j'ai très bien géré
06:04 l'entre-deux-matchs quand on vient de perdre de 10 buts.
06:07 Forcément, la préparation n'a peut-être pas été ce qu'elle aurait pu être,
06:12 ou en tout cas, elle n'a peut-être pas convenu à l'équipe.
06:15 Quand on perd de 10 buts, il faut savoir aussi se remettre en cause.
06:18 On ne peut pas remettre en cause que l'équipe et les joueurs.
06:20 Donc ça, c'est un premier facteur.
06:22 Moi j'avais fait un choix qui était un choix délibéré,
06:24 qui est lié à l'expérience que je peux avoir de jouer,
06:27 de ne pas reporter le match de championnat et de le jouer,
06:29 parce que je trouve que ce n'est jamais très très bon
06:32 quand on cogite pendant une semaine entre deux matchs comme ça
06:35 et on se pose mille questions.
06:36 Je pense que c'était bien de rester dans le rythme du match.
06:39 Peut-être, moi j'ai voulu essayer d'alléger un petit peu
06:43 la pression mentale sur les joueurs par rapport à ça,
06:46 en essayant de les décomplexer.
06:48 Le paradoxe, c'est que cette équipe de Kyl,
06:50 on l'a battu de 9 buts il y a une semaine,
06:52 mais j'avais l'impression qu'on était encore complexés par cette équipe,
06:55 un petit peu comme si on n'était pas légitime pour les battre.
06:57 C'est un petit peu ce que j'ai essayé,
06:59 mais ou ça ne convenait pas,
07:00 ou alors ça n'a pas été suffisamment bien entendu.
07:03 - Allez, on arrête de parler de ce match qui fait du mal,
07:05 on évoque un petit peu la suite et la fin pour vous,
07:07 Paul Bonneau a une question.
07:08 - Oui, bonjour Patrice.
07:10 Moi j'avais une question,
07:10 ça fait 30 ans que vous êtes à la tête de Montpellier,
07:13 je n'étais même pas né quand ça a démarré.
07:16 - Vous avez de la chance.
07:18 - Quel est le sentiment là ?
07:19 Est-ce qu'il y a un grand vide qui approche ?
07:21 Est-ce qu'il y a une forme de soulagement ?
07:23 Est-ce que...
07:24 Oui, je suis curieux de savoir.
07:26 - Ni un ni l'autre,
07:27 c'est une décision que j'ai prise l'été dernier.
07:31 Voilà, je pense que j'arrivais à 30 ans.
07:35 J'avais fait 6 ans auparavant au Paris Saint-Germain
07:37 en traînant professionnel,
07:38 j'ai fait 36 ans consécutivement,
07:39 dont 35 ans en Coupe d'Europe.
07:42 Et donc, pour moi c'était le bon moment.
07:46 C'était le bon moment à la fois pour arrêter,
07:48 mais surtout pour avoir d'autres projets plus personnels.
07:50 Et donc, il y a forcément un petit pincement au cœur
07:54 quand ça arrêtera,
07:55 mais je suis tourné aussi vers ce que je ferai de ma vie plus tard.
07:59 Pour moi, ça sera une nouvelle histoire qui va démarrer.
08:02 - Bertrand Latour.
08:03 - Juste rebondi, les projets, quels sont-ils ?
08:06 Rapidement, et ma question, la deuxième, était
08:08 est-ce qu'il est plus difficile d'entraîner en 2024 qu'en 94 ?
08:11 La question est un peu ouverte,
08:12 mais c'est rare et c'est bien d'avoir des gens
08:15 qui ont une telle longévité de mesurer.
08:18 Ça dit aussi beaucoup de l'époque, du handball.
08:20 Enfin, j'attends vraiment votre réponse avec impatience.
08:23 - Je fais trop là.
08:23 Je vais commencer par la deuxième.
08:28 Est-ce que c'est plus dur aujourd'hui que c'était avant ?
08:31 C'est différent.
08:32 Je ne pense pas que ce soit forcément plus dur.
08:34 C'est différent.
08:36 C'est-à-dire que si je devais faire un parallèle,
08:38 quand moi j'ai démarré ma carrière,
08:42 quand l'équipe était satisfaite,
08:43 globalement, les individus étaient satisfaits à 80%.
08:47 Aujourd'hui, même quand l'équipe est satisfaite,
08:50 les individus ne sont pas forcément satisfaits.
08:53 Et donc la problématique de la satisfaction individuelle
08:56 aujourd'hui dans le sport collectif est devenue très prégnante.
08:59 Et donc ça nécessite de l'entraîneur
09:01 qui arrive à gérer à la fois les aspirations collectives
09:04 et les aspirations individuelles.
09:06 Et donc ça fait beaucoup de choses,
09:07 beaucoup de paramètres à gérer,
09:08 et surtout les paramètres psychologiques.
09:11 Sur la partie purement handballistique,
09:14 moi j'ai connu ma carrière,
09:16 c'est faite avec la montée du professionnalisme dans le handball.
09:19 C'est-à-dire que j'ai fait partie de la génération
09:21 des premiers entraîneurs professionnels.
09:23 Donc forcément, le sport a beaucoup évolué.
09:26 Ce qui est clair, c'est que ce qui a fait la réussite du handball français,
09:29 ça a été l'investissement de travail.
09:31 Je crois que le guide pour nous, c'était Daniel Constantini,
09:35 qui nous a montré qu'en travaillant beaucoup,
09:38 on pouvait réussir au plus haut niveau,
09:40 que ce soit avec les équipes nationales ou avec les équipes de club.
09:43 Et donc ça, c'est quelque chose, moi, que j'ai essayé de faire perdurer.
09:47 C'est-à-dire, quand vous entraînez des joueurs,
09:50 parmi les meilleurs joueurs au monde, en Europe,
09:52 c'est de leur dire que le talent, le travail,
09:54 ça ne sert pas à grand-chose dans le sport court,
09:57 et qu'il faut beaucoup investir dans le travail
09:58 pour réussir au très haut niveau et surtout dans la durée.