Ovidie, l'intello des films pour adultes se confie à Thierry Ardisson

  • il y a 5 mois
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00:00Vous devenez effectivement l'une des rares femmes réalisatrices de films X reconnus.
00:06Quelles ont été, à ce moment-là, les réactions de votre entourage, à commencer par vos parents ?
00:12Ouh !
00:18Auvigie, bienvenue sur le plateau de Tout le monde a parlé.
00:21Alors, vous êtes née le 25 août 1980 à Lille, sous le prénom de Héloïse.
00:27Alors, vos parents sont cadres dans la fonction publique.
00:30Vous passez votre pré-adolescence à Bordeaux, ensuite Châteauroux et Tours.
00:35C'est ça.
00:36Alors, enfant, vous rêvez de devenir vétérinaire.
00:39Oui, oui, oui.
00:41Vous avez un immense amour des animaux, ce qui fait qu'en 93, à l'âge de 13 ans,
00:45vous faites déjà une année entière sans manger de viande.
00:48Oui, et je suis devenue définitivement végétarienne en 94, à l'âge de 14 ans.
00:54Ça fait 17 ans que je suis végétarienne et je suis encore là et en bonne santé.
00:59Oui, ça vous réussit pas trop mal.
01:01Alors, première relation sexuelle avec une fille à l'âge de 14 ans,
01:05et ensuite un garçon à l'âge de 14 ans également.
01:08C'est ça. Je sais que ça peut paraître particulièrement jeune,
01:11mais j'étais assez, je dirais, assez mûre pour mon âge.
01:14Et à l'âge de 17 ans, ensuite, voilà, j'ai commencé à vivre sans mes parents.
01:18Donc, c'est une période, mon adolescent, j'étais quand même assez mûre.
01:22Alors, à 15 ans, vous créez un scalp.
01:24Alors, un scalp, c'est une section carrément anti-Le Pen, avec votre petite amie,
01:29donc déjà très militante politique.
01:32À cette époque-là, en tout cas, ça m'a permis de m'intéresser à certaines lectures
01:37auxquelles les autres jeunes gens de mon âge ne s'intéressaient pas.
01:40Et ça m'a permis de me cultiver, au moins.
01:42Ça m'a permis de développer un certain esprit critique.
01:45Et, bon, j'y repense avec le sourire, on va dire.
01:49Alors, à l'époque, vous habillez en pinquette, avec des jupes courtes, des gros rangers,
01:53et vous fréquentez des féministes intégristes.
01:56Vous dites des nanas à sweatshirt, capuche, pour qui la levrette, c'est la soumission.
02:01Oui, c'était une version du féminisme qui était très caricaturale, effectivement,
02:05et qui était très peu ouverte sur la question sexuelle.
02:08Et je trouvais ça relativement ennuyeux et contre-productif.
02:14Alors, c'est à 16 ans que vous louez votre première cassette porno.
02:17Ensuite, il y en aura des centaines, jusqu'à votre rupture avec les féministes intégristes.
02:22C'est ça. En fait, à partir de 16 ans, j'ai décidé de m'intéresser à ce qu'était la pornographie,
02:27puisque je faisais partie du groupe qui critiquait la pornographie.
02:29Donc, je me suis dit, autant savoir de quoi il est question et de quoi je parle.
02:33Et je me suis rendu compte que la plupart des films que je jouais
02:35ne correspondaient pas forcément avec précision au discours qu'on pouvait tenir.
02:41Alors, en voyant les pornostars américaines, vous dites,
02:44Je veux faire ça, quoi.
02:46Oui. Effectivement, à 18 ans, je me suis dit, je vais franchir le cap, je vais faire ça.
02:54Je pense que c'était par esprit de provocation,
02:57parce que c'était probablement le pire métier, socialement parlant, que je pouvais faire à l'époque.
03:01Et pour moi, il n'y avait rien de plus logique.
03:03J'étais punk, j'allais devenir pornostar.
03:06C'était une certaine marginalité.
03:09Alors, d'abord, il faut finir les études.
03:11Et lorsque vous décidez d'entrer dans le milieu de la pornographie,
03:14vous êtes à l'université,
03:16vous vous rendez au salon Haute Vidéo à Paris
03:19pour rencontrer les collaborateurs de la boîte la plus sérieuse,
03:22à votre avis, Marc Dorcel.
03:24C'est ça, exactement.
03:26Parce que j'avais comme une vision très professionnelle de la chose
03:30et je commençais déjà à réfléchir à la réalisation, tout simplement.
03:36J'avais une vision très professionnelle.
03:39J'avais ça, quand même, en ligne de mire.
03:42Et pour moi, il était évident que je n'allais pas passer par la case à maths,
03:46puisque, en fait, la sexualité était quelque chose qui ne m'intéressait peu, très bizarrement.
03:52Ce qui m'intéressait, c'était rentrer dans ce milieu,
03:55arriver dans un milieu qui était très marginal,
03:57commencer à réfléchir à une autre pornographie,
03:59mais ce n'était pas vraiment pour satisfaire un fantasme.
04:02Vous envoyez chez Marc Dorcel une longue lettre de motivation
04:05où vous expliquez ce que vous voulez faire, ce que vous ne voulez pas faire,
04:08que votre famille est d'accord et que ce n'est pas un mec qui vous pousse, en gros.
04:12Oui, j'ai envoyé un CV.
04:14Voilà, une lettre de motivation, un CV,
04:16comme je l'aurais fait pour n'importe quel travail.
04:19Alors, vous revendiquez le statut de travailleuse du sexe
04:22et vous êtes ce qu'on appelle une féministe pro-sexe à partir de ce moment-là.
04:26Oui.
04:27C'était une façon de dire que c'était déjà un travail comme un autre,
04:30que nous vendions notre force, que nous étions des prolétaires de la sexualité
04:35et qu'à ce titre, nous avions des revendications.
04:39Voilà.
04:40Alors, le 1er mai 1999, vous faites votre premier tournage avec Marc Dorcel.
04:45Ça s'appelle La fête à Gigi.
04:47Oui.
04:48Et vous vous souvenez du scénario, non ?
04:51Oh, mon Dieu !
04:54C'était dans une fête foraine et je crois que j'étais une demoiselle d'honneur.
04:59Voilà.
05:00Encore un film que je n'ai pas pu montrer à mes parents.
05:04Alors là, vous avez votre première fiche de paie.
05:06Vous êtes une travailleuse du sexe.
05:07Oui, tout à fait.
05:08Alors, vous n'avez pas 20 ans lorsque vous devenez également réalisatrice
05:12avec votre premier long métrage, un film érotico-fantastique
05:16qui s'appelle Orgie en noir.
05:18Et c'est quoi l'histoire ?
05:19Ça se passe dans un cimetière.
05:21C'est une reine des morts avec des zombies.
05:25Et oui, effectivement, ça faisait à peine un an et demi peut-être
05:29que j'étais actrice et j'ai commencé la réalisation quasiment instantanément.
05:36Voilà, vous devenez la plus jeune réalisatrice de films pornographiques
05:39de toute l'histoire du cinéma.
05:41C'est vrai.
05:43C'est trop horrifique.
05:44Alors l'année suivante, il y a Lilith qui est votre deuxième long métrage.
05:47Oui.
05:48C'était quoi l'histoire ?
05:49L'histoire d'une femme insatisfaite.
05:51En fait, à partir de Lilith, c'est là où j'ai vraiment commencé
05:54à travailler le concept de pornographie à destination des femmes.
05:58C'est vraiment à partir de ce moment-là que je me suis affirmée
06:00en tant que réalisatrice et que j'ai travaillé sur ce concept-là.
06:06Alors, Lilith est encensée internationalement par la profession.
06:10Vous devenez effectivement l'une des rares femmes réalisatrices
06:14de films X reconnus.
06:16Quelles ont été à ce moment-là les réactions de votre entourage
06:20à commencer par vos parents ?
06:23Mes parents, évidemment, n'ont absolument pas servi de champagne
06:27parce que pour eux, c'était une condamnation.
06:30Ils savaient que j'allais être marquée au fer rouge toute ma vie.
06:32Ils partaient du principe que leur fille pouvait avoir d'autres capacités.
06:37C'est normal en tant que parent.
06:39Et que j'avais probablement raté mes études, raté ma vie
06:45et que professionnellement, j'allais être cramée ad vitam aeternam.
06:48Ils n'avaient pas tout à fait tort, mais ils n'avaient pas non plus tout à fait raison
06:51puisque l'avenir approuvait le contraire.
06:54Et après, ils ont compris que vous aviez fait ce choix
06:57en faisant complètement abstraction de la pression sociale.
07:01Ils ont fini par le comprendre.
07:04Ils ont fini par comprendre quelles étaient mes revendications aussi.
07:07Ils ont compris qu'il y avait une démarche réfléchie derrière
07:09et que surtout, je n'étais pas dans une autodestruction.
07:11Ils voyaient bien qu'au quotidien, à cette époque-là,
07:14j'avais une vie relativement rangée, ce qui est toujours le cas.
07:17Je ne prenais pas de drogue. J'étais toujours végétarienne.
07:20Je ne sortais pas. J'avais même une vie relativement chiante.
07:24J'ai une vie relativement chiante, il faut le dire.
07:26Donc, ils ont été quand même très rassurés.
07:28Les parents aiment bien que leurs enfants aient des vies un petit peu rangées et chiantes.
07:33Alors, dès vos premiers films, les médias s'intéressent beaucoup à vous.
07:36Vous devenez un peu l'intello du porno.
07:38Ça a été votre slogan, d'une certaine façon.
07:41Ça a été mon titre et ma croix.
07:45C'est vrai que c'est un nom qui est revenu souvent.
07:48On m'a taxée d'intello, ce qui a été bien et pas bien.
07:51Ce qui a été compliqué, c'est que le fait de me taxer d'intello
07:53venait d'écrédibiliser les autres de la profession.
07:56Parce que si moi, j'étais intello, ça voulait dire que les autres étaient crétins.
07:59Et c'est un titre qui a aussi énormément énervé
08:01parce que beaucoup de gens sont partis du principe
08:03que je ne pouvais pas avoir droit à cette appellation
08:06et que pourtant, je n'avais pas revendiqué.
08:08Alors, vous faites toutes les télés à l'époque.
08:10Ça commence par Mireille Dumas.
08:11Vous faites De La Rue, Emmanuel Chin, Courbet, Ardisson.
08:15Tout le monde en parle.
08:17Vous avez eu de bonnes relations avec les médias, d'une façon générale, non ?
08:23J'avais une relation très ambigüe puisque je n'avais pas la télé.
08:28Donc en général, quand j'arrivais dans une émission télé, je ne la connaissais pas.
08:32Et j'y allais vraiment dans un but presque de propagande, finalement.
08:38Je me disais, avant, je distribuais des tracts qui étaient adressés à à peine 100 personnes.
08:42Maintenant, je passe à la télévision, je peux m'adresser à des centaines de milliers,
08:46voire des millions de personnes à la fois et faire passer mon message.
08:49Et ce qui a été à double tranchant, c'est-à-dire d'un côté, effectivement,
08:52ça a pu faire passer des idées et le concept de pornographie féminine
08:55a pu se propager et existe aujourd'hui de plus en plus.
08:59Mais ça a été assez négatif aussi dans le sens où on ne contrôle pas la diffusion de son image.
09:06Et ça, quand j'étais jeune, j'en avais pas conscience,
09:09qu'à partir du moment où on donnait son image, on en était complètement dépossédés.
09:12Quand on est jeune, on a l'impression qu'on est plus fort que le monde entier.
09:15On se dit, je contrôle mon image, je vais tous les niquer. En gros, c'était ça.
09:18Et en fait, non, c'est absolument absurde. On fait partie du spectacle et on s'en rend pas compte.
09:23Vous avez souffert de cette médiatisation ?
09:26Sur le coup, j'ai trouvé ça très presque plaisant
09:32parce qu'il y a quelque chose d'assez flatteur quand on a 18 ans, 19 ans,
09:36se retrouver tout à coup connus avec des gens qui nous arrêtent sans arrêt dans la rue,
09:40même si on est connus pour de mauvaises raisons, on trouve ça très drôle.
09:44Je dirais même encore plus quand c'est pour de mauvaises raisons,
09:47parce qu'on a envie de provoquer.
09:49Et après, par la suite, là où j'ai commencé à prendre conscience de la pression sociale,
09:54de tout ce que ça impliquait, j'ai un peu révisé ma copie, on va dire,
10:00même si je l'assume pleinement,
10:02mais j'ai préféré à ce moment-là me faire plus discrète dans les médias
10:05et n'apparaître qu'à des moments clés,
10:07quand par exemple il y avait une sortie de livre ou des choses comme ça.
10:10Vous avez gagné de l'argent à cette époque ?
10:12Très peu.
10:13Ah bon ?
10:14Très peu, parce que je tournais peu.
10:16Il faut savoir que j'étais relativement pénible aussi,
10:20j'avais énormément de conditions et par conséquent je tournais peu
10:25et puis j'avais pas envie vraiment de beaucoup tourner.
10:27Alors que dans le porno, c'est un film par jour.
10:28Alors que moi, je devais tourner une journée par mois.
10:31J'ai gagné très peu d'argent avec ça.
10:34Et avec la réalisation ?
10:36Et avec la réalisation, moins que si j'avais réalisé des documentaires ou des choses comme ça,
10:44parce que ce sont des films qui sont relativement peu payés
10:48et où les diffuseurs donnent peu d'argent.
10:51Enfin, on gagne moins d'argent, je pense, avec un film pornographique
10:54qu'avec un documentaire animalier, par exemple.
10:56Alors, sur le plan amoureux, vous êtes mariée à l'âge de 18 ans avec un docteur en philosophie
11:00qui avait 10 ans de plus que vous, qui ensuite est devenue collaborateur de votre vidéo.
11:05Vous êtes restée avec lui depuis ?
11:07Je me suis mariée jeune et j'ai divorcé jeune
11:10et j'avoue ne pas avoir depuis spécialement de contacts.
11:15Je lui souhaite le meilleur, mais ça fait des années que je n'ai pas eu de nouvelles.
11:19Et après, vous avez eu plein d'aventures ?
11:22Non, j'ai rencontré une personne après mon divorce dont je suis tombée très amoureuse
11:28et avec qui j'ai eu un enfant.
11:30Vous avez une vie très rangée, en fait.
11:32J'ai une vie... Ah non, mais quand je dis que j'ai une vie chiante, j'ai une vie chiante.
11:35On en est à trois mecs.
11:37On en est à trois mecs, mais oui, j'ai pratiquement été soit en couple, soit seule.
11:46Là, je vis seule depuis deux ans, mais je ne suis pas une collectionneuse, moi, en fait.
11:53Du tout.
11:54Le meilleur moment de toute cette époque, ça a été quoi ?
11:57Le moment de la réalisation de Lilith, parce que pour moi, ça a été le début d'un espoir.
12:03L'espoir de voir que j'avais un avenir en termes de réalisation
12:07et qu'il y avait quelque chose à travailler dans cette voie.
12:09C'est-à-dire que c'est un film qui n'était absolument pas abouti ni quoi que ce soit.
12:12C'était un essai de jeunesse, finalement.
12:15Ça correspond à mes débuts aussi au niveau de l'écriture.
12:20Et pour moi, c'était prometteur.
12:24Le pire moment, c'était quoi ?
12:27À partir du moment où j'ai commencé à prendre conscience
12:29qu'il fallait que je fasse attention à ma sécurité dans la rue, par exemple.
12:32Ça, ça a été les premiers moments où je me suis rendue compte...
12:37Je pense que je n'avais pas conscience d'à quel point le fait d'être une femme
12:42avec une sexualité un peu affichée était aussi dangereux, en fait.
12:46Naïvement, je pensais que les gens allaient juste me traiter de catin et voilà, et basta.
12:51Mais je ne pensais pas que ça pouvait aller jusqu'à des agressions verbales et physiques.
12:57Je ne pensais pas que ça allait jusque-là.
12:59Je pense que je n'avais même pas conscience du côté positif de la chose,
13:02c'est-à-dire même des fantasmes que je pouvais susciter chez les gens.
13:07Je ne me projetais pas du tout là-dedans.
13:09En fait, je ne suis pas très sexuelle comme gonzesse, en fin de compte, quand on réfléchit.
13:14C'est ça le scoop, c'est que je ne suis pas très sexuelle
13:17et je n'avais pas du tout conscience que je faisais fantasmer les gens.
13:21Et à partir du moment où j'en ai vraiment pris conscience, ça m'a inquiétée.
13:26Aujourd'hui, vous êtes nostalgique de cette époque ?
13:30Non, mais je ne suis pas le genre nostalgique, moi.
13:34Vous avez de la rancune contre quelqu'un ?
13:36Non, je n'ai pas de rancune.
13:39On m'a fait des tas d'emmerdes, ça c'est sûr.
13:42On m'a mis des tas de bâtons dans les roues, je pense, du fait que j'étais une femme entre autres.
13:46Mais non, je ne m'encombre pas de la rancune.
13:50Aujourd'hui, si c'était à refaire, votre vie, qu'est-ce que vous ne referiez pas pareil ?
13:54Je ne me pose pas les questions en ces termes.
13:56En général, je ne regrette pas ce que j'ai fait.
13:58Parfois, je regrette ce que je n'ai pas fait.
14:00Ce que je n'ai pas fait, c'est, par exemple, cultiver un réseau.
14:05Je n'ai jamais été mondaine, je ne suis jamais sortie, je ne suis pas très sociable.
14:10Ça, je le regrette.
14:12Et je regrette aussi, peut-être, de ne pas m'être expatriée à une époque où j'en avais l'occasion,
14:17dans un pays qui m'est cher, qui est le Danemark.
14:19Ah oui ?
14:21Mon grand regret aujourd'hui, c'est de ne pas vivre à Copenhague.
14:25Le jour où vous allez mourir, qu'est-ce que vous voulez qu'on écrive sur votre tombe ?
14:28Elle exécrerait les tièdes, par exemple.
14:32Elle faisait une très bonne quiche sans pâtes.
14:34Ça, c'est anecdotique.
14:35Merci.
14:36Je suis très heureux de rallumer la lumière sur vous, Ovidie.
14:38Merci.

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