L'ancienne patronne du groupe nucléaire Areva et secrétaire générale adjointe de l’Elysée, entre 1990 et 1995, Anne Lauvergeon publie "La Promesse" (Grasset), dans lequel elle relate ses années auprès de François Mitterrand avec qui elle avait lié une amitié.
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00:00 Sonia De Villere, votre invitée ce matin est l'ancienne présidente d'Areva, elle publie la promesse aux éditions grassées.
00:07 François Mitterrand lui avait fait promettre de coucher un jour sur le papier leur conversation.
00:11 Elle avait 30 ans, elle était secrétaire générale adjointe de l'Elysée et Sherpa, chargée de préparer les rencontres internationales et les sommets.
00:19 De 1990 à 1995, son bureau fut collé à celui du président.
00:25 Chronique d'un second septennat crépusculaire, aux prises avec la cohabitation et avec le cancer.
00:31 Bonjour Anneauvergeon.
00:32 Bonjour.
00:33 François Mitterrand est mort quelques mois après avoir quitté le pouvoir, il vous manque ?
00:38 Ah oui, pas pour cet aspect-là, mais oui, oui, oui.
00:41 Parce que, étonnamment pour moi, qui était, comme vous le disiez, je suis partie de l'Elysée, j'avais 35 ans, il avait à l'époque 76 ans.
00:53 Je pensais que l'amitié était quelque chose qui naissait entre des personnes qui avaient des âges assez proches.
01:00 Et devenir amie avec quelqu'un qui est à la fois président de la République et votre patron, c'était aussi très inattendu.
01:09 Et oui, il me manque parce que c'est quelqu'un avec qui on pouvait discuter de tout et qui s'intéressait vraiment en profondeur aux gens.
01:17 Mais aussi, j'aimerais beaucoup discuter avec lui de la situation politique, telle que vous l'avez très brillamment explicité il y a quelques minutes.
01:27 Oui, qu'est-ce qu'il penserait de cette espèce d'explosion, d'éclatement géopolitique ?
01:33 Qu'est-ce qu'il penserait de cette Europe qui n'arrive plus à se construire ?
01:38 Qu'est-ce qu'il pourrait penser et que faire maintenant dans une France qui est en proie à de très nombreuses difficultés,
01:45 en particulier à une forme de disharmonie interne extrêmement grave ?
01:49 Oui, oui, oui, j'aimerais vraiment pouvoir discuter avec lui.
01:52 Mais dans la promesse, c'est évidemment en creux un portrait de François Amitterrand que vous dressez.
01:58 Et vous le dites bien, il est le maître des doubles, des triples identités, des faux semblants, des silences, des secrets bien gardés.
02:05 Pendant la guerre d'ailleurs, il fabriquait des faux papiers.
02:07 Il cloisonne, il compartimente sa vie.
02:10 Est-il homme que l'on puisse cerner finalement ? Y a-t-il une vérité sur Amitterrand ?
02:16 Non, non. D'ailleurs, je crois qu'il n'y a jamais la vérité d'un être.
02:20 Je n'y crois pas du tout à ça. Les personnalités sont forcément multiples.
02:25 Elles évoluent avec le temps. Elles sont aussi fonction un petit peu des circonstances.
02:29 Par contre, je pense qu'il était dans cette complexité un bloc qui avançait et qui avançait en étant, en ayant gardé l'enfant qui était en lui.
02:40 On voit d'ailleurs qu'il y a un recentrage très souvent dans les moments difficiles, dans les périodes de tension,
02:48 vers des choses qui effectivement leur amènent à sa propre identité.
02:53 Même avec ses médecins à Nonvergon, François Amitterrand consulte plusieurs médecins,
02:57 à la fois sans les prévenir, respectivement des traitements prescrits par les autres.
03:02 Les trois médecins attitrés, racontez-vous, sont entrés dans une guerre totale.
03:06 Et guerre totale, ce sont vos mots.
03:08 Les docteurs Gubler, Calfon et Tarot s'affrontent en direct, pendant que de nombreux professeurs derrière les rideaux ont des visions partielles.
03:14 C'est quelqu'un qui divise pour Murigny ?
03:16 Non, je pense que c'est quelqu'un qui se dit qu'il faut effectivement trouver la meilleure solution dans une situation dramatique.
03:24 C'est un cancer familial.
03:27 Son père en est mort. Ses frères ont été atteints du même mal.
03:34 L'un a guéri.
03:36 Donc il y a l'idée qu'il existe quelque part un traitement qui va être la solution.
03:43 Alors effectivement, on a un seul corps.
03:45 Et puis des médecins qui sont...
03:47 On a un seul corps, justement.
03:49 Quel rapport vous diriez que François Amitterrand entretenait avec la douleur ?
03:53 Parce que vous racontez vraiment, jour après jour, les souffrances physiques d'un homme qui sont spectaculaires.
04:02 Des milliers de piqûres, de brûlures et de coups de poignard dans le dos en particulier, vous racontent-ils le matin au réveil ?
04:09 C'est comme ça. Alors pas le matin au réveil, mais c'est comme ça qu'il me l'a raconté, effectivement, à plusieurs reprises.
04:15 Je pense que chez lui, il y avait un très grand stoïcisme.
04:20 Stoïcisme par rapport à la douleur.
04:23 Il avait vu son père être très malade, mourir sans jamais se plaindre.
04:29 Donc il y avait déjà une image qui était "je dois être au même niveau".
04:35 Il y avait aussi, je pense, l'idée assez paysanne qu'il ne fallait pas abuser des médicaments,
04:42 parce que le jour où on en aurait vraiment besoin, il ne serait plus aussi efficace.
04:47 Donc oui, il était dans la préférence de la souffrance à, quelque part, des facilités.
04:58 Et c'est ça aussi la promesse. C'est l'histoire d'un homme assez courageux,
05:03 d'un homme face à l'adversité que vous retracez à travers ces 400 pages.
05:10 Et justement, c'est ça qui est étonnant, parce que ce second septennat,
05:13 et vous êtes aux premières loges de ce second septennat,
05:15 il est souvent décrit comme celui des trahisons, des reniements, des scandales, des échecs.
05:19 Et vous, inlassablement, c'est le courage du président face à l'adversité que vous décrivez.
05:25 Oui, et puis le second septennat, c'est effectivement, là aussi,
05:30 on en revient à la disharmonie et la dissension au sein du Parti socialiste.
05:36 C'est les difficultés qui se multiplient dans le monde.
05:40 C'est-à-dire qu'après la première guerre du Golfe, la situation économique se détériore.
05:47 Les ambitions des uns et des autres arrivent. Donc, on est dans un monde difficile.
05:52 Les grands leaders du G7 tombent les uns après les autres.
05:57 Bush père, Margaret Thatcher, Mirail Gorbatchev, Brian Mulroney.
06:06 Donc, on est vraiment dans une espèce de...
06:09 En France, c'est la cohabitation, puisqu'on est dans un septennat.
06:13 On pourra peut-être y revenir. Je pense que le septennat, là aussi, nous manque beaucoup.
06:17 Pourquoi ?
06:18 Parce que c'est le temps long.
06:20 C'est le fait de ne pas avoir aligné le mandat présidentiel avec le mandat législatif.
06:28 Cinq ans, on voit bien...
06:29 Parce que votre souvenir est douloureux en même temps de cette cohabitation.
06:33 Ce n'est pas très agréable, c'est sûr.
06:34 Mais en même temps, je pense que c'est quelque part bien pour la France d'avoir du temps long.
06:40 Je prends l'exemple au niveau européen, au niveau international.
06:44 Avoir un président qui a sept ans devant lui,
06:47 c'est une très grande force par rapport à des gens qui, effectivement, entrent et sortent,
06:52 je dirais, dans certains pays, très rapidement.
06:54 D'avoir été du clan Mitterrand au moment où la cohabitation en 93 lui explose à la figure,
07:01 au moment où Édouard Balladur vous propose de trahir le président et de venir travailler à ses côtés,
07:06 au moment où, justement, à l'Élysée, le téléphone ne sonne plus et la lumière s'éteint.
07:10 Est-ce que c'est d'avoir fait bloc avec François Mitterrand,
07:13 qui vous donne, trente ans après, si peu de regard critique au fond ?
07:19 Ce n'est pas une relecture critique de ces années-là que vous nous proposez ?
07:23 Pas du tout.
07:23 Ce n'est pas du tout ça qui m'a intéressée.
07:25 Ce n'était d'ailleurs pas du tout le sens de la promesse.
07:27 Alors, je ne suis pas du tout son avocate.
07:29 Il a eu des avocats tout à fait brillants.
07:31 Robert Baninter, Georges Tiegeman, Roland Dumas.
07:36 Donc, voilà, je ne suis pas du tout son avocate.
07:38 Je ne suis pas non plus pour une lecture négative,
07:41 si quand même très souvent ça a été le cas.
07:45 L'ambiance 1993-1995 était extrêmement dure.
07:52 Oui, je pense qu'il y a des gens qui ont retourné leur veste.
07:54 Ça n'a jamais été mon cas.
07:56 Votre livre paraît en plein dans les commémorations du génocide Tutsi au Rwanda, Anne Lauvergeon.
08:01 Et c'est loin d'être le seul point qui fasse débat, évidemment, dans ce second septennat.
08:07 Mais la responsabilité de la France dans son soutien aveugle et continu au régime
08:11 où tout, vous n'en faites pas grand cas.
08:13 Non, mais alors attendez.
08:14 Moi, d'abord, je parle de ce que j'ai vu, de ce que j'ai observé.
08:20 Il se trouve, alors d'abord, c'est vrai que le génocide au Rwanda,
08:24 avec le génocide cambodgien, je pense, sont les deux événements absolument affreux de cette fin de siècle.
08:32 Il est clair que c'était l'œuvre, c'était le travail des diplomates, des militaires.
08:38 Donc, je n'étais pas du tout aux premières loges.
08:40 Donc, je ne peux pas raconter des choses que je n'ai pas vues.
08:44 Ce que j'ai vu, par contre, de manière beaucoup plus proche,
08:46 c'est ce qui a été fait par la France pour résoudre la fin du génocide fait par les Khmers Rouges au Cambodge.
08:57 Et au Cambodge comme au Rwanda, la France s'est retrouvée toute seule,
09:00 c'est-à-dire dans une indifférence générale et même de l'obstruction,
09:03 puisque je le rappelle, quand la France a demandé par l'entremise d'Alain Juppé,
09:08 un mandat aux Nations Unies, pendant deux mois, les Américains ont refusé de donner un mandat d'interposition.
09:14 Et Marlène Oblera, elle dit d'ailleurs dans ses mémoires que pour elle, c'est son plus grand regret professionnel.
09:21 Donc, très franchement, ce que j'en ai vu ne me permet pas les jugements définitifs qu'on entend par ailleurs.
09:29 Et puis ce second septennat, Anneau-Verjon, c'est celui des morts.
09:33 À l'Élysée, maître des chasses présidentielles, c'est François de Gros-Souvre.
09:37 Il vient à l'improviste plusieurs fois dans son bureau, dans votre bureau, entre 1993 et 1994, date à laquelle il va se suicider.
09:46 "Il faut fuir, ma petite Anne", vous dit-il, "des choses terribles se passent ici, vous êtes la seule innocente,
09:52 il faut partir, fuyez pendant qu'il est encore temps".
09:55 Qu'est-ce que vous dites aujourd'hui de ces mots qu'il prononçait dans votre bureau ?
09:58 Quand je lui demandais tout simplement qu'est-ce qu'il voulait me dire par là, je n'ai jamais eu de réponse.
10:03 Donc j'ai le sentiment qu'à l'époque, François de Gros-Souvre était un peu perdu, perdu dans un entrelac compliqué.
10:14 Alors je ne le connaissais pas bien, je n'allais pas aux chasses présidentielles, mais tout cela était bien triste.
10:19 Merci Anneau-Verjon. La promesse paraît aujourd'hui chez Grasset.
10:22 Et merci à vous Sonia De Villers, on souhaite un bon rétablissement à Mathieu Noël qui avait plus de voix ce matin.