Pourquoi la BCE retarde et limitera la baisse des taux [Olivier Passet]
Faut-il d’urgence baisser les taux en Europe ? Le cas de la zone euro n’est pas celui des États-Unis. Premièrement, la décélération de l’activité y est bien palpable. Deuxièmement, l’inflation se rapproche de sa cible des 2%. Troisièmement, l’exubérance boursière n’y a pas la même ampleur. Quatrièmement, certains États (au premier rang desquels la Grèce, l’Italie, la France et l’Espagne) sont en position encore très vulnérable en termes d’endettement, et l’ancrage des taux à des niveaux élevés les menace plus que les États-Unis, faute de disposer du privilège exorbitant du dollar. Enfin, les délais de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle y sont réputés plus longs, du fait notamment de marchés financiers moins profonds et notamment d’un marché obligataire corporate moins développé. [...]
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00:00Faut-il d'urgence baisser les taux en Europe ? Le cas de la zone euro n'est pas celui des Etats-Unis.
00:14Premièrement, la décélération de l'activité y est bien palpable.
00:19Deuxièmement, l'inflation se rapproche de sa cible des 2%.
00:23Troisièmement, l'exubérance boursière n'y a pas la même ampleur.
00:27Quatrièmement, certains Etats, au premier rang desquels la Grèce, l'Italie, la France et l'Espagne,
00:33sont en position encore très vulnérable en termes d'endettement.
00:37Et l'enquistement des taux à des niveaux élevés les menace plus que les Etats-Unis,
00:42faute de disposer du privilège exorbitant du dollar.
00:46Enfin, les délais de transmission de la politique monétaire à l'économie réelle y sont réputés plus longs,
00:53du fait notamment d'un marché financier moins profond et notamment d'un marché obligataire corporate bien moins développé.
01:01Pourquoi alors tarder ?
01:03Il y a trois arguments principaux à la prudence de la BCE.
01:06D'abord le fait que l'inflation courante donne une image trompeuse de la vitesse de la désinflation.
01:12L'énergie et l'alimentaire bonifient le tableau, contrairement aux deux années qui ont précédé.
01:17Et en vérité, un rélicat d'inflation demeure bien palpable dans les services et dans une moindre mesure dans les biens.
01:25Surtout, un seuil de résistance s'esquisse depuis plusieurs mois, suggérant que le dernier point de baisse sera difficile à rogner.
01:34En cause, une dynamique salariale qui surplombe maintenant l'inflation courante.
01:39En cause aussi, une productivité en berne.
01:42La conjonction de ces deux éléments produisant une forte pression sur les coûts unitaires.
01:48Ensuite, le fait que les taux longs résistent à la baisse alors que la décrude est au cours est anticipée.
01:55Ce qui suggère d'une part que les marchés demeurent circonspects sur l'aboutissement du processus de désinflation.
02:02Ce qui suggère aussi une forte tension sur l'épargne.
02:06Les besoins de financement des États sont en effet considérables,
02:10avec en tête les États-Unis qui exercent une fonction massive sur le marché de la dette souveraine.
02:16Dans ce contexte, une décrue trop rapide des taux monétaires, fragilisant la préférence pour l'épargne,
02:22risquerait en retour d'aboutir à l'effet contre-productif d'une majoration des taux longs.
02:29Cela entacherait la crédibilité du pilotage monétaire et annulerait ses effets bénéfiques.
02:36Enfin, l'action de la BCE demeure conditionnée par celle de la Fed.
02:40C'est principalement le taux de change qui est en jeu ici.
02:44Une dépréciation de l'euro risquerait de réarmer le processus inflationniste.
02:50Le risque que prend la BCE en prolongeant le statu quo, c'est d'approfondir inutilement la récession
02:58et de tarir les recettes de l'État et des entreprises, et les sources d'autofinancement de l'investissement.
03:04C'est-à-dire d'enquister le problème de la dette, de saper l'investissement à l'heure où les besoins sont considérables
03:11sur le front du climat, de la défense, de l'indépendance stratégique, etc.
03:17C'est aussi d'exacerber la question du déficit de productivité qui se convertit en inflation par les coûts.
03:24Face à ces dilemmes, la BCE n'a donc d'autre choix que d'émettre des signaux clairs de détente de la politique monétaire à venir,
03:32d'en différer la mise en œuvre et de ne procéder ensuite qu'à un reflux très prudent et graduel de ses taux directeurs.
03:40Quoi qu'il en soit, les marchés surestiment l'impact des taux directeurs sur les échéances longues.
03:46La BCE va avoir énormément de peine à produire une détente financière sur toutes les échéances d'emprunt
03:53par le seul truchement de son action sur les taux monétaires.
03:57Les tensions qui pointent aujourd'hui sur les taux longs n'ont que partiellement à voir avec les anticipations d'inflation.
04:03Elles touchent la composante réelle des taux et relèvent bien plus des incertitudes géopolitiques,
04:10de la fragilisation financière des émergents, qui constitue une contrepartie essentielle de ces marchés,
04:17et surtout de la normalisation des bilans des banques centrales après la politique d'artificialisation des taux longs issus du quantitative easing.
04:27La résistance à la baisse des échéances longues provient notamment, pour une large part, du reflux des achats sans trop de titres sur les marchés obligataires.
04:37Or, pour que la baisse des taux courts morde sur l'ensemble de la pente des taux, il faudrait que les grands argentiers regonflent leur bilan.
04:45Ce n'est pas la direction qu'ils souhaitent prendre.
04:48Et pour y parvenir, ils ont besoin de tempérance sur la dette et d'arbitrages privés favorables à l'épargne, autrement dit de taux plus élevés que par le passé.
04:59Bref, même si l'on peut sur le papier souhaiter un volontarisme plus franc de la BCE en faveur de l'activité,
05:06il n'aura pas lieu et n'aurait de toute façon pas l'efficacité espérée.