Forains, l'art en fête (2023)

  • il y a 6 mois
Forains, l'art en fête est un documentaire français réalisé par Nicolas Autheman et Marc Bellini, diffusé sur Arte en 2023.

Le film explore l'univers des forains et leur contribution à l'histoire de l'art. Il retrace l'évolution des fêtes foraines à travers les siècles, depuis leurs origines médiévales jusqu'à nos jours.

Le documentaire montre comment les forains ont été à l'avant-garde de l'innovation artistique, en inventant de nouvelles techniques de spectacle et en s'inspirant des cultures du monde entier. Il met également en lumière l'influence des forains sur des artistes tels que Toulouse-Lautrec, Picasso et Chagall.

Le film est riche en images d'archives et d'interviews de forains, d'historiens et d'artistes. Il est un véritable hommage à cet univers fascinant et souvent méconnu.

Voici quelques informations supplémentaires sur le film :

Date de diffusion : 2023
Durée : 52 minutes
Réalisateurs : Nicolas Autheman et Marc Bellini
Production : Arte France, Les Films d'Ici

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TV
Transcript
00:00 [Musique]
00:03 [Musique]
00:32 Il existe un monde où la foule plonge dans les étoiles.
00:36 Un espace où les lumières effacent tous les repères.
00:40 Un endroit où les enfants ont appris à piloter des aéronefs
00:48 et les parents à traverser les murs des châteaux hantés.
00:52 Le monde de ceux qui viennent d'ailleurs
00:58 et que l'on appelle depuis des siècles, avec leurs attractions et leurs manèges,
01:02 les forains.
01:04 Vous voici ainsi venus, petits et grands, au défouloir.
01:13 Laissez-moi s'il plaît à vous, vous raconter une autre histoire de l'art.
01:21 [Musique]
01:50 [Musique]
02:00 Il y a près de vingt ans, j'ai commencé à filmer dans des ateliers de peintres forains.
02:05 C'est moi ici qui déplace la table.
02:08 A l'époque, je n'imaginais pas que derrière ces décors
02:15 pouvait se cacher un patrimoine d'une telle richesse.
02:19 [Musique]
02:28 Si j'ai pu accéder à ce monde en apparence chaotique,
02:31 c'est parce qu'une partie de ma famille est foraine.
02:34 Elle travaille encore aujourd'hui à la Foire du Trône, près de Paris.
02:39 Sûrement la plus belle fête foraine en France.
02:44 [Musique]
02:57 Au cours de mes recherches, j'ai fini par accumuler toutes sortes d'images étranges,
03:02 possédant leur poésie propre.
03:04 J'ai découvert que les forains avaient créé un art singulier
03:12 et qu'ils avaient inspiré les plus grands artistes de leur temps.
03:15 Des peintres, des photographes et des cinéastes.
03:22 Mais que ces créations n'avaient pas encore trouvé leur place dans les musées.
03:27 Pourquoi cette mise à l'écart ?
03:33 En France, on s'est peu intéressé à ce courant populaire de l'histoire de l'art.
03:38 Sauf Zève, Zève Gourarier.
03:41 Conservateur des musées nationaux, l'un des pionniers de la recherche sur le monde forain.
03:46 Au musée d'Orsay, à Paris, se trouve pour Zève, l'une des pièces maîtresses de ce grand puzzle éparpillé.
04:08 Là, on voit bien la façon dont sont traitées ces deux peintures.
04:11 Ça peut être Toulouse-Autrec, elles sont quand même au coin, quelque part.
04:15 Elles sont mal encadrées, enfin elles sont encadrées,
04:18 mais on ne sait pas, on ne va pas mettre un cadre doré quand même sur des peintures foraines,
04:21 donc on ne sait pas sur quel pied danser.
04:23 Donc elles sont là, elles ont effectivement une salle pour elles toutes seules,
04:28 mais elles sont un peu perdues dans cette salle.
04:30 Mais personne ne s'est dit, tiens, c'est des peintures foraines,
04:33 qu'est-ce que ça signifie par rapport à la fête foraine ?
04:36 C'est tellement bas, la fête foraine, que ça ne mérite même pas qu'on s'y intéresse,
04:40 et que lorsqu'on fait allusion à quelque chose qui aurait pu servir de modèle, on dit c'est l'affiche.
04:45 Alors là, je montre vraiment très clairement que l'affiche n'a jamais fonctionné comme ça.
04:49 En 1895, Toulouse-Lautrec peint une toile tendue,
04:58 destinée à présenter le spectacle de la célèbre danseuse Louise Weber, surnommée "La Goulue".
05:04 Ce qui a longtemps été vu comme un tableau de maître,
05:11 est en réalité un pur décor forain,
05:14 destiné à des dompteurs installés à la foire du Trône.
05:18 Sur deux panneaux distincts,
05:22 le peintre représente l'ancien spectacle de danse de la Goulue à Montmartre,
05:26 puis celui qui se déroule à l'intérieur de la baraque.
05:33 Le peintre s'est lui-même représenté deux fois,
05:36 les yeux exorbités devant la qualité du spectacle qu'il nous invite à voir.
05:40 Au premier plan, les grandes stars sulfureuses de l'époque,
05:49 comme la danseuse Jen Avril ou l'écrivain Oscar Wilde.
05:52 Plus que des célébrités, le peintre reprenait des codes propres à la peinture foraine.
06:01 Autre caractéristique de la peinture foraine, les personnages de plein pied.
06:08 Non seulement on représente à l'extérieur sur les toiles peintes le spectacle qu'on va voir,
06:14 ou qu'on a déjà vu,
06:16 mais on représente aussi des personnages de plein pied,
06:19 et si possible avec des effets où il y a beaucoup de monde.
06:21 Il y a une raison à ça, il y en a plusieurs.
06:24 La première c'est que je regarde ça, j'ai envie de rentrer dans le tableau.
06:29 En tout cas j'ai envie de rentrer dans la baraque pour voir ça.
06:31 Et il faut se remettre dans le contexte de la foire du trône.
06:34 Mais vous avez des manèges qui font un bruit pas possible,
06:36 vous avez des tirs forains, vous avez des gens qui proposent des spectacles à droite et à gauche.
06:41 Donc si vous n'avez pas une peinture qui donne fortement envie d'entrer,
06:47 qui est très forte, eh bien on va passer à côté de vous et on ne va pas rentrer.
06:51 Tomozo Trek remploie des personnages qu'il a déjà peints,
06:54 mais il nous les présente, alors ce n'est pas tout à fait plein pied,
06:58 mais très grand, et vraiment en donnant l'impression que vous faites partie du tableau.
07:04 Au premier rang il y a ces personnages très connus,
07:07 et ensuite il y a nous qui faisons partie du tableau, et nous regardons quoi ?
07:11 Nous regardons cette fois-ci la goulue en majesté au centre du tableau,
07:16 avec sa coiffure, dans sa danse de l'albion.
07:20 Ces baraques de la goulue, elles participent de quelque chose,
07:25 c'est le rite de passage avant de rentrer dans quelque chose.
07:28 Et ça c'est très important, c'est une des choses que nous avons à la Fête Foraine,
07:32 c'est que pour apprécier vraiment un spectacle, il faut être préparé, il faut être conditionné.
07:37 Et ces baraques, ces peintures, elles nous conditionnent,
07:40 elles n'ont pas du tout la même fonction qu'une affiche ou un tableau.
07:44 L'attendue de Toulouse-Lautrec est l'un des exemples qui nous est parvenu de cet art né avec la Fête Foraine.
07:50 En France, la plus grandiose de toutes est la Foire de la Fête.
08:03 C'est ici que se trouve le plus grand spectacle de la Fête.
08:08 En France, la plus grandiose de toutes est la Foire du Trône.
08:13 Aussi incroyable que cela puisse paraître, la première Foire du Trône a eu lieu en 957,
08:23 près de l'abbaye de Saint-Antoine, soit il y a plus de mille ans.
08:28 Le principe d'origine reste depuis le même, l'entrée est toujours gratuite.
08:36 Chaque forain doit alors attirer les foules vers son manège grâce à la qualité de ses décors, de ses peintures, de sa lumière ou de sa musique.
08:50 En passant du temps avec les forains, j'ai appris qu'ils ne parlaient jamais de manège ni même d'attraction, ils les appellent des métiers.
09:02 Celui de Louis Joubert, une figure de la Foire du Trône, est son grande oeuvre.
09:11 Lui aussi a essayé comme moi de rassembler depuis des années une partie de l'histoire foraine.
09:22 Les forains ont l'esprit créatif, parce qu'on n'a pas les moyens de pouvoir acheter, de pouvoir prendre un électricien, de pouvoir prendre un plombier, donc on fait tout de nos mains.
09:33 Et les manèges, c'est les forains qui ont les idées de créer leur manège, c'est l'esprit créatif et on est toujours à la recherche de nouveautés, d'inventions.
09:45 On cherche toujours des parades pour évoluer et c'est ce qui fait notre force, parce qu'on n'a pas les moyens d'acheter du tout fait.
09:52 Donc avec le peu de moyens qu'un bout de ficelle, on vous fait un manège, en deux minutes c'est réglé. On sait tout faire, on sait tout faire de nos mains.
09:59 On n'a peut-être pas été à l'école longtemps, on n'est pas ingénieurs, mais je pense qu'on a les capacités de pouvoir vraiment s'adapter aux exigences du public.
10:10 On est artistes, parce qu'on arrive dans la lumière, on met de la musique, on parle au micro et on se sent, on revit. On est bien dans notre élément.
10:18 Attention, départ !
10:20 C'est la lumière qui attire la clientèle ici, parce que c'est une première, ça ne s'est jamais fait avec un ciel de tour comme ça.
10:31 Et avec le nombre de LED, c'est vraiment impressionnant. Surtout quand on met un petit coup de fumée, on a les lasers qui ressortent dedans.
10:40 Et là c'est beau, ça fait des étoiles comme ça, quand ça scintille.
10:44 C'est comme les papillons, on n'attire pas de mouches avec du vinaigre. Le monde pharaon c'est la lumière, c'est la clarté, c'est le mouvement.
10:56 Comme à l'époque de Toulouse-aux-Plaques et autres, parce qu'il y en a beaucoup.
11:01 Vous sauriez me dire combien de fois vous avez peint Sylvie Vartan et Johnny Hallyday ?
11:16 Trop, trop souvent.
11:21 Il se passait plus que Johnny Hallyday, non ? Il se passait, j'ai fait ça.
11:25 Là ici, vous avez des trains fantômes, quatre trains fantômes que j'ai faits.
11:31 Les artistes ont toujours aimé trouver sur la fête foraine des jeux de lumière particuliers.
11:39 C'est pour comprendre ce lien que j'ai rencontré à plusieurs reprises des peintres de décors forains.
11:46 Essayer de percer leurs secrets de fabrication.
11:51 L'un des plus grands maîtres en France fut Jacques Courtois.
11:55 Il a passé sa vie à créer des mondes pleins d'inventivité et de détournement.
12:01 J'ai essayé de compter combien de fois j'avais fait le même manège.
12:14 J'ai travaillé pour un constructeur allemand qui me donnait deux à trois manèges par mois.
12:21 Et j'ai travaillé pour lui pendant dix ans.
12:25 Donc déjà, rien que là, vous comptez déjà, trois manèges sur dix mois, ça faisait 30 par an.
12:31 30, ça fait 300 manèges pour lui que j'ai fait, pour le HUS, le fabricant allemand.
12:38 À force de passer du temps sur les fêtes foraines, j'ai fini par être fasciné par toutes ces peintures que l'on ne remarque jamais.
13:06 La plupart des artistes forains sont restés anonymes au cours de l'histoire.
13:11 En cherchant à remonter à l'origine des liens entre la peinture et les forains, j'ai fini par découvrir un tableau exceptionnel.
13:21 Une œuvre flamande du 16e siècle du peintre Peter Balton, qui décrit précisément la vie des forains à ses tous débuts.
13:32 Au départ, tout commence par une procession religieuse.
13:40 Une fête annuelle organisée autour de l'église en l'honneur d'un saint local.
13:49 Les marchands venus de l'extérieur de la ville profitent de l'occasion pour vendre toutes sortes de produits nouveaux.
14:00 C'est la célèbre foire du Moyen-Âge.
14:03 Pour nourrir ces gens venus d'ailleurs, une profusion de victuailles et bien évidemment d'immenses beuveries.
14:14 Certains vont alors monter sur les bancs pour y donner des petits spectacles.
14:29 Une activité qui sera à l'origine du mot "salta in banco", littéralement "salta in banco", ce qui saute sur les bancs, les premiers forains.
14:39 C'est une carte, une carte noire.
14:42 J'ai une carte rouge ici.
14:46 J'ai appris par Zev Gourarier qu'il existait en Europe un autre spécialiste de l'art forain, Florian Gourarier.
15:02 Je l'ai rencontré à Munich à Lauerdult, une foire annuelle qui a conservé encore la structure ancienne, organisée entre marchands d'un côté et forains de l'autre.
15:12 Il y a un lieu vide.
15:20 Il y a un lieu vide.
15:24 Il y a une place vide au départ, complètement vide.
15:32 Et puis la place commence à se remplir de baraques, de petites choses.
15:39 Cela signifie que tous ces stands sont installés, et même sur une grande place, à la fin il y a comme un grand bâtiment.
15:50 Tous ces stands sont installés, et même sur une grande place, à la fin il y a comme une petite ville complète.
15:56 Il n'y avait rien avant.
16:00 Et puis vous êtes là, vous traversez cette ville et vous avez une multitude d'impressions.
16:11 Des images, bien sûr, quelque chose de très important, la lumière, évidemment l'acoustique, tous les sons qui s'y ajoutent.
16:20 Tout cela a une évolution propre.
16:25 Mais celui qui monte sur un manège de chaises volantes depuis des années, si vous lui demandez disons, dis-moi qu'est-ce qu'il y a exactement sur les chaises volantes,
16:38 il dira je ne sais pas, de la couleur, des lumières, il ne sait pas.
16:42 Mais bien sûr, il l'a inconsciemment intériorisé, c'est dans sa tête.
16:47 Dans ce manège, c'est le peintre Konrad Hox, qui était un peintre berlinois très célèbre, qui a fait ces tableaux.
17:01 Et personnellement, je les aime beaucoup, parce que quand tu regardes là-haut, tu vois ces belles silhouettes noires féminines.
17:08 Elles sont très, très décoratives et très fines.
17:13 Et c'est pourquoi c'est un plaisir que ce manège existe encore.
17:18 L'art forain est indissociable de sa naissance sur les foires.
17:29 Il est en lien direct avec toutes les autres expériences proposées sur place.
17:33 Boire, manger, danser, rêver, tout ce qui permet d'oublier son quotidien.
17:49 [Musique]
18:01 Il y a par essence dans la fête foraine quelque chose de toujours éphémère.
18:06 [Musique]
18:15 Les show-stylistes n'ont pas conservé ces choses.
18:18 L'effort à eux-mêmes n'ont pas conservé ces choses.
18:22 Car pour eux, lorsqu'ils décidaient de refaire leur façade, soit ils la ponçaient s'il s'agissait d'une façade en tôle, et le peintre repeignait.
18:33 Soit elle était tellement endommagée qu'ils pouvaient éventuellement l'utiliser pour réparer leur toit sur le site de stockage.
18:41 Mais ils ne la conservaient pas.
18:44 [Musique]
18:47 Pour eux, c'était de la peinture utilitaire.
18:51 Et sa valeur était perdue si elle ne pouvait plus être utilisée sur la façade.
18:56 [Musique]
19:00 Il y avait des peintres forains qui ne peignaient que pour les forains, et il en existe encore aujourd'hui.
19:07 Ces peintres doivent être capables de peindre très vite et être très talentueux, et souvent peindre dans des conditions difficiles.
19:14 Car ils n'avaient pas toujours leur beau et chaud atelier.
19:18 [Musique]
19:22 Parfois, ils devaient travailler sur un site de stockage quelconque ou sur une place de fête, en fonction du type d'attraction.
19:31 [Musique]
19:48 Gérald ?
19:50 Oui ?
19:51 Vous faites tous vos aplats au pinceau ?
19:56 Par où ?
19:59 Par le pinceau ou à la brosse ?
20:01 Une grosse brosse, oui.
20:03 Ça va.
20:05 Brosse comme ça.
20:07 Je ne l'ai pas vue.
20:09 Comme ça.
20:11 [Musique]
20:18 J'ai fini par mieux comprendre ce que les forains avaient apporté à la grande peinture,
20:24 et j'ai pu voir en particulier en banlieue parisienne le travail de Gérald Dossiette, qui a longtemps été l'assistant de Jacques Courtois.
20:31 [Musique]
20:36 La composition sur ces surfaces gigantesques révèle une maîtrise insoupçonnée des techniques de la peinture.
20:43 [Musique]
20:47 Des fois, eux m'apportent des documents, surtout maintenant avec Internet, cette pratique.
20:53 Ils choisissent leurs documents, ils me les apportent, et en fonction de leurs documents, j'ai d'abord un projet pour eux.
21:00 Il y a beaucoup d'éléments là-dedans qui ont été choisis par lui, des vedettes entre autres, il y a Jennifer Lopez, il y a Brad Pitt,
21:07 il y a les chanteurs du groupe 50 Cent, Tyson, il y en a quasiment que des vedettes.
21:16 Quelques-uns viennent d'ailleurs, mais beaucoup, beaucoup de vedettes.
21:20 Si on a des personnages fixes, on va voir que ça va faire un peu galerie de portrait, portrait de famille, comme ça,
21:26 toc, toc, toc, les personnages posés les uns contre les autres, sans mouvement, sans… il faut que tout ça, ça vibre.
21:31 C'est pour ça qu'il faut qu'il y ait des axes comme ça, des mouvements qui se prolongent d'un personnage à l'autre,
21:39 qu'il faut une continuité dans l'ensemble, pas que ça fasse juste poser un élément, un élément, un élément.
21:45 Le mouvement, l'équilibre, la composition.
21:57 Autant de codes que suivent les forains depuis des siècles pour apporter à la peinture une autre représentation du monde.
22:07 La fête à Saint-Cloud, du peintre Fragonard, raconte le passage de la foire à la fête foraine.
22:19 Sur la gauche, un vendeur d'herbes miraculeuse vante à un public captivé les propriétés de sa marchandise.
22:31 Une toile tendue, comme celle peinte par Toulouse-Lautrec, précise toutes les caractéristiques du produit magique.
22:41 Sur la droite apparaît un monde de plaisir, dans lequel l'ambiance est plus détendue.
22:53 Peu à peu, la foire médiévale disparaît et laisse place aux activités de loisirs.
23:09 Au centre du tableau, un objet illustre ce passage.
23:17 Une grosse boîte peinte surmontée d'une loterie marquée par des flèches qui permet aux gagnants d'y saisir des gâteaux sucrés.
23:26 Un luxe pour l'époque, représenté dans ce tableau peint il y a près de 250 ans et aujourd'hui conservé précieusement à la Banque de France.
23:40 Mais à l'inverse des toiles de maître, la majeure partie des objets et décors peints par les forains n'ont jamais vraiment été répertoriés.
23:52 Hormis par Zeev Gourarier, qui aura passé sa vie à rassembler, au sein de son groupe de maîtres, des objets et des décors qui n'ont jamais été répertoriés.
24:04 Hormis par Zeev Gourarier, qui aura passé sa vie à rassembler, au sein du Musée des Arts et Traditions Populaires, puis au Mucem, toutes sortes d'objets forains.
24:14 Les méandres de la mémoire ressemblent parfois aux couloirs tortueux des réserves de musées.
24:33 Je suis tout fier, à cause du tableau de Fragonard, d'avoir fait rentrer un rouleau de marchand d'oublis.
24:39 Il n'est pas en très bon état, mais voilà la petite loterie qui était au-dessus.
24:45 Selon où vous étiez, vous gagnez une, deux ou trois oublis.
24:49 Les oublis, c'est des petites pâtisseries, c'est un peu comme les chichis de Marseille sucrées, que les enfants pouvaient gagner à la loterie.
25:02 On ne les oublie pas, mais on les voit bien au centre du tableau de Fragonard.
25:05 Autre objet tout à fait extraordinaire, un hippocampe de manège.
25:30 Celui-là, j'ai fait le voyage en Angleterre pour l'acheter, et j'étais en concurrence avec un autre acheteur américain.
25:36 Et c'est une des fois où j'ai explosé un budget, j'ai eu mauvaise conscience parce que je l'ai acheté très très cher,
25:43 mais c'est un des rares endroits où vous pourrez voir un hippocampe de manège.
25:48 [Musique]
25:51 Alors on peut se poser la question effectivement, ces attractions foraines c'est bien joli, mais quel intérêt ça a dans un musée ?
26:06 De conserver des chevaux de bois, des boîtes de tir, vous allez où avec ça ?
26:13 Eh bien, pour moi qui suis fils de déporté, je me suis dit je vais faire autre chose.
26:18 La société fonctionne un peu à rebours de la façon dont personnellement je fonctionne, et j'espère que la plupart des gens fonctionnent,
26:25 c'est-à-dire qu'on essaye de se rappeler des bons souvenirs et d'oublier les mauvais.
26:29 Les bons souvenirs de la société, c'est aussi la fête foraine, et je suis un peu le conservateur des bons souvenirs de la société.
26:36 [Musique]
26:40 [Musique]
26:43 À partir du XIXe siècle, l'influence de la fête foraine s'intensifie.
26:55 Elle n'est plus seulement comme chez Fragonard un prétexte pour aborder des thèmes joyeux.
27:01 [Musique]
27:06 [Musique]
27:09 La technique des peintres entre en résonance immédiate avec ces courants de l'art moderne qui veulent bousculer toutes les règles.
27:25 [Musique]
27:34 Même les personnages qu'on voit dans les haubans sont beaucoup trop petits par rapport aux haubans qui sont là.
27:42 Il n'y a aucune perspective. C'est vrai que les proportions sont un peu bizarres.
27:50 Les bateaux là devraient être beaucoup plus petits si on était vraiment dans la vraie vie.
27:58 Un fond foncé, des éclairages au fur et à mesure, et puis les petits coups de blanc à la fin qui vient donner des petits effets de brillance.
28:05 Pareil pour les yeux, le petit point dans l'œil. Ça c'est important, les forains ils aiment bien ça.
28:11 Le petit point dans l'œil, des couleurs et du mouvement. C'est ce qu'ils veulent avant toute chose.
28:18 Ce côté très coloré, ça paraît toujours un peu criard pour les gens du milieu d'art. Ça les choque un peu.
28:30 Tu deviens quoi ? Tu vois, tu es toujours encore là.
28:38 C'est formidable. Ça n'a pas bougé.
28:42 Avec moi il a eu beaucoup de travail.
28:47 Tous les coins étaient… là normalement il y aurait eu un truc dessus, mais là il y en avait trois.
28:54 Il faut que les gens regardent et que l'année après ils disent "Ah ben ça on n'avait pas vu".
29:03 Ils ne sont pas fatigués de quelque chose.
29:06 Mais lui il est vraiment bien. On a des artistes qui sont bien, mais on a des artistes qui sont indémodables.
29:18 Je suis hollandaise.
29:22 C'est un peu comme ça.
29:24 C'est un peu comme ça.
29:27 C'est un peu comme ça.
29:30 C'est un peu comme ça.
29:33 C'est un peu comme ça.
29:36 C'est un peu comme ça.
29:39 C'est un peu comme ça.
29:42 C'est un peu comme ça.
29:45 C'est un peu comme ça.
29:49 C'est un peu comme ça.
29:52 En 1922, le peintre Robert Delonney tente d'en recréer l'atmosphère lumineuse et étourdissante.
29:59 Ce qu'il appelle une orchestration mouvementée voulant obtenir un grand éclat.
30:10 Comme les forains, le peintre, pour marquer l'œil, retient les couleurs primaires.
30:19 Et il montre quelque chose de radicalement nouveau.
30:22 Notre perception des couleurs change en fonction de celles que l'on place à leur côté.
30:27 Une expérience chromatique en mouvement qui bouleverse la perception du monde.
30:34 Exactement comme dans un manège.
30:45 Cette peinture de Delonney, c'est le manège de cochon.
30:49 On voit les jambes de la goulue, si vous voyez bien, au milieu.
30:52 Puis là, à mon avis, je pense que c'est le cochon.
30:55 Et ça représente un petit peu la féerie des feux de foraine, les couleurs, la lumière.
31:00 J'ai refait tout le plafond parce qu'on peut parler de symphonie, d'aller dans les lumières.
31:06 Ça ne me correspondait pas, c'était trop strict les dernières.
31:09 Donc j'ai refait le programme cette année.
31:13 Et donc de manière à pouvoir faire un petit peu plus de ronds et de...
31:17 C'est plus un milieu.
31:19 La fête foraine va accompagner l'art moderne dans toutes ses formes.
31:32 Après la peinture, c'est naturellement la photographie qui va trouver ici un nouvel espace d'expression.
31:39 La fête foraine est un lieu où s'expérimentent de nouvelles machines et forcément de nouveaux appareils photographiques.
31:49 Comme par exemple le tir photo.
31:53 Un dispositif photographique surprenant qui se déclenche seulement si l'on parvient à atteindre le centre d'une cible.
32:01 [Musique]
32:19 J'ai découvert en compagnie de Carole Houroué, spécialiste de la littérature et du cinéma de cette époque,
32:25 qu'un très grand nombre d'artistes s'étaient emparés de ces dispositifs.
32:30 [Musique]
32:38 En tête, un groupe radicalement novateur mené par l'écrivain André Breton, le fondateur du mouvement surréaliste.
32:46 Les surréalistes, qui sont de jeunes gens qui ont envie en quelque sorte de décompresser,
32:53 ils vont aussi à la fête foraine pour s'encanailler, pour faire des rencontres, pour draguer.
32:59 Autre dispositif qu'ils affectionnent particulièrement, et peut-être encore plus,
33:03 parce qu'en fait c'est un dispositif qui permet un portrait collectif,
33:07 c'est le dispositif qui consiste à aller placer sa tête dans des panneaux, des décors qui sont découpés.
33:15 Ça permet de changer de vie, ça permet de revêtir des tenues qui peuvent être extravagantes,
33:20 et surtout ça permet de vous positionner dans des situations qui peuvent être tout à fait loufoques ou irrévérencieuses,
33:28 et ça permet également de couper complètement avec les règles traditionnelles du portrait que les surréalistes connaissent,
33:34 les portraits posés qu'ils ont faits quand ils étaient petits et isolés.
33:38 Ils aiment beaucoup le jeu de massacre, ils aiment beaucoup déstructurer,
33:41 ils aiment beaucoup dynamiter pour essayer de créer autre chose.
33:46 En fait, la devise des surréalistes, si vous voulez, c'est "changer la vue pour changer la vie".
33:51 C'est des choses qu'on va retrouver dans les créations de Man Ray ou dans les créations de Blumenfeld par exemple,
33:57 qui vont nous proposer des Vénus qui justement ont un corps, une sculpture,
34:02 avec une poitrine, des bras qui souvent sont manquants,
34:06 et sur cette partie-là, ils vont insérer, ils vont coller une tête,
34:11 une tête en chair et en os, j'ai envie de dire, une tête de femme avec une chevelure,
34:16 il y a évidemment aussi une érotique voilée très très présente,
34:19 et ils vont créer à leur tour un être hybride.
34:24 Et ils vont en tout cas puiser un certain nombre de réalisations chez les forains,
34:28 et notamment ce démembrement des corps et ce collage.
34:32 L'art moderne prend une nouvelle direction au contact de ses inventions.
34:39 La fête foraine devient, comme dans les premiers films de Man Ray,
34:44 une manière de proposer aux spectateurs une expérience artistique qui ressemble parfois à un rêve.
34:51 [Musique]
34:58 L'heure est à l'exploration de l'inconscient.
35:02 [Musique]
35:11 Man Ray réussit véritablement à partir des mots de Desnos,
35:16 à créer un monde qui est le sien, à créer un monde qui va nous emmener du côté de l'irrationnel,
35:24 de la sensation, d'un montage qui va juxtaposer des séquences a priori sans lien,
35:30 qui va proposer des chaos un peu sémantiques.
35:34 On croit être emmené sur une piste et puis finalement on rebondit sur une autre.
35:38 [Musique]
35:42 Par rapport aux envies des surréalistes de découvrir autre chose,
35:46 il y a une bizarrerie, il y a éventuellement une incongruité qu'ils vont trouver dans la fête foraine.
35:52 [Musique]
36:04 Comme nous vous l'avons annoncé à l'extérieur, nous allons vous présenter Adruide, la fille d'Omas.
36:11 C'est à elle que j'ai l'honneur de vous présenter. Voici Adruide.
36:15 [Cris d'enfants]
36:20 Adruide est à l'état sauvage. Elle est d'un caractère irascible et l'a vu des êtres humains la mettre en fureur.
36:26 C'est pour cela que nous l'avons solidement enchaînée et que ça a été fixé sur un chariot mobile
36:31 afin que dans sa fureur elle n'ait pas à se briser le crâne contre les murs ou le plancher.
36:37 Afin de ne pas nuire à sa santé, nous ne pouvons vous la montrer que quelques courts instants
36:41 car de trop longues séances mettraient ses ders à une trop rude épreuve.
36:45 Mesdames, Messieurs, la séance est terminée.
36:49 Allez les enfants, tout le monde est parti. 5 minutes d'au repos.
36:56 [Musique]
37:15 Sur la foire du trône, mon cousin Stéphane Camorce m'a souvent permis de passer derrière le décor.
37:24 D'avoir accès à des récits rarement partagés.
37:26 Chaque année, Stéphane part en tournée avec son train fantôme inspiré de l'univers de Michael Jackson.
37:45 [Musique]
37:57 De toutes les histoires qui ont associé la fête foraine avec l'art,
38:01 je crois que la plus extraordinaire de toutes, car peut-être la plus injustement oubliée,
38:07 fut celle qui relia à ses débuts les forains au cinéma.
38:12 [Musique]
38:19 Dans ce cas précis, les forains avaient tout simplement participé à l'invention d'un art majeur.
38:25 Celle du cinématographe, apparu pour la première fois en 1895.
38:37 Cette histoire, encore incomplète, m'est parvenue par les très rares documents préservés par une partie de ma famille.
38:43 Ça c'est très très ancien.
38:47 Ça c'est la première demande de place de mon arrière-grand-père.
38:51 De mon grand-père, pardon.
38:53 En 1914, ils avaient le cinéma.
38:56 Alors ils envoyaient ça dans les municipalités.
38:59 A l'époque, il n'y avait pas de mail. C'était des courriers manuscrits.
39:01 Et ils attendaient une réponse favorable.
39:04 Ils envoyaient ça dans toute la France.
39:06 C'est surtout pour promouvoir et expliquer le cinéma.
39:10 Le tout début du cinéma.
39:12 Et puis ça, c'est l'établissement de mes grands-parents.
39:15 Avec, tu vois, tous les cadres.
39:18 Tout ça c'était en bois, en bois sculpté.
39:21 C'était des façades énormes. C'était incroyable pour l'époque.
39:25 Ils transportaient tout ça de ville en ville.
39:27 C'était un cinéma ambulant.
39:30 Alors, ils faisaient 33 mètres de façade.
39:33 10 mètres de profondeur.
39:35 Quand ils ont eu l'idée de faire ça,
39:37 c'était un truc nouveau, mais qui ne plaisait à personne.
39:42 Parce que les gens étaient habitués au spectacle de rue.
39:45 Ils ne trouvaient pas l'intérêt d'aller mettre des gens dans une boîte.
39:47 Et de regarder ça dans une boîte.
39:49 Ils se disaient que les gens ne vont pas s'asseoir à regarder des comédiens.
39:52 Un comédien, on le voit en face.
39:54 Il fait son numéro.
39:56 Et puis voilà.
39:58 Et les gens ont eu du mal à le suivre.
40:00 Ils le prenaient vraiment pour un dingue.
40:02 Surtout sur les fêtes.
40:04 Les faire asseoir et leur faire regarder quelque chose.
40:06 Les gens ne tenaient pas en place à l'époque.
40:08 Parce qu'ils étaient habitués à voir des vrais spectacles.
40:10 En direct, ils n'avaient pas peur. Ils s'en foutaient.
40:13 Ils repartaient pour un an et c'était leur vie.
40:16 [Musique]
40:33 À la Cinémathèque française,
40:35 l'un des seuls endroits qui a conservé avec minutie la contribution des forains au cinéma,
40:40 j'ai rencontré Laurent Manoni, directeur scientifique du patrimoine.
40:45 [Musique]
40:48 Dans ses réserves, existent encore les infimes traces de cette relation intime,
40:52 fusionnelle, entre le cinéma et la fête foraine.
40:56 [Musique]
41:04 Le rôle des forains dans l'histoire du cinéma a été oublié, en fait.
41:09 Et ça, c'est tout à fait injuste et regrettable
41:12 parce qu'ils ont joué un rôle fondamental dans l'histoire du cinéma.
41:15 C'est grâce à eux que le cinéma s'est propagé à travers le monde.
41:18 Et c'est grâce à eux qu'une industrie est née, en fait.
41:21 Donc les forains ne se contentent pas de projeter les films que leur proposent les premiers éditeurs,
41:25 c'est-à-dire Gaumont, Patey, Mandel.
41:28 Ils se mettent à leur tour à produire des films.
41:31 Pourquoi ? Tout simplement parce que les éditeurs de films n'arrivent pas à répondre à la demande.
41:36 Il y a un blocage industriel, si vous voulez, technique.
41:41 Et surtout aussi que les premiers catalogues des éditeurs de films, au fond,
41:46 sont peut-être trop timorés pour les forains.
41:49 Encore une fois, les forains cherchent des sensations violentes.
41:52 Enfin, ce n'est pas eux qui les cherchent, c'est le public.
41:54 Donc il faut trouver des vues un peu lestes, un peu grivoises, un peu violentes, un peu fortes.
42:01 Les forains avaient l'habitude d'user leurs pellicules jusqu'à la corde.
42:05 Ils voulaient exploiter jusqu'à la fin.
42:08 Donc quand on en retrouve, et c'est plutôt rare malheureusement,
42:11 ce sont des pellicules qui sont très abîmées, qui ont été projetées des milliers de fois.
42:15 Mais la production foraine qui subsiste, elle montre quoi ?
42:19 Un vrai plaisir, la jouissance oculaire, si je puis dire,
42:23 vers l'attraction, vers les sensations fortes.
42:37 L'exemple le plus fameux, c'est les films du dompteur Auguste Laurent,
42:41 qui sont des films vraiment choquants, aujourd'hui même encore, qui sont violents carrément.
42:45 Auguste Laurent se distinguait par, c'est un dompteur,
42:49 donc se distinguait par une sorte de bravoure qui frisait la folie à mon avis.
42:53 C'est-à-dire qu'il s'introduisait dans des cages où il y avait des fauves, des lions, des tigres,
42:58 et puis il y mettait une chèvre ou un petit agneau
43:04 pour voir si les lions allaient le bouffer littéralement,
43:07 et grâce à la seule force de son fouet, les malheureux fauves n'osaient pas y toucher.
43:12 Tout ça a été immortalisé par la caméra, et l'un des films les plus magnifiques du dompteur Laurent,
43:17 encore une fois il s'introduit dans la cage avec son fouet, il y a des lions absolument monstrueux,
43:22 et il introduit dans la cage l'Aloï Fuller,
43:26 une actrice qui va jouer le rôle de l'Aloï Fuller, cette danseuse merveilleuse avec ses voiles.
43:32 On voit effectivement que cette femme d'un courage quand même fabuleux
43:35 va commencer à danser dans la cage au milieu des fauves, au milieu des lions,
43:39 et tout ça est enregistré par la caméra, et tout ça est soigneusement peint au pinceau, image par image.
43:45 Et le résultat est un film aujourd'hui encore choquant, enfin c'est extraordinaire de voir ça, c'est de la folie.
43:51 [Musique]
44:15 Les forains ont amené dès le départ le cinéma vers l'exploration des marges.
44:20 [Musique]
44:22 Ils avaient à coeur de donner à voir ce que personne ne voulait regarder.
44:26 [Musique]
44:36 Depuis toujours, la foire puis la fête foraine ont exposé celles et ceux qu'elles appelaient les phénomènes.
44:43 [Musique]
44:45 Les difformes, les monstres, les étranges.
44:49 [Musique]
44:55 Les forains ont rendu visible une autre humanité.
44:58 [Musique]
45:02 Et il y a eu des phénomènes entre guillemets qui sont devenus de célèbres exploitants du cinéma.
45:09 Et le plus célèbre d'entre eux c'est Nikolai Kobelkov, qui était un russe,
45:13 qui n'avait ni bras ni jambes, et qui a tenu une baraque foraine très luxueuse de cinématographes,
45:21 qui montrait des films du répertoire des idées de films, mais qui s'est lui aussi filmé,
45:26 et donc qui se projetait lui-même sur scène dans ses exercices de peinture, d'écriture.
45:33 En fait, il y avait quelque chose de très important de Kobelkov, c'est qu'il ne voulait pas qu'on s'apitoie sur lui.
45:40 Au fond, on le considère comme un phénomène et qu'on ait peur de lui.
45:45 Donc il insistait d'une façon extraordinaire sur le fait qu'il était non pas un homme tronc,
45:50 mais un artiste tronc.
45:52 Et pour ça, peut-être que son travail a été considérable au fond,
45:55 pour faire en sorte aussi que les phénomènes dans les faits de foraines
45:58 ne soient cesse d'être considérés comme des créatures ratées ou abominables,
46:04 comme il était tendance qu'on les regarde à cette époque.
46:07 Ça va devenir une figure importante dans l'histoire du cinéma, dans le sens effectivement où
46:10 quelqu'un comme Todd Browning, dans le film "Freaks",
46:13 qui est un chef d'œuvre absolument merveilleux de l'histoire du cinéma,
46:17 il va se plonger dans cette faite foraine-là,
46:21 dans cet art de "représenter les phénomènes".
46:27 [Musique]
46:56 Le cinéma c'est quand même grâce aux forains que c'est vraiment parti en flèche.
46:59 Ensuite les frères Pathé ont loué leurs films,
47:03 et loué leurs films aux forains,
47:05 parce que les forains avaient des structures bien adaptées pour la présentation du cinéma.
47:10 Et lorsque l'électricité a commencé à se développer dans les villes,
47:14 les frères Pathé se sont aperçus qu'ils pouvaient faire du cinéma maintenant dans les cinémas enfermés.
47:20 Donc ils ont taxé les forains, et leur loué des films beaucoup plus chers.
47:25 Mais parce qu'ils savaient que les forains étaient toujours bricoleurs,
47:29 lorsque le film était cassé, coupé, les forains reprenaient le film, ils le ressoudaient.
47:33 Donc de temps en temps, dans les films, il manquait quelques images et quelques versions.
47:38 À la fin, plus ça allait, plus le film se réduisait.
47:41 Donc les frères Pathé ont décidé, indirectement,
47:46 de demander beaucoup plus d'argent aux forains pour la location des films.
47:51 Et c'est comme ça que le cinéma forain s'est arrêté dans les années 1920.
47:56 On a perdu ce sens spectaculaire, cette pratique sensorielle,
48:01 cette pratique immersive que seuls les forains proposaient à cette époque.
48:05 Et c'est un art perdu, c'est très important.
48:08 Et les secrets de cet art perdu sont très difficiles à retrouver.
48:12 Et tout ce qui nous permet de reconstituer cet univers-là,
48:17 va nous permettre aussi de remettre le forain à sa juste place dans l'histoire du cinéma.
48:21 Pour moi, c'est fondamental.
48:24 [Bruit de téléphone]
48:46 On se demande toujours, dans la profession, qu'est-ce que vous faites comme profession ?
48:51 Vous vous dites, moi je suis ceci, moi je suis ça.
48:53 Et moi, j'avais toujours l'impression de dire, je suis forain.
48:56 Parce que j'avais toujours l'impression que c'était mal perçu.
48:59 Et maintenant, je n'ai pas de complexe à dire, je suis forain.
49:02 Je dis aisément, je suis forain.
49:04 Et lorsque je dis ça, les gens disent, ah vous êtes forain ?
49:07 Oh, qu'est-ce que c'est magnifique comme métier !
49:10 Lorsque j'étais jeune, ils disaient, j'allais à la fête foraine.
49:12 Qu'est-ce que j'ai comme bon souvenir avec mes parents ?
49:14 On allait à la fête foraine, on revenait le soir, on était épuisés, fatigués.
49:17 On avait fait des tours de manège et c'était formidable.
49:20 Et donc, c'est pour ça que maintenant, je dis aisément que je suis forain, je n'ai pas de complexe.
49:23 Ça me fait plaisir de dire, je suis forain.
49:25 Voici les premières images que j'avais tournées il y a plus de 20 ans,
49:31 pour garder en mémoire ce monde encore inconnu.
49:34 Une messe organisée pour les forains sur le tarmac des autotamponneuses de Louis-Joubert.
49:41 Depuis, les enfants ont grandi, et pour certains, ont repris les métiers de leurs parents.
49:48 [Musique]
49:55 Tout comme les artistes, il arrive que les forains composent à leur tour de véritables dynasties.
50:00 C'est Camille Bonpoit, c'est un plein de célèbres, et il expose à Pompidou.
50:09 Et il y a mon arrière-grand-père aussi qui est là.
50:13 Théodore Bouvier, il y en a.
50:17 Il est décédé en 1922.
50:19 Mais le peintre, il a repris la photo, il a fait la peinture.
50:24 Tu vois, on reconnaît bien les poids.
50:26 Tu vois les poids d'athlète.
50:28 Et là, regarde, c'est les mêmes poids, tu vois.
50:32 Exactement, il a pris le même chaud.
50:34 [Rires]
50:36 [Musique]
50:40 Cette même année, un apprenti cinéaste du nom de Georges Lacombe,
50:45 pose sa caméra dans les faubourgs de Paris.
50:47 [Musique]
50:57 Dans ses roulottes, à l'écart de la ville, il rencontre par hasard une femme qu'il reconnaît immédiatement.
51:04 Louise Weber, dite "la goulue".
51:07 Pour la caméra, l'ancienne artiste foraine danse à nouveau.
51:13 [Musique]
51:15 Le temps d'un film, l'attendue de Toulouse-Lautrec s'est muée en toile de cinéma.
51:20 [Musique]
51:24 Il me plaît à penser que la danse fragile de la goulue nous montre quelque chose de fondamental.
51:29 [Rires]
51:31 La fête foraine a été au fil du temps bien plus qu'une expérience de divertissement.
51:36 [Musique]
51:41 De s'allongir de profondes émotions.
51:43 De vivre l'amour foudroyant qui vous arrache pour un instant du sol.
51:48 De percevoir des couleurs qui n'existent pas.
51:52 [Musique]
51:58 Autant de sensations et d'images que les artistes ont depuis toujours trouvées sur la fête foraine.
52:06 [Musique]
52:30 [Musique]
52:46 On y va les jeunes, serrez les dents, serrez les mains, serrez tout ce que vous pouvez, on va s'envoler.
52:53 - Pas de problème. - Pas de problème.

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