Alors que la Conférence des évêques de France débute tout à l’heure à Lourdes, Marie Portolano reçoit sur le plateau de Télématin Yolande du Fayet de la Tour, abusée par un prête lorsqu’elle était enfant. Elle a décidé de ne plus se taire, pour elle mais aussi pour les autres.
Ils serait 330 000 à avoir été victimes de viols ou d’agressions sexuelles commises par des personnes en lien avec l’Eglise depuis 1950. C’est notamment le cas de cette femme, qui a été violée par un prête proche de sa famille alors qu’elle était âgée de 6 ans. « Je ne sais pas si c’était normal, mais je n’ai pas vraiment compris ce qu’il se passait. À 6 ans on n’a aucune idée de ce qui nous arrive », a-t-elle confié. Plus étonnant encore, à aucun moment la famille de la petite fille n’a été étonnée qu’elle passe du temps seule dans sa chambre avec cet homme d’Église. « J’étais la proie facile, une enfant un peu solitaire avec des parents occupés ailleurs », a poursuivi l’invitée avant d’expliquer que ce n’était que 40 ans plus tard qu’elle avait osé raconter son histoire. Aujourd’hui, elle est psychothérapeute et accompagne les personnes victimes comme elle.
Ils serait 330 000 à avoir été victimes de viols ou d’agressions sexuelles commises par des personnes en lien avec l’Eglise depuis 1950. C’est notamment le cas de cette femme, qui a été violée par un prête proche de sa famille alors qu’elle était âgée de 6 ans. « Je ne sais pas si c’était normal, mais je n’ai pas vraiment compris ce qu’il se passait. À 6 ans on n’a aucune idée de ce qui nous arrive », a-t-elle confié. Plus étonnant encore, à aucun moment la famille de la petite fille n’a été étonnée qu’elle passe du temps seule dans sa chambre avec cet homme d’Église. « J’étais la proie facile, une enfant un peu solitaire avec des parents occupés ailleurs », a poursuivi l’invitée avant d’expliquer que ce n’était que 40 ans plus tard qu’elle avait osé raconter son histoire. Aujourd’hui, elle est psychothérapeute et accompagne les personnes victimes comme elle.
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00:00 Bonjour Yolande Dufayet de Latour.
00:02 330 000 personnes ont été victimes de viols ou d'agressions sexuelles commises par des personnes en lien avec l'Église.
00:07 C'est un chiffre colossal.
00:09 C'est aussi votre histoire. Vous avez été victime d'un prêtre proche de votre famille quand vous aviez 6 ans.
00:14 Racontez-nous.
00:15 Alors, j'étais dans une famille très catholique et mes parents avaient un ami prêtre qui avait été choisi comme le parrain de mon frère.
00:23 Et donc au moment de la naissance de mon frère et de son baptême, il est venu passer un séjour à la maison.
00:29 Moi j'avais une chambre et on lui a donné ma chambre et il en a profité pour me violer.
00:34 Et donc...
00:36 Il vous faisait venir dans la chambre avec lui ?
00:38 Dans la chambre qui était la mienne en fait.
00:40 Donc il était l'invité à qui on avait donné ma chambre pour ce séjour.
00:44 Et puis à l'occasion de sieste, pour me parler de Jésus, il a profité de mon innocence et de ma naïveté.
00:51 Et j'étais dans une famille où on n'avait pas beaucoup d'éducation sexuelle et donc voilà.
00:56 Pour vous c'était normal ?
00:57 Je ne sais pas si c'était normal mais je n'ai pas vraiment compris ce qui se passait à 6 ans.
01:01 On n'a aucune idée de ce qui nous arrive en fait.
01:03 Alors en préparant l'interview, ce qui m'a frappée, c'est que vous dites qu'à aucun moment votre famille n'a été étonnée que vous passiez du temps seule avec lui dans la chambre.
01:11 Oui.
01:12 Il y a plusieurs éléments mais en même temps c'est des éléments assez connus en fait dans les familles incestuelles.
01:18 C'est-à-dire que ça se passe sous le nez de tout le monde et en fait l'enfant n'est pas protégé.
01:23 Vous pensez qu'ils ont fait semblant de ne pas voir ? Ils n'avaient pas envie de savoir ce qui se passait ?
01:27 Je ne sais pas. Dans les années 67, on parlait moins de ces sujets-là.
01:33 Je pense qu'il y a quand même une histoire de surveillance.
01:36 C'est-à-dire qu'une personne qui agresse un enfant, il le fait parce qu'il a le sentiment qu'il va pouvoir le faire et qu'il n'y a personne qui ne va rien dire.
01:44 Donc des enfants, moi j'étais l'aînée d'une famille, j'étais un petit peu à part.
01:47 Mes frères et soeurs étaient toujours en groupe.
01:49 Donc en fait, j'étais la proie facile d'un enfant qui était un peu solitaire et avec des parents, j'allais dire occupés ailleurs.
01:59 Comme la plupart des victimes, vous avez tué votre souffrance, vous avez gardé ça pour vous.
02:04 Aujourd'hui, vous êtes psychothérapeute. Vous accompagnez des personnes qui sont victimes d'abus sexuels.
02:09 Et pourtant, vous-même, vous n'avez parlé qu'à 40 ans.
02:12 40 ans plus tard.
02:14 Qu'est-ce qui a été le déclic pour vous ? Pourquoi vous vous êtes dit "c'est maintenant, il faut que je le dise" ?
02:18 Alors, il y a plusieurs choses. Ça s'est fait en plusieurs fois.
02:22 Il y a eu le procès Outreau où il y a eu un espèce de matraquage de ce qui s'était passé pour les enfants.
02:28 Et où j'ai pu tout d'un coup prendre de la distance avec mon histoire et me dire "ah oui, moi aussi".
02:33 C'était le premier élément.
02:36 Et puis en 2006, j'étais très très malade.
02:39 Et j'allais dire que j'ai revisité un peu ma vie, les choses importantes.
02:45 Une sorte de bilan ?
02:47 De bilan, oui.
02:49 Et les relations avec ma famille, et notamment avec mes frères et sœurs, étaient assez dégradées.
02:53 Et j'ai imaginé que c'était des informations importantes qu'ils devaient savoir.
02:59 Et c'est à ce moment-là que je l'ai dit, en espérant recevoir un peu d'écoute et un peu de compassion.
03:05 Et alors ? Ça n'a pas été le cas ?
03:07 Non, ça n'a pas été le cas.
03:08 Qu'est-ce qui s'est passé ?
03:09 Je pense que comme beaucoup de familles, on se protège.
03:11 C'est jamais très agréable d'entendre que ça s'est passé dans notre famille.
03:15 Et en même temps, c'est chez les autres, c'est toujours plus confortable.
03:17 Qu'est-ce qu'ils vous ont dit ? Ils vous ont cru, déjà ?
03:19 Oui, ils m'ont cru.
03:20 Et puis, bon, ils ont mis un petit mot gentil.
03:23 Ils m'ont dit "Oh, mon Dieu".
03:25 Mais on est très vite passé à autre chose.
03:28 Et il n'y a pas vraiment de questionnement de finalement de quoi j'ai besoin.
03:31 Est-ce que j'ai besoin de raconter ? Est-ce que j'ai besoin de quelque chose ?
03:35 Vos parents ont aussi écouté cette parole ?
03:37 Oui, j'ai eu la chance d'avoir une mère qui a cru.
03:41 Est-ce qu'elle s'est sentie coupable ?
03:44 Je ne sais pas très bien.
03:46 Je pense qu'elle était un petit peu en dehors de la réalité
03:51 et pas très proche de mon expérience, à la fois d'enfant, mais finalement aussi de femme.
03:56 Comment vous expliquez qu'il y ait un tel silence, une telle omerta,
04:00 quand il s'agit des crimes sexuels commis par l'Église ?
04:04 La honte.
04:05 Je pense que comme pour tout le monde, c'est la dynamique.
04:07 C'est pour tous les crimes sexuels.
04:08 Mais principalement à l'Église, il y a vraiment un silence assourdissant.
04:12 Parce que l'Église, je l'ai dit à plusieurs reprises, c'est une autre famille.
04:17 On a des contacts privilégiés, il y a ce sentiment d'appartenance,
04:22 de ne pas vouloir attaquer le clan.
04:26 On se dit qu'il vaut mieux subir plutôt que parler.
04:30 Et puis il y a cette crainte de ne pas recevoir du soutien,
04:34 qui est confirmée quand même pas mal.
04:36 Je vois avec d'autres victimes dans des associations,
04:39 c'est quand même quelque chose qui revient assez souvent,
04:42 de ne pas être soutenue, parfois d'être entendue,
04:45 parfois pas toujours crue.
04:47 Mais le soutien et la curiosité de l'expérience
04:50 et de comment on pourrait aider la personne à traverser et à réagir,
04:55 ce n'est pas encore ça.
04:56 Il y a quand même des avancées.
04:58 Depuis deux ans, les victimes peuvent demander une indemnisation auprès de l'INR,
05:02 c'est l'Instance Nationale Indépendante de Reconnaissance et de Réparation.
05:05 Est-ce que vous l'avez fait ?
05:06 Oui, je l'ai fait, j'ai envoyé mon dossier au mois d'août.
05:10 Je serai probablement convoquée fin décembre de cette année, début janvier.
05:15 Qu'est-ce que vous espérez au terme de cette procédure-là ?
05:20 D'une part, je suis attachée au fait que l'Église reconnaisse ce qu'elle a fait
05:25 et prenne ses responsabilités.
05:27 Ce qui me motive, c'est d'être +1,
05:30 c'est-à-dire ne pas être à nouveau silenciée,
05:33 ne pas être à nouveau la personne qui disparaît dans le groupe.
05:37 Pour moi, c'est important de déposer mon dossier.
05:41 Dans cette démarche, j'ai informé la famille.
05:44 Depuis que j'ai raconté mon histoire,
05:47 il se trouve que j'ai une cousine qui a, il y a très peu de temps,
05:51 révélé qu'elle aussi avait été agressée par ce prêtre.
05:54 Par la même personne ?
05:56 Parler, faire son dossier, c'est aussi aider les autres à faire de même.
06:01 Je pense que c'est la motivation de beaucoup de victimes
06:04 dans leur parcours de résilience,
06:06 de se dire que ça n'arrive pas une nouvelle fois pour d'autres.
06:09 Aujourd'hui, Thomas le disait, c'est le début de l'Assemblée plénière
06:13 de la Conférence des évêques de France.
06:15 Qu'est-ce que ça vous procure ?
06:17 C'est difficile de dire.
06:20 Qu'est-ce que ça me procure ? Pas grand-chose.
06:22 J'attends de voir ce qu'ils vont dire, comment ils vont s'y prendre.
06:26 Parce que c'est un des sujets de l'ordre du jour,
06:29 la reconnaissance des victimes, leur accompagnement.
06:31 J'ai le sentiment que depuis deux ans, il y a eu l'Ourde en 2021,
06:35 juste après le rapport de la SIAZ, où on a tous beaucoup espéré.
06:39 Il y a eu cette première étape, à la fois de reconnaissance
06:43 et de prise de responsabilité.
06:45 On est dans la deuxième phase, on avait dit les quatre R.
06:48 La deuxième phase, c'est la réparation et les réformes de l'institution.
06:54 Pour moi, il y a vraiment un sujet autour de la réparation,
06:58 parce qu'on parle de justice restaurative.
07:00 Dans le mot justice restaurative, il y a justice.
07:04 Mais ce n'est pas un processus de justice, c'est un processus de charité.
07:08 On s'occupe des victimes, on va leur donner un peu d'argent,
07:11 en mode "surtout taisez-vous vite et passons vite à autre chose".
07:14 En tout cas, on a bien compris que votre parole n'a plus envie d'être silenciée.
07:18 Vous avez envie de parler pour aider les autres à le faire.
07:21 N'hésitez pas, évidemment, si vous êtes victime, vous parlez, il faut parler.
07:24 Et il faut croire les enfants, surtout.
07:26 Merci beaucoup Yolande Dufayet de Latour d'avoir été avec nous.