Un monde, un regard - Richard Dacoury

  • il y a 6 mois
On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.

Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023

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Transcript
00:00 (Générique)
00:22 -Notre invité est un monstre du sport français,
00:25 l'un des plus titrés de notre histoire.
00:27 L'Al Palmares, le plus impressionnant du basket tricolore.
00:30 8 victoires en championnat, 7 en Coupe de France,
00:32 3 en Coupe d'Europe et le titre de champion d'Europe en 93,
00:36 le seul décroché par la France à ce jour.
00:38 Ça, c'est pour les trophées,
00:40 qui disent déjà beaucoup de son talent, de ses prouesses physiques et techniques.
00:44 Mais si je m'arrêtais là, cela ne dirait pas grand-chose
00:47 de l'homme qui a fait vibrer toute une génération
00:50 par sa générosité sur le parquet, par ses valeurs humanistes
00:53 et par sa fidélité à un club.
00:56 Limoges Cercle Saint-Pierre, Limoges CSP.
00:59 Le club de basket est entré dans la légende en grande partie grâce à lui.
01:03 Il a construit le club pierre par pierre,
01:06 a dit un jour son ami et coéquipier de toujours, le regretté Fred Forté.
01:11 19 ans, notre invité est resté 19 ans dans le même club de basket.
01:15 Est-ce que cela existe encore, ce genre de belles histoires ?
01:18 Est-ce que des joueurs, tout sport collectif confondu,
01:21 restent encore si longtemps dans un même club ?
01:24 La fidélité en sport existe-t-elle toujours ?
01:27 Posons-lui toutes ces questions.
01:28 Bienvenue dans "Un monde, un regard".
01:29 Bienvenue à vous, Richard Dacoury.
01:31 Merci d'avoir accepté notre invitation au Sénat,
01:34 ici dans ce dôme tournant.
01:36 Plus personne ne reste 20 ans dans un club.
01:38 C'est dommage, non ?
01:39 C'est vrai que ce constat-là, je ne l'avais pas forcément fait,
01:44 mais oui, ce sont des choses qui appartiennent à un passé
01:49 qui me semble totalement révolu.
01:50 Oui, maintenant, le sport,
01:51 notamment le sport professionnel, a totalement changé.
01:54 Avec l'ouverture des frontières, avec l'Europe,
01:56 avec les passerelles qui sont tendues vers les États-Unis,
01:59 maintenant, tout sportif qui a peu d'ambition
02:02 a envie d'aller là où le sport qu'il pratique
02:05 se pratique du mieux possible.
02:06 Donc oui, il s'en va.
02:07 Il va soit plus au France,
02:09 soit vers les clubs qui sont censés lui apporter
02:13 plus de chances de remporter des titres, marquer l'histoire.
02:15 Parce que j'ai l'impression qu'aujourd'hui, les sportifs,
02:17 ce dont ils ont envie beaucoup, c'est marquer l'histoire.
02:19 Vous trouvez ça dommage ou pas ?
02:21 Parce que quelles sont les vertus, finalement,
02:23 d'une si grande fidélité à un club ?
02:24 Quelles ont été les vertus pour vous ?
02:26 Vous avez créé une famille, un chez vous ?
02:28 Oui.
02:30 Moi, j'ai eu la chance, c'est qu'avec ce club,
02:32 je me suis totalement épanoui,
02:34 je me suis développé, tout autant que le club, avec moi.
02:37 J'ai pu apprendre ce qui est devenu mon métier
02:42 sans véritablement le savoir au tout début,
02:44 en toute sérénité, et surtout grandir.
02:47 Et ce club m'a permis, sans trop de pression de le faire,
02:52 nous étions tous les deux de jeunes entités,
02:55 en tout cas, le club et moi, jeunes joueurs,
02:58 pleins d'ambition.
02:59 Et la chance que j'ai eue, la chance que le club m'a donnée,
03:05 c'est d'investir en moi et moi de croire en eux,
03:08 alors qu'il n'y était qu'un simple club
03:09 qui montait de deuxième division en première division.
03:12 Et puis après, voilà, la chance, beaucoup de travail.
03:15 Vous avez loupé des occasions, des belles opportunités,
03:18 des ponts d'or, vous en avez refusé par fidélité ou pas ?
03:21 Il y a eu des sacrifices pour cette fidélité à ce club ?
03:23 Non, je n'ai jamais sacrifié, en tout cas,
03:25 l'aspect sportif à l'aspect financier.
03:28 Donc, pour moi, j'avais l'impression qu'en restant à Limoges,
03:31 j'avais toutes les cartes en main pour décrocher les titres
03:35 que j'avais comme objectif,
03:36 que ce soit sur le point de France, sur le point d'Europe, etc.
03:39 Donc, j'ai toujours eu l'impression d'être dans la meilleure équipe possible
03:42 à un moment précis, dans une période particulière.
03:46 Il faut savoir qu'à mon époque,
03:49 ce qui faisait le mieux, c'est-à-dire en Europe,
03:51 il n'y avait pas d'accès à la NBA, comme c'est le cas aujourd'hui.
03:55 Donc, j'avais l'impression de pouvoir cartonner,
03:58 en tout cas, avoir des résultats à la hauteur de mes ambitions
04:01 en restant à Limoges. C'est ce que j'ai fait.
04:03 J'allais y venir à la NBA parce qu'on a dit de vous
04:06 que vous aviez un physique de NBA.
04:08 Vous dites qu'il n'y avait pas de possibilité,
04:09 mais en vous inscrivant dans une université américaine,
04:11 par exemple, ça aurait été possible ?
04:12 C'était le seul biais.
04:13 Et vous avez le regret de ne pas y être allé ou pas ?
04:16 Un petit peu, d'autant que j'ai une anecdote assez marrante,
04:18 c'est que j'étais en équipe de France universitaire à l'époque,
04:20 je devais avoir 18 ans,
04:22 et nous avions rencontré l'équipe de France universitaire américaine.
04:27 J'avais fait un énorme match,
04:29 j'avais mis plein la vue aux entraîneurs de cette université.
04:35 Et ils faisaient comme des fous après moi,
04:37 et ils m'avaient donc demandé si j'étais partant
04:41 pour signer avec eux en université.
04:44 J'étais revenu tout content de voir ma mère, qui m'élevait,
04:48 et ma mère, rappelez-vous, c'était dans les années 80,
04:52 m'a dit "Mais n'y pense même pas, mon fils,
04:54 "termine tes études d'abord."
04:55 C'était plus important pour elle que je termine mes études,
04:57 parce qu'il n'existait pas encore de sport professionnel
04:59 à la hauteur de ce qu'on peut voir aujourd'hui
05:01 avec l'argent, avec un avenir.
05:04 - Elle l'a regretté après ?
05:07 - On ne l'a jamais parlé véritablement.
05:09 - Ah bon ?
05:10 - Moi, j'ai eu un petit regret, parce que...
05:12 - Vous lui en voulez ?
05:13 - Non, absolument pas.
05:15 La suite aurait pu être différente.
05:16 Non, je n'en veux pas, parce que ça partait d'un très bon sentiment,
05:18 je ne voulais que mon bien.
05:19 Et c'est vrai qu'à l'époque, parier sur le sport,
05:22 c'était un très grand risque,
05:23 et elle n'a pas voulu le prendre pour moi.
05:25 Je pense que je l'aurais pris,
05:26 parce que j'étais un peu attiré par NBA,
05:29 parce qu'on en recevait à l'époque.
05:31 C'était des cassettes VHS qu'on recevait tous les mois.
05:34 Ce n'est pas comme aujourd'hui,
05:35 l'actualité à la seconde près de ce qui se passe
05:38 de l'autre côté de l'Atlantique.
05:40 Donc, oui, c'était un rêve que j'aurais voulu toucher
05:43 et que j'ai juste effleuré comme ça.
05:45 - Alors, vous avez quand même affronté les Lakers,
05:47 au Los Angeles, avec Magic Johnson, en 91 à Bercy.
05:51 Les Américains sont quand même les maîtres en la matière, non ?
05:54 Pour le dire un peu vulgairement,
05:55 c'est vraiment des tueurs en basket, non ?
05:57 - En basket, dans beaucoup de sports, d'ailleurs.
05:59 Il faut savoir ce que représente le sport
06:02 dans leur société et dans leur pays.
06:04 Ce n'est pas juste un accessoire,
06:07 c'est une ascension sociale, c'est beaucoup plus que...
06:10 - Ils l'ont mieux intégré à leur société
06:11 que nous l'avons intégré à notre société.
06:13 - Oui, je pense que nous, on essaye...
06:16 Certains politiques crient au effort que la France
06:18 est une nation de sport.
06:20 Non, c'est absolument faux.
06:22 Quand on le compare avec d'autres pays anglo-saxons,
06:24 on a encore beaucoup de chemin à faire,
06:27 beaucoup de choses à mettre en place,
06:28 dans la mentalité, dans les infrastructures,
06:30 dans la politique sportive.
06:32 Donc, oui, ce sont des tueurs parce qu'ils ont tout compris,
06:36 ils savent ce que le sport peut apporter
06:39 à l'individu, à la société, à une entreprise.
06:41 - C'est plus violent aussi, plus concurrentiel,
06:43 peut-être plus dur pour les joueurs, non ?
06:45 - C'est le sport. Le sport, il faut pas oublier
06:47 que c'est pas un monde de bisounours,
06:48 c'est de la compétition, c'est la performance, la compétition.
06:51 C'est ce qu'on recherche.
06:53 Ce que je recherchais, c'était l'adversité,
06:54 c'était l'opposition directe à un adversaire,
06:58 c'était me confronter à ce qui se faisait de mieux
07:01 et progresser comme ça.
07:02 Donc, oui, moi, je prends la compétition,
07:05 donc le sport, comme moyen de se préparer
07:08 à la société qui, elle-même, est une compétition.
07:10 Donc, c'est... Voilà.
07:12 - Quel regard vous portez sur nos jeunes prodiges
07:14 qui vivent l'aventure américaine ?
07:16 Je pense évidemment à Victor Wemba Niama,
07:17 mais avant lui, il y a eu Tony Parker,
07:19 il y a eu Joachim Noah aussi, vous les suivez.
07:20 - Il y a eu Boris Diaw, il y a tout ça.
07:21 Bien sûr que je les suis, moi, et Victor, en ce moment,
07:23 comment faire pour ne pas le suivre ?
07:25 On en parle tous les jours, ou presque.
07:27 Et ce qu'il fait en ce moment est remarquable.
07:29 Il repousse un peu plus les limites
07:32 de ce qu'on pouvait imaginer d'un basketteur.
07:36 - Vous le connaissez ? Vous l'avez rencontré ?
07:37 - J'avais croisé un tout petit peu lorsqu'il avait 15 ans.
07:41 Il faisait déjà 2,18 m.
07:43 - D'accord.
07:44 - Et on parlait de lui avec vraiment de grands espoirs.
07:48 Je pense qu'il a dépassé largement
07:51 les espoirs ou les perspectives qu'on l'imaginait pour lui.
07:55 Sa première année en NBA est extraordinaire,
07:57 extravagante, inimaginable.
07:59 Et donc, il est évident qu'un avenir fabuleux l'attend,
08:03 mais encore faut-il qu'il se préserve,
08:05 qu'il prenne le temps de progresser.
08:07 - Et est-ce qu'il vous connaissait, vous ?
08:08 Est-ce qu'il connaissait votre passé de dimanche basketteur ?
08:11 - C'est ce qui m'avait beaucoup surpris
08:13 et rassuré quelque part.
08:14 Mon égo, peut-être, j'en sais rien,
08:16 mais j'ai allé le voir le saluer
08:18 avec beaucoup de bienveillance et d'humilité,
08:21 et en me demandant, est-ce qu'à 15 ans,
08:24 ce jeune basketteur connaissait les vieux de la vieille comme j'étais ?
08:29 Et puis là, il m'avait surpris,
08:31 mais il connaissait l'histoire du basket,
08:32 donc il me connaissait,
08:34 et il était tout à fait honoré de me saluer,
08:35 d'échanger quelques mots.
08:37 Et donc, je m'étais dit...
08:39 C'est un signe qui est assez marquant
08:41 de l'intelligence d'un homme, d'un champion, d'un dantesque...
08:46 - Qu'est-ce que ça dit de lui ?
08:47 - Que de savoir qu'il n'est pas autocentré,
08:50 il connaît son environnement, il connaît son histoire.
08:53 Quand on connaît son histoire, on peut construire son passé,
08:55 son avenir, je veux dire.
08:56 Et c'est ce que j'avais cru comprendre en échangeant avec lui,
09:00 c'est cette capacité, cette forme,
09:02 cette maturité qu'il possédait,
09:05 et dont il fait preuve aujourd'hui, tous les jours,
09:08 en faisant ce qu'il fait en NBA.
09:10 - On le dit peu, mais la France est quand même
09:11 une grande nation de basket.
09:13 Vous diriez que vous avez quand même ouvert la voie,
09:16 vous faites partie de ceux qui ont ouvert la voie.
09:19 - Je suis ravi que vous le disiez.
09:21 - Vous ne le pensez pas ?
09:23 - Oui, je pense qu'en 93, le Limoges FSP a ouvert la voie,
09:26 un peu avant 98, avant les vainqueurs de la Coupe du monde.
09:30 On a envoyé un message fort que oui,
09:34 un club français pouvait gagner en Europe.
09:36 Et je pense qu'on a ouvert des portes.
09:39 Certains freins psychologiques sont tombés.
09:42 Et voilà.
09:43 - Mais vous, à titre personnel, vous ne pensez pas que vous avez,
09:45 vous-même, stimulé ce sport ?
09:48 - Moi, je pense que j'ai essayé d'apporter ce que je pouvais,
09:50 un peu de spectacle, un peu d'esthétisme,
09:53 un peu de rigueur, un peu de...
09:56 - De rêve ? - De rêve aussi.
09:58 En tout cas, moi, j'ai rêvé,
10:02 éveillé pendant plus de 20 ans,
10:04 un sport, un niveau que je ne pensais pas atteindre.
10:08 Donc, moi, je préfère que les jeunes joueurs
10:13 me rappellent ce que j'ai pu représenter pour eux.
10:17 Ça me rassure, en tant que fait, que j'ai eu un beau parcours
10:20 et que j'ai pu apporter.
10:22 - Les JO n'évoquent pas vos meilleurs souvenirs à vous.
10:24 Je crois, en 84, les Jeux de Los Angeles,
10:27 vous n'êtes pas sélectionné parce que vous êtes arrivé en retard
10:29 à l'entraînement.
10:30 Et alors, j'ai lu que vous aviez tardé chez le coiffeur
10:32 pour vous faire une coupe de cheveux, la coupe de Carl Lewis.
10:35 Et la sanction est tombée,
10:37 c'est-à-dire que votre coach vous interdit de jouer.
10:40 Vous auriez pris cette décision, vous, en tant que coach,
10:42 si vous aviez été coach ?
10:43 - Non. - C'était dur comme décision ?
10:44 - C'était excessivement dur, totalement disproportionné.
10:47 C'est quelque chose qui me suit, au moins, pas systématiquement.
10:50 - La coupe de Carl Lewis, il faut admettre que l'anecdote
10:52 est quand même assez incroyable.
10:53 - Oui, c'était à Los Angeles,
10:55 donc j'étais en plein jet lag,
10:57 j'étais en Village Olympique, je n'avais pas dormi de la nuit.
11:01 Je traînais dans les rues du village à 6h du mat',
11:04 le coiffeur était ouvert.
11:06 Il m'a dit "Oui, pas de problème, j'en ai pour une heure".
11:08 Ça a duré plus de deux heures,
11:09 je m'étais endormi sur le siège, en fin de compte.
11:11 Et lorsque je me suis rendu compte du temps qui passait...
11:17 - C'était trop tard. - C'était un petit peu trop tard.
11:19 Et puis derrière, la sanction est tombée.
11:21 - Qu'est-ce que ça dit, la relation coach-joueur ?
11:23 - Non, mais surtout, c'était un petit peu vachard,
11:25 parce que pour lui, c'était sans conséquence,
11:29 puisqu'on jouait contre les Américains de Michael Jordan,
11:32 avec Phil Knight en tant que coach,
11:34 avec Women's Tease Day, il y avait Patchouli,
11:36 c'était une équipe monstrueuse.
11:38 Donc, ils mettaient grosso modo,
11:40 ils ont mis à peu près 45 points de moyenne
11:42 à chacun des adversaires.
11:45 Donc, on savait que ce match était perdu,
11:47 donc pour lui, c'était juste une sanction qui me faisait mal.
11:51 Qui me faisait mal, moi, parce que vous vous rendez compte,
11:52 en 84, jouer à Michael Jordan et les États-Unis,
11:55 ça représentait énormément.
11:58 - Elle est compliquée, cette relation coach-joueur ?
12:02 - Il y a beaucoup de confiance qui doit s'instaurer,
12:05 beaucoup de respect, et évidemment qu'à ce moment-là,
12:08 quelque chose s'est cassé entre lui et moi.
12:11 Et je vous avouerai que je ne l'ai toujours pas avalé.
12:17 - Ah ouais ?
12:18 - C'est un immense regret dans ma vie, ça.
12:20 Même si, je ne sais pas ce que j'aurais pu apporter, mais c'était...
12:24 - Pour le principe, quoi.
12:25 - Oui, c'était une forme de point d'orgue,
12:27 de jouer contre les Américains, surtout...
12:30 Après, j'ai eu la chance de pouvoir jouer au Jordan par la suite,
12:32 avec Paris, lorsque j'ai signé à Paris.
12:34 On a joué en 97, je crois, ici, à Paris, à Bercy,
12:38 Michael Jordan, donc je dirais que...
12:40 ça, je l'ai fait, mais sur le moment,
12:42 c'était quelque chose de très difficile à déchirer.
12:44 - J'ai un document à vous proposer, Richard Vacuri,
12:46 délivré par nos partenaires, les archives nationales.
12:48 Vous riez déjà avant d'en avoir eu des explications.
12:51 Alors, c'est une sorte d'imagier du bon et du mauvais basketteur,
12:54 retrouvé dans le mensuel "Basket Magazine" de décembre 1975.
12:59 Il s'agit d'une comparaison entre les postures de joueurs,
13:01 l'un de haut niveau, l'autre, grand débutant.
13:04 En l'occurrence, le champion ici est Pierre Gall,
13:06 joueur de l'AS Berck.
13:08 Son frère, Jean Gall, je crois, vous a entraîné en équipe de France.
13:11 - C'est vrai. - Alors, qui est le champion,
13:12 qui est le débutant ? Moi, j'ai pas su, très honnêtement.
13:14 En regardant l'imagier, vous, vous devinez, j'imagine, forcément ?
13:18 - Euh... Oui, même si les gestes ont totalement évolué.
13:21 - C'est vrai ? - Oui, ça n'a plus rien à voir.
13:23 - "Changer", c'est plus du tout ça ? - Non, c'est pratiquement plus ça.
13:25 C'est beaucoup plus aérien, beaucoup plus fluide,
13:28 beaucoup plus lancé.
13:30 Non, ça n'a plus rien à voir.
13:31 Tout a changé, même les équipements, les baskets.
13:34 Vous vous rendez compte ? Je vois les baskets, c'est extraordinaire.
13:36 Ce sont des paladiums que j'ai pu porter avant l'époque,
13:38 des super-levels, ça, je me rappelle, il y a plus de 40 ans.
13:42 Et c'était la "roll-royce" de la basket, c'était de la toile,
13:45 des chaussures un peu à l'image des chaktis qu'on porte aujourd'hui,
13:48 en toile, en sportswear, comme avec un jeans.
13:52 On jouait avec ça à l'époque, quand on se dit ça aux jeunes,
13:53 aujourd'hui, ils me regardent avec des grands yeux.
13:56 - Il faut leur montrer ce genre d'archives. - Il faut leur montrer les choses.
13:58 - Et même la gestuelle a changé. - Ça n'a rien à voir.
14:01 Peut-être éventuellement un rebond, les deux premières images,
14:03 mais le reste, non, ça n'a plus rien à voir.
14:05 C'est beaucoup plus...
14:06 Même le physique a changé, c'est beaucoup plus musculeux,
14:09 beaucoup plus...
14:10 Ouais, non, ça...
14:12 Je pense que j'arrivais un petit peu après ça, quand même.
14:16 - Ça ne vous inspire pas des bons... - Non, non, c'est pas nous.
14:19 C'est pas joli à regarder.
14:21 Parce qu'aujourd'hui, c'est un ballet magnifique, le basket.
14:23 C'est ce qui m'avait attiré à l'époque.
14:24 Mais oui, comment c'est arrivé dans votre vie, le basket, d'ailleurs ?
14:27 C'est là que j'avais essayé beaucoup, beaucoup de sports.
14:30 Ma mère était contente de me voir plutôt que de traîner dans la rue,
14:34 soit nager, soit être dans un club et autre.
14:36 C'est un encadrement qui la rassurait.
14:39 Et donc, moi, j'ai essayé beaucoup de sports
14:44 avant de tomber sur le basket, qui, d'un coup, s'est révélé à moi.
14:47 - Et où ça, à l'école ou en club ? - Non, avec des potes,
14:50 sur un terrain.
14:51 À l'époque, il y avait un terrain pas très loin.
14:53 J'étais à Reims, j'avais 13-14 ans,
14:55 et j'avais des potes qui jouaient au basket.
14:57 Un terrain, voilà, dans la ville.
15:00 Et ils m'ont emmené dans leur club, à l'époque,
15:03 au Reims Champagne Basket, au RCB.
15:06 Et voilà comment j'ai mis le doigt dans le grenage.
15:08 - Et pourquoi une révélation ? Qu'est-ce qui vous...
15:10 - Ça a correspondu à mes qualités, ma vitesse, ma détente.
15:16 La dimension esthétique était hyper importante pour moi.
15:18 D'ailleurs, on me l'a reproché toute ma carrière,
15:20 de privilégier le geste à l'efficacité.
15:24 Je l'ai appris à mes dépens par la suite.
15:25 - Alors que c'est essentiel, la preuve, quand on voit ça.
15:28 - Avec d'autres potes qui, en revanche,
15:30 ont pris un malin plaisir à me tailler à coups de burin
15:37 pour essayer de gommer un petit peu cette propension au beau geste.
15:43 C'est quand même de préserver ça.
15:45 C'était quand même réputé et reconnu pour mon élégance.
15:47 - Oui, ça faisait aussi partie de votre...
15:49 - Mais c'est ça que j'adorais, cette dimension aérienne.
15:53 Et puis ce défi physique, malgré tout normé et très contenu,
15:58 parce que par rapport à Dirk Bühmann et Hans Ballehr,
16:01 les contacts sont autorisés, mais beaucoup moins violents.
16:05 Donc voilà, c'était...
16:07 Et puis au-delà de ça, ce que j'aimais beaucoup,
16:08 c'était le sport collectif, le partage,
16:13 jouer ensemble, gagner ensemble, perdre ensemble, c'était important.
16:15 - Je remonte de quelques années.
16:17 Vous êtes né à Abidjan, en Côte d'Ivoire.
16:18 À l'âge de 5 ans, vous suivez votre mère en France.
16:21 Arrivés en France, vous prenez des remarques racistes dans la figure.
16:24 On vous appelait "bamboula" ou "café au lait".
16:27 Et quand vous rentriez en larmes à la maison,
16:28 votre mère, dont vous parliez beaucoup, vous disait
16:31 "T'inquiète pas, mon fils, la prochaine fois, tu les traiteras de lavabos".
16:34 Ça a quand même laissé des traces, tout ça.
16:36 - Ou de bidets.
16:37 - Ou de bidets. - Ça n'existe plus maintenant.
16:39 Ou presque.
16:41 - En tout cas, un truc blanc.
16:42 - Blanc, bien, bien blafard.
16:44 Ça doit être la dernière fois où je l'ai vraiment ressenti.
16:49 Après, une fois que j'ai grandi
16:53 et j'ai eu la chance d'être toujours un peu plus grand que la moyenne,
16:57 ça aide, lorsque il y a une confrontation directe.
17:00 Et puis après, ce qui m'a beaucoup aidé, c'est mon statut de champion.
17:04 Ce qui n'est plus trop le cas aujourd'hui,
17:06 mais à l'époque, ça y était encore.
17:07 Ce qui fait que je n'ai pas trop souffert de ça.
17:11 - Mais est-ce que ça a créé une sensibilité en vous un peu particulière ?
17:15 - Non, j'étais très fier de mes origines, toujours très fier de mes origines.
17:18 Je suis très fier de cette mixité,
17:21 d'être à la fois français et ivoirien ou africain.
17:25 Je trouve que c'est une richesse.
17:27 J'ai été puisé dans l'un et dans l'autre,
17:30 bien, des choses pour me construire,
17:32 puis pour m'apporter une certaine confiance
17:35 et m'accorder une certaine valeur, peut-être.
17:38 - Mais le racisme est devenu un combat pour vous ?
17:40 Tous les racismes ? - Tous les racismes, oui.
17:42 - Parce que le monde du sport est encore gangréné par le racisme.
17:46 - Terriblement, peut-être beaucoup plus.
17:48 - C'est effrayant, des peaux de bananes jetées sur les terrains de foot.
17:50 - Les cris de singes criés auprès des joueurs de couleur.
17:56 C'est terrible. Moi, c'est quelque chose qui m'assupporte
17:58 et qui me révulse,
18:00 en tout cas, qui me fait réagir de plus en plus durement.
18:05 Et je ne comprends pas ce vers quoi la société est en train de tendre.
18:09 Je ne comprends pas ses réactions,
18:11 alors que le bien-vivre ensemble est quelque chose qui devrait s'imposer.
18:14 Aujourd'hui, il y a une forme de montée du communautarisme,
18:18 de ces différentes formes de racisme, d'antisémitisme.
18:22 Et j'ai besoin de plus en plus de me dresser contre ça.
18:28 Ça devient quelque chose de viscéral et presque un combat personnel
18:31 parce que c'est insupportable.
18:34 - Vous êtes exigeant avec les sportifs d'aujourd'hui.
18:36 Vous dites qu'un champion doit autant que possible être exemplaire,
18:39 avoir un parcours altruiste, voire humaniste.
18:41 Vous attendez ça aussi des sportifs ? C'est leur rôle ?
18:44 - C'est notre rôle. On doit dépasser notre fonction de sportif.
18:46 On n'est pas que des personnes qui vont divertir une multitude.
18:51 On est, surtout aujourd'hui, des exemples.
18:54 - Vous déçoivez les sportifs en ne prenant pas position ?
18:57 Parfois trop silencieux, parfois peut-être trop bruyant, au contraire ?
19:01 - Non, ils ne me déçoivent pas.
19:02 Parfois, oui, mais je peux comprendre.
19:04 Ils sont dans une situation où, aujourd'hui, ils sont hyper exposés.
19:07 Le poids des médias, le poids des réseaux sociaux
19:10 fait qu'ils sont en directe ligne avec leurs admirateurs
19:18 qui ne sont pas tous de qualité.
19:22 C'est la nature humaine.
19:25 Il y a des belles et des moins belles personnes.
19:27 - Vous échangez avec d'autres sportifs,
19:29 toujours sportifs aujourd'hui ou anciens sportifs ?
19:32 Vous sentez que c'est compliqué, ces questions-là ?
19:35 - C'est compliqué, mais je pense que tout le monde le ressent.
19:38 On n'échange pas forcément sur ces sujets-là.
19:40 Quand on se voit, c'est plutôt pour parler de choses sympas.
19:44 Mais dernièrement, avec le voyage qu'on a organisé avec le CRIF à Auschwitz,
19:48 ça nous a permis d'aborder ces sujets-là,
19:50 du racisme, de l'antisémitisme, des discriminations, des violences.
19:56 - Ils ont été nombreux, les volontaires ?
19:58 Vous y êtes allés avec...
20:00 - Oui, ils ont été suffisamment nombreux
20:03 pour qu'on puisse avoir notre petite place dans les médias
20:07 pour pouvoir parler de ces sujets-là.
20:08 C'était important, c'était un peu le but de cette démarche.
20:11 Au-delà de ce devoir mémoriel,
20:14 il y avait aussi ce besoin de mettre un peu au-devant de la scène
20:17 ces sujets qui sont importants aujourd'hui pour moi,
20:20 c'est toutes ces luttes,
20:22 et essayer de résister, de freiner les deux pieds en se disant
20:28 "Attendez, prenons conscience de ce qui se passe autour de nous dans la société."
20:32 C'est insupportable, c'est quelque chose qui m'étouffe
20:36 et qui me serre les tripes.
20:39 Et c'est vrai que je voudrais que tout le monde,
20:41 que ce soit les sportifs, artistes, tout le monde autour de nous,
20:44 tous ceux qui ont un sens de l'autre,
20:46 tous ceux qui ont envie d'une société meilleure,
20:48 puissent réagir dans le bon sens, parce que si on ne fait rien,
20:51 on laisse la place à tous ces haineux qui nous polluent et nous pourrissent la vie.
20:57 J'ai des photos à vous proposer, Richard Dacouris.
20:59 - Vous allez trouver encore des photos ? - J'en ai encore trois.
21:03 La première photo, c'est celle-ci,
21:06 une photo de la victoire de la Côte d'Ivoire
21:08 lors de la Coupe d'Afrique des Nations 2024 à domicile.
21:11 On parle donc football, on a parlé de miracles ivoiriens.
21:14 L'équipe était très mal partie, quasi éliminée au premier tour.
21:17 Le sélectionneur Jean-Louis Gasset en a fait les frais.
21:19 Il a été évincé en pleine compétition.
21:21 J'imagine que vous avez subi cela.
21:23 Vous parlez de miracles, vous aussi ? C'est incroyable.
21:25 Totalement. Ne pas parler de miracles, ce serait se mentir.
21:29 Non, c'était miraculeux.
21:31 Une fois qu'ils se sont qualifiés, on s'est dit qu'en revanche,
21:34 rien ne pourrait les arrêter. C'est ce qui s'est passé après,
21:36 avec encore d'autres miracles qui sont succédés,
21:37 une qualification dans les derniers, au pénalty, au tir au but.
21:40 Vous l'expliquez comment ? Par une ténacité propre au peuple ivoirien ?
21:44 Il y a quelque chose qui vous...
21:46 Non. D'abord, la Côte d'Ivoire, l'équipe de Côte d'Ivoire,
21:49 est une très belle équipe. On voit ses joueurs qui sont disséminés
21:52 dans les meilleurs clubs européens ou français.
21:54 Donc, il y a un vrai talent.
21:56 Et au-delà de ça, c'est la capacité...
21:59 Le fait que des chocs psychologiques peuvent souder d'un coup une équipe
22:04 et qu'ils se sentent habités par une force qui la dépasse,
22:09 et derrière, tout parie possible. C'est ce qui s'est passé.
22:12 En plus, cette équipe, je l'ai vue, on l'a vue sur le terrain,
22:15 est très croyante. La place de Dieu est omniprésente.
22:20 Donc, ils se sentaient sans doute habités par une force supérieure.
22:24 - Ils y croient au miracle. - Ils ont bien fait d'y croire.
22:26 Et puis, quant à Gasset, il a eu cette présence d'esprit de sacrifier,
22:32 parce qu'il est parti pour créer un choc psychologique.
22:35 Le choc a été au-delà de ses attentes.
22:37 Une deuxième photo, encore un sportif, c'est Raphaël Nanal,
22:40 qui nous a fait une drôle de sortie, pas très féministe.
22:43 À la question sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes,
22:45 il a répondu "non, pourquoi faire ?"
22:48 Et attention, il a précisé qu'il était féministe,
22:51 parce qu'il avait une mère et une sœur.
22:52 Et là, je ne parle plus aux sportifs, je parle aux pères de cinq filles.
22:56 Et blague à part, cette question de l'égalité salariale homme-femme,
23:01 notamment dans le monde du sport, ça vous parle ?
23:04 Ça vous choque, qu'il ait dit ça ?
23:06 - Ça me choque de sa part, parce qu'il est plutôt connu
23:08 pour sa capacité à respecter l'autre,
23:13 quel que soit le genre, quels que soient ses gens et autres.
23:16 Donc, j'étais un petit peu surpris par...
23:18 C'est quelqu'un qui a sans doute engagé sur pas mal de sujets,
23:21 mais qui est assez consensuel dans ses propos.
23:25 Donc là, il a pris une position qui m'a un peu surpris.
23:28 C'est assez compliqué, mais en tout cas, il est évident que...
23:33 la place de la femme dans le sport et du sport féminin
23:42 a encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre l'égalité,
23:46 avec notamment les montants ou les droits télé
23:48 qui sont consentis à ces différents sports,
23:51 enfin, sports pratiqués par différents sexes.
23:55 Après, c'est hélas une raison qui est factuelle,
24:00 c'est un problème d'offre et de demande.
24:03 Hélas, les médias sont souvent contraints par la demande
24:08 et on demande beaucoup moins de sport féminin que de sport masculin,
24:12 qui est moins spectaculaire pour certains.
24:14 Il y a une mentalité qui doit absolument évoluer.
24:17 C'est en train d'évoluer. J'ai évolué aussi dans ce sens-là.
24:19 On voit maintenant des sportives qui s'investissent autant que les hommes
24:24 et qui pratiquent un sport qui est hyper spectaculaire
24:29 et qui mérite largement qu'il soit, sans doute, nous exposés.
24:35 - Une dernière photo, Richard Vacoury.
24:36 C'est Donald Trump qui a lancé sa paire de baskets,
24:39 un peu comme Jordan, sauf que là, elles sont dorées.
24:41 Il y a un gros "T" comme Trump et un drapeau américain dessus.
24:44 Il est venu la présenter aux fans de basket
24:47 et ils se sont réunis dans un salon à Philadelphie.
24:49 Elles coûtent entre 400 et 9 000 euros si elles sont dédicacées.
24:52 Vous êtes preneur ?
24:53 - C'est terrible.
24:54 Non, c'est d'un cynisme et d'un irrespect.
24:59 Tout ça pour en plus financer sa campagne.
25:03 - Il surfe sur quelque chose qui...
25:06 C'est un vrai business qui est très propre au basket aussi,
25:08 au basketball, je veux dire, au sport du basket.
25:11 - C'est un vrai business qui est très propre, surtout aux États-Unis,
25:14 qui n'occupe devant aucune action pour essayer de faire de l'argent.
25:21 Moi, je n'ai pas de mots pour lutter contre cet individu.
25:26 - Il vous fait peur ? - Il me fait très, très peur.
25:29 Ce qui me fait très peur, c'est qu'encore lui,
25:31 il serait tout seul, c'est vrai,
25:32 c'est qu'il a derrière des millions d'Américains qui l'en font,
25:36 et qu'il, quelles que soient ses actions,
25:41 continuent à l'admirer et à croire en lui, ça me paraît...
25:45 - Et qui vont voter pour lui. - Et qui vont voter, c'est insupportable.
25:48 - J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes.
25:51 Nous sommes entourés de quatre statues qui représentent chacune une vertu.
25:55 Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
26:00 Est-ce qu'il y a une de ces vertus qui vous caractérise, vous,
26:03 ou qui vous parle, ou qui est un combat pour vous ?
26:06 - Il y a quelque chose qui m'a toujours fait ragir,
26:10 c'est l'injustice.
26:11 Je crois énormément à la justice.
26:14 J'investirais beaucoup sur la justice,
26:18 parce que sans justice, il n'y a pas de société,
26:22 il n'y a pas de règles, il n'y a pas de vie ensemble.
26:28 Après, la sagesse, j'aime bien la sagesse.
26:30 On dit qu'elle vient avec l'âge.
26:32 Donc j'espère que je continuerai à faire preuve de sagesse
26:37 pour avancer dans la vie, pour donner de l'exemple à mes enfants
26:42 et à ceux qui me font confiance.
26:49 - Justice et sagesse et même confiance.
26:51 Merci infiniment, Richard, d'avoir essayé de vous être prêté au jeu
26:55 de cette interview.
26:57 Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
26:58 Émission, évidemment, à retrouver en podcast,
27:00 vous le savez maintenant.
27:01 À très bientôt sur Public Sénat.
27:02 Merci.
27:04 - Merci.
27:05 ...

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