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Le 10 avril 1944, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler réussissent à s'échapper du camp d'Auschwitz-Birkenau. Parvenus à Zilina, en Slovaquie, ils entrent en contact avec les responsables du Conseil juif et décrivent avec une abondance de détails la machine d'extermination nazie. Leurs témoignages sont consignés dans le «rapport Vrba-Wetzler» ou «protocole d'Auschwitz». Par la diffusion de ce document, les deux hommes espèrent empêcher l'anéantissement, imminent, de 800 000 membres de la communauté juive de Hongrie. Le rapport est transmis en urgence à Washington dans une version résumée, à laquelle auront accès les leaders des principales organisations juives, mais aussi Winston Churchill

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00:00:00Avril 1944. L'issue de la guerre est encore incertaine.
00:00:17Deux prisonniers juifs se cachent près de la clôture barbelée du camp d'extermination.
00:00:24Il était quasiment impossible de s'échapper d'Auschwitz.
00:00:31Beaucoup d'évadés ont été immédiatement repris, torturés et tués.
00:00:37Les chiens n'ont pas senti leur odeur parce qu'ils avaient déposé du tabac imbibé de pétrole tout autour de leurs cachettes.
00:00:57Ils sont restés là trois jours sans se faire repérer.
00:01:06Le 10 avril, ils quittent leur cachette et découpent la clôture.
00:01:12Il leur a fallu une bonne dose d'audace et de courage.
00:01:19Ils se sont évadés pour dire au monde qu'Auschwitz était une usine à tuer.
00:01:25Ils ont assisté à l'extermination des juifs en Europe.
00:01:29Leur témoignage va donner lieu à l'une des grandes questions morales du 20e siècle.
00:01:47Ce complexe meurtrier peut réduire en centaines de morts.
00:01:51Ce complexe meurtrier peut réduire en cendres plusieurs milliers d'êtres humains en moins de 24 heures.
00:02:04Ils n'ont pas bombardé Auschwitz.
00:02:07Ils s'en fichaient.
00:02:09Ils ne voulaient pas le faire.
00:02:13On aurait dû être révoltés par l'existence d'Auschwitz quand le camp marchait à plein régime.
00:02:19C'est une faute morale de l'Occident.
00:02:26Pourquoi a-t-on laissé le plus grand crime de l'histoire moderne se dérouler sans entrave pendant près de deux ans ?
00:02:32Un million de juifs ont péri dans ces chambres à gaz.
00:02:38Pourtant, l'épreuve ne manquait pas.
00:02:42Rudolf Verba et Alfred Wetzler traversent la Pologne occupée par les nazis et rejoignent Jilina, en Slovaquie.
00:02:49Là, ils entrent en contact avec le Judenrat, le conseil juif local.
00:02:55S'ils étaient capturés, c'était la mort assurée.
00:02:58Les SS les auraient d'abord torturés.
00:03:01Ils n'auraient pas pu s'occuper d'eux.
00:03:05Les deux hommes ont trouvé un abri sûr.
00:03:08Il leur faut maintenant remplir leur mission.
00:03:11Dire au monde ce qu'on fait aux juifs en Pologne.
00:03:18L'extermination des juifs se faisait dans le plus grand secret.
00:03:22Il n'y avait pas d'advertisement.
00:03:24Il n'y avait pas d'explication.
00:03:26Il n'y avait pas d'explication.
00:03:29L'extermination des juifs se faisait dans le plus grand secret.
00:03:33Jusqu'à ce moment-là, on ne disposait pas de preuves irréfutables ou de descriptions précises de ce qui se passait à Auschwitz.
00:03:40Oskar Krasniansky, du conseil juif, est mandaté pour s'entretenir avec Rudolf Verba et Alfred Wetzler.
00:03:48Je m'appelle Krasniansky. J'arrive de Bratislava.
00:03:52Nous sommes juifs. Nous étions à Auschwitz. Nous nous sommes évadés.
00:03:56Vous vous êtes évadés. On ne serait pas là sinon.
00:03:59Ils ne libèrent personne là-bas.
00:04:01Et si vous étiez des affabulateurs qui me font perdre mon temps ?
00:04:05Son rôle est de s'entretenir avec Verba et Wetzler.
00:04:09Il ne connaît rien de leur histoire. Il ne sait pas qui sont ces hommes.
00:04:13Donc il va devoir mener un interrogatoire pour s'assurer qu'il ne raconte pas des sorts nets.
00:04:184-4-0-7-0. Je lui ai demandé pourquoi il avait ces chiffres tatoués sur le bras.
00:04:25Il m'a regardé et m'a répondu « Où crois-tu que j'étais tout ce temps ? Dans un sanatorium ? »
00:04:32C'est comme ça que j'ai appris qu'il avait été interné à Auschwitz.
00:04:36Pourquoi êtes-vous tatoués sur le bras et vous sur la poitrine ?
00:04:39Les tatouages sur la poitrine étaient faits avec une telle violence que les gens s'évanouissaient.
00:04:43Est-ce la raison pour laquelle ils ont décidé de tatouer les prisonniers sur le bras ?
00:04:46Non. Non, c'est parce que les marques gravées sur la poitrine s'effaçaient trop vite.
00:04:51Et ces numéros, comment sont-ils attribués ?
00:04:55Quand je suis arrivé à Auschwitz, il y avait 28 600 déportés qui étaient arrivés avant moi.
00:05:01Ceux de mon convoi qui ont été sélectionnés pour travailler ont eu des numéros supérieurs à 28 600.
00:05:06Je pense que c'est le cas.
00:05:09Ceux de mon convoi qui ont été sélectionnés pour travailler ont eu des numéros supérieurs à 28 600.
00:05:13Je porte le numéro 44 070. Et je suis arrivé à peine deux mois après lui.
00:05:18La plupart des numéros inférieurs à 49 000 sont des Juifs Slovaques.
00:05:21Ensuite, de 49 000 à 64 800, ce sont des Juifs des Pays-Bas, de Belgique et de France.
00:05:26Puis de 80 000 à 92 000, ce sont des Juifs issus de différents ghettos de l'Est de l'Europe.
00:05:30Vous allez tout me raconter depuis le début. Je veux connaître tous les détails.
00:05:34Tout ce que vous avez appris sur Auschwitz-Birkenau.
00:05:37Auschwitz est un centre d'extermination.
00:05:39Non, attendez. Pas comme ça. Séparément.
00:05:44En 1944, on peut dire que Verba et Wetzler étaient des vétérans d'Auschwitz.
00:05:49La plupart des prisonniers juifs ne survivaient pas plus de quelques semaines ou quelques mois.
00:05:54Au fil du temps, ils avaient appris à contourner certaines règles établies par les SS.
00:06:00Ils savaient comment se cacher, comment s'organiser pour discuter sans se faire prendre,
00:06:06et comment obtenir davantage d'informations sur le camp.
00:06:12En 1944, le nom d'Auschwitz n'est pas encore connu.
00:06:19Il y a beaucoup de confusion à propos de ce camp.
00:06:22Au départ, tout ce qu'on sait, c'est que les Juifs sont transportés vers la Pologne occupée.
00:06:30La résistance polonaise a réussi à faire passer des informations sur les camps à l'extérieur.
00:06:35Certaines ont été publiées, et on dispose déjà de renseignements sur l'extermination des Juifs.
00:06:41Mais ils restent relativement fragmentaires, et parfois même contradictoires.
00:06:52Les deux hommes sont auditionnés séparément pour vérifier la cohérence de leur récit.
00:06:57Comme au tribunal, l'interrogatoire est consigné par écrit.
00:07:06Comment vous êtes-vous évadé ?
00:07:09On n'est pas sortis de la forêt. On se déplaçait uniquement de nuit.
00:07:13Quand êtes-vous arrivé à Auschwitz ?
00:07:16Je suis arrivé dans le camp le 30 juin 1942.
00:07:20Nous avons entendu des rumeurs.
00:07:23On dit que les Juifs sont assassinés par des machines qui fonctionnent au gaz et par des électrocutions de masse.
00:07:31Quand on voit la méthode mise en place, le professionnalisme avec lequel il a conduit cet interrogatoire,
00:07:37il est évident qu'il savait que les informations qu'il était en train de recueillir pouvaient changer la donne.
00:07:46L'interrogatoire a été mené dans l'idée qu'il pourrait déboucher sur des poursuites judiciaires.
00:07:51Il était donc essentiel de ne compiler que les faits.
00:07:55Il fallait établir les faits. Les faits. Rien que les faits.
00:08:00Continuez.
00:08:02La clôture. La triple clôture de Barbelé est électrifiée.
00:08:06Mais elles utilisent aussi le gaz. Des chambres à gaz.
00:08:10Continuez.
00:08:12Il y a quatre chambres à gaz avec des fours pour incinérer les cadavres.
00:08:15Les crématoires 1 et 2 sont de grande taille. Ils possèdent une salle de déshabillage.
00:08:19Une chambre à gaz et une chambre à gaz.
00:08:22Ils possèdent une salle de déshabillage, une chambre à gaz et des fours crématoires.
00:08:26Leur capacité totale s'élève à 2000 cadavres par jour.
00:08:29Les crématoires 3 et 4 sont plus petits et de moindre capacité.
00:08:33Le premier crématoire a été mis en service en mars 1943.
00:08:36Des invités de marque sont venus de Berlin pour visiter les installations.
00:08:40Ce jour-là, ils ont pu voir le massacre de 8000 juifs de Cracovie gazés et brûlés.
00:08:46Ils ont été très satisfaits du résultat.
00:08:49Comment savez-vous tout cela ?
00:08:51Je travaillais comme secrétaire à Birkenau, un autre secteur du camp.
00:08:55Ma tâche consistait notamment à enregistrer les survivants de chacun des convois qui arrivaient dans le camp.
00:09:00Je devais noter les noms de tous ceux qui avaient survécu en voyage en train
00:09:03et qui, alors arrivés à Auschwitz, n'étaient pas envoyés dans les chambres à gaz.
00:09:06C'est-à-dire entre 5 et 10 % de chaque convoi.
00:09:13Les secrétaires peuvent se déplacer un peu plus librement que les autres prisonniers
00:09:17et se rendre dans divers secteurs du camp.
00:09:20Par conséquent, ils sont à même de récolter des informations détaillées sur ce qui se passe vraiment.
00:09:27J'ai aussi obtenu des informations sur le fonctionnement des chambres à gaz
00:09:30et des fours crématoires par un membre des Unterkommando.
00:09:33Les Unterkommando ?
00:09:38Vous ne savez absolument rien, n'est-ce pas ?
00:09:45Il est très facile aujourd'hui de fermer les yeux et d'imaginer Auschwitz.
00:09:49On a tous vu des photos de gens massés sur les rampes.
00:09:52Certains d'entre nous ont même visité le camp.
00:09:55On a donc du mal à se représenter le caractère extrêmement parcellaire des informations sur Auschwitz à l'époque.
00:10:03Les prisonniers qui connaissaient le mieux ce qui se passait dans les chambres à gaz et les fours crématoires,
00:10:08c'étaient les membres de ce qu'on appelait les Unterkommando.
00:10:12Il s'agissait d'unités de déportés contraints de seconder les SS dans le meurtre et la crémation des prisonniers.
00:10:25Rudy et Freddy se sont dit qu'il fallait des faits susceptibles de convaincre les gens de la réalité de ce qu'ils racontaient.
00:10:35Ils ont donc eu l'idée d'écrire un rapport qui pourrait être diffusé et servir de preuve.
00:10:43Verba et Wetzler voulaient inclure des preuves aussi détaillées que possible dans ce rapport.
00:10:49Ils ont donc fourni différents plans.
00:10:58Auschwitz est un complexe gigantesque qui ne cesse de s'agrandir au fil du temps.
00:11:03Le premier camp, Auschwitz I, est créé en 1940.
00:11:08Plus tard, Birkenau est mis en place à quelques kilomètres de là, avec ses chambres à gaz et ses crématoires.
00:11:19Voici un croquis du cœur d'Auschwitz avec le camp principal et Birkenau.
00:11:26Ce dessin illustre le processus général du meurtre de masse.
00:11:31Voici l'un des complexes chambres à gaz, fours, crématoires que les SS ont construits à Birkenau.
00:11:38Il est frappant de voir la précision des plans de Verba et de Wetzler pour ce qui est de l'agencement du camp et de son organisation,
00:11:46sur la mécanique de l'extermination de masse et sur les SS.
00:11:51Ils ont même été jusqu'à indiquer les noms de prisonniers.
00:11:58Continuez.
00:12:00À la fin du mois de janvier, de grands convois de Français et de Néerlandais sont arrivés à Auschwitz.
00:12:07Mais seule une petite partie d'entre eux a atteint les baraquements.
00:12:11Qu'est-il arrivé à tous les autres ?
00:12:12Ils sont allés directement des trains aux chambres à gaz.
00:12:15Avez-vous assisté vous-même à la sélection des déportés ?
00:12:18Oui, j'étais dans une brigade de travail chargée d'intervenir sur la rampe.
00:12:22C'est là où les trains arrivaient.
00:12:24Il pouvait y en avoir un seul par jour, parfois cinq, parfois il y en avait toute la nuit.
00:12:28Ma tâche consistait à m'occuper des objets personnels des Juifs qui avaient été sélectionnés pour le crématoire
00:12:33et à retirer tous les cadavres des wagons à bestiaux.
00:12:44Il voit les Juifs extraits des trains et qu'on fait mettre en file.
00:12:49Il voit comment ceux qui sont jugés trop faibles ou malades et incapables de travailler
00:12:54sont dirigés vers les chambres à gaz.
00:13:00Rudolf Verba a vu tout cela de ses yeux.
00:13:03C'est un témoin oculaire de l'Holocauste.
00:13:06Il y avait des SS qui nous surveillaient et nous empêchaient de parler à tous ces malheureux qui descendaient du train.
00:13:11Et ces hommes étaient armés ?
00:13:13Bien sûr.
00:13:15Faites comme si je ne savais rien.
00:13:17Je n'ai pas besoin de faire semblant.
00:13:20Ils étaient armés de mitrailleuses.
00:13:23Certains d'entre eux avaient des matraques et parfois des fouets.
00:13:28Ils étaient armés jusqu'aux dents.
00:13:30Certains SS ont pris l'habitude de porter un bâton blanc, comme si c'était des cannes élégantes.
00:13:35Il y avait aussi des médecins SS qui participaient à la sélection.
00:13:39Les femmes, les enfants, les vieux, tous ceux que les nazis considéraient comme inaptes,
00:13:43étaient envoyés directement à la chambre à gaz.
00:13:45Le corps était mis à part et gardé en vie pour travailler.
00:13:48Combien ?
00:13:49C'était variable.
00:13:51Une toute petite partie, 5 ou 10%.
00:13:54Et j'imagine que les nazis employaient la force.
00:13:56Parfois, mais généralement non.
00:13:59Les déportés étaient très loin de se douter de ce qui les attendait.
00:14:02Il me paraît important d'insister.
00:14:04Quand un convoi arrivait à quai,
00:14:06ceux qui en descendaient n'avaient aucun moyen de savoir ce qui était arrivé à ceux qui les avaient précédés quelques heures plus tôt.
00:14:15Ils ont décrit le génocide dans le détail.
00:14:19La façon dont on s'y prenait.
00:14:23Ils demandaient aux gens de croire à l'inconcevable.
00:14:33On ne peut pas mettre des mots là-dessus.
00:14:36Stupeur.
00:14:38Terreur.
00:14:39Colère.
00:14:41Fureur.
00:14:42Rage.
00:14:45Et puis une sorte d'effarement.
00:14:48Et sûrement une forme d'incrédulité.
00:14:51Ces gens ont-ils perdu la raison ?
00:14:55Comment les soldats et les officiers SS s'occupaient-ils des nouveaux arrivants ?
00:15:02Je vous l'ai déjà dit.
00:15:03À leur arrivée, on les envoyait dans les chambres à gaz.
00:15:06Oui, mais ils procédaient comment ?
00:15:10J'ai vu des SS qui s'ennuyaient à mourir.
00:15:13Parce qu'ils devaient parfois s'occuper de trois ou quatre trains dans un très court laps de temps.
00:15:17Je les ai vus s'amuser, à changer de routine juste pour varier les plaisirs.
00:15:22Pour varier les plaisirs ?
00:15:24Oui. Parfois ils se montraient glacials.
00:15:27Il y avait les matraques, les chiens, ils hurlaient des ordres.
00:15:29Et d'autres fois c'était, c'est bien, vous êtes enfin arrivés.
00:15:32Nous sommes navrés, le train n'était pas confortable, mais à présent ça va aller mieux.
00:15:36Et à chaque fois les groupes connaissaient un sort comparable, j'imagine ?
00:15:41Oui, il y avait certains groupes qui étaient effrayés et totalement désorientés.
00:15:48Pour d'autres groupes, c'était presque le soulagement.
00:15:52Tout cela en fonction de l'accueil que les SS leur réservaient.
00:15:56On peut faire une pause. Vous allez manger quelque chose de chaud.
00:16:02Udol Verba a une dernière chose à dire, plus effroyable encore.
00:16:07Il se prépare pour l'extermination de tous les juifs de Hongrie.
00:16:13Comment pouvez-vous le savoir ?
00:16:15C'est pour ça qu'ils ont construit un nouveau crématoire et qu'ils ont agrandi la rampe.
00:16:18J'ai dit, comment savez-vous que leur intention est de tuer les juifs hongrois ?
00:16:24Les SS, ils parlent.
00:16:26À vous ?
00:16:27Je ne suis rien. Ils parlent entre eux. Je l'ai entendu à plusieurs reprises.
00:16:32Les soldats avaient l'habitude de récupérer les meilleures provisions qu'ils trouvaient dans les trains.
00:16:37On peut dire qu'ils avaient un régime alimentaire cosmopolite.
00:16:41J'ai même entendu un officier dire qu'il n'en pouvait plus de manger du fromage hollandais
00:16:45et qu'il avait hâte de voir arriver le salami hongrois.
00:16:53Êtes-vous certain de ce que vous dites ?
00:16:56Je dois vous le demander.
00:17:00Je dois vous le demander.
00:17:02Êtes-vous certain ?
00:17:04Ils l'ont dit à plusieurs reprises.
00:17:07C'est pour cette raison qu'il fallait que je réussisse à m'évader.
00:17:10Il faut avertir le peuple hongrois de ce qui va se passer.
00:17:15Il avait compris qu'il préparait Auschwitz à recevoir une grande quantité de gens pour les tuer.
00:17:23Et ces gens, c'étaient les juifs hongrois.
00:17:30Rudolf Verba et Alfred Wetzler rédigent un rapport de 40 pages,
00:17:34parfois appelé « Protocole d'Auschwitz ».
00:17:38Je travaillais comme secrétaire,
00:17:41alors j'ai reçu des passages du rapport pour les taper.
00:17:45Un témoignage cohérent, rédigé par des personnes,
00:17:49qui disposaient d'informations précises.
00:17:52C'était très important.
00:18:02Le protocole d'Auschwitz est très scientifique.
00:18:05Il n'y a pas beaucoup d'émotions.
00:18:07Et je crois que c'était un choix délibéré de la part des deux hommes.
00:18:10Il était inutile de parler de l'horreur de la chose.
00:18:13L'horreur était déjà là.
00:18:16C'est précis.
00:18:18C'est détaillé.
00:18:20Et au vu des circonstances,
00:18:22il est frappant de voir l'exactitude de leur rapport.
00:18:29Le 27 avril 1944,
00:18:32l'avertissement de Verba devient réalité.
00:18:35Un premier convoi de commandos de l'Auschwitz
00:18:38a été mis en place.
00:18:40Un premier convoi de 4 000 juifs venus de Hongrie
00:18:43arrive à Auschwitz.
00:18:45C'est la répétition générale
00:18:47de l'extermination des 800 000 juifs hongrois.
00:18:55Le crime était tellement effroyable,
00:18:58tellement inouï,
00:19:00tellement révoltant, maléfique et horrible,
00:19:03qu'il exigeait une réanimation.
00:19:06tellement révoltants, maléfiques et horribles qu'il exigeait une réaction indépendante de l'effort de guerre.
00:19:15On a compris que les nazis menaient deux guerres, une guerre raciale et une guerre mondiale.
00:19:21Et nous, on ne se battait que sur le plan militaire.
00:19:26Les nazis ont gardé secret leur projet d'extermination pour éviter toute résistance de la part des prisonniers, notamment dans les trains.
00:19:37Je dirais que comme les nazis étaient sur le point de perdre la guerre, ils essayaient de gagner le génocide.
00:19:46En mars 1944, en vue d'achever la destruction du peuple juif, les nazis occupent la Hongrie.
00:19:57La Hongrie possédait la plus grande communauté juive d'Europe encore indemne.
00:20:02Et les persécutions ont commencé quasiment immédiatement.
00:20:08J'ai compris qu'il y avait un problème dans le monde et dans le fait d'être juif quand ma mère a cousu l'étoile jaune sur ma veste en 1944.
00:20:21Tout ce qu'on savait, c'est que les Allemands nous détestaient, c'est tout.
00:20:25Ils ont commencé à appliquer les mêmes lois qu'en Allemagne contre les Juifs.
00:20:30C'est ainsi que nos malheurs ont commencé.
00:20:40Grâce au protocole d'Auschwitz, les Juifs de Slovaquie savent ce que les Juifs de Hongrie ignorent encore.
00:20:47Il est de leur devoir d'agir.
00:20:51L'objectif est de remettre le rapport au plus vite entre les mains des alliés.
00:20:54Mais faire sortir le document du continent est une entreprise hautement périlleuse.
00:21:02Tout messager devait être prêt à perdre la vie.
00:21:07S'il était pris, on le torturerait pour lui faire avouer d'où il tenait le document.
00:21:15Il était impensable pour l'Allemagne que cette information sorte de sa zone de contrôle.
00:21:25Dans la première semaine de mai 1944, le rapport est remis à un rabbin, Michael Dov Weissmandl.
00:21:32Il travaille pour l'organisation souterraine du Conseil juif à Bratislava, la capitale slovaque.
00:21:38Le rabbin Weissmandl était un homme de caractère.
00:21:42Il était retourné en Slovaquie pour sauver des gens.
00:21:44Son seul et unique objectif était de préserver sa communauté.
00:21:49Et il l'a fait.
00:21:51Par tous les moyens à sa disposition.
00:22:04Le rapport est le plus important de l'histoire.
00:22:07C'est le plus important de l'histoire.
00:22:10Le rapport est le plus important de l'histoire.
00:22:25Weissmandl est non seulement parmi les premiers à lire ce document,
00:22:30mais il est surtout le premier à croire véritablement ce qui est écrit.
00:22:35Le rabbin Weissmandl est bouleversé par le rapport.
00:22:39Il réalise en pleinement l'horreur de ce qui attend les prisonniers.
00:22:44La première partie du travail consistait à obtenir ces informations.
00:22:49La seconde était de les diffuser.
00:22:53Il faut agir dans la plus grande discrétion.
00:23:00Weissmandl envoie ce rapport partout.
00:23:03Il tente de le faire parvenir à l'agence juive à Jérusalem, mais aussi à Londres, et si possible aux Etats-Unis.
00:23:10Chacun de ces documents risque d'être intercepté, et je suis sûre que chacun d'eux l'a été.
00:23:15Mais il le fait dans l'espoir que l'un de ces cris dans la nuit sera entendu.
00:23:34La porte de notre chambre est enfoncée, deux gendarmes apparaissent.
00:23:39Ils nous hurlent qu'on a deux minutes pour nous préparer, et ils nous emmènent.
00:23:45Ils ont dit, sortez de la maison.
00:23:48Il a remarqué la montre au poignet de ma sœur, et il lui a dit, tu étais censé la donner, et tu as intérêt à me la donner tout de suite.
00:23:58Donnez vos bijoux, tout ce que vous possédez.
00:24:03Ma sœur tenait beaucoup à cette montre.
00:24:05Elle était très en colère.
00:24:08Elle l'a enlevée, elle l'a jetée contre le mur, et elle a dit au policier, maintenant, vous pouvez la voir.
00:24:16Mon père nous a regardés comme s'il voulait graver l'image de notre famille dans sa mémoire.
00:24:22On ne nous a pas dit où on allait.
00:24:25Il n'a dit qu'une chose.
00:24:28Restez calmes.
00:24:30Souvenez-vous, la sérénité est une force.
00:24:34Ils l'ont frappé, ils l'ont poussé vers la porte, et il a disparu.
00:24:43Le rabbin était un vieil homme à la barbe blanche.
00:24:47Ils l'ont fait marcher en tête de la colonne.
00:24:50C'était un symbole.
00:24:51Les juifs quittaient la ville.
00:24:52Quand on est arrivés à la gare, je n'ai pas vu de train.
00:24:56Je l'ai dit à ma grand-mère, mais elle m'a répondu, ils sont juste devant toi.
00:25:01J'ai dit, ces trains-là ne sont sûrement pas pour nous, ce sont des wagons à bestiaux.
00:25:06Ça criait et ça poussait, et on nous a jetés dans ces wagons.
00:25:12Il n'y avait pas de fenêtre, pas d'ouverture pour voir où on allait.
00:25:17Personne n'avait la moindre idée de notre destination.
00:25:19Il y avait mon père, ma mère et moi, et ils ont fait entrer encore 90 personnes.
00:25:24On n'avait à peine la place de tenir debout.
00:25:27Ils ont fermé les portes, ils les ont verrouillées, et j'ai su qu'on était piégés dans cette boîte.
00:25:33Certains étaient fous de désespoir, des vieillards priaient, des enfants pleuraient.
00:25:39On était terrifiés.
00:25:42Le train s'est mis à bouger, et on n'a plus entendu que le sifflement de la locomotive.
00:25:49Comme un appel à l'aide.
00:25:56Auschwitz se prépare en hâte pour l'arrivée de trains venant de Hongrie.
00:26:03Pour superviser ce massacre sans précédent, l'ESS rappelle le premier commandant du camp, Rudolf Huss.
00:26:13C'est lui qui avait dirigé les travaux de transformation d'Auschwitz en camp de la mort.
00:26:17Sa première mesure est d'accélérer la construction d'une ligne de chemin de fer qui arrive directement à l'intérieur du camp.
00:26:32Essaie de manger quelque chose.
00:26:35J'ai pas faim.
00:26:37Les trains qui emmènent les juifs hongrois à Auschwitz traversent la ville slovaque où Rudolf Werbach et Alfred Wetzler ont trouvé refuge.
00:26:48Le train arrive.
00:26:56Qu'est-ce que c'est ?
00:27:03Je crois que ça commence.
00:27:06Le monde n'a qu'une très vague idée de ce qui se passe en Hongrie.
00:27:10Il regarde ailleurs, car la guerre vient d'entrer dans une phase critique.
00:27:17La guerre sur le Pacifique
00:27:20Au même moment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, on prépare le débarquement en Normandie.
00:27:25L'issue de la guerre en dépend, et ces préparatifs prennent le pas sur tout le reste.
00:27:33La guerre se poursuivait dans le Pacifique, et les Etats-Unis fournissaient un immense effort de guerre.
00:27:39La guerre sur le Pacifique
00:27:42La guerre se poursuivait dans le Pacifique, et les Etats-Unis fournissaient un immense effort de guerre.
00:27:48Ils savaient qu'à mesure qu'ils se rapprochaient du Japon, le conflit allait se durcir, parce que les Japonais étaient de redoutables combattants.
00:27:58A l'autre bout de l'Europe, l'armée soviétique travaille à plein régime.
00:28:02La guerre sur le Pacifique
00:28:07Staline a anéanti l'armée allemande dans quelques-unes des plus grandes batailles de l'histoire moderne.
00:28:18Alors que les Alliés sont concentrés sur le front, le rapport commence à circuler.
00:28:23Le rabbin Weissmandel réussit à informer Roswell McClelland, le représentant du War Refugee Board, le comité des réfugiés de guerre, dont le bureau se trouve en Suisse.
00:28:41Ce comité a été fondé par Roosevelt au début de l'année 1944.
00:28:46C'est le seul organisme au monde créé pour sauver les Juifs.
00:28:50Entrez.
00:28:56C'est le document.
00:29:08Le comité des réfugiés de guerre a pour mandat de sauver les gens.
00:29:12Vous remarquez qu'il s'agit des réfugiés, pas les Juifs.
00:29:17Ils étaient sélectionnés pour être gazés.
00:29:22L'entrée donne l'impression d'être dans l'antichambre d'un grand établissement thermal.
00:29:26On peut y masser 2000 personnes.
00:29:29Puis une porte s'ouvre et on franchit quelques marches pour entrer dans une salle longue et étroite, la chambre à gaz.
00:29:36Roswell McClelland est particulièrement célèbre.
00:29:39Parce qu'en 1942, il a travaillé dans le sud de la France avec des Juifs dans des camps d'internement.
00:29:44Il connaît ces gens personnellement.
00:29:47Il les a vus partir pour Auschwitz.
00:29:50Et à présent, il découvre ce qu'il leur est arrivé.
00:29:58Au moment d'envoyer le protocole, Weissmann-Dirlewitz, le directeur général du comité des réfugiés de guerre,
00:30:03y ajoute une conclusion solennelle.
00:30:06« Et vous, nos frères de tous les pays libres,
00:30:10que faites-vous pour empêcher l'extermination qui dévore dix mille personnes chaque jour ?
00:30:15Pour l'amour de Dieu, agissez maintenant au plus vite. »
00:30:21Cette exhortation donne naissance à l'un des plus grands dilemmes moraux du XXe siècle.
00:30:26L'exhortation de l'extermination.
00:30:28Cette exhortation donne naissance à l'un des plus grands dilemmes moraux du XXe siècle.
00:30:34Que faire face à la tragédie des camps de la mort ?
00:30:37Il est le premier à exiger que les Alliés bombardent Auschwitz.
00:30:44Dans un premier temps, la demande de bombarder Auschwitz a surpris.
00:30:50Ces gens veulent qu'on détruise un camp où leurs corrés légionnaires sont prisonniers.
00:30:55Ça paraissait très étrange.
00:30:59Cet appel à bombarder Auschwitz était une tentative désespérée, un cri de désespoir.
00:31:08« Fichons le feu à ce foutu camp, détruisons-le.
00:31:12Et là, on aura au moins fait quelque chose qui compte. »
00:31:20Le temps presse.
00:31:22Roswell McClelland décide de télégraphier un résumé du document à Washington.
00:31:29C'est un très long rapport.
00:31:32Il est impensable de le coder entièrement pour le sortir de Suisse et le faire décoder à Washington.
00:31:38La Suisse est cernée par des territoires occupés.
00:31:41On ne peut pas envoyer de messagers à l'étranger.
00:31:44Alors Roswell McClelland adresse un très long télégramme au comité
00:31:48et ajoute qu'il enverra le rapport complet dès que possible.
00:31:52Depuis le début de l'été 1942, au moins 1,5 million de Juifs ont été tués.
00:31:58Nous avons la preuve que, dès janvier 1944,
00:32:01des préparatifs ont été faits pour recevoir et exterminer les Juifs de Hongrie dans ces camps.
00:32:22Les conditions de vie dans le wagon étaient indescriptibles.
00:32:26Pendant trois jours et trois nuits, on est restés enfermés dans cette boîte.
00:32:33On se tenait là-dedans comme des harangs dans un bocal.
00:32:38On s'endormait debout, au milieu du groupe, en bougeant avec le train.
00:32:44Il n'y avait rien.
00:32:45Il n'y avait qu'une minuscule fenêtre pour l'air et un seau pour faire ses besoins.
00:32:55C'était extrêmement gênant et très désagréable.
00:33:03Tous les matins, au cours du voyage, ils ouvraient les portes et ils sortaient les cadavres.
00:33:10Les gens se sont endormis.
00:33:12Ils mouraient de différentes choses, de crises cardiaques.
00:33:19Tout d'un coup, on entend la locomotive siffler.
00:33:22On se réveille et on croit avoir fait un mauvais rêve.
00:33:26Et puis les idées s'éclaircissent.
00:33:28Ce n'est pas un cauchemar, c'est la réalité.
00:33:31Il y a une pensée qui me hante et dont je n'ai jamais pu me débarrasser.
00:33:36J'ai tellement rêvé, j'ai tellement rêvé,
00:33:38que j'ai une pensée qui me hante et dont je n'ai jamais pu me débarrasser.
00:33:42J'ai tellement honte.
00:33:53Comment un enfant de 14 ans peut-il en arriver à souhaiter la mort des gens ?
00:34:00Simplement pour avoir la place de s'asseoir.
00:34:03Qu'ont-ils fait de moi ?
00:34:08Je ne peux pas chasser cette question de mon esprit.
00:34:11J'ai toujours espoir d'y arriver, mais rien n'y fait.
00:34:18Le télégramme de Roswell McClelland,
00:34:20avec le résumé du protocole et la requête de bombarder le camp,
00:34:24parvient au siège du War Refugee Board à Washington.
00:34:31Les sources de ces informations en Slovaquie et en Hongrie
00:34:35nous conjurent de bombarder des portions de voies ferrées stratégiques.
00:34:41Elles demandent aussi que les camps de Auschitz et de Birkenau,
00:34:44et surtout les chambres à gaz et les fours crématoires,
00:34:47reconnaissables à leur haute cheminée,
00:34:50soient bombardés par l'aviation.
00:34:55Le directeur du Bureau des réfugiés de guerre est l'avocat John Paley.
00:34:59Il doit maintenant décider de ce qu'il faut faire de cette information.
00:35:06Quand les gens ont lu le détail de ces atrocités,
00:35:11ils ont compris qu'il s'agissait de quelque chose de terrible,
00:35:16d'un fait inédit dans l'histoire des conflits et de la Seconde Guerre mondiale,
00:35:20qui était pourtant semée de massacres.
00:35:23C'était quelque chose d'effroyable.
00:35:29Pouvez-vous demander à M. Haskin de me rejoindre dans mon bureau ?
00:35:33Je ne prendrai pas d'appel jusqu'à la fin de ce rendez-vous.
00:35:38John Paley était un homme mesuré, scrupuleux et tenace.
00:35:43Ce n'était pas un cynique.
00:35:45Il croyait vraiment que les États-Unis pouvaient tenter de sauver des gens.
00:35:51Ben !
00:35:54Il faut que vous je tiens un coup d'œil à ce document.
00:35:59Ça vient de Roswell-McLelland.
00:36:01Auschwitz, je crois qu'il veut dire Auschwitz.
00:36:05Benjamin Haskin est un avocat.
00:36:07Il est originaire de Lettonie.
00:36:09C'est un homme d'une grande intelligence et il est juif.
00:36:12Il a certainement encore de la famille et des amis en Europe.
00:36:15Le Comité des réfugiés est pour lui le moyen de se rendre utile.
00:36:31C'est...
00:36:33C'est inconcevable.
00:36:37Incroyable.
00:36:39Invraisemblable.
00:36:42Il parle de 125 000 personnes par mois.
00:36:47Il faut contacter directement le président.
00:36:50Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?
00:36:52Ça ne fonctionne pas comme ça.
00:36:54Il faut suivre les règles.
00:36:56La procédure.
00:36:57Il n'existe sûrement pas de règles pour ça.
00:36:59Vous ne croyez pas ?
00:37:00C'est vrai.
00:37:02Nous devons en être sûrs, c'est tout.
00:37:05Mais tous ces détails...
00:37:08Il y a deux témoins oculaires de ce crime.
00:37:11C'est inhabituel, c'est vrai.
00:37:13C'est sans précédent, John.
00:37:15Et Roswell-McLelland semble être convaincu, lui.
00:37:19Son avis importe tout de même.
00:37:21Oui.
00:37:24Mais regardez ceci.
00:37:27C'était avec le télégramme.
00:37:30C'est une liste de suggestions d'organisations juives de Slovaquie et de Suisse.
00:37:34C'est Roswell qui les a jointes au document.
00:37:42Il me semble que c'est assez cohérent, vous ne trouvez pas ?
00:37:48Si vous acceptez ceci, alors...
00:37:51Vous devez nécessairement faire cela.
00:37:54Ma première réaction est de leur donner raison.
00:37:57Il faut bombarder.
00:37:58Leur envoyer un message clair.
00:38:01Ah.
00:38:02Les réactions à chaud peuvent être...
00:38:03Ce n'est pas une simple réaction à chaud.
00:38:05Vous êtes indigné, bien sûr.
00:38:07Bien sûr que je suis indigné.
00:38:08Les Etats-Unis d'Amérique sont indignés, n'est-ce pas ?
00:38:12C'est pour ça que nous devons bombarder.
00:38:15Pour qu'ils comprennent notre indignation.
00:38:18Je pense qu'il y a un problème.
00:38:20Pour qu'ils comprennent notre indignation.
00:38:23Je pense que cette réaction,
00:38:25le fait de vouloir bombarder le camp
00:38:27pour faire quelque chose contre cette abomination,
00:38:30n'a rien d'étrange.
00:38:32Je crois que chacun d'entre nous imagine
00:38:34qu'il aurait réagi de la même manière dans ces circonstances.
00:38:39Ce rapport, John,
00:38:40il parle de meurtre à l'échelle industrielle.
00:38:44Ce rapport a modifié l'opinion de beaucoup de gens.
00:38:49Pour mettre un terme à ce massacre de masse,
00:38:51il fallait supprimer son instrument.
00:38:53Et le seul moyen de détruire cet instrument
00:38:56était de bombarder le camp.
00:38:59Vous savez, j'ai beau fouiller ma mémoire,
00:39:03je ne me rappelle pas avoir entendu parler
00:39:05d'une proposition de ce type.
00:39:07Ça ne s'est jamais vu.
00:39:09Bombarder des civils de son propre camp ?
00:39:11Des civils que nous nous sommes engagés à sauver ?
00:39:17C'est une aberration morale.
00:39:21Enfin, je ne sais pas.
00:39:25Et si on bombardait les voies ferrées ?
00:39:28Les jonctions ?
00:39:31L'embranchement en commun ?
00:39:33Les rues ?
00:39:35Les jonctions ?
00:39:38L'embranchement entre Kozice et Prechov, par exemple.
00:39:41Est-ce qu'on ne pourrait pas...
00:39:43Est-ce qu'on ne pourrait pas paralyser
00:39:45leur capacité à déporter les gens ?
00:39:47Les rails, c'est facile à réparer.
00:39:49N'est-ce pas ce qu'on nous répond à chaque fois ?
00:39:52En deux ou trois jours, les voies sont remises en état.
00:39:54Il suffit de recommencer.
00:39:58Vous voulez un verre ?
00:40:01Il est un peu tôt, mais...
00:40:04Oui, c'est vrai.
00:40:07John Paley sait que son organisation
00:40:09n'a pas la main sur la prise de décision.
00:40:11La mission du Comité des réfugiés
00:40:13est de savoir ce qui se passe en Europe.
00:40:15Et pour lui, ce rapport est sans doute une information
00:40:17qui n'est pas destinée à être suivie des faits.
00:40:23Je vais soumettre l'idée au ministère de la Guerre.
00:40:26Mais je sais déjà ce qu'ils diront.
00:40:28On ne peut pas se le permettre.
00:40:31Une fois que vous avez compris
00:40:33que des Juifs sont tués chaque jour,
00:40:35vous ne pouvez plus continuer à vivre comme avant
00:40:38et rester sans rien faire.
00:40:41Vous ne pouvez pas vous dire
00:40:43qu'on va gagner la guerre
00:40:45et on s'inquiètera des réfugiés après.
00:40:47C'est une situation totalement inédite.
00:40:49Elle exige...
00:40:51Une remise en cause ?
00:40:52Oui.
00:40:56Malheureusement, nous n'avons pas le pouvoir
00:40:58de réécrire nos statuts.
00:41:00Vous le savez, Ben.
00:41:03Notre mission est de porter secours
00:41:05et assistance aux victimes, je cite,
00:41:07« s'ennuire à la poursuite victorieuse de la guerre ».
00:41:12La phrase « s'ennuire à la poursuite victorieuse de la guerre »
00:41:15n'est pas cynique.
00:41:17Personne ne souhaite retarder la victoire.
00:41:19Personne ne soutient qu'il faudrait prolonger
00:41:21le conflit pour sauver des gens.
00:41:25John Paley transmet la requête du bombardement
00:41:27à la chaîne de commandement.
00:41:29Elle parvient à John McCloy,
00:41:31l'assistant du secrétaire d'État à la guerre.
00:41:34John McCloy avait le pouvoir
00:41:36de faire suivre les recommandations émises
00:41:38par le Comité des réfugiés de guerre.
00:41:42Mais il ne souhaitait pas détourner
00:41:44les ressources prévues pour la guerre.
00:41:47Parce qu'à ce moment précis,
00:41:49on était à un point critique du conflit.
00:41:53Le débarquement des Alliés en Normandie
00:41:55s'est déroulé comme prévu.
00:41:57Ils doivent maintenant marcher sur l'Allemagne,
00:41:59atteindre Berlin
00:42:01et obliger le régime nazi
00:42:03à une reddition sans condition.
00:42:05Les missions de bombardement
00:42:07contre des cibles civiles, militaires et industrielles
00:42:09s'intensifient.
00:42:11Sur le front de l'Est,
00:42:13l'armée rouge progresse en direction de la Pologne.
00:42:23Personne n'avait vraiment pris
00:42:25la mesure de la chose,
00:42:27de ce projet d'éradiquer
00:42:29tout un pan de la population,
00:42:31d'un bout à l'autre de l'Europe
00:42:33et au-delà.
00:42:35L'urgence était de gagner la guerre.
00:42:37On ne peut pas se laisser distraire
00:42:39par Auschwitz.
00:42:45437 402 Juifs
00:42:47ont été envoyés à Birkenau
00:42:49à bord de 147 trains.
00:42:52147 trains en 54 jours,
00:42:54ça fait 2,7 trains par jour,
00:42:56avec en moyenne
00:42:582975 Juifs par train.
00:43:09À ce moment-là,
00:43:11Auschwitz entre dans une frénésie meurtrière.
00:43:18Dans le camp,
00:43:21on avait encore jamais tué autant de Juifs
00:43:23et à un tel rythme
00:43:25que dans la période de mai à juillet 1944.
00:43:51Il était très tôt le matin
00:43:53quand nous sommes arrivés.
00:43:55Les portes se sont ouvertes
00:43:57et on a entendu crier
00:43:59Erhaus, Erhaus, Schnell, Schnell.
00:44:01Deux types nous ont sautés dessus.
00:44:03Pour nous,
00:44:05ils étaient en pyjama,
00:44:07en pyjama rayé.
00:44:09À travers les planches de notre wagon,
00:44:11j'ai vu le nom Auschwitz.
00:44:13Je n'avais aucune idée
00:44:15de ce que c'était.
00:44:20Il y avait des soldats nazis,
00:44:22les fusils pointés sur nous.
00:44:24D'autres tenaient en laisse
00:44:26de gros chiens
00:44:28qui grognaient et nous aboyaient dessus.
00:44:30De vrais bruts.
00:44:32Rien qu'à les voir, on était terrifiés.
00:44:36La première chose qu'on a remarquée,
00:44:38c'était une odeur très étrange.
00:44:42Un parfum assez suave
00:44:44et en même temps, ça sentait le brûler.
00:44:46Je me demandais ce que c'était.
00:44:48J'ai pensé, c'est une boulangerie
00:44:50et ils font du pain.
00:44:52On ne savait pas où on était
00:44:54ni ce qui se passait.
00:44:56Et on n'avait pas le temps
00:44:58de réfléchir.
00:45:10J'ai remarqué que sur la gauche,
00:45:12ils mettaient les gens plus âgés,
00:45:14ceux qui portaient des lunettes,
00:45:16les enfants et les femmes.
00:45:20Ma mère,
00:45:22mes deux petits frères,
00:45:24le bébé dans les bras de ma mère,
00:45:26mon grand-père,
00:45:28ma grand-mère et ma tante.
00:45:30On sentait qu'il y avait
00:45:32quelque chose de bizarre
00:45:34et on ne savait pas quoi.
00:45:36Ma mère est allée vers la gauche.
00:45:40Il les a envoyés d'un signe de la main
00:45:42sur la gauche.
00:45:44On n'a pas eu le temps
00:45:46de se dire au revoir.
00:45:48Et c'est là que j'ai vu mon père
00:45:50pour la dernière fois.
00:45:52Il avait 60 ans.
00:46:04Il y avait une grande inscription
00:46:06qui disait
00:46:08« Arbeit macht frei »
00:46:10Traduction
00:46:12Le travail rend libre.
00:46:18Le résumé du protocole
00:46:20et la proposition de bombarder
00:46:22Auschwitz parviennent à des responsables
00:46:24juifs à Jérusalem.
00:46:26Ils arrivent aussi sur le bureau
00:46:28d'Anthony Hidden, le ministre
00:46:30des Affaires étrangères britanniques.
00:46:36Les représentants de l'Agence juive
00:46:38à Londres, Chaim Weizmann
00:46:40lui demandent un rendez-vous
00:46:42pour exposer leurs requêtes.
00:46:46Chaim Weizmann
00:46:48était le président de l'organisation
00:46:50sioniste mondiale
00:46:52et il comprenait très bien
00:46:54la situation des Juifs.
00:46:56Moshe Chertok a été par la suite
00:46:58le deuxième premier ministre d'Israël.
00:47:02Un mois plus tôt,
00:47:04des responsables juifs réunis à Jérusalem
00:47:06ont discuté de l'idée
00:47:09L'Agence juive,
00:47:11qui était le gouvernement de la communauté juive
00:47:13de Palestine, y était opposée.
00:47:15Pour elle, on risque
00:47:17de tuer des Juifs sans interrompre
00:47:19le processus d'extermination.
00:47:23Mais à la lecture du protocole,
00:47:25les responsables juifs changent de position.
00:47:31Nous pensons qu'il faudrait envisager
00:47:33des représailles sous une forme ou une autre.
00:47:35Quelque chose qui pourrait avoir un effet
00:47:37persuasif sur l'Allemagne.
00:47:39Et si le camp d'Auschwitz-Birkenau
00:47:41continue de fonctionner comme un centre d'extermination...
00:47:43On bombarde.
00:47:47Cette opération devra disloquer
00:47:49cette mécanique meurtrière,
00:47:51ceci dans l'espoir d'empêcher l'extermination
00:47:53des 300 000 Juifs de Hongrie
00:47:55qui n'ont pas encore été déportés.
00:47:57Et puis, ce sera aussi
00:47:59un message envoyé au monde.
00:48:01Il dira que les Alliés condamnent
00:48:03cette entreprise d'extermination du peuple juif en Europe.
00:48:05Nous nous devons toutefois
00:48:07de faire une mise en garde.
00:48:09Elle est un peu évidente.
00:48:11Les nazis useront de cette opération
00:48:13à des fins de propagande.
00:48:15Ils diront que ce sont les Alliés
00:48:17et non eux-mêmes qui tuent les Juifs.
00:48:19C'est évident.
00:48:21Quoi qu'il en soit, sachez que cette proposition
00:48:23est la seule que nous envisageons.
00:48:25C'est aussi la solution que nous préconisons.
00:48:27Elle est audacieuse, pleine d'imagination
00:48:29et elle pourrait même réussir.
00:48:31Il est certain que les derniers renseignements
00:48:33dont nous disposons, s'agissant des massacres de Haute-Silesie,
00:48:35réclament de notre part une toute nouvelle approche.
00:48:39Vous ne croyez pas ?
00:48:41Et Monsieur Churchill ?
00:48:43Il y est aussi favorable.
00:48:45Du moins, sur le principe.
00:48:47Ce que nous devons faire à présent,
00:48:49c'est examiner la faisabilité
00:48:51avec le ministère de l'Air.
00:48:53Oui, bien sûr.
00:48:57Monsieur Chertok.
00:48:59Merci.
00:49:01Je vous en prie.
00:49:07Dans une note adressée à Anthony Hidden,
00:49:09Winston Churchill parle d'Auschwitz.
00:49:13Il s'agit sans aucun doute
00:49:15du crime le plus effroyable
00:49:17jamais commis dans l'histoire de l'humanité.
00:49:21Churchill avait qualifié
00:49:23ce qui arrivait aux Juifs
00:49:25de crime sans nom.
00:49:27À présent, on connaît son nom.
00:49:29On appelle ça l'Holocauste,
00:49:31ou la Shoah.
00:49:33Il était sensible à ce qui se passait.
00:49:35La requête lui a semblé raisonnable,
00:49:37faisable et nécessaire.
00:49:45Il a dit à Hidden,
00:49:47je suis d'accord avec vous, il faut agir.
00:49:49Et il a ajouté,
00:49:51prenez ce que vous pouvez dans l'armée de l'air
00:49:53et faites appel à moi si nécessaire.
00:49:55Pour Hidden,
00:49:57ces mots signifiaient
00:49:59agissez vite et résolument,
00:50:01vous avez ma bénédiction.
00:50:03Le gouvernement britannique
00:50:05envisage donc sérieusement ce bombardement.
00:50:07Deux des hommes les plus puissants
00:50:09du pays soutiennent cette idée.
00:50:13Anthony Hidden
00:50:15gagne en influence vers la fin de la guerre.
00:50:19Il peut faire entendre une voix divergente
00:50:21sur des questions essentielles
00:50:23pour les étrangers.
00:50:27Anthony Hidden convoque le ministre de l'air,
00:50:29Archibald Sinclair,
00:50:31pour évoquer la faisabilité de ce raid aérien.
00:50:33Je vous avoue ma surprise
00:50:35en recevant ceci.
00:50:37Cette affaire n'a pas été soulevée au conseil des ministres.
00:50:39Ce n'est pas nécessaire, de l'avis de Winston.
00:50:43Le sentiment qui prévaut au sein de mon ministère
00:50:45est qu'il ne faut pas perturber la campagne de Normandie
00:50:47avec une opération de cette nature.
00:50:49Vraiment ?
00:50:51C'est ce que je veux contester.
00:50:53Et puis l'affaire n'est-elle pas du ressort
00:50:55de nos alliés soviétiques ?
00:50:57Ils sont beaucoup plus proches de la cible
00:50:59que nous le sommes, n'est-ce pas ?
00:51:01Par ailleurs, je ne suis pas certain
00:51:03que le bombardement aérien de ces camps
00:51:05serait très utile à ces pauvres victimes.
00:51:07Si elles ont besoin de quelque chose,
00:51:09ce serait plutôt d'un parachutage,
00:51:11si vous voulez mon avis.
00:51:13Un parachutage ?
00:51:15Eh bien oui, avec leurs propres armes,
00:51:17ces gens pourront se débarrasser eux-mêmes des nazis.
00:51:19C'est ce que j'ai fait, Anthony.
00:51:21Eh bien non, pas tout à fait, voyez-vous.
00:51:23Vous avez produit une liste des objections
00:51:25que pourrait avoir l'armée de l'air
00:51:27contre cette mission, accompagnée de suggestions
00:51:29saugrenues de votre cru.
00:51:31Ce que nous avons besoin de savoir,
00:51:33vous et moi,
00:51:35c'est si le bombardement envisagé sur Auschwitz
00:51:37est du domaine du possible.
00:51:39Le Premier ministre attend vos estimations,
00:51:41dépouillé de toute appréciation personnelle.
00:51:43Vous devriez coordonner vos réflexions
00:51:45avec les Américains.
00:51:47Bien, je vais fixer un rendez-vous
00:51:49avec l'ambassadeur des demands.
00:51:51Je voulais parler de leur armée de l'air.
00:51:53N'est-ce pas la meilleure chose à faire à ce stade ?
00:51:57Sinclair était dans son rôle
00:51:59de ministre de l'air,
00:52:01qui était de concentrer les ressources
00:52:03des forces aériennes sur les opérations militaires.
00:52:07Je pense qu'il s'est dit
00:52:09je ferais mieux de passer ça aux Américains.
00:52:11Ils sont mieux placés que nous pour intervenir.
00:52:17Sinclair était submergé
00:52:19de demandes de bombardement.
00:52:21Ce n'était pas une priorité
00:52:23et ce n'était pas assez urgent.
00:52:25Les instances dirigeantes de l'armée
00:52:27avaient une priorité,
00:52:29remporter la guerre.
00:52:31Et ensuite,
00:52:33on pourrait faire quelque chose
00:52:35pour les problèmes périphériques,
00:52:37entre guillemets.
00:52:43La demande de faisabilité d'Anthony Hidden
00:52:45est transmise au général Carl Spatz,
00:52:47l'un des hommes les plus puissants
00:52:49des forces aériennes alliées.
00:52:55C'est un homme efficace et énergique.
00:52:57Et il dit, oui,
00:52:59c'est quelque chose de faisable.
00:53:03Je ne peux pas imaginer quelqu'un comme Carl Spatz
00:53:05lire ce rapport sans être révolté.
00:53:09Il a forcément eu envie
00:53:11de lancer des représailles
00:53:13ou au moins de tenter d'atteindre ce camp
00:53:15avec l'instrument dont il disposait,
00:53:17c'est-à-dire les bombardiers à longue portée.
00:53:23Les missions de ces bombardiers exigent
00:53:25une planification précise.
00:53:27De morale, la question
00:53:29« Faut-il bombarder Auschwitz ? »
00:53:31devient alors technique.
00:53:33Est-il possible de bombarder Auschwitz ?
00:53:39Chaque cible qui a été frappée
00:53:41a été d'abord passée au crible par les renseignements.
00:53:43Où est le site ?
00:53:45À quoi ressemble-t-il ?
00:53:47Quel est le meilleur plan d'attaque ?
00:53:49Quel est le meilleur itinéraire ?
00:53:53Les Alliés ont recueilli
00:53:55des informations sur la région d'Auschwitz.
00:53:57Le 4 avril,
00:53:59trois jours avant l'évasion de Rudolf Werba
00:54:01et Alfred Wetzler,
00:54:03un avion espion a survolé le camp
00:54:05et photographié l'usine voisine
00:54:07de caoutchouc synthétique IG Farben,
00:54:09connue sous le nom d'Auschwitz III.
00:54:17Ils avaient photographié le secteur
00:54:19autour d'IG Farben en prévision de frappes
00:54:21sur des cibles majeures,
00:54:23les zones industrielles qui produisaient
00:54:25de l'essence synthétique pour l'Allemagne.
00:54:31Les clichés sont envoyés
00:54:33à l'unité d'interprétation centrale
00:54:35de la RAF à Medmenham,
00:54:37située à 70 kilomètres de Londres.
00:54:43Les images sont analysées en trois dimensions
00:54:45grâce à des stéréoscopes
00:54:47pour identifier des cibles précises.
00:54:49Trois photographies montrent le camp de la mort.
00:55:01Ils ne cherchaient pas précisément
00:55:03un camp d'extermination.
00:55:05Ils savaient qu'il y avait
00:55:07un camp de travail et une prison,
00:55:09mais il y en avait partout en Europe.
00:55:13Dans les semaines qui suivent,
00:55:15d'autres clichés de reconnaissance
00:55:17de l'usine IG Farben sont pris.
00:55:21Les photographies couvraient tout le secteur,
00:55:23pas seulement le site d'IG Farben.
00:55:25Ils ont photographié Birkenau,
00:55:27donc ils avaient des clichés
00:55:29des fours crématoires,
00:55:31mais ils ne le savaient pas.
00:55:35Le 6 juin 1944,
00:55:37le jour du débarquement,
00:55:39les renseignements alliés diffusent
00:55:41le rapport d'analyse sur le secteur d'Auschwitz.
00:55:43Ils se concentrent sur l'usine IG Farben
00:55:45et ne mentionnent pas le camp de la mort.
00:55:51Les analystes cherchaient des sites
00:55:53de V1, de V2, des aérodromes,
00:55:55tout ce qui pouvait menacer
00:55:57le débarquement en Normandie.
00:55:59Medmenham recevait une énorme
00:56:01quantité de documents.
00:56:03Ils ne cherchaient pas quelque chose en particulier,
00:56:05ils ne pouvaient pas le trouver.
00:56:11Ils avaient le regard rivé
00:56:13sur les plages de Normandie.
00:56:15Ils ne pouvaient pas imaginer envoyer
00:56:17des bombardiers de l'ARAF
00:56:19sur l'Europe de l'Est.
00:56:23Pourtant, les alliés effectuent déjà
00:56:25des bombardements sur l'Europe de l'Est.
00:56:27Ils occupent depuis plusieurs mois
00:56:29le sud de l'Italie.
00:56:31Des bombardiers américains ont décollé
00:56:33de la base de Foggia pour frapper
00:56:35des sites stratégiques en Hongrie,
00:56:37en Roumanie et en Pologne.
00:56:55Ils ont attaqué des cibles
00:56:57toutes proches d'Auschwitz.
00:56:59Les fours crématoires de Birkenau
00:57:01étaient donc à portée de leurs avions.
00:57:09Il faut garder à l'esprit
00:57:11que le projet de bombarder Auschwitz
00:57:13consiste à détruire les installations
00:57:15sans tuer les prisonniers.
00:57:17C'est extrêmement difficile.
00:57:19Les chambres à gaz d'Auschwitz faisaient
00:57:21la taille d'un cours de tennis.
00:57:25Le bombardement de précision n'existait pas
00:57:27au moment du conflit.
00:57:29Les B-17 américains volaient
00:57:31à près de 500 km heure
00:57:33à plus de 9000 m d'altitude.
00:57:35Et les bombes qu'ils transportaient
00:57:37étaient très primitives.
00:57:39On estime que pour détruire
00:57:41tous les fours crématoires,
00:57:43il aurait fallu envoyer
00:57:45environ 220 bombardiers.
00:57:47Et chacun d'eux aurait dû
00:57:49larguer 10 bombes pour avoir
00:57:51une petite chance que l'une d'entre elles
00:57:53atteigne sa cible.
00:57:57C'est une mission
00:57:59très difficile.
00:58:01Ils bombardent
00:58:03au petit bonheur la chance.
00:58:13Où les bombes atterrissent,
00:58:15personne ne le sait.
00:58:17Et donc, il y a eu des ratés.
00:58:19Toutes les solutions étaient mauvaises,
00:58:21parce que même une petite erreur
00:58:23pouvait entraîner la mort
00:58:25de beaucoup de gens.
00:58:27Le général Spatz
00:58:29est confronté à ce dilemme.
00:58:31Son premier objectif
00:58:33est d'obtenir des renseignements précis
00:58:35et des photographies de la cible.
00:58:39Karl Spatz dit qu'il lui faut
00:58:41autant de détails que possible
00:58:43pour planifier l'attaque
00:58:45de façon efficace.
00:58:47Il ne compte pas envoyer
00:58:49un groupe de jeunes pilotes
00:58:51remplir une mission
00:58:53qui a peu de chances de réussir
00:58:55et qui ne fera que gâcher
00:58:57des ressources.
00:58:59Il a besoin de renseignements
00:59:01et très vite.
00:59:05Les renseignements existent déjà,
00:59:07mais personne ne le sait.
00:59:09A Medmenam, les photographies
00:59:11du site ont été rangées et archivées.
00:59:13Pendant ce temps,
00:59:15à Auschwitz, le massacre continue.
00:59:35Je me suis dit que ma mère allait bien,
00:59:37qu'elle était sûrement
00:59:39dans un autre camp,
00:59:41identique au mien.
00:59:45Je me suis dit que ma mère allait bien,
00:59:47qu'elle était sûrement dans un autre camp,
00:59:49identique au mien.
00:59:53On nous a mis sous la douche.
00:59:55Il y avait un jeune homme de ma ville,
00:59:57âgé d'une vingtaine d'années.
00:59:59Il portait des lunettes à verre épais.
01:00:01Il les a perdus sous la douche.
01:00:05Elle va survivre.
01:00:07Pour la première fois de ma vie,
01:00:09je suis seule,
01:00:11mais je vais me débrouiller par moi-même
01:00:13pour rester en vie,
01:00:15pour qu'on puisse se retrouver après la guerre.
01:00:19Il était à genoux
01:00:21et il essayait de retrouver ses lunettes à tâtons.
01:00:25Un garde SS s'est approché
01:00:27et l'a roué de coups de pied.
01:00:29Il l'a tué.
01:00:33C'était mon premier contact avec Auschwitz.
01:00:35J'étais pétrifié.
01:00:43Je ne savais pas ce qu'était un four crématoire.
01:00:45Je ne savais pas ce qu'était une chambre à gaz.
01:00:49J'étais loin de me douter de tout ça.
01:00:51Mais on n'a pas tardé à comprendre.
01:00:55Quelqu'un m'a demandé
01:00:57si ma mère était avec moi.
01:00:59J'ai répondu,
01:01:01« Non, elle est allée à gauche,
01:01:03sans doute avec les femmes plus âgées,
01:01:05vous savez, dans un autre camp.
01:01:07»
01:01:09Et quand on nous a dit
01:01:11ce qui était arrivé à tous ceux
01:01:13qui avaient été dirigés sur la gauche,
01:01:15on n'a pas voulu y croire.
01:01:17Il nous a dit,
01:01:19« Votre famille est partie dans la cheminée. »
01:01:21Alors on a tous regardé vers les cheminées.
01:01:23Je me demandais
01:01:25comment une personne pouvait bien passer par là.
01:01:29Il m'a pris par la main jusqu'à la porte.
01:01:31Il l'a ouverte.
01:01:33Je ne savais pas ce qu'il allait faire.
01:01:35Il m'a pris par la main jusqu'à la porte.
01:01:37Il l'a ouverte.
01:01:39Et pas très loin,
01:01:41il y avait une grande cheminée
01:01:43qui crachait des flammes et de la fumée.
01:01:45« Tu ferais mieux de rester tranquille,
01:01:47parce que tes parents sont en train de brûler.
01:01:51Tes frères, tes sœurs,
01:01:53toute ta famille brûle.
01:01:55Alors reste tranquille. »
01:01:57Il m'a dit cette simple phrase.
01:01:59« C'est là qu'elle est partie.
01:02:01Elle est passée par la cheminée.
01:02:03Ils allaient brûler ma mère,
01:02:05mon frère.
01:02:07On ne l'a pas cru. »
01:02:09Je me suis dit
01:02:11« Pauvre homme, il raconte n'importe quoi.
01:02:13Il n'a plus toute sa tête. »
01:02:15On ne voulait pas y croire.
01:02:17Ce n'est pas vrai.
01:02:19C'est impossible.
01:02:21Et le lendemain,
01:02:23on a compris
01:02:25que c'était vrai.
01:02:27Ils brûlaient les familles.
01:02:29Mon père m'a béni
01:02:31et il m'a dit
01:02:33« Si tu parviens à survivre,
01:02:35il faut que tu dises au monde ce qui s'est passé ici. »
01:02:37C'est la dernière fois que je l'ai vu.
01:02:39J'étais anéanti.
01:02:41Désormais, j'étais seul au monde.
01:02:47Alors que les assassinats de masse se poursuivent,
01:02:49l'information sur l'existence
01:02:51des camps de la mort
01:02:53gagne les rues de l'Amérique.
01:02:55Le rabbin Stephen Wise,
01:02:57le président du Congrès juif mondial,
01:02:59organise un meeting
01:03:01sur Madison Square à New York
01:03:03le 31 juillet 1944.
01:03:05Il réunit environ 40 000 personnes.
01:03:09Il appelle au bombardement d'Auschwitz.
01:03:11Ça montre bien que l'opinion
01:03:13était au courant
01:03:15et que cette histoire la préoccupait.
01:03:19Roosevelt envoie un message
01:03:21aux organisateurs du meeting.
01:03:23« Je vous prie de bien vouloir remercier les participants.
01:03:25Je réitère mon avertissement.
01:03:27Tous ceux qui auront pris part
01:03:29à ces crimes seront jugés. »
01:03:33À la suite du meeting,
01:03:35des organisations juives demandent audience
01:03:37à John Paley, du War Refugee Board.
01:03:45Mais Léon Kubowitzki,
01:03:47du Congrès juif mondial,
01:03:49et Bézalel Sherman,
01:03:51du Comité ouvrier juif des droits de l'homme,
01:03:53ne partagent pas la même opinion.
01:03:55Ils n'avaient pas du même avis
01:03:57et ils avaient peur.
01:03:59L'une de leurs craintes
01:04:01était que le conflit mondial
01:04:03ne devienne une guerre pour les Juifs
01:04:05parce que l'avenir du monde entier
01:04:07était en jeu.
01:04:09Mais certains d'entre eux
01:04:11se disaient que s'ils ne tapaient pas
01:04:13du poing sur la table,
01:04:15les Juifs seraient relégués
01:04:17à l'arrière-plan,
01:04:19qu'on les abandonnerait
01:04:21à leur sort,
01:04:23à la mort.
01:04:27Il faut désormais compter,
01:04:29avec une opinion publique de plus en plus convaincue,
01:04:31qu'il faut prendre des mesures
01:04:33pour mettre très vite ces chambres à gaz hors d'état de nuire.
01:04:35Vous l'admettez vous-même, M. Paley,
01:04:37la persuasion n'a pas fonctionné.
01:04:39Ni les menaces.
01:04:41Les menaces non plus.
01:04:43Nous sommes confrontés, semble-t-il,
01:04:45à une détermination monstrueuse
01:04:47de la part de l'Allemagne nazie
01:04:49pour mener cette entreprise de meurtre
01:04:51à l'égalité de la population nous-mêmes.
01:04:53Le comité des réfugiés de guerre
01:04:55a pleinement conscience de ce qui a motivé cette idée.
01:04:59Elle n'a pas été formulée à la légère.
01:05:01Mais le fait est
01:05:03que le ministère de la Guerre reste convaincu
01:05:05qu'une telle mission de bombardement
01:05:07ne pourrait se faire qu'au prix du détournement de...
01:05:09Bien détournons.
01:05:13Excusez-moi, M. Sherman.
01:05:15Détournons ?
01:05:17Nous avons lu les témoignages détaillés des deux hommes
01:05:19du camp d'Auschwitz. Vous savez ce qu'ils ont vu.
01:05:21On a recueilli des informations concordantes.
01:05:23C'est aussi...
01:05:25Alors nous sommes tous au courant. L'image qui se forme devant nous
01:05:27est celle d'un événement qui est au-delà de toute humanité.
01:05:29Là-bas, en Pologne,
01:05:31les Allemands ont créé une machine
01:05:33dont la seule vocation est l'éradication par le gaz
01:05:35de la totalité d'un peuple.
01:05:37Je le redis, détournons.
01:05:41Très bien.
01:05:43Tâchons d'imaginer la suite.
01:05:45Disons que les Etats-Unis
01:05:47ou la Grande-Bretagne
01:05:49bombardent ce camp
01:05:51depuis 7000 mètres d'altitude.
01:05:53Peut-on savoir...
01:05:55Combien de Juifs seront tués par nos bombes ?
01:05:57C'est exact, M. Sherman.
01:05:59On est en droit de se poser la question.
01:06:01Qu'en est-il de vous, M. Komovitzky ?
01:06:05Est-ce que vous recommandez, vous aussi,
01:06:07de raser les chambres à gaz ?
01:06:09Enfin, si nous manquons notre cible,
01:06:11nous tuons 30 000 prisonniers
01:06:13dans le camp.
01:06:15Ça fera un magnifique Alibi
01:06:17pour les Allemands.
01:06:19Je les entends déjà.
01:06:21Les Alliés détestent davantage
01:06:23les Juifs que nous.
01:06:25Tout était bon pour alimenter
01:06:27la propagande nazie.
01:06:29En cas de bombardement,
01:06:31l'Allemagne allait opposer sa version de l'histoire,
01:06:33selon laquelle la violence venait des Alliés.
01:06:37Je suis partisan du Reich.
01:06:39Je crois en la nécessité
01:06:41de sauver les vivants.
01:06:43Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
01:06:45On n'a pas le droit de tuer des innocents
01:06:47même pour empêcher une catastrophe.
01:06:49Il y a eu un vrai débat.
01:06:51Il s'agissait d'hommes de bien
01:06:53qui avaient perdu des membres
01:06:55de leur famille.
01:06:57Et ils n'étaient pas convaincus
01:06:59que le bombardement était une bonne chose.
01:07:03Ne pourrait-on pas envisager d'autres moyens
01:07:05de détruire ces chambres à gaz ?
01:07:07Quels autres moyens ?
01:07:09Nous pourrions parachuter des commandos sur Auschwitz.
01:07:11Il y aurait trop de pertes du côté des soldats américains.
01:07:13Encore une fois, je ne...
01:07:15Alors la résistance polonaise ?
01:07:17Ne pourrait-on pas la persuader d'envoyer des troupes
01:07:19pour attaquer le camp ?
01:07:21On nous a dit qu'il y avait peu de chance.
01:07:23Ils n'aiment pas assez les juifs pour ça.
01:07:25Et qu'en est-il des soviétiques ?
01:07:27Ce sont les mieux placés pour agir.
01:07:29Auschwitz est dans le secteur sous leurs responsabilités, mais...
01:07:31Ils ne feront rien.
01:07:33Et pourquoi pas ?
01:07:37Staline aurait préféré faire le poirier
01:07:39rouge pendant une semaine en plein hiver
01:07:41plutôt que bombarder Auschwitz.
01:07:43Il ne l'aurait jamais fait.
01:07:45Les Russes ont déjà tiré un trait
01:07:47sur leurs propres prisonniers de guerre
01:07:49internés dans les camps allemands.
01:07:51Ils ne vont pas lancer une opération pour sauver des juifs.
01:07:53Une citation de Staline
01:07:55résume bien sa vision du monde.
01:07:57Il aurait dit
01:07:59« La mort d'un homme est une tragédie,
01:08:01la mort d'un million d'hommes est une statistique. »
01:08:03Messieurs,
01:08:05nous sommes dans une impasse.
01:08:09Je vous suggère de nous retrouver
01:08:11à une date ultérieure.
01:08:15Merci.
01:08:17Monsieur Sherman.
01:08:27Tous les prétextes
01:08:29pour ne pas bombarder Auschwitz
01:08:31font abstraction d'un argument tout simple.
01:08:35C'était le seul moyen
01:08:37d'exprimer l'indignation universelle
01:08:39contre l'atrocité.
01:08:41Le seul moyen d'affirmer
01:08:43que ce qui se passait là
01:08:45était de bout en bout monstrueux
01:08:47et inacceptable.
01:08:49Le pire pour moi
01:08:51dans tout ça, c'est d'avoir l'impression
01:08:53de devenir la marionnette du ventriloque.
01:08:55Comment cela ?
01:08:57Je répète les platitudes du ministère de la guerre.
01:08:59Ce n'est pas juste.
01:09:01Si, c'est très juste, John.
01:09:03Nous n'arrêtons pas de répéter notre leçon.
01:09:05Bombarder Auschwitz serait détourner nos moyens.
01:09:07Mais comment pouvons-nous le savoir ?
01:09:09A-t-on véritablement étudié
01:09:11la faisabilité de la chose ?
01:09:13Non, de l'inertie institutionnelle.
01:09:15Voilà ce que c'est tout ça pour moi.
01:09:17Paley a peut-être jugé
01:09:19qu'Axin avait raison.
01:09:21À présent, la balle est dans mon camp
01:09:23parce que je suis en capacité d'agir.
01:09:27Il portait sur ses épaules
01:09:29le fardeau de l'action à mener.
01:09:31Et c'est une immense responsabilité.
01:09:35Je bombarderais moi-même
01:09:37cet enfer sur terre si je le pouvais
01:09:39et les voies ferrées avec.
01:09:41C'est ce que mon instinct me dicte aussi.
01:09:43Mais l'instinct
01:09:45n'entre pas en ligne de compte.
01:09:47C'est le ministère de la guerre qui a la main sur les bombardiers.
01:09:49Mais il est possible de le contourner.
01:09:51Je plaiderai notre cause
01:09:53à vos côtés.
01:09:55Allez le dire au président.
01:09:57Montrez-lui les documents
01:09:59que nous avons reçus.
01:10:01Une fois que Roosevelt connaîtra les faits,
01:10:03alors il agira.
01:10:15Aucune source ne montre
01:10:17qu'on a demandé à Roosevelt
01:10:19si les États-Unis devaient bombarder Auschwitz.
01:10:23Il avait beaucoup de sympathie
01:10:25pour la détresse des Juifs.
01:10:27Mais il n'avait rien fait pour y remédier.
01:10:29Il faut savoir que Roosevelt avait laissé
01:10:31la conduite de la guerre à ses généraux.
01:10:35À ce moment-là, Roosevelt est préoccupé
01:10:37par la fin de la guerre
01:10:39et sa santé est vacillante.
01:10:43Il y a une autre considération
01:10:45qui a pu peser sur Franklin Roosevelt.
01:10:47Les nazis utilisaient en permanence
01:10:49les Juifs à des fins de propagande.
01:10:51Ils essayaient de convaincre
01:10:53les populations américaines et britanniques
01:10:55d'aller au feu pour le compte des Juifs.
01:11:01Il existe aussi une réticence tenace
01:11:03à croire à la réalité de l'Holocauste.
01:11:05Quand l'armée rouge libère
01:11:07le camp de Majdanek
01:11:09dans l'est de la Pologne,
01:11:11les soldats découvrent des charniers
01:11:13et des chambres à gaz.
01:11:15Un reporter de la BBC est présent sur place.
01:11:17Mais la radio britannique supprime son témoignage,
01:11:19au motif qu'il a été victime
01:11:21d'une mise en scène orchestrée
01:11:23par la propagande soviétique.
01:11:27Il y avait une méfiance généralisée
01:11:29à l'encontre de faits
01:11:31qui pouvaient être de la propagande soviétique,
01:11:33ce qui compliquait encore la situation.
01:11:39Il faut pouvoir faire la différence
01:11:41entre l'information
01:11:43et le savoir.
01:11:45Pour savoir,
01:11:47on doit disposer d'énormément
01:11:49d'informations et non l'inverse.
01:11:51Surtout quand on cherche
01:11:53des prétextes pour ne pas faire
01:11:55ce qu'on se devrait de faire.
01:12:01L'ambition de bombarder Auschwitz,
01:12:03soutenue par Winston Churchill
01:12:05et Anthony Hidden,
01:12:07commence à s'effriter.
01:12:15Chaim Weizmann de l'agence juive
01:12:17est informé par les affaires étrangères britanniques
01:12:19que des « difficultés techniques »
01:12:21empêchent le bombardement.
01:12:23Un haut fonctionnaire
01:12:25a rejeté le projet,
01:12:27le taxant de fantaisistes,
01:12:29et a conclu qu'il devait être abandonné.
01:12:31Selon la position officielle du ministère,
01:12:33la question d'Auschwitz
01:12:35relève de la responsabilité opérationnelle
01:12:37des soviétiques.
01:12:39C'est peut-être aussi une excuse
01:12:41pour ne pas agir,
01:12:43ou un refus de s'enfermer
01:12:45dans une situation complexe.
01:12:47Le général Spatz est informé
01:12:49par le ministère de l'air
01:12:51que l'affaire est close.
01:12:55Churchill n'a rien fait.
01:12:57Il a déclaré que c'était
01:12:59le plus grand crime de l'histoire du monde,
01:13:01mais il n'a pas usé de son pouvoir
01:13:03pour imposer le bombardement.
01:13:07Je pense que Churchill
01:13:09aurait pu peser davantage dans la décision.
01:13:13Il avait tout loisir d'aller voir
01:13:15Charles Sinclair, le ministre de l'air,
01:13:17et d'obtenir ce qu'il voulait des forces aériennes.
01:13:23La guerre est entrée dans une phase décisive,
01:13:25et Winston Churchill a d'autres priorités.
01:13:29Le 25 août 1944,
01:13:31les Alliés libèrent Paris.
01:13:35En Pologne, l'armée soviétique se rapproche de Varsovie.
01:13:37La résistance polonaise
01:13:39se soulève contre l'occupant nazi.
01:13:45Churchill pouvait être très directif
01:13:47avec l'armée quand il avait une idée en tête.
01:13:51Il voulait par exemple qu'on parachute
01:13:53du ravitaillement aux résistants polonais de Varsovie.
01:13:55Il a exigé que ce soit fait.
01:14:01Ils ont détourné plus d'une centaine
01:14:03de bombardiers pendant quelque temps,
01:14:05et ils l'ont fait pour honorer
01:14:07la parole donnée à un allié,
01:14:09le peuple polonais.
01:14:11Au même moment,
01:14:13les Juifs étaient assassinés
01:14:15en masse par les Allemands.
01:14:21Le projet de bombarder
01:14:23Auschwitz se heurte
01:14:25à un dernier obstacle.
01:14:27Un membre du ministère
01:14:29des Affaires étrangères britanniques
01:14:31note que, de manière générale,
01:14:33les Juifs ont tendance à exagérer
01:14:35les persécutions dont ils sont victimes.
01:14:37Un autre se plaint de
01:14:39passer beaucoup trop de temps
01:14:41à s'occuper de ces géniards de Juifs.
01:14:43On ne va pas croire
01:14:45à ces récits d'atrocités.
01:14:47On nous les raconte pour qu'on accueille
01:14:49les réfugiés et leurs enfants.
01:14:51C'est de la manipulation.
01:14:53Il y a un antisémitisme rampant
01:14:55dans les instances dirigeantes.
01:14:57Encore ces Juifs qui se plaignent.
01:15:03Le ministère des Affaires étrangères
01:15:05était peuplé de gens
01:15:07qui culturellement et socialement
01:15:09étaient antisémites.
01:15:11On ne veut pas de ces gens-là.
01:15:13Ils ne contribuent pas à la société.
01:15:15Ce sont des parasites.
01:15:17Il faut les écarter.
01:15:19En Grande-Bretagne,
01:15:21ils n'appartenaient pas
01:15:23à la classe aisée.
01:15:25Ils détonnaient dans ces cercles-là.
01:15:31Le 13 septembre 1944,
01:15:33Auschwitz-Birkenau
01:15:35est bombardé, mais pas volontairement.
01:15:43Environ 2000 bombes sont larguées.
01:15:47Mais ces bombes ne font pas la différence
01:15:49entre les prisonniers et les SS.
01:15:51Des dizaines de prisonniers sont tués,
01:15:53des centaines sont blessés.
01:15:57La vraie cible,
01:15:59c'est l'usine IG Farben voisine.
01:16:01Auschwitz n'a jamais été une priorité.
01:16:03Le caoutchouc synthétique
01:16:05était une priorité.
01:16:07L'essence synthétique
01:16:09était une priorité.
01:16:11IG Farben était une priorité.
01:16:17Le site visé
01:16:19se trouvait à 7 km.
01:16:21Le fait qu'il frappe Auschwitz
01:16:23par erreur montre le degré
01:16:25d'amateurisme des bombardements.
01:16:31...
01:16:43Tout d'un coup, le ciel est devenu
01:16:45très bruyant.
01:16:47Je pense que beaucoup de gens
01:16:49espéraient qu'ils allaient nous bombarder,
01:16:51ou au moins les chambres à gaz.
01:16:53Mais je ne dirais pas que j'en suis partie.
01:16:55On s'en fichait.
01:16:57On espérait qu'ils allaient bombarder le camp.
01:16:59Je me suis dit
01:17:01les voilà enfin.
01:17:03Continuez à bombarder le camp,
01:17:05peu importe les conséquences.
01:17:09Pourquoi le monde n'a-t-il pas
01:17:11bombardé les rails qui menaient
01:17:13à Auschwitz, à Birkenau ?
01:17:15De toute façon,
01:17:17les prisonniers allaient directement
01:17:19dans les chambres à gaz.
01:17:21Ils auraient pu sauver des vies,
01:17:23c'est une certitude.
01:17:25Il y aurait eu des morts quand même,
01:17:27mais jamais autant que par les nazis.
01:17:31Pour l'instant,
01:17:33les dirigeants n'ont eu que le résumé
01:17:35du rapport Verba-Wetzler.
01:17:37Il reste encore à révéler la totalité
01:17:39du protocole d'Auschwitz
01:17:41dans toute son horreur.
01:17:47L'armée américaine atteint la frontière helvétique
01:17:49fin septembre 1944.
01:17:51Elle libère les gens qui se trouvent
01:17:53sur le sol suisse et qui peuvent désormais
01:17:55communiquer avec le monde extérieur.
01:17:57La première chose que Roswell McClelland
01:17:59met dans une enveloppe pour le Comité des réfugiés,
01:18:01c'est un duplicata
01:18:03du protocole d'Auschwitz.
01:18:05Il parvient à John Paley
01:18:07trois semaines plus tard.
01:18:09Cette version est bien plus longue.
01:18:11Il s'agit davantage d'un témoignage.
01:18:13Voici ce qu'est Auschwitz.
01:18:15C'est un endroit où l'on commet des horreurs.
01:18:19Voilà comment ça se passait.
01:18:21Les malheureuses victimes
01:18:23étaient amenées dans la grande entrée.
01:18:25On leur a ordonné de se déshabiller.
01:18:27Chaque personne recevait
01:18:29une serviette de bain
01:18:31et un petit morceau de savon
01:18:33qui leur était remis par deux hommes
01:18:35vêtus d'une blouse de couleur blanche.
01:18:37Ensuite on les entassait dans la chambre à gaz
01:18:39si serrée qu'ils avaient juste la place
01:18:41de tenir debout.
01:18:43Une fois qu'ils étaient tous à l'intérieur,
01:18:45on refermait hermétiquement la porte.
01:18:47Ensuite il y avait une pause.
01:18:53Après quoi,
01:18:55des SS munis de leurs masques à gaz
01:18:57grimpaient sur le toit,
01:18:59ouvraient les trappes
01:19:01pour y verser de petits cristaux.
01:19:03Et cette poudre était contenue
01:19:05dans une boîte dont l'étiquette
01:19:07portait le nom de Zyklon.
01:19:09Il s'agit d'un puissant pesticide
01:19:11fabriqué par une entreprise des Hambourg.
01:19:13C'est un mélange à base de cyanure
01:19:15qui devient du gaz
01:19:17à une certaine température.
01:19:21Et au bout de trois minutes,
01:19:25tout ce qui était dans la chambre
01:19:27était mort.
01:19:39Quand Paley a lu le rapport complet,
01:19:41en conscience, il ne pouvait plus hésiter
01:19:43ou rester les bras croisés.
01:19:55Monsieur McPloy ?
01:19:57Bonjour monsieur.
01:19:59Ici John Paley.
01:20:01J'ai quelque chose
01:20:03que vous devriez voir.
01:20:05C'est un rapport sur Auschwitz.
01:20:09Il s'est rendu compte
01:20:11que c'était pire que ce qu'il avait imaginé.
01:20:15Je croyais que c'était horrible,
01:20:17terrible.
01:20:19Je pensais que c'était une monstruosité.
01:20:21Mais c'est d'une telle ampleur.
01:20:23L'horreur est encore
01:20:25au-delà de ça.
01:20:27Il était bouleversé.
01:20:29Rien de ce que j'ai vu
01:20:31ne peut exprimer la barbarie
01:20:33des crimes perpétrés au quotidien dans ces camps de la mort.
01:20:41Il a envoyé la copie
01:20:43du rapport complet à John McPloy
01:20:45avec ce mot.
01:20:47Je suis maintenant convaincue
01:20:49de la nécessité de planifier
01:20:51un bombardement pour détruire
01:20:53les chambres à gaz
01:20:55et les fours crématoires d'Auschwitz-Birkenau.
01:21:01John McPloy ne revient pas
01:21:03sur sa position.
01:21:05Il répond que le bombardement d'Auschwitz
01:21:07n'est pas faisable du point de vue militaire.
01:21:09Il ajoute
01:21:11qu'une majorité de personnes
01:21:13pense qu'une telle action,
01:21:15même si elle était faisable,
01:21:17pourrait provoquer une réaction
01:21:19encore plus vindicative
01:21:21de la part des Allemands.
01:21:23Qu'y avait-il
01:21:25de plus vindicatif qu'Auschwitz ?
01:21:31Les responsables
01:21:33qui ont pris cette décision
01:21:35ne se préoccupaient pas des gens dans les camps.
01:21:37S'ils avaient pris
01:21:39cette requête au sérieux
01:21:41et qu'ils l'avaient rejetée,
01:21:43on aurait pu le mettre à leur crédit.
01:21:45Mais d'après les sources
01:21:47dont on dispose,
01:21:49ils ont presque tous balayé
01:21:51cette demande d'un revers de la main.
01:21:53John Paley
01:21:55transmet alors à la presse
01:21:57la version intégrale du rapport
01:21:59avec une lettre d'accompagnement.
01:22:03Les atrocités allemandes
01:22:05sont si révoltantes,
01:22:07si diaboliques,
01:22:09que l'esprit des peuples civilisés
01:22:11a du mal à les croire possibles.
01:22:13Et pourtant,
01:22:15elles sont bel et bien réelles.
01:22:17John Paley a pris acte
01:22:19de sa responsabilité
01:22:21et c'est une attitude
01:22:23qu'il honore. Je le considère
01:22:25comme l'un des grands héros américains.
01:22:27Il a dit quelque chose de très vrai.
01:22:29On a fait trop peu
01:22:31et on l'a fait trop tard.
01:22:35John Paley
01:22:37savait ce qu'il faisait.
01:22:39Il a très bien joué
01:22:41la carte des médias.
01:22:43Le rapport a fait
01:22:45beaucoup de bruit.
01:22:47Tous les journaux l'ont repris.
01:22:49Il fait la une partout
01:22:51aux Etats-Unis.
01:22:53Le Washington Post a publié
01:22:55un éditorial intitulé
01:22:57« Génocide ».
01:22:59C'était la première fois
01:23:01que le mot apparaissait
01:23:03Un journaliste du Young Magazine,
01:23:05un hebdomadaire destiné aux soldats américains,
01:23:07avait demandé des récits
01:23:09d'atrocités.
01:23:11Et Paley a dit
01:23:13« Moi, j'ai une histoire atroce.
01:23:15Une histoire qu'il faut absolument
01:23:17raconter aux soldats. »
01:23:25La veille
01:23:27de la publication de l'article,
01:23:29le journaliste appelle Paley
01:23:31et son rédacteur en chef
01:23:33a supprimé son sujet.
01:23:35Il était considéré comme trop sémite.
01:23:37C'était une histoire trop juive
01:23:39pour le Young Magazine
01:23:41et les soldats américains.
01:23:43Le 26 novembre 1944,
01:23:45les chambres à gaz
01:23:47d'Auschwitz-Birkenau dévorent
01:23:49leurs dernières victimes.
01:23:5130 Sonderkommando sont gazés
01:23:53et brûlés dans le four crématoire
01:23:55numéro 5.
01:24:01Le jour de la publication
01:24:03de cette information
01:24:05dans la presse américaine,
01:24:07les nazis détruisent
01:24:09les chambres à gaz.
01:24:11Ils tentent ainsi
01:24:13de faire disparaître
01:24:15la preuve de leurs exactions.
01:24:17Mais ils n'y parviendront pas.
01:24:19Deux mois plus tard,
01:24:21Auschwitz est libéré
01:24:23par l'armée rouge.
01:24:25Les soldats trouvent des piles
01:24:27de cadavres abandonnés sur place
01:24:29à l'écombre de la machine à tuer.
01:24:37Les soldats soviétiques
01:24:39qui sont entrés dans Auschwitz
01:24:41ont été bouleversés par ce qu'ils ont vu.
01:24:43Ils ont compris
01:24:45que ce qu'ils avaient sous les yeux
01:24:47était quelque chose d'inédit,
01:24:49une horreur telle
01:24:51qu'elle dépassait l'imagination.
01:24:55J'aurais voulu que les Britanniques
01:24:57bombardent cette cible
01:24:59comme une déclaration de principe,
01:25:01pour dire aux nazis
01:25:03que c'était monstrueux
01:25:05et que l'espèce humaine
01:25:07ne pouvait accepter une chose pareille.
01:25:11C'est l'un des événements
01:25:13les plus déchirants de l'histoire moderne.
01:25:15On pourrait qualifier cela
01:25:17de faute majeure,
01:25:19mais il faut comprendre
01:25:21qu'on était en pleine guerre mondiale.
01:25:23Le destin des juifs dépendait
01:25:25du régime nazi.
01:25:31Je défendrais l'idée
01:25:33d'un bombardement pour le principe,
01:25:35pour faire preuve
01:25:37d'un sens moral élémentaire
01:25:39et montrer toute la force
01:25:41de notre indignation.
01:25:43Bombarder Auschwitz
01:25:45aurait-il réglé le problème ?
01:25:47Non.
01:25:49Je pense que les critiques
01:25:51qui le disent
01:25:53contre un génocide,
01:25:55c'est bien mieux que rien.
01:25:57Beaucoup mieux que rien.
01:26:07Devant un génocide,
01:26:09il est important
01:26:11que le monde dise
01:26:13« ça nous concerne »,
01:26:15parce qu'on ne sait jamais
01:26:17ce que l'avenir nous réserve.
01:26:23Dans le monde,
01:26:25on ne sait jamais
01:26:27ce que l'avenir nous réserve.
01:26:29Et ce que l'avenir nous réserve,
01:26:31c'est ce qu'on connaît.
01:26:33Le monde,
01:26:35c'est l'avenir.
01:26:37On ne saurait jamais
01:26:39ce qu'on connaît.
01:26:47Je n'ai su qu'après la libération
01:26:49que le chemin pris par ma mère
01:26:51chambre à gaz. Je ne sais pas si j'aurais eu la force de tenir, si je l'avais su, non.
01:27:15En toute franchise, je ne sais pas comment j'ai fait pour survivre.
01:27:19Et je ne le saurais jamais. Enfin, quand les gens me le demandent et veulent une réponse sincère,
01:27:28je leur dis que si j'ai survécu, c'est uniquement une question de chance.
01:27:33Si on perd la volonté de vivre, c'est terminé. Et c'était très facile de se laisser sombrer.
01:27:43On était sans cesse sur le fil du rasoir.
01:27:48Ce qui est arrivé sous le Troisième Reich est au-delà du concevable.
01:27:57Il est impossible de mettre des mots sur cet événement.
01:28:06Comment les gens à l'extérieur auraient-ils pu savoir ou croire ce qui se passait dans le camp,
01:28:13si nous, à l'intérieur, on ne comprenait rien à ce qui nous arrivait ?
01:28:21J'avais 16 ans et demi quand je suis rentrée chez moi. Mon frère avait 4 ans de plus.
01:28:27Lui non plus n'a pas voulu me croire. Tu veux dire, nos parents, dans une chambre à gaz ?
01:28:33Et j'ai répondu oui.
01:28:39Aujourd'hui, si je les voyais, je leur demanderais pourquoi n'avez-vous rien fait ?
01:28:48Où étaient les gens de bien qui ne voulaient pas de ce meurtre effroyable ?
01:28:54On ne les voyait nulle part.
01:29:25L'histoire de l'Histoire
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