La réforme controversée de la sûreté nucléaire revient lundi en débat à l'Assemblée. Le gouvernement souhaite une fusion entre l'ASN, gendarme du nucléaire, et l'IRSN, expert technique du secteur. Thierry Charles, ancien directeur général adjoint de l'IRSN, nous donne son analyse.
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00:00 Isabelle Raymond.
00:01 Bonsoir à toutes et à tous. Un seul organisme chargé de la sûreté nucléaire en France.
00:06 C'est ce que souhaite le gouvernement qui veut fusionner les deux organismes existants.
00:11 L'ASN, Autorité de Sûreté Nucléaire, et l'IRSN, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire,
00:17 dont vous êtes Thierry Charles, l'ancien directeur général adjoint. Bonsoir.
00:22 - Bonsoir.
00:22 - Invité Echo de France Info ce soir.
00:24 À l'IRSN, vous étiez précisément en charge de la sûreté nucléaire.
00:28 L'examen du texte commence ce soir dans l'hémicycle.
00:32 Il fait l'objet d'une très forte contestation, opposition d'élus, de syndicats, de salariés, de politiques aussi,
00:38 avec une motion de rejet préalable déposée par le groupe Lyot.
00:41 Vous êtes un expert du sujet, vous êtes là pour éclairer le débat.
00:45 Alors que la France a de grands projets dans le domaine nucléaire,
00:48 le gouvernement veut donc fusionner les deux organismes. Est-ce que c'est une bonne idée ?
00:53 - Eh bien, il faut voir une chose, c'est que le système que l'on connaît avec deux acteurs est un système très ancien,
00:58 quasiment depuis le démarrage du contrôle du nucléaire en 1973.
01:01 Il y a toujours eu d'un côté un expert, c'est-à-dire une entité qui va analyser les risques pour le compte d'une autorité,
01:08 qui ensuite prendra sa décision.
01:10 Donc ce système-là a perduré pendant, comme on le voit, environ 50 ans.
01:14 Et brutalement, du jour au lendemain, c'est le cas de le dire,
01:16 puisque c'est une décision qui a été donnée à la suite d'un conseil de politique nucléaire en février 2023,
01:24 sur la base d'un rapport secret, c'est-à-dire sans que l'on connaisse la raison,
01:28 qui a acté du jour au lendemain, et que l'on devait finalement regrouper.
01:31 Officiellement, je dis bien officiellement, pour faciliter la mise en oeuvre du nouveau nucléaire.
01:35 - Sachant que la France a de grands projets, construction de 6 EPR à partir de 2035, en théorie,
01:42 des projets aussi de petits réacteurs, des SMR, et vous l'avez dit, selon l'entourage des ministres en charge de l'industrie,
01:48 ce projet permettrait de renforcer la sûreté nucléaire pour apporter plus d'efficacité,
01:53 plus de rapidité dans les processus de décision. Ça s'entend ?
01:56 - Ah mais tout à fait ! Le fait de réfléchir, lorsqu'on relance le nucléaire à la fois à l'industrie qui va la construire,
02:02 et au système qui va le contrôler, c'est entièrement normal.
02:05 Par contre, ce qui est anormal, c'est de ne pas faire d'études, justement, avant de faire la modification.
02:10 - Donc il n'y a pas de justification de cette fusion ?
02:13 - Non, il n'y en a aucune. Il n'y a pas eu de rapport étudiant les points forts et les points faibles du système actuel,
02:17 et pas de réelle étude d'impact. Le seul rapport qui existe, c'est un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques,
02:24 de juillet 2023, qui a fait un point sur les conséquences, finalement, d'un regroupement.
02:29 Mais qui n'est pas allé très loin, et qui a conclu qu'il fallait regrouper sans même argumenter.
02:34 - Alors, quels sont les risques ? Est-ce qu'il y a des vrais risques, à votre avis, de désorganisation ?
02:39 - Il est clair que, dans l'état actuel, il y a un fort risque de déstabilisation.
02:43 Puisqu'on voit bien qu'on ne passe pas d'un système à deux acteurs à un seul acteur, du jour au lendemain,
02:47 puis que c'est pour une mise en œuvre en début 2025, c'est demain.
02:50 - C'est assez rapide, effectivement. - C'est très rapide.
02:52 Donc ça voudrait dire que, dès maintenant, on saurait ce qu'on veut faire. Ce n'est pas le cas.
02:54 - Sauf que s'il y a un seul acteur, on peut comprendre que les décisions soient plus faciles à prendre, qu'elles soient plus rapides également.
03:00 - Justement, plus faciles à prendre, qu'est-ce que ça veut dire, en pratique ?
03:03 Il faut bien voir une chose, qu'est-ce qu'on demande à un système de contrôle ?
03:05 On lui demande d'être compétent et de donner de la confiance.
03:08 - Mais on ne perd pas en compétence. - Non, on ne perd pas en compétence au point de départ.
03:13 Mais un point fondamental, c'est comment va être gérée la recherche dans un système comme celui-ci.
03:18 Il faut savoir que la structure administrative que constitue la SN,
03:22 est une structure qui finalement est un bout d'État, qui utilise les outils de l'État.
03:25 Et pour faire perdurer de la recherche dans ce système-là, ce n'est pas évident.
03:28 Il faut bien voir qu'une chose, c'est que l'expertise, ça suppose la connaissance.
03:31 Et la connaissance, c'est basé sur la recherche.
03:33 L'IRSN, en fait, il est constitué finalement de deux grandes activités, de la recherche, de l'expertise,
03:39 et finalement de la mesure de l'environnement.
03:42 Mais globalement, c'est les points importants, c'est expertise et recherche.
03:44 - Sauf que la recherche et l'expertise vont être fusionnées, et que l'IRSN va être absorbée par la SN.
03:50 - Tout à fait. - Mais ça ne veut pas dire que le nouvel organisme va perdre en compétence.
03:54 - Non, ça veut uniquement dire qu'il faut que le système puisse vivre
03:57 en faisant fonctionner la recherche dans le nouveau système.
04:01 Et de ce point de vue-là, dans la structure administrative de la SN,
04:04 une autorité administrative indépendante, qui utilise tous les outils de l'État finalement pour fonctionner,
04:09 ce n'est pas un système qui facilite la mise en œuvre d'un système de recherche.
04:13 En fait, un point fondamental, c'est que quand on parle d'un système à deux acteurs,
04:17 deux acteurs, vous avez en fait deux entités complémentaires qui vont d'un côté expertiser, de l'autre décider.
04:23 Quand vous avez un seul système, c'est un système qui est moins robuste.
04:26 Pourquoi ? Parce qu'en cas de pression,
04:29 c'est un seul acteur qui prend toute la pression.
04:32 - Et c'est ça le vrai risque, à votre avis ? - C'est un des risques.
04:35 Le deuxième risque, c'est en termes de donner de la confiance finalement à nos concitoyens.
04:40 On voit bien qu'un système à deux acteurs, c'est complémentaire.
04:43 Chacun amène de l'information un petit peu différente.
04:45 Dans le nouveau système, on n'en voit plus qu'un seul.
04:48 Et il est bien clair, pourquoi est-ce que le gouvernement veut faire cette évolution-là ?
04:51 C'est pour faire taire l'IRSN globalement.
04:53 - Ça, c'est ce que vous dites, Thierry Char. - C'est ce que je dis, bien sûr.
04:56 Mais quand vous regardez ce qu'il y a sur Internet,
05:00 quand vous regardez ce qui est écrit,
05:02 on voit bien qu'est-ce qui est mis en cause au niveau de l'IRSN.
05:04 Ce qui est mis en cause, c'est que l'IRSN parle trop.
05:06 Il remet ses avis très rapidement.
05:08 Donc il rend ses avis à l'autorité de sûreté.
05:10 En même temps, il les place sur Internet.
05:11 Donc tout un chacun peut accéder à de l'information.
05:14 Et ce qui est dit, c'est que ceci est complètement anormal.
05:16 On voit bien que dans l'avenir, le système sera beaucoup plus contrôlé, on va dire.
05:20 - Et on voit quand même que le gouvernement persiste.
05:24 Ce projet de fusion, il a déjà été rejeté par deux fois.
05:28 Et il est quand même reproposé aujourd'hui, représenté aujourd'hui.
05:32 - Oui, vous avez raison.
05:33 En fait, l'argumentaire, quand on regarde l'argumentaire,
05:36 c'est qu'il faut fluidifier et faciliter.
05:39 Donc le fait de dire "pourquoi pas un seul acteur ?"
05:42 Peut-être, mais on ne peut pas le faire sans réflexion.
05:44 Parce que sans réflexion, ça veut dire qu'on peut avoir un retour en arrière
05:48 par rapport aux acquis actuels.
05:50 Je vous parlais de la recherche.
05:51 Pourquoi ? Parce que la recherche, ce n'est pas si évident que ça,
05:54 à la faire fonctionner dans un système,
05:56 déjà dans le cadre de l'IRSN et qu'un système intégré expertise-recherche,
05:59 mais demain, un système qui va faire l'ensemble,
06:01 pour faire fonctionner l'ensemble expertise-recherche intégrée,
06:05 ce n'est pas si facile que ça.
06:07 Donc un des risques qu'il peut y avoir, c'est d'avoir un recul sur la recherche.
06:11 Je ne suis pas en train de dire que ça va arriver obligatoirement,
06:14 mais si on n'y réfléchit pas avant, on peut l'avoir.
06:17 - Ça fait partie des risques que vous soulevez.
06:19 J'ai lu autre chose, c'est le fait qu'on allait séparer la sécurité et la sûreté
06:23 avec une partie sécurité qui va passer sous la houlette du CEA,
06:27 le Commissariat à l'énergie atomique, et donc du ministère de la Défense.
06:30 Est-ce que là, c'est également un risque ?
06:31 - Oui, il faut voir que l'IRSN avait été créé comme un creuset
06:34 de l'expertise du risque nucléaire.
06:37 Il y avait la sûreté civile, la sûreté de défense,
06:40 la sécurité des matières nucléaires et puis la malveillance,
06:44 et puis tout ce qui a trait à la protection des personnes et de l'environnement.
06:47 Donc ce creuset-là allait répondre à un ensemble d'autorités.
06:50 L'ASN civile, l'ASN défense, la Direction générale de la santé, du travail, ainsi de suite.
06:55 Donc ce creuset permettait d'avoir une cohérence d'ensemble.
06:59 Demain, il va s'éclater en certains morceaux.
07:02 Donc par exemple, la sûreté civile va aller à l'ASN,
07:05 la sûreté de défense va aller à la défense.
07:07 - Donc ça sera morcelé en général ? - Ça sera morcelé.
07:09 Et donc on perdra en termes de cohérence.
07:11 Et en matière de sécurité, la sécurité va être traitée finalement
07:15 par le système de défense qui lui ne connaît pas les installations civiles.
07:19 Donc on voit bien qu'on aura un système très hybride
07:21 qui va être assez compliqué à faire fonctionner.
07:23 - Merci beaucoup. Et donc en l'état, pour conclure, il faudrait rejeter à nouveau le projet de loi ?
07:28 - En l'état, il faudrait rejeter et prendre son temps avant de faire ce type d'évolution.
07:32 - Merci beaucoup Thierry Charles, ancien directeur général adjoint de l'IRSN,
07:36 chargé de la sûreté nucléaire.
07:38 Vous étiez l'invité éco de France Info ce soir.