Être une femme, née dans un milieu populaire et d’origine algérienne n’a pas empêché Zahia Ziouani de se faire un nom dans le milieu très masculin des chefs d’orchestre. Elle revient sur sa construction identitaire et artistique, sur sa volonté d’amener la musique classique, souvent vue comme élitiste, dans des territoires où elle se fait rare. Et nous raconte comment elle a transformé chaque frein en force.
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00:00 Générique
00:02 -Bismart.
00:03 -Bonjour, Zahia Zahani. -Bonjour, Marie-Claire.
00:06 -Heureuse de vous recevoir,
00:07 car je suis depuis longtemps admirative de ce que vous faites.
00:11 Vous en entendre en parler me ravit.
00:14 J'ai souhaité vous faire venir dans cette séquence du portrait,
00:18 où je portraite des femmes chefs d'entreprise,
00:21 alors que vous intervenez dans un domaine très différent,
00:24 puisque c'est un domaine artistique.
00:26 Mais je trouve intéressant de vous faire parler
00:29 de la façon dont vous abordez des problématiques,
00:32 qui sont tout aussi comparables.
00:34 On va voir dans vos propos que vous êtes tout aussi...
00:37 Vous connaissez les mêmes difficultés,
00:39 les mêmes bonheurs, vous avez cet enthousiasme
00:42 et cette volonté d'impact, à la fois sociale et sociétale,
00:45 qui est exprimée par les nombreuses chefs d'entreprise
00:48 que j'ai reçues jusqu'à présent.
00:50 Après avoir parlé tech avec Béatrice Icarara
00:53 et Catherine Ladousse, on va parler art,
00:55 mais art sous l'angle entreprise.
00:57 On va quand même commencer par le commencement.
01:00 Au départ, vous êtes baignée dans un milieu familial
01:03 qui est très tourné vers le monde artistique.
01:05 Vous avez choisi de devenir chef d'orchestre.
01:08 -Oui. -Donc, dites-nous en quelques mots
01:10 pourquoi chef d'orchestre et comment vous avez fait pour y arriver.
01:14 -Oui, en effet, alors, moi, je suis chef d'orchestre
01:17 et j'ai créé l'orchestre Ivertimento,
01:19 il y a 25 ans maintenant.
01:21 C'est vrai que quand j'étais enfant,
01:23 j'ai partagé cette passion de la musique avec mes parents,
01:26 parce qu'ils étaient très mélomanes
01:28 et on écoutait beaucoup de musique à la maison.
01:31 J'étais baignée dans les musiques de Mozart, Beethoven.
01:34 J'ai toujours eu envie de continuer à partager ces émotions-là.
01:38 En faisant de la musique, j'ai voulu aussi pouvoir jouer
01:40 les mêmes musiques que j'entendais à la maison.
01:43 Au début, j'ai commencé par la guitare classique
01:46 sans savoir qu'il n'y avait pas de guitare dans les orchestres.
01:49 J'ai joué un autre instrument, l'alto.
01:52 En pratiquant l'alto, ça m'a permis de découvrir
01:55 les instruments de la musique de Mozart.
01:57 -Métier qui est très peu féminin.
01:59 -Oui, très peu féminin.
02:00 Au départ, après une fois la découverte de ce métier
02:03 et l'admiration de ces grands chefs d'orchestre,
02:06 je me suis rendue compte que je voyais pas de femmes,
02:09 pas de jeunes, que quand je disais secrètement
02:12 que quand je serais grande, je serais chef d'orchestre,
02:15 on me disait que c'était pas un métier fait pour les femmes.
02:18 Heureusement, j'ai eu la chance d'avoir mon entourage
02:21 et mes parents qui m'ont encouragée.
02:23 J'ai vu que j'avais besoin de tracer mon propre chemin
02:26 et que ce serait pas forcément la direction d'orchestre
02:29 qui viendrait à moi, mais de créer mes propres opportunités.
02:33 -C'est tout à fait ça.
02:34 Quand on parle de l'ensemble Divertimento,
02:37 ça va au-delà de l'orchestre,
02:38 vous avez créé d'autres dispositifs, d'autres structures.
02:42 C'est un groupe avec des activités différentes.
02:44 Parlez-nous de tout ce que vous faites
02:47 au-delà de l'orchestre.
02:48 -En effet, la plupart du temps,
02:50 on voit l'orchestre Divertimento sur scène,
02:53 sur les concerts, les projets artistiques.
02:55 C'est le coeur de notre métier,
02:57 mais c'est aussi un projet culturel au service des territoires.
03:01 Quand j'ai réfléchi à savoir quel chef d'orchestre
03:04 j'avais envie de devenir,
03:05 j'ai fait une analyse,
03:07 comme vous faites les analyses de marché au début,
03:10 à me dire que si je fais pareil que les autres,
03:12 mais sans moyens, sans réseau, sans expérience,
03:15 je risque fortement de ne pas réussir.
03:18 Je me suis dit qu'il fallait trouver ma ligne artistique,
03:21 et je me suis rendue compte que, justement,
03:23 ce que parfois on m'opposait comme une difficulté, un frein,
03:27 le fait d'être jeune, d'être une femme,
03:29 d'origine sociale populaire, d'origine algérienne aussi,
03:34 je me suis dit que plutôt que ce soit des freins,
03:37 je vais en faire une force.
03:39 J'ai réfléchi à une approche artistique
03:41 en me disant que peut-être qu'il y a des besoins
03:44 dans des territoires où la culture est peu présente.
03:47 C'est la 1re dimension que j'ai développée
03:50 dans mon territorial, d'aller s'installer
03:52 dans des territoires où il y a peu de musique classique
03:55 et peu de culture, et aussi de développer
03:58 une ligne artistique très novatrice.
04:00 C'est comme ça que, petit à petit, on a fait notre place.
04:04 On est structuré en association Loi 1901,
04:06 mais au-delà de simplement les concerts de l'orchestre,
04:10 il y a aussi toute une démarche d'engagement social et sociétal
04:13 de l'orchestre pour réunir des publics
04:15 sous toute leur diversité, former des jeunes.
04:18 En effet, on a une académie qui est notre centre de formation.
04:22 On a nos projets d'impact social
04:26 pour, justement, fédérer un public assez large
04:29 et donc faire en sorte d'avoir une approche globale
04:32 sur la dimension culturelle dans son sens large.
04:35 -Vous parlez de résidence.
04:37 On est d'accord, vous avez l'orchestre
04:39 avec tout ce que vous pouvez faire en termes de concerts,
04:43 vous avez l'académie, c'est la formation,
04:45 et vous avez des résidences qui sont un déploiement territorial.
04:48 Comment se passe la résidence ?
04:50 -La résidence, c'est qu'on travaille, on choisit un lieu.
04:54 Parfois, c'est la ville qui nous choisit,
04:56 parfois, on la démarche, mais en règle générale,
04:59 on se met d'accord en se disant qu'on a des objectifs communs.
05:02 La collectivité, c'est de développer la vie culturelle,
05:05 nous, c'est de partager notre expérience dans ce domaine.
05:09 On sait que ça prend du temps,
05:10 et ce n'est pas le soir d'un concert
05:12 qu'on va dire qu'on va réunir des publics différents.
05:15 Avec notre expérience, on a beau apporter
05:18 les plus belles oeuvres,
05:19 c'est pas ça qui va faire venir, même si c'est gratuit,
05:22 les personnes.
05:23 Ces résidences nous permettent de nous installer
05:26 pendant 3 ans, voire au-delà, dans un territoire,
05:29 et de travailler avec les collectivités,
05:31 les lieux culturels, les maisons de quartier,
05:34 les centres sociaux, les établissements scolaires,
05:37 tous les lieux de proximité,
05:39 pour amener les publics à venir au concert.
05:41 C'est comme ça que, justement,
05:43 maintenant, après 25 ans d'expérience,
05:45 on a réussi à remplir les salles de concert,
05:48 en milieu urbain, en milieu rural,
05:50 et dans les grandes salles de concert.
05:52 -Vous avez, encore une fois, un dispositif très construit,
05:56 puisqu'on vous voit uniquement en orchestre,
05:58 mais il y a bien tout cet ensemble-là,
06:01 qui est très cohérent et qui permet de mener...
06:03 Pour continuer le parallèle avec le monde de l'entreprise,
06:07 avec, aujourd'hui, la raison d'être,
06:09 puisque les entreprises à mission,
06:11 vous, c'est la même chose, vous avez une ligne de volonté,
06:14 parce que vous l'avez fait avec la passion de la musique,
06:17 mais vous l'avez fait aussi avec cette volonté d'avoir un impact.
06:21 Vous le dites clairement.
06:22 C'est votre raison d'être.
06:24 Vous avez aussi structuré autour de la raison d'être.
06:27 -Oui, c'est important, en effet, d'avoir cet impact-là.
06:30 Parfois, on se rend compte qu'il n'y a pas qu'une façon d'y parvenir,
06:34 et c'est important de réfléchir à toutes les approches.
06:37 Nous, on a la dimension artistique,
06:39 on a l'approche territoriale, la pédagogique, la sociétale,
06:42 et donc, on s'est rendu compte que pour pouvoir arriver
06:45 et atteindre nos objectifs,
06:47 il fallait travailler toutes ces dimensions-là.
06:50 Donc, ce qui fait que ça nous a amenés aussi
06:52 à avoir une vraie réflexion, justement, sur nos objectifs,
06:56 les enjeux à relever, l'économie aussi de notre projet,
07:00 dans un univers qui est aussi beaucoup...
07:03 qui fonctionne beaucoup avec des financements publics.
07:06 -On a moins bénéficié de ces financements publics.
07:09 -J'allais vous poser la question du financement.
07:11 -Tout à fait. Alors, du coup, en fait,
07:14 je me suis rendue compte que les collectivités en France
07:17 portaient le sujet culturel, notamment dans la proximité
07:20 et l'hyperproximité avec les habitants,
07:23 et que c'était aussi un sujet qu'on travaillait.
07:25 On s'est beaucoup appuyé sur les réseaux de collectivité.
07:29 Ensuite, on a été voir les services de l'Etat,
07:31 qui contribuent aussi un petit peu,
07:34 même si ça reste encore pour nous un challenge
07:36 de les associer davantage, et surtout d'arriver à faire en sorte
07:39 qu'on ne cloisonne pas trop les dimensions,
07:42 parce que parfois, dans certaines villes,
07:44 on nous dit que c'est des quartiers politiques de la ville,
07:47 donc on nous demande d'aller solliciter le ministère de la Vie,
07:51 alors que dans d'autres lieux, c'est le ministère de la Culture,
07:54 et pourtant, on fait les concerts de la même façon,
07:57 on est habillés pareil, on joue les mêmes oeuvres.
08:00 Aujourd'hui, il y a un vrai travail de pédagogie
08:03 de nos interlocuteurs, en leur disant
08:05 qu'il ne faut pas considérer les publics différemment,
08:08 et puis surtout, pour arriver à porter,
08:11 à équilibrer l'économie de ce projet,
08:13 on a aussi sollicité des entreprises, des fondations,
08:16 qui avaient également, eux aussi, ce souhait
08:19 d'avoir cet impact social, sociétal,
08:21 et donc, on travaille tous ensemble.
08:23 Une des forces de l'orchestre divertimentaux,
08:26 c'est de mettre autour de la table des personnes
08:29 qui, parfois, en tout cas, y fut un temps,
08:31 travaillaient peut-être pas beaucoup ensemble,
08:34 et donc, de mettre l'éducation nationale,
08:36 les services de l'Etat, le monde économique,
08:39 le tissu associatif, et nous-mêmes,
08:41 pour travailler tous ensemble.
08:43 C'est un autre orchestre à côté de l'orchestre.
08:46 Parfois, c'est aussi ça qui fait la force.
08:48 Parfois, c'est vrai qu'en tant que chef de ce projet,
08:51 ça me demande beaucoup de temps d'aller mobiliser
08:54 tous ces partenaires. Heureusement,
08:56 maintenant, je m'appuie sur une équipe solide.
08:59 Depuis quelques temps, j'ai une directrice générale
09:02 qui m'accompagne beaucoup,
09:04 le président de l'orchestre divertimentaux,
09:06 Amoral Chibout, qui est issu du monde économique,
09:09 qui nous partage ses expériences
09:11 et qui nous permet de construire ses stratégies.
09:14 Mais je dois dire que dans mon travail quotidien,
09:17 le métier de chef d'entreprise,
09:19 prend autant de temps que celui de chef d'orchestre.
09:22 Il y a beaucoup de similitudes, en plus, dans ces 2 démarches.
09:25 C'est vrai que j'ai été amenée à rencontrer des personnes.
09:29 -On s'est rencontré. -Absolument.
09:31 Et aussi des personnes intéressantes
09:33 que je n'aurais jamais rencontrées.
09:35 Ces rencontres-là, dans le domaine économique,
09:38 dans le domaine social, culturel, éducatif,
09:41 m'ont amenée à avoir parfois un regard différent
09:44 et peut-être alimenter cette réflexion
09:46 autour du projet artistique de l'orchestre.
09:49 Même si on a un petit pousset dans le monde musical,
09:52 on a réussi à faire notre place.
09:54 C'est en étant parfois un peu bousculé
09:57 qu'on arrive aussi à être plus performant.
10:00 C'est souvent dans les difficultés qu'on s'est challengée
10:03 pour trouver...
10:04 Voilà, pour trouver une voie.
10:06 Même si j'aimerais bien qu'à l'avenir,
10:09 ça soit un peu plus serein.
10:10 C'est vrai qu'on a des objectifs encore.
10:13 -Votre défi principal d'aujourd'hui ?
10:16 -Alors, c'est de consolider, en fait, ce concept,
10:20 ce projet culturel au service des territoires.
10:23 Je vois vraiment la qualité et les résultats de ce beau projet.
10:26 Notre force est notre itinérance,
10:28 mais moi, j'ai aussi l'objectif de nous installer dans un lieu,
10:32 un lieu, en Seine-Saint-Denis, de préférence,
10:35 mais en région Île-de-France,
10:37 qui permettrait d'accueillir nos projets,
10:39 tous les jeunes de notre académie,
10:41 donc de trouver un lieu et de trouver des nouveaux partenaires.
10:45 Ce qu'on a réussi à expérimenter en France aussi,
10:48 on est en train de travailler pour les s'aimer dans d'autres pays,
10:51 en Afrique, en Europe, et donc, voilà.
10:54 -Donc, en fait, peut-être les mêmes...
10:56 -Exactement la même démarche d'une entreprise.
10:59 -Tout à fait. -Merci beaucoup.
11:01 Tout ça confirme, encore une fois,
11:03 que ce que vous faites est vraiment formidable,
11:05 et je le dis avec beaucoup de sincérité.
11:08 Je souhaite que cette émission, peut-être,
11:10 permette à ce que vous soyez encore mieux connue
11:13 que ce que vous êtes aujourd'hui
11:15 et que d'éventuels potentiels mécènes, sponsors,
11:18 puissent vous rejoindre et vous permettre de trouver
11:21 les capitaux qui vous manquent pour stabiliser
11:24 encore davantage tout ce beau projet.
11:26 -Ecoutez, merci beaucoup. -Merci, Zahia.
11:29 Voilà, émission terminée, donc rendez-vous le mois prochain.
11:34 Merci de votre écoute.