Comment documenter la situation à l’intérieur de la bande de Gaza quand Israël bloque son accès aux journalistes internationaux, créant ainsi un trou noir de l’information ? Pour répondre à cette question, nos journalistes étaient avec vous en direct ce mercredi 7 février sur Twitch.
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00:00 Des vidéos de cadavres empilés de corps broyés,
00:03 on en a vu jusqu'à un niveau qui nous a, je pense, désensibilisés.
00:06 Il y a 27 000, 28 000 morts.
00:09 On n'arrive pas à raconter bien, ou aussi bien qu'on pourrait,
00:12 que ces existences-là ont subitement pris fin.
00:15 Il a lui-même filmé son propre exode,
00:18 comment il a dû partir avec des drapeaux blancs,
00:20 sous les tirs de gaz à ville pour arriver jusqu'à la fin.
00:24 L'idée d'avoir des journalistes internationaux,
00:26 des membres d'organisations internationales présents
00:29 et assistants à ce massacre, non, ce n'est pas possible.
00:33 La brutalité des bombardements, leur côté indiscriminé,
00:37 fait qu'Israël aurait énormément de problèmes
00:40 à expliquer, par exemple, s'il laissait les journalistes entrer dans Gaza,
00:43 s'il, par exemple, tuait une équipe de CNN.
00:45 Comment on fait pour raconter l'intérieur de la bande de Gaza
00:50 alors qu'Israël bloque son accès aux journalistes internationaux ?
00:53 Cette question, on l'a posée à Sonia de Lestage-Tolpeur,
00:55 chef de notre service Planète,
00:57 et Guillaume Gendron, ancien correspondant en Israël et en Palestine.
01:00 Déjà, tout le sud d'Israël,
01:02 donc dans les 48 heures qui ont suivi le début
01:05 de l'attaque des commandos du Hamas sur les localités du pourtour de Gaza,
01:10 donc il y avait à la fois une grande ville comme Sderot de 50 000 habitants
01:14 et plusieurs kiboutz qui étaient vraiment sur la frontière,
01:18 mais il faut savoir que toute cette zone-là, elle était inaccessible
01:22 parce qu'elle était une zone de guerre.
01:23 Pendant 48 heures, elle était une zone de guerre.
01:25 Même les Israéliens à l'armée n'arrivaient pas à en reprendre le contrôle.
01:27 C'est important de rappeler parce que je pense qu'on oublie,
01:29 on parle des attaques du 7 octobre.
01:31 On oublie qu'en fait, les attaques ont démarré à l'aube le 7 octobre,
01:35 mais en fait, les combats ont duré pratiquement 48 heures.
01:38 Effectivement, pendant 48 heures,
01:40 cette zone était dangereuse pour n'importe qui qui se trouvait là-bas.
01:43 On doit souligner au passage le courage,
01:46 on peut dire, de notre correspondant Nicolas Rouget,
01:49 qui lui, dès le dimanche, était dans une zone qui n'était absolument pas sécurisée.
01:53 Donc voilà, en fait, la réalité telle qu'elle est,
01:56 c'est qu'à partir de ce moment-là, personne n'est rentré à Gaza
01:58 parce que c'était une zone,
02:00 même le sud d'Israël n'était pas accessible ou alors accessible.
02:03 Moi, je me rappelle, Nicolas me racontait,
02:05 il était obligé de passer à travers champs parce que les axes routiers
02:08 étaient bloqués par des véhicules de l'armée, etc.
02:11 Donc, une fois que Israël a repris le contrôle,
02:15 du moins l'armée israélienne a repris le contrôle du sud,
02:18 du pourtour de Gaza et a commencé sa campagne de bombardement.
02:24 Ils ont lancé une opération militaire terrestre par la suite.
02:27 Donc, ça a pris quelques semaines,
02:28 mais il y a une opération terrestre qui a été lancée.
02:30 À partir de là, évidemment, cette zone-là, elle n'est pas accessible.
02:33 Il faut aussi souligner, après je passerai la parole à Sonia,
02:37 mais ce n'est pas non plus accessible par l'Égypte.
02:38 C'est-à-dire que ce n'est pas qu'Israël, c'est-à-dire que Gaza,
02:42 il y a une frontière avec l'Égypte et l'Égypte en accord ou en partenariat,
02:48 enfin voilà, ils se coordonnent avec Israël,
02:50 ne laissent pas non plus entrer les journalistes par l'Égypte.
02:53 Donc, c'est un territoire qui est vraiment bloqué de toute part,
02:55 dans lequel se déroule une opération militaire vraiment à huis clos.
02:59 - Puisque c'est à huis clos, sur ces premiers mois,
03:03 comment on fait pour aller chercher des informations de ce qui se passe à l'intérieur ?
03:06 Est-ce que vous avez déjà des contacts ?
03:08 Et vous avez déjà des gens avec qui vous travaillez là-bas ?
03:11 - Alors, on a la chance d'avoir des correspondants sur place.
03:14 Donc, Nicolas Rouget, qui est notre correspondant, qui a remplacé Guillaume.
03:17 Et des anciens correspondants comme Guillaume,
03:20 donc qui ont des contacts parce qu'ils sont allés au fil des années à Gaza en reportage.
03:25 Il faut rappeler quand même que ce n'est pas la première fois que les armes parlent à Gaza.
03:30 Ça s'est passé plusieurs fois.
03:32 Donc, en fait, on a des contacts,
03:34 mais il faut se rappeler que non seulement le périmètre est bouclé,
03:40 mais en plus, les communications sont interrompues régulièrement, les internets, etc.
03:44 Donc, même les contacts qu'on a sur place, ce n'est pas évident d'avoir un contact tout de suite, immédiatement.
03:50 Après, il y a eu cette première période vraiment au tout début de l'offensive terrestre,
03:55 où en fait, personne ne savait exactement comment tout ça allait se passer.
04:00 Donc, en fait, on prend effectivement un maximum de contacts avec les gens qu'on connaît sur place
04:05 et qui nous transmettent eux-mêmes le contact d'un tel, d'un tel, d'un tel.
04:07 Et Guillaume notamment a été extrêmement précieux pour ça.
04:10 Et Nicolas pareil, parce qu'on a pu très vite entrer dans des boucles WhatsApp avec des gens sur place.
04:17 - Est-ce que toi, tu en avais déjà ?
04:19 - Oui, il y a des gens que je connaissais à Gaza.
04:22 Il y en avait et on en parlera tout à l'heure.
04:24 Il y avait surtout une personne qui nous a énormément aidé,
04:27 dont j'ai fait le portrait dans le journal de samedi, qui s'appelle Rami Aboujamous,
04:31 qui est ce qu'on appelle un fixeur, qui était quelqu'un à qui j'ai beaucoup travaillé
04:36 quand j'étais en poste et avec qui j'ai gardé le contact,
04:39 qui est quelqu'un qui me donnait des nouvelles régulièrement de Gaza.
04:46 Donc voilà, je pense qu'on parlera un petit peu plus.
04:48 - Et il faut parler aussi, on avait la chance aussi dans mon service,
04:53 donc le service international qu'on appelle Planète à Libération.
04:56 On avait Alaa Khodmani, qui est une de nos grands reporters
05:00 et qui a des contacts très proches, y compris des proches à elle qui se trouvaient à Gaza.
05:06 Donc elle avait elle aussi toutes sortes de réseaux
05:09 qui permettaient d'avoir au moins une idée de ce qui se passait là-bas.
05:13 - Donc oui, on avait des contacts et comme l'a dit Sonia,
05:15 la difficulté, ce n'était pas tant d'avoir un carnet d'adresses que de pouvoir les joindre.
05:21 Donc c'était ça quand même qui était la principale difficulté.
05:24 - Et qui reste la difficulté aujourd'hui.
05:27 - Mais je voulais dire par rapport à ce que tu disais au début et qui était intéressant.
05:31 Moi, je trouve pas en fait que sur ce qui se passe à Gaza, il y ait un déficit d'informations.
05:37 C'est à dire que mine de rien, on a beaucoup d'images, peut être trop d'images,
05:41 même une avalanche d'images.
05:43 Les journalistes de Gaza, oui, ont filmé beaucoup de choses sur les réseaux sociaux.
05:49 On a plein de trucs, mais effectivement, là, ce qui manque, c'est l'humanisation.
05:52 C'est à dire que des vidéos de cadavres empilés de corps broyés,
05:56 on en a vu jusqu'à un niveau qui nous a, je pense, désensibilisés.
06:00 Mais ce qu'on n'a pas, et c'est ça qui peut apporter le journalisme
06:05 quand on est sur place et qu'on essaye de raconter des histoires,
06:08 parce qu'en fait, ça paraît bête de dire raconter des histoires,
06:10 mais des fois, raconter une histoire permet aussi de saisir l'horreur.
06:14 Et c'est ça, c'est qu'en fait, derrière ces corps, on n'a pas la possibilité,
06:17 on l'a trop rarement, de pouvoir dire, voilà, cette personne était une infirmière,
06:21 cette personne était une prof, cette personne était un commerçant.
06:25 Il était, il avait de la famille, il a déménagé pour éviter le bombardement
06:29 et puis la bombe est tombée à tel endroit. Et ça, c'est vrai que on le fait.
06:32 Nous, on l'a fait, on l'a raconté grâce à des coups de fil, je veux dire à la Côte Manie,
06:36 ou même une collègue à nous qui s'appelle Léa Masguin a passé beaucoup de coups de fil.
06:40 On a essayé de le faire, mais c'est toujours ce genre de choses extrêmement difficile à faire au téléphone,
06:43 parce que c'est le genre de choses qu'on voit quand on est sur place.
06:48 Et donc, c'est ce qui nous manque.
06:50 Et puis, on se retrouve en fait dans la situation où on ne peut pas exercer
06:56 ou faire ce qui est la base du métier de journaliste, c'est à dire aller sur place,
06:59 parler aux gens et raconter effectivement, on dit une histoire,
07:04 mais raconter en gros ce que nous, on voit avec notre regard,
07:07 qui est un regard forcément extérieur puisqu'on arrive d'ailleurs
07:10 et qui permet parfois de donner un peu de relief, etc.
07:13 Et c'est vrai que, par exemple, le contraste pour nous est compliqué à gérer,
07:18 parce que les otages et les victimes du 7 octobre israélienne,
07:24 on a tout su d'eux. On a pu parler à la mère d'une d'entre elles,
07:29 à son frère, au petit ami ou à la petite amie.
07:32 On a pu savoir qu'est ce qu'ils aimaient, parce que tu parles de déroulés,
07:36 mais on a pu leur donner, leur redonner vie en fait à ces victimes d'une certaine manière,
07:40 en racontant qu'elle aimait jouer au tennis,
07:43 il aimait la musique de jazz ou je ne sais pas quoi.
07:47 Et il était complètement baba cool ou il était ceci.
07:49 Donc, on leur redonne en fait une forme d'existence.
07:53 Or là, notre problème, on peut dire il y a 27 000, 28 000 morts.
07:57 On a vu effectivement plein d'images avec des jeunes gens, des enfants, des bébés,
08:02 des femmes. C'est une horreur.
08:04 Mais comme tu dis, c'est même pas, on n'est pas insensibilisé,
08:08 parce qu'évidemment, c'est abominable.
08:09 Mais en revanche, on n'arrive pas à raconter bien ou aussi bien qu'on pourrait.
08:15 Voilà que ces existences là ont subitement pris fin.
08:19 Et du coup, je crois aussi qu'on a un petit peu tendance, parce que aussi Gaza,
08:23 l'accès à Gaza était tellement compliqué, même au fil des années,
08:26 à oublier ce que c'est qu'à Gaza, on vivait aussi.
08:29 On vivait une vie. Il y avait la plage, il y avait le week-end,
08:33 on se retrouvait en famille à la plage et ça, on l'applaudit.
08:36 Et c'est difficile. Il y avait des jeunes de 17, 18, 19 ans qui étaient à la fac
08:41 et qui faisaient leurs études et qui espéraient,
08:43 qui rêvaient de devenir ensuite médecin, journaliste, je ne sais quoi.
08:47 Et ça, on ne peut pas le raconter parce qu'on n'est pas sur place.
08:51 - Pour qu'on comprenne concrètement comment ça se passe,
08:55 pour récolter des informations de ce qui se passe à l'intérieur de Gaza,
08:59 comment vous faites ? Ça se passe exclusivement par des appels ?
09:02 - Non, pas que, parce que, par exemple, ça se passe aussi par les réseaux sociaux.
09:07 On l'a dit, Instagram, il y avait beaucoup d'images,
09:10 beaucoup de témoignages qui ont été publiés.
09:11 Moi, j'ai fait un papier en fin d'année, par exemple avec Facebook.
09:15 Il y avait un contact, c'était quelqu'un que j'avais rencontré quand je travaillais là-bas,
09:18 qui était maître nageur et il avait tout en projet de développer une équipe de nageurs palestiniens à Gaza.
09:26 Et en fait, lui, il a une cinquantaine d'années, il s'appelle Hamej Tantèche
09:32 et il poste, il l'a toujours fait, il poste régulièrement des petites cartes postales,
09:36 un peu de sa vie sur Facebook.
09:39 Et évidemment, quand la guerre est arrivée, le contenu de ce qu'il postait sur Facebook a radicalement changé.
09:44 Mais c'était extrêmement intéressant, c'est ce que j'ai raconté dans le journal,
09:47 c'est de voir l'évolution, parce que ça montrait, au fur et à mesure,
09:52 chaque post était de plus en plus désespéré.
09:55 Aujourd'hui, on a dû quitter la maison.
09:56 Aujourd'hui, j'ai appris que mon ancien élève de nage est mort.
09:59 Aujourd'hui, je suis sous une tente.
10:01 Aujourd'hui, je n'ai pas réussi à trouver du sucre pour mettre dans ma nourriture.
10:05 - Et on l'a vu avec Ramy aussi, quand il a raconté l'histoire,
10:08 qu'au début, il ne voulait pas quitter Gaza City.
10:10 Et finalement, au bout d'un certain nombre de bombardements,
10:13 il a un petit garçon, ils ont décidé finalement de partir.
10:17 Ils sont partis dans des conditions absolument dramatiques.
10:20 Mais ça, on le voyait, on travaille beaucoup en source ouverte, ce qu'on trouve.
10:25 - Alors, la source ouverte, c'est quoi ? C'est aller chercher des trucs sur Internet ?
10:29 - C'est ça, c'est ce qui est sur les réseaux sociaux.
10:31 Et après, on essaie de contacter les gens.
10:33 Et si on a de la chance et qu'on tombe à un moment où Internet fonctionne,
10:36 quelquefois, ils répondent. En plus, il y a quand même beaucoup de monde qui essaye de parler.
10:40 On a aussi utilisé, ça c'est vrai, l'AFP avait la "chance" d'avoir un bureau sur place
10:47 où ils ont eu à peu près sept journalistes qui sont restés sur place.
10:50 Et c'est vrai qu'eux ont pu faire des reportages et on a fait, on a pris nous,
10:54 à Libération, la décision qui est inhabituelle.
10:58 En principe, on fait chacun nos reportages.
11:00 Mais là, en fait, c'était les seuls quasi qui faisaient des reportages.
11:02 Donc, on a publié quelques-uns, pas beaucoup,
11:05 mais quelques-uns de leurs reportages assez les plus frappants, peut-être.
11:09 Et justement, ceux qui humanisaient le plus les victimes ou en tout cas,
11:14 qui expliquaient un petit peu plus ce qui se passait au quotidien.
11:17 Et on les a publiés sur notre site et même dans le papier, dans le journal papier.
11:21 - Il y a la source d'informations qui vous permettent de raconter ce qui se passe
11:27 à l'intérieur de la bande de Gaza.
11:29 C'est donc soit des journalistes palestiniens,
11:32 soit des influenceurs qui font des stories ou des choses comme ça,
11:35 ou même des gens sur place qui vous racontent des histoires.
11:38 - Des humanitaires aussi.
11:39 On a eu des humanitaires qui nous ont raconté ce qu'ils ont vu.
11:43 Pas plus tard qu'hier,
11:46 Léa Mazguen a fait un article sur des médecins qui revenaient de Gaza,
11:49 qui étaient à Gaza 24 heures plus tôt, qui a raconté des choses atroces,
11:53 des amputations à même le sol, etc.
11:55 Voilà, ça, c'est des témoignages qui sont extrêmement forts et récents.
12:00 Donc, on fait tout ce qu'on peut, en fait.
12:03 On fait tout ce qu'on peut, sauf être dans Gaza.
12:06 Mais on utilise les sources ouvertes, les sources fermées, les témoignages.
12:09 - On a une vraie différence par rapport à, par exemple, la couverture du conflit en Ukraine,
12:15 où on va là-bas et ce sont parfois des conditions compliquées.
12:19 Sur la ligne de front, ce n'est pas facile, il faut gagner les accès, etc.
12:22 En revanche, on peut raconter, on peut faire le lien entre une famille
12:28 qui a fait partir un des membres de sa famille sur le front et qui a été blessée et qui est revenu.
12:33 On peut faire tous ces liens-là parce qu'on peut circuler,
12:35 parce que les accès sont possibles et parce qu'on a une couverture
12:38 qui est ce qu'on appelle une couverture normale, avec des envoyés spéciaux
12:41 qui vont raconter la guerre, raconter ce qui se passe.
12:44 - Oui, je pense qu'il faut aussi souligner ce qui rend aussi difficile cette question du récit,
12:53 de re-humaniser, de donner l'individualité, en fait, dans le massacre,
12:56 parce que le nombre de morts, le nombre de morts, il est énorme.
12:58 C'est aussi ça, c'est-à-dire qu'il y a quand même,
13:01 voilà, on a 27 000 morts au bout d'un peu plus de quatre mois de conflit.
13:05 C'est énorme. Donc, on ne peut pas aussi, hélas, individualiser tout le monde,
13:10 alors qu'effectivement, même si on n'a pas individualisé
13:14 toutes les personnes qui ont été tuées dans les massacres du Hamas,
13:18 on pouvait s'approcher de ça, notamment avec les otages.
13:21 On pouvait s'approcher de ça.
13:23 Et la deuxième chose que je veux dire, qui est plus en propos, plus politique
13:28 et qui est portée par les Palestiniens depuis longtemps,
13:30 c'est que les Palestiniens ont l'impression qu'on a toujours tendance à les déshumaniser
13:34 ou ne pas leur rendre leur humanité.
13:36 Et notamment, il y avait un des collectifs, d'ailleurs,
13:40 qui était considéré comme un poète, qui était une sorte d'universitaire,
13:44 un peu influencé, un peu poète, Rifat, qui est décédé, d'ailleurs,
13:47 qui a été tué par une bombe.
13:49 Il avait fondé un collectif qui s'appelait "We are not numbers",
13:51 et qui faisait référence aux précédentes guerres à Gaza.
13:55 Donc, ce n'est pas non plus quelque chose qui est totalement nouveau,
13:57 qui n'est pas dû qu'à l'absence d'accès, même si l'absence d'accès
14:00 et la difficulté de travailler à Gaza, ils se font pour quelque chose.
14:03 Mais c'est un truc plus large.
14:05 Enfin, voilà, il faut aussi qu'on comprenne aussi sur nous,
14:09 mais c'est collectivement, au niveau des journalistes en Occident, etc.,
14:14 la difficulté qu'on a parfois.
14:16 Mais d'ailleurs, ce n'est pas qu'en Israël-Palestine,
14:18 il y avait le même débat en Irak, il y avait même des débats en Afrique,
14:21 par exemple, les guerres civiles que tu peux avoir en République démocratique du Congo.
14:27 Il y a eu un million de morts.
14:28 On a du mal à humaniser ça, à donner une réalité.
14:31 600 000 au Soudan. Non, non, tout à fait.
14:33 Cette critique du fait de la difficulté d'humaniser les victimes du conflit,
14:38 elle n'est pas récente et elle n'est pas uniquement, d'ailleurs,
14:41 sur le conflit israélo-palestinien à Gaza.
14:44 C'est pour ça que je tenais à le dire, parce que ce n'est pas que des...
14:47 Ce débat qu'on a là aujourd'hui n'est pas dû qu'à cause des difficultés de logistique.
14:51 C'est plus global.
14:53 Je pense aussi à la problématique, la vraie problématique.
14:57 Il y a des endroits du monde où il y a des conflits, où il y a des guerres
15:01 et qu'on couvre moins ou qu'on couvre, mais qui intéressent moins les lecteurs
15:05 pour des raisons qui sont souvent assez variables et pas forcément simples à expliquer.
15:11 Ça peut être aussi une question tout simplement géographique,
15:14 parce que c'est loin et du coup, forcément, ça nous intéresse moins
15:18 ou parce qu'on ne comprend rien à ce conflit.
15:21 Justement, tu parlais de la République démocratique du Congo.
15:24 C'est très compliqué d'expliquer les différentes factions, etc.
15:26 C'est vrai dans d'autres endroits, notamment en Afrique, effectivement.
15:30 Le Soudan, où ce sont aussi des conflits qui durent depuis des années et des années.
15:34 Il y a une vraie, ce qu'on appelle la fatigue du lecteur aussi,
15:38 ou de l'auditeur, etc.
15:40 Il y a un moment quand on a raconté 25 000 fois qu'il y a eu un massacre
15:44 au sud de Khartoum ou au Darfour.
15:46 À un moment donné, et comme...
15:49 Là, la différence, c'est que l'accès est difficile pour des questions évidentes de sécurité.
15:54 Et puis aussi parce que l'État, entre guillemets, a disparu
15:57 ou ne peut plus assurer la sécurité.
16:00 Donc, c'est très compliqué.
16:02 Là, la différence avec ce conflit-là, et c'est pour ça peut-être que ça nous...
16:06 Peut-être aussi pour ça qu'on l'a raconté dans le journal, c'est que...
16:10 On a un État qui est supposé être démocratique
16:14 et qui bloque de manière extrêmement drastique.
16:18 C'est pas seulement comme on put faire d'autres armées américaines
16:22 quand on était en Irak, où effectivement l'accès était avec ce qu'on appelle "embedded".
16:26 Donc, tu pars avec l'armée encadré par l'armée.
16:29 Là, c'est encore pire que ça. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'accès du tout.
16:32 Et ça vient d'un... Ou quasiment...
16:34 Oui, ils en ont fait quelques-uns des embedded, mais vraiment,
16:36 qui étaient... Ils rentraient à peine un kilomètre dans Gaza.
16:38 Et qui durent trois quarts d'heure à peu près sur place.
16:40 Et d'ailleurs, tu rencontrais pas un Palestinien, enfin, un journaliste affé.
16:43 Non, Nicolas Laffey, il était dans un convoi militaire.
16:47 Il est descendu du camion, on lui a dit "voilà l'entrée d'un tunnel".
16:51 Regardez, on l'a pris, il n'a pas pu rentrer dans l'entrée du tunnel.
16:54 Il est remonté dans le véhicule militaire et il est reparti en Israël.
16:57 Donc, c'est pas vraiment du représentage.
16:59 Non, mais on a une question de Jeff Edmond-Mieux.
17:02 Je sais pas s'il parle notamment de la guerre civile en Syrie.
17:05 Je sais pas si vous l'avez couvert.
17:07 Moi, j'ai pas couvert la guerre civile.
17:08 Mais lui se demande quelle est la différence entre le travail journalistique
17:11 dans la guerre civile en Syrie et la guerre en Palestine, le conflit Hamas-Israël.
17:16 Le travail d'un journaliste au moment de la guerre civile en Syrie,
17:19 c'était déjà le danger d'y aller tout court.
17:22 On allait dans un pays totalitaire, dire les choses.
17:25 On n'allait pas dans un pays ou à côté d'un pays démocratique.
17:27 On allait dans un pays totalitaire,
17:29 où il y avait un confront à une guerre civile et avec en plus des endroits
17:32 où on savait pertinemment que le journaliste,
17:35 c'est aussi un truc qui est problématique,
17:38 le journaliste était une cible à la fois soit pour des enlèvements,
17:40 soit pour être tué.
17:43 Donc, en fait, c'était une difficulté qui était une difficulté sécuritaire.
17:49 Qu'est-ce qu'on fait ? Comment on fait ?
17:51 Pour essayer d'être le moins en danger possible
17:54 et aller raconter ce qui se passe là-bas.
17:56 Donc, ça, c'était la difficulté qu'on avait.
17:57 En fait, les accès n'étaient pas officiellement fermés.
18:00 Il y avait plein de journalistes,
18:02 d'ailleurs, il y en a plusieurs qui ont été enlevés,
18:05 qui ont eu des accès ou qui ont réussi à rentrer.
18:08 Ce qui est frappant, c'est qu'on le voit, à Gaza,
18:11 personne n'arrive à rentrer parce que la frontière est tellement fermée
18:14 qu'il n'y a pas de moyen de rentrer, sauf si on a une autorisation.
18:18 Il faut le redire, Gaza, c'est minuscule.
18:22 Ça doit faire 15...
18:24 Je vais peut-être dire des bêtises, les gens sur Wikipédia me reprendront,
18:26 mais ça fait 15 kilomètres de large et 35 de long.
18:28 Et donc, comme on l'a dit...
18:30 Et l'Azkérie, c'est beaucoup plus grand.
18:31 Du coup, il y a plus de facilité d'entrée.
18:33 Plus c'est grand, plus une frontière est longue, plus il y a des trous.
18:36 À Gaza, il n'y a pas de trou.
18:37 Il y a l'armée israélienne qui est postée tout le long de sa frontière à elle.
18:42 Et avec l'Égypte, c'est un mur.
18:43 Et visiblement, ils ont rajouté des briques et du béton dessus.
18:47 Donc, c'est le sale truc.
18:49 C'est littéralement hermétique.
18:51 À Gaza, vous bossez avec des gens qui vivent là-bas.
18:55 Et justement, toi, tu parlais du fixeur.
18:57 Rami Abou-Jamous.
18:59 Donc déjà, pour commencer, moi, je parle de la notion de fixeur.
19:05 Peut-être que pour commencer, on peut parler de cette notion de fixeur
19:09 qui est importante dans le monde du journalisme,
19:10 et notamment dans le monde du reportage de guerre.
19:13 Un fixeur, c'est généralement quelqu'un qui est journaliste,
19:17 mais pas forcément.
19:18 En tout cas, c'est un local qui a des contacts, qui a du bagout,
19:22 qui te permet dans des zones de guerre ou des zones très compliquées d'accès,
19:26 et Gaza en était une, de pouvoir circuler et faire ton travail.
19:30 C'est quelqu'un qui parle la langue, qui connaît parfaitement bien le territoire.
19:35 En plus, quand on parle d'un territoire comme Gaza,
19:38 comme c'est petit, forcément,
19:40 et on dit que c'est surpeuplé en termes d'habitants par mètre carré,
19:45 mais ce n'est pas une très grande population.
19:47 Deux millions et demi de personnes.
19:48 Maintenant, il en reste un million huit à peu près dans le sud.
19:52 Donc, en fait, les gens se connaissent.
19:54 C'est relativement facile d'avoir les contacts, etc.
19:57 Donc, c'est très précieux d'avoir ça.
20:00 Après, le truc qui faisait qu'un fixeur à Gaza,
20:03 plus particulièrement, était obligatoire,
20:05 c'est que le Hamas ne voulait pas que les journalistes déambulent
20:09 sans avoir avec eux un Paestien qui était référent.
20:13 En fait, le fixeur était aussi ton référent.
20:15 Alors là, tu ne parles pas sur les quatre mois là.
20:20 Non, mais avant, quand on allait faire des reportages.
20:24 Non, mais aujourd'hui, personne n'entre à Gaza.
20:26 Donc, concrètement, c'est aussi le problème de Ramy aujourd'hui.
20:29 Ramy, concrètement, il est au chômage.
20:31 Il fait du journalisme, mais il ne peut pas travailler pour des journalistes.
20:36 Alors là, on ne va pas rentrer dans les détails,
20:37 mais des gens essaient de lui envoyer de l'argent, etc.
20:39 Mais le rôle des fixeurs, c'est quand les journalistes viennent,
20:43 les reporters de guerre viennent,
20:45 ils leur permettent d'avoir les autorisations administratives.
20:48 Ils font chauffeur, ils font interprète,
20:50 ils calent les rendez-vous qui sont complétés à Calais.
20:53 Voilà, c'est des gens qui ont toutes ces capacités.
20:55 Et donc, Ramy fait ça depuis 20 ans.
20:59 Moi, il m'a été extrêmement utile quand j'ai bossé à Gaza.
21:02 À toutes les époques, à l'époque où il y avait des périodes de tensions,
21:05 voire de combats et à des époques calmes.
21:07 Et là, aujourd'hui, ce que fait Ramy, c'est qu'il y a une boucle WhatsApp.
21:10 Dès qu'il a de la connexion, il nous envoie des infos.
21:13 Il fait des mémos où il dit "tiens, aujourd'hui, on a revu la police du Hamas à Rafa".
21:18 "Aujourd'hui, il y a eu des tracts de l'armée israélienne qui ont été distribués,
21:22 enfin, parachutés".
21:24 Il va nous dire "le prix de la farine, c'est ça".
21:26 Et puis après, il va nous renvoyer des images qu'il a récupérées
21:29 par ses différents contacts à Gaza.
21:30 Donc, en fait, c'est presque une AFPB.
21:33 On ne se sert pas exclusivement de ça, on recoupe tout.
21:36 Mais lui-même aussi, il fait son travail de recoupement dans son coin.
21:38 Et donc, il fait son travail de journaliste de manière un peu différente de ce qu'il faisait avant.
21:43 Je ne dirais pas que c'est un fixeur à distance.
21:45 Je dis vraiment que c'est un travail de journaliste qu'il fait.
21:47 Alors après, ce qu'il faut préciser peut-être, parce que c'est la première chose qu'il envoie
21:50 quand il y a de la liaison et du contact, son premier mot, c'est "bonjour les amis, toujours vivant".
21:56 Tous les matins, enfin, tous les matins, quelquefois, il arrive qu'on soit 48 heures ou 72 heures sans nouvel.
22:01 Mais c'est les deux premières choses qu'il fait.
22:04 Et c'est vrai que quand il y a un vide de 48 heures ou même 24 heures, régulièrement,
22:09 les journalistes qui sont dans cette boucle mettent "Ramy, donne-nous des nouvelles".
22:13 Ce qu'il faut peut-être souligner aussi, et ça c'est important peut-être,
22:18 c'est qu'en général, quand on part en reportage, on a ce qu'on appelle de multiples sources.
22:23 Donc, en fait, on va dans plein d'endroits pour avoir justement ce qu'on appelle l'image entière de ce qui se passe,
22:29 pour avoir un contexte le plus complet possible.
22:32 Et là, quand on travaille comme on travaille, il faut savoir que la boucle sur laquelle est Ramy est suivie par pratiques.
22:38 Il y a combien, 70 journalistes dont...
22:40 130.
22:41 130 journalistes français, la plupart.
22:43 Donc, en fait, ça veut dire qu'on a tous le même point d'accès à l'information
22:47 et on a tous les mêmes images, les mêmes informations que nous donne Ramy.
22:51 Alors, on multiplie autant qu'on peut les sources et les canaux,
22:55 mais c'est vrai que ça aussi, c'est pas...
22:58 Idéal.
23:00 Voilà, c'est pas idéal et c'est un obstacle supplémentaire à l'exercice correct du journalisme.
23:05 Je veux juste rajouter un truc très rapidement, qui est intéressant quand même aussi avec Ramy,
23:09 c'est ce qu'on a essayé de raconter dans le papier, c'est qu'il est aussi devenu son propre sujet.
23:12 C'est à dire qu'avant, Ramy, c'était un fixeur, mais du coup, par rapport à la vie à Gaza,
23:17 c'est quelqu'un qui vivait plutôt bien, qui avait des contacts, qui avait une voiture.
23:21 Et donc, en fait, quand il nous amenait dans les camps de réfugiés, quand il nous amenait voir les gens,
23:25 il était dans un rôle un peu comme nous de journaliste, entre guillemets, extérieur à l'action,
23:30 entre guillemets, extérieur à ce qui se passe.
23:32 Là, aujourd'hui, ce qu'il nous raconte, c'est sa propre tragédie, c'est son propre souffrance.
23:36 Et notamment, on en parle dans l'article, mais c'est des images qui ont été rediffusées vraiment dans la terre entière,
23:42 de CNN à France 2, Le Monde, etc.
23:44 Il a lui-même filmé son propre exode, comment il a dû partir avec des drapeaux blancs
23:48 sous les tirs de Gazaville pour arriver jusqu'à Rafah.
23:52 Et donc, ça, en fait, il a fait un auto-reportage, il a fait un reportage sur lui-même,
23:56 mais qui, en d'autres temps, il n'aurait jamais fait ça.
23:59 Mais là, c'est tout ce qu'il peut faire.
24:01 Et en même temps, c'est extrêmement utile.
24:03 Il a une valeur de document extrêmement précieuse parce que, tout simplement, ça lui arrive à lui maintenant.
24:10 Ce n'est pas quelque chose qui... ça lui arrive à lui.
24:13 Justement, c'est un sujet que je voulais absolument aborder.
24:15 C'est les conditions de vie de ces sources gazahouies, des gazahouies qui vivent dans...
24:23 qui vivent la guerre, etc., qui sont réfugiés.
24:27 Comment est-ce que ça se passe ?
24:28 Si on prend, par exemple, l'exemple de Rami,
24:31 comment est-ce que ça se passe pour lui depuis ces quatre mois de conflit ?
24:35 Alors, lui, paradoxalement, par rapport à certains, il a un peu de chance, entre guillemets,
24:40 dans la mesure où il est dans un véritable appartement, puisqu'il a un ami qui lui a prêté un appartement.
24:44 Après, ils ont des coupures d'électricité pas possibles, donc il faut chercher...
24:49 Ils n'ont pas d'eau courante.
24:50 Ils n'ont pas d'eau courante, donc il nous a filmé, à un moment donné, l'équipée infernale qui est...
24:55 où ils partent avec plusieurs... ils essaient de trouver des jeunes un peu solides
24:59 qui vont aller remplir, saut, bidon après bidon, au seul point d'eau.
25:04 Il faut faire la queue trois, quatre heures pour réussir à avoir de l'eau.
25:08 Pareil, ils essaient, dès qu'ils voient qu'il y a des tomates fraîches qui sont arrivées,
25:13 ils vont essayer. Donc, ils partent. On est vraiment dans des conditions super compliquées.
25:18 Après, encore une fois, lui, il a une fenêtre, un plafond, des murs.
25:25 Il y a des passages sous des tentes.
25:27 Il y a des passages sous des tentes, voire qui sont par terre, dans la rue, dans les cours des hôpitaux, etc.
25:32 qui sont devenus des espèces d'immenses campings.
25:36 Mais c'est vrai que ce qu'il nous racontait, c'était intéressant, parce qu'il nous le disait la dernière fois.
25:41 On a tellement peu d'électricité qu'on regarde quasiment plus la télé.
25:45 En gros, maintenant, les Gazaouis, quand ils ont de l'électricité, ils rechargent des téléphones.
25:49 Donc, ça, c'est le lien avec le monde et le lien entre eux, c'est les téléphones.
25:53 Donc, il faut à la fois de l'électricité et il faut aussi de la connexion.
25:57 Donc, lui disait, il y a un voisin, pas loin de chez lui, qui a une carte SIM égyptienne.
26:03 Donc, quand les réseaux sont coupés, quand il y a un blackout,
26:07 tout le monde se fait prêter la carte égyptienne et il marche au plus près de la frontière égyptienne
26:11 en tendant le téléphone pour essayer d'avoir quelques barres de réseau, pour avoir des nouvelles.
26:15 Il y a un vrai trafic de cartes SIM égyptiennes qui s'est développé en plus.
26:19 En gros, c'est les conditions de dénuement qui sont difficiles à imaginer pour nous.
26:28 Mais c'est vrai que, de manière générale, les contacts qu'on a dans ces zones-là,
26:34 moi je vois que t'es souvent l'élite, il faut se le dire,
26:38 parce que nous, les contacts qu'on a dans ces pays-là, c'est les intellectuels,
26:41 c'est les profs, c'est les universitaires, c'est les journalistes.
26:44 Après, quand on est en reportage, évidemment, c'est ce que disait Sonia,
26:47 c'est grâce à ces gens-là qu'on va voir d'autres gens et qu'on rencontre.
26:50 Mais c'est vrai que nous, on n'a pas, comme tu disais, la famille Gazaoui,
26:55 qui dort à même le sol ou qui dort sous une tente et qui, elle, n'a plus de téléphone,
26:59 doit à peine avoir assez de couverture pour avoir chaud.
27:02 Donc c'est vrai qu'on n'a pas ces gens-là.
27:04 Et c'est vrai que ça nous manque aussi dans notre couverture.
27:06 Mais on fait ce qu'on peut en recoupant.
27:08 Rami, par exemple, tous les jours, il se balade, il regarde, il va parler à des gens,
27:13 il nous raconte ce que les gens vivent.
27:15 Et on l'a par les humanitaires qui sont quand même extrêmement trescieux
27:17 et qui permettent de partager des témoignages quand même assez cruciaux.
27:22 En fait, ce que tu racontes, ça montre la différence entre quand tu vas aller travailler,
27:27 récupérer des informations au téléphone avec des gens qui sont sur place,
27:31 et quand tu vas toi-même aller sur place.
27:33 Concrètement, ça, par exemple, si tu compares à votre boulot sur d'autres conflits,
27:39 c'est quoi la différence dans votre manière, la quantité d'infos que vous allez ramener,
27:45 votre manière de travailler entre quand tu peux aller sur place, faire ton reportage,
27:49 et juste quand tu es au téléphone avec des gens ?
27:51 Quand tu envoies un reporter sur place, en gros, tu l'envoies et tu lui fais confiance.
27:57 Tu sais qu'il part et il va trouver ses sources sur place,
28:01 il va avoir un fixeur ou pas un fixeur, il va aller se promener,
28:03 il va sentir qu'il se passe ça à tel endroit, etc.
28:07 Donc en fait, souvent, toi, quand tu es à Paris et que tu es au bout du fil,
28:12 tu fais des échanges quand par exemple ton reporter va te dire
28:17 "là je crois qu'il y a ça, là je crois qu'il y a ça".
28:19 Pendant qu'on se parle, je viens de recevoir un message de notre envoyé spécial en Ukraine,
28:24 qui est en train de faire tout un tour en Ukraine et qui m'explique que finalement,
28:28 elle va repartir vers Kharkiv.
28:30 Donc on est vraiment sur des trucs très matériels, mais en fait,
28:33 tout ce qui est le reportage, c'est le journaliste sur place qui décide lui-même.
28:36 Là, on est en fait constamment à discuter entre nous à Paris,
28:40 de "tiens, j'ai vu sur Instagram, il y a un tel qui dit ça,
28:43 j'ai essayé de lui envoyer un message, il m'a répondu, ça pourrait être une bonne interview",
28:47 ou "tiens, tu as entendu qu'il y a des médecins, MSF va pouvoir peut-être rentrer,
28:51 on va essayer de les avoir".
28:53 Donc on est constamment...
28:55 Alors il y a une forme d'émulation parce qu'on essaye de trouver des solutions,
28:59 mais ce n'est pas idéal, c'est beaucoup moins confortable que quand on peut envoyer...
29:03 Je donne l'exemple de Guillaume, à qui j'ai demandé de partir pratiquement le 7 octobre,
29:09 qui est parti en Israël et qui a pu en Israël circuler librement à peu près
29:14 et aller voir...
29:16 Il a été sur place, il a été dans des kiboutz qui venaient en gros d'être sécurisés à peine,
29:21 où les traces du massacre étaient encore là,
29:23 et où il a pu raconter de manière extrêmement forte forcément,
29:28 parce qu'il l'a vu avec ses yeux à lui, avec son ressenti à lui,
29:32 et qu'il a pu le raconter.
29:33 Et le truc, là, sur Gaza, on a le ressenti de nos témoins,
29:37 mais on n'a pas le nôtre.
29:38 Et en fait, tu transmets ça mieux quand tu peux être toi là.
29:42 C'est ça, moi je voulais enchaîner là-dessus, c'est absolument ça que je voulais dire,
29:45 et Sonia le dit très bien.
29:47 - Il y a une grande différence avec ce que tu peux avoir de quelqu'un qui te le raconte au téléphone
29:51 et d'être sur place, c'est tout le non-verbal.
29:53 Et souvent, c'est le non-verbal qui est le plus parlant.
29:55 C'est-à-dire qu'en fait, quand tu demandes aux gens comment ça va,
29:58 des fois, ils ne vont pas te donner les détails qui permettent d'objectiver.
30:01 Et le reporter, des fois, en fait, ce n'est pas tant l'interview qu'il fait avec la personne sur place
30:06 qui va lui apprendre des choses.
30:07 C'est de regarder, par exemple, je ne sais pas, qu'il n'y a rien à manger sur la table.
30:12 Il va peut-être se rendre compte qu'il fait super froid,
30:15 que les fenêtres sont brivées et que du coup, la pluie rentre.
30:18 Et tout ça, les gens, ils ne vont pas penser à te le dire au téléphone.
30:20 Et par contre, quand tu es là-bas, tu le vois.
30:22 Et c'est exactement l'exemple que tu donnais avec les kibbutz.
30:26 Moi, je suis rentré dans les kibbutz, ils étaient encore en train de les déminer et tout.
30:30 Effectivement, ce qui était le plus intéressant, c'est ce que j'ai vu.
30:33 Ce n'est pas ce que les soldats m'ont raconté, tu vois.
30:35 Mais c'est le fait d'avoir vu les impacts de balles partout, la rue retournée.
30:40 - Les sandales qui traînaient. - Les sandales qui traînaient.
30:42 - Les jeux d'enfants. - Exactement, les jeux d'enfants.
30:45 Et donc tout ça, ce n'est pas quelque chose qui se raconte au téléphone,
30:47 parce que les gens, ce n'est pas leur faute, ils sont traumatisés.
30:49 Il faut se dire déjà, tous les gens qu'on appelle à Gaza, ils sont traumatisés.
30:51 Donc dans leur propre traumatisme, ils n'arrivent pas toujours à le verbaliser.
30:55 Ils n'arrivent pas toujours à mettre des mots sur les choses qu'ils voient.
30:58 Et puis, c'est une différence entre de dire c'est l'horreur, on a peur,
31:02 et de toi, tu es reporter et tu dis le bruit est assourdissant
31:06 au point qu'on en a mal aux oreilles.
31:09 Comme je disais, les questions de "on a faim", "on a marché tant de kilomètres
31:13 avant de trouver un seul truc ouvert pour pouvoir acheter à manger", etc.
31:16 Tout ça, ce sont des choses qu'on ne peut voir qu'en allant sur place.
31:19 - Toi Sonia, tu me faisais une analogie hier que je trouvais hyper intéressante.
31:22 C'est la différence entre quelqu'un qui te dit qu'il a froid
31:26 et toi qui vois qu'ils sont en train de couper des meubles en bois
31:30 pour faire un feu et se réchauffer.
31:32 Est-ce qu'aujourd'hui, avec notre couverture du conflit,
31:34 malgré l'inaccessibilité de Gaza,
31:36 vous avez le sentiment qu'on arrive à réhumaniser
31:40 ce qui se passe à l'intérieur de la bande de Gaza ?
31:42 Est-ce qu'on arrive à montrer, rapporter les histoires derrière les chiffres ?
31:45 - En tout cas, on fait le mieux.
31:47 - Je pense qu'il n'y a pas de doute pour personne
31:51 que ce qui se passe est une tragédie absolue et une horreur absolue.
31:56 Après, c'est toujours pareil.
31:59 En plus, quand c'est des choses comme ça,
32:01 nous, on fait ce métier pour raconter aux lecteurs
32:05 ce qu'on a vu, ce qui se passe.
32:07 Et évidemment, dans des moments comme ça,
32:09 quand il y a une tragédie pareille,
32:11 il faudrait mentir que de ne pas dire, qu'on n'espère pas
32:14 que ça va bouleverser suffisamment de personnes,
32:18 de pouvoirs, d'opinions publiques
32:20 pour qu'à un moment donné, quelque chose s'arrête.
32:23 On sait bien aussi que c'est assez vain comme espoir,
32:26 mais c'est aussi pour ça qu'on fait ce boulot,
32:28 pour pouvoir alerter.
32:31 Et donc, on n'est pas satisfait parce qu'on aimerait faire 10 fois mieux, évidemment.
32:38 Et bien entendu, que le moment où Gaza sera ouvert,
32:41 on sera les premiers à partir ou à essayer de partir.
32:44 Mais on fait au mieux, on essaie de faire au moins mal depuis le début.
32:49 - Après, ce qui est peut-être vrai,
32:51 on en a parlé collectivement,
32:53 et je pense que ça dépasse le journal, les journalistes en général.
32:55 C'est vrai qu'au début, on avait un peu ce réflexe de se dire
32:58 on va attendre que Gaza soit ouvert pour vraiment raconter l'histoire.
33:01 Et en fait, là, on se rend compte, on ne peut pas attendre ça.
33:03 Donc, il faut qu'on invente des trucs pour raconter l'histoire dès maintenant.
33:07 - Alors, juste pour clarifier, qu'on invente des trucs,
33:10 non pas inventer des faits, mais inventer des manières de raconter l'histoire.
33:13 - Inventer de... Enfin, inventer.
33:15 - On n'invente rien, on n'invente pas de témoignages.
33:17 - Non, non, non. Il faut qu'on trouve,
33:19 ce ne sont pas des formats, mais qu'on trouve des moyens
33:22 pour raconter autrement, à distance.
33:26 Comme pendant le Covid, pendant deux ans,
33:30 on ne pouvait plus faire d'interviews.
33:31 On a découvert, on faisait des interviews par Zoom,
33:33 on a fait des portraits d'air par Zoom.
33:35 Là, peut-être qu'il faut faire des portraits d'air par Zoom avec Gaza.
33:38 Enfin, je n'en sais rien.
33:39 Mais en tout cas, il faut qu'on se dise...
33:41 Mais on avait tout ça.
33:42 Moi, le premier, je me rappelle, j'ai discuté avec Sonia,
33:44 je disais, en général, les guerres à Gaza étaient plus d'un mois avant.
33:49 Peut-être que d'ici un mois, un mois et demi, on va pouvoir rentrer
33:51 et puis on va pouvoir raconter.
33:52 Non, en fait, là, on ne sait pas combien de temps ça va durer.
33:54 On ne sait pas combien de temps le blackout va durer.
33:58 Et donc, il faut qu'on arrive à trouver un moyen de faire cette couverture.
34:02 Je pense que voilà, on s'en est en tout cas donné les moyens.
34:05 On essaye.
34:06 Et je voyais la question qui disait, est-ce que c'est plus dur aujourd'hui qu'avant ?
34:10 Ben oui, c'est ce qu'on raconte depuis le début.
34:12 C'est-à-dire que même en 2014, quand Israël avait fait déjà une invasion de Gaza,
34:17 moi, j'en avais parlé avec la correspondante pour Libé de l'époque.
34:21 Il y en avait plusieurs. Il y avait Luc Mathieu qui avait été envoyé spécial.
34:24 Il y avait Eaude Markovitch qui était là-bas.
34:26 C'était ultra dur, mais ils n'avaient plus rentré.
34:28 C'était ultra dur, ultra dangereux.
34:30 Mais jusqu'à ce conflit-là, à chaque fois, on a pu à un moment donné rentrer dans Gaza.
34:35 Mais du coup, rentrer dans Gaza sans lien avec l'armée israélienne,
34:39 donc sans être embédé.
34:41 Non, non, avec une autorisation qui te permet.
34:44 Juste pour clarifier le mot embédé, parce qu'on l'utilise plus.
34:46 Tu rentres dans Gaza, mais avec l'armée tout autour de toi.
34:50 C'est un mot anglais qui dit en gros, tu es au lit avec l'armée.
34:55 Donc, parce que tu es encadré, tu ne vas que là où l'armée te dit d'aller.
34:59 Ce qui n'est pas horrible, en fait, c'est un format, un bédette.
35:02 Si tu fais un reportage sur les troupes, moi, j'ai lu des trucs,
35:05 un bédette sur l'armée américaine en Irak.
35:07 Super intéressant, mais tu ne parles pas des Gazaouis.
35:10 En fait, quand tu fais ça, tu parles des Israéliens.
35:12 Et à l'époque, pour l'Irak, embédé avec l'armée américaine,
35:15 tu avais les reportages comme ça,
35:17 ou alors ça aurait été faire preuve de malhonnêteté
35:20 de ne pas dire que tu étais dans ces conditions-là de reportage.
35:23 Mais ce qu'on essayait de faire toujours, c'était d'avoir le reportage de l'autre côté,
35:26 où tu n'étais pas embédé avec l'armée.
35:28 Et donc, tu pouvais dire de l'autre côté, voilà ce qui se passe de la ligne de front.
35:32 Mais je pense que personne ne prétend, quand tu es embédé,
35:35 que tu racontes l'histoire des Gazaouis.
35:36 Tu racontes l'histoire des Israéliens et de leur guerre à Gaza,
35:39 mais tu ne racontes pas l'histoire des Palestiniens.
35:41 Et donc, à Gaza, avant, quand tu pouvais rentrer par moment dans la bande de Gaza,
35:46 tu parles de moments où ce n'était pas embédé, donc pas avec l'armée israélienne.
35:49 Non, c'était des moments où il y a eu d'autres guerres à Gaza,
35:53 des conflits et des moments où il y avait des échanges de missiles et de bombardements,
35:57 où en fait, on a pu obtenir l'autorisation de rentrer et d'aller sur place.
36:03 Quelquefois, ça a duré.
36:04 Ça a duré pendant quelques jours, tu ne pouvais pas rentrer pendant plusieurs jours,
36:07 mais au bout de quelques jours, tu pouvais rentrer.
36:09 Et à ce moment-là, tu pouvais circuler dans la bande de Gaza à peu près librement avec un fixeur,
36:13 mais tu pouvais un peu aller où tu voulais.
36:16 Mais quand tu parles d'autorisation, c'est qui qui te donne l'autorisation ?
36:20 C'est du coup, c'est les autorités israéliennes ?
36:22 C'est les autorités israéliennes, oui.
36:23 Mais du coup, c'était quand même encadré un minimum ?
36:25 Avec le Hamas, tu peux t'expliquer parce que c'est pas vraiment concret.
36:29 En gros, avant, il y avait une seule entrée quand tu étais en Israël pour rentrer dans Gaza.
36:33 D'ailleurs, il n'y avait qu'une seule entrée tout court parce que par Egypte, tu ne pouvais pas rentrer.
36:36 C'était un grand checkpoint qui ressemblait quasiment à un hall d'aéroport vide
36:40 où tu devais passer plusieurs niveaux de sécurité, de fouilles.
36:46 C'est des fouilles comme à l'aéroport, mais en plus, plus, plus.
36:49 On t'ouvrait la valise, on regardait tout, tu devais montrer ta carte de presse,
36:52 tu devais montrer l'autorisation que tu avais eue.
36:56 Ce n'était pas l'autorisation, le fait d'avoir la carte de presse, c'était une autorisation en soi.
37:00 C'était déjà assez compliqué de l'avoir.
37:01 Ensuite, on te fouillait, etc.
37:03 Et ensuite, tu arrivais à une espèce de no-man's land
37:06 où tu traversais une espèce de couloir grillagé pendant un kilomètre
37:10 qui était à travers une espèce de champ en friche.
37:15 Et quand tu arrivais de l'autre côté, tu étais à un autre checkpoint.
37:17 Et ça, c'était le checkpoint des Palestiniens.
37:19 Et alors là, pareil, tu devais remontrer pas de blanche.
37:21 En plus, il y en avait deux des checkpoints, je ne vais pas rentrer dans les détails,
37:23 mais il y en avait un qui était de l'autorité palestinienne
37:25 où ils te mettaient un coup de tampon pour la forme.
37:27 Et puis après, tu faisais 500 mètres en taxi et tu étais au checkpoint du Hamas.
37:30 Et là, au checkpoint du Hamas, tu devais montrer l'autorisation qu'avait eu ton fixeur.
37:34 Donc là, ton fixeur, généralement, t'attendait à l'autre checkpoint.
37:36 Il arriva avec l'autorisation.
37:37 Là, tu passais une demi-heure d'interrogatoire par le Hamas
37:40 qui te demandait ce que tu venais foutre.
37:42 Et ensuite, si tout se passait bien, tu pouvais partir en voiture avec ton fixeur.
37:47 Donc, ce n'était pas non plus le délire, mais effectivement, ça se passait comme ça.
37:52 Et donc, une fois que tu avais passé le fameux no-man's land,
37:55 tu n'étais plus avec les Israéliens. C'était fini.
37:57 Ils ne rentraient pas. Ils n'étaient plus là.
37:59 Donc non, ce n'était pas du tout un bédette.
38:01 Après, par rapport à la liberté de circulation,
38:06 on savait qu'à Gaza, on était surveillé.
38:08 On ne va pas se mentir.
38:09 Le Hamas, je me rappelle, on logeait dans un...
38:12 Il y a des hôtels à Gaza, il n'y en a pas 15 000, mais il y en a.
38:15 Et on savait qu'ils étaient surveillés par le Hamas.
38:16 Et moi, je logeais dans un immeuble, que l'immeuble soit safe,
38:19 où il y avait des personnels de l'ONU et des personnels diplomatiques.
38:22 Et devant notre immeuble, il y avait vraiment un préfabriqué
38:26 avec dedans un mec en treillis.
38:27 C'était le mec du Hamas.
38:28 Et t'inquiète, qui notait quand est-ce qu'on sort,
38:31 quand est-ce qu'on rentre, avec qui...
38:33 On était aussi surveillé, on ne va pas se mentir.
38:35 Mais au moins, on pouvait quand même circuler,
38:37 aller interviewer des gens, aller voir des gens, etc.
38:40 Tu pouvais regarder, voir ce qui se passe,
38:42 et raconter ce qui se passe.
38:43 Il y avait cette parano qui est de toute façon
38:46 complètement imprégnée dans toutes les "sociétés" présentes là-bas.
38:52 Les Israéliens ont peur qu'on soit des espions à la solde d'eux
38:57 ou des sympathisants à la solde d'eux.
38:59 Et le Hamas, exactement la même chose dans l'autre sens.
39:02 Sachant que le Hamas, il faut le dire,
39:05 quand j'y étais, le Hamas, c'était comme aller en Syrie.
39:09 C'est un état totalitaire despotique,
39:11 avec des mecs armés partout, et une paranoïa totale.
39:15 Et moi, j'ai eu plein d'entretiens avec ce qu'ils appellent les "moukta barat",
39:18 qui sont les mecs des services secrets.
39:20 "Pourquoi tu es là ? Est-ce que tu es avec eux ?
39:23 Ou est-ce que tu es avec Israël ?"
39:25 Enfin voilà, et donc ça, on ne va pas se mentir,
39:27 qu'on était à Gaza, ce n'était pas vivre la liberté de la presse.
39:29 Mais on bricolait.
39:31 Et d'ailleurs, moi, à chaque fois, je le mettais dans mes papiers.
39:33 Je me rappelle, j'avais fait un papier sur la paranoïa à Gaza.
39:36 Et on m'avait dit une fois, Gaza, un mec du Hamas m'avait dit
39:41 "Mais qu'est-ce qui me fait dire que vous n'avez pas laissé
39:43 votre passeport israélien à la maison ?
39:45 Parce que des franco-israéliens, il y en a plein.
39:46 Comment je peux savoir que vous n'êtes pas juif ?"
39:48 Donc voilà, ils avaient une paranoïa aussi.
39:50 Donc voilà, il faut aussi relativiser.
39:52 Et la notion de dire "on est là pour faire notre métier,
39:55 juste raconter ce qui se passe",
39:57 c'est un truc qui...
39:59 Il y a tellement d'engagement là-bas, dans un sens ou dans l'autre,
40:02 qu'en fait, c'est une notion qui est difficile à comprendre.
40:05 Et le Hamas, évidemment, voulait gérer l'inflo.
40:06 C'est-à-dire que le Hamas, quand il y avait des guerres, des affrontements,
40:09 il nous laissait aller dans les hôpitaux,
40:11 parce que c'est ce qu'il voulait aussi qu'on raconte.
40:12 Il voulait qu'on montre la souffrance.
40:14 Mais quand on voulait aller dans certains endroits,
40:16 typiquement pour vérifier d'où étaient peut-être...
40:20 d'où partent les roquettes, j'en sais rien.
40:22 Non, le Hamas, il ne voulait pas qu'on y aille.
40:24 Donc voilà, je pense qu'il ne faut pas non plus être manichéen.
40:27 La difficulté d'accéder à l'information,
40:32 elle est la faute aujourd'hui principalement d'Israël qui nous bloque.
40:36 Mais le Hamas, ce n'est pas les amis de la liberté de la presse
40:38 qui nous laisseraient faire ce qu'on veut.
40:39 Donc il faut...
40:40 Il faut relativiser les choses.
40:42 Je voudrais qu'on aborde la question aussi de la responsabilité
40:44 du coup des autorités israéliennes, de l'armée israélienne.
40:47 Parce qu'il y a des journalistes qui ont été tués.
40:49 Des journalistes gazaouis qui ont été tués dans la bande de Gaza.
40:52 Je crois que c'est 120 journalistes, c'est ça ?
40:56 Il y a plusieurs comptages, mais oui, il y a un nombre en tout cas plus des dizaines et des dizaines.
41:02 Et dont certains de ces journalistes qui ont été...
41:06 Corrigez-moi si je me trompe,
41:08 mais qui, je crois, ont été identifiés comme étant des journalistes.
41:11 Ils avaient le casque presse, le...
41:13 Oui, alors je vais te donner les deux versions.
41:16 C'est-à-dire que du point de vue d'Israël,
41:17 il n'y a pas d'intentionnalité.
41:19 Parce qu'ils vont te dire que c'est des bombardements.
41:21 La plupart du temps, ça vient soit d'un avion,
41:24 soit d'une arme d'artillerie qui est de l'autre côté de la ligne de démarcation.
41:29 Et donc, ils vont te dire qu'on ne les vise pas.
41:31 Alors effectivement, il y a eu aussi...
41:33 On change de Gaza, mais au Liban, il y a quand même une enquête en ce moment
41:36 qui a été menée par Human Rights Watch, si je ne me trompe pas,
41:39 qui tendrait à faire penser qu'il y a quand même eu des journalistes libanais
41:42 qui ont été visés sciemment,
41:44 parce qu'ils n'étaient pas si loin de la position israélienne.
41:47 Et a priori, les Israéliens pouvaient très bien voir avec leurs jumelles
41:50 que les mecs avaient leurs gilets parables, etc.
41:54 Et eux, ils ont pris effectivement un obus.
41:57 Donc voilà, c'est le premier truc.
41:59 C'est l'intentionnalité.
42:00 Israël, la dément.
42:01 Après, effectivement, ce qu'on peut dire,
42:04 c'est que les bombardements indiscriminés sur tout type,
42:09 c'est-à-dire à proximité des hôpitaux, sur les ambulances,
42:13 sur des bâtiments civils.
42:15 Et puis aussi la destruction de tout, où il y avait des médias, etc.
42:21 Tuer des journalistes.
42:22 Et on peut dire que voilà, il y a eu, si ce n'est une intentionnalité,
42:26 il y a eu le fait qu'ils n'ont pas du tout cherché à l'éviter.
42:29 Après, je pense que c'est important quand même aussi de dire justement,
42:32 et on revient à notre sujet depuis le début, au manque d'accès,
42:35 c'est-à-dire qu'une des défenses parfois d'Israël,
42:39 en tout cas de l'armée,
42:40 quand on l'a accusé d'avoir visé spécifiquement des journalistes
42:44 qui ont été tués ou blessés,
42:47 ce ne sont pas des journalistes,
42:49 ce sont les assurnalistes de terroristes du Hamas.
42:52 Ils sont membres du Hamas,
42:53 où ils ont mis un gilet pare-balle avec écrit,
42:56 ou un gilet, même pas pare-balle, mais un gilet et un casque.
42:59 Ce n'est pas très compliqué d'avoir un truc et de mettre presse dessus.
43:02 Donc, le problème, c'est qu'on se retrouve dans cette situation-là.
43:06 C'est-à-dire, on a la parole de Tsaïl qui explique
43:08 ou qui se justifie d'une manière ou d'une autre.
43:10 On a les proches des morts qui nous disent
43:13 que c'était vraiment des journalistes, etc.
43:16 Et nous, on est loin.
43:18 Il n'y a aucun moyen pour nous d'enquêter en tant que journaliste,
43:22 aucun moyen pour un organisme indépendant d'enquêter également
43:26 pour voir quelle est la vérité là-dessus.
43:28 Un jour ou l'autre, on aura sans doute,
43:30 notamment cette enquête au Liban,
43:32 certaines enquêtes vont aboutir,
43:34 mais il y en a d'autres où on ne saura jamais la vérité, finalement.
43:37 Et on ne saura jamais s'ils ont été visés, pas visés, etc.
43:41 Mais c'est compliqué.
43:43 Il y a un autre truc qui est très compliqué, il faut le dire.
43:45 Parce que, tu vois, il faut aussi dire la vérité dans toute sa complexité.
43:49 Moi, j'en parlais avec Rami, justement, Rami Abou-Jamgous.
43:52 Il m'en parlait.
43:53 Lui, Rami, il y a dix ans, il a monté un truc qui s'appelle
43:55 la Maison Presse Palestine pour justement faire une info indépendante à Gaza.
43:58 Pourquoi ?
43:59 Parce qu'en fait, historiquement, en Palestine,
44:02 les journalistes étaient rattachés à des factions,
44:04 donc les factions Hamas, Fatah, Diyal Islamique,
44:07 FPLP, qui est la faction marxiste.
44:09 En fait, ils ont leurs journaux, ils ont leur télé,
44:12 un peu comme, tu vois, sous les Soviétiques, tu avais le PCF.
44:16 Voilà, etc.
44:17 Donc, en fait, il y a des gens qui étaient vraiment journalistes,
44:20 mais aussi pour le Hamas.
44:22 Et en fait, ils n'avaient pas d'armes.
44:24 Ils écrivaient, ils faisaient des montages audiovisuels, etc.
44:27 Donc, eux, effectivement, les Palestiniens vont les compter comme des journalistes.
44:31 Après, Israël va dire que c'est des terroristes,
44:33 mais c'est une espèce de zone grise qui est complexe.
44:35 Et tu as aussi des gens qui étaient au milieu de tout ça,
44:37 c'est-à-dire des gens qui étaient réellement journalistes.
44:39 Mais là-bas, effectivement, il y a des médias
44:41 ou des boîtes de production qui bossent avec les acteurs locaux.
44:45 Et ce qu'il faut se dire, c'est que le Hamas, là-bas,
44:47 c'était un proto-État, en fait.
44:49 C'était un État qui ne donne pas son nom.
44:51 Ils avaient des fonctionnaires, ils avaient des...
44:54 Voilà, ils étaient partout, à toutes les strates de la société.
44:57 Et j'en parlais avec Rami, et il me disait,
45:00 si une secrétaire, tu vois, dans une boîte de production du visuel du Hamas,
45:05 est-ce que c'est la même chose qu'en combattant du Hamas ?
45:08 Est-ce qu'elle mérite de mourir de la même manière ?
45:10 C'est une vraie question.
45:11 Il y a quand même, tu vois, dans les belligérants,
45:13 il y a quand même une question aussi de...
45:16 Voilà comment tu vois les différents profils.
45:17 Donc ça aussi, c'est un truc qui est compliqué,
45:19 qui va falloir démêler.
45:22 Mais voilà, et de la même manière, la question aussi d'Al Jazeera, par exemple.
45:26 Al Jazeera, nous, on l'a écrit dans l'Ibé,
45:28 on doute aujourd'hui qu'Al Jazeera est un organe de paix,
45:31 la propagande du Hamas, assez clairement.
45:33 De l'autre côté, Al Jazeera, c'est peut-être le média arabe le plus influent,
45:37 qui est dans énormément de pays, qui est aussi en France.
45:40 Al Jazeera n'est pas interdit.
45:41 Et donc, est-ce que quand un journaliste du Hamas est tué,
45:46 pardon, un journaliste du Hamas, pardon, un journaliste d'Al Jazeera est tué,
45:49 c'est légitime ?
45:51 Ben voilà, c'est une question qu'il faut répondre.
45:54 Sur ce que tu dis, il y a un commentaire que je trouve intéressant, c'est Yogastéré.
45:57 Il nous demande est-ce que c'est à cause de toutes ces zones grises
46:00 que toute information est bloquée volontairement par Israël ?
46:02 Donc je pense que ce qu'il veut dire, c'est est-ce que c'est parce que
46:05 tu as des journalistes qui sont potentiellement liés au Hamas ou je ne sais pas quoi,
46:09 que les informations sont bloquées par Israël ?
46:11 Est-ce que c'est pour éviter des jugements ? C'est ça sa question ?
46:13 Non, les jugements, ils auront lieu. Les enquêtes auront lieu.
46:16 Tous les conflits donnent lieu ensuite à des enquêtes, à des procès,
46:20 à des historiens qui sont d'ores et déjà en train de travailler sur ce conflit-là
46:25 qui rassemblent des sources et qui vont raconter tout ça
46:29 et ensuite prendre le recul nécessaire pour rétablir au maximum la vérité.
46:33 Non, non, là, le blocage, il est purement et simplement parce qu'Israël a décidé de s'engueuler.
46:39 Je crois aussi qu'on oublie de mesurer parfois le traumatisme.
46:43 Il y a plein d'éléments qu'il faut raconter en long,
46:46 mais le choc total qu'a représenté le 7 octobre en Israël,
46:51 les victimes, etc., un attentat terroriste qu'Israël n'avait pas connu
46:58 et a volé en éclats ce sentiment qu'Israël était le lieu de refuge absolu
47:04 pour les Israéliens, pour les Juifs autour du monde.
47:08 Et donc, les représailles et en plus liées à un gouvernement qui est tout sauf pacifiste
47:15 et totalement d'extrême droite, il faut le dire, a lancé le truc.
47:20 On va lancer une offensive complète.
47:22 On va raser Gaza.
47:23 Ils n'ont jamais donné de stratégie.
47:26 On en parlait.
47:28 L'idée de dire ça s'arrête quand ces représailles, cette vengeance.
47:33 On comprend.
47:34 Tu peux le comprendre intellectuellement, le besoin de vengeance après une attaque.
47:38 Mais tu te dis à un moment donné, ça s'arrête quand ?
47:40 Et en fait, il n'y a pas de limite parce que pour eux, en tout cas à ce moment là,
47:46 c'est on va raser Gaza.
47:48 Donc l'idée d'avoir des journalistes internationaux, des membres d'organisations internationales
47:53 présents et assistants à ce massacre, non, ce n'est pas possible.
47:57 Donc en fait, ils ont bloqué complètement l'accès.
47:59 Je ne sais pas si tu es d'accord.
48:00 Non, je pense que c'est ça.
48:04 Je suis tout à fait d'accord.
48:05 Alors, il y a deux trucs que je voulais dire.
48:07 Je pense qu'il y a aussi un truc dont on parle peu, mais je pense que la brutalité
48:11 des bombardements, leur côté indiscriminé fait qu'Israël aurait énormément de problèmes
48:17 à expliquer, par exemple, s'ils laissaient les journalistes rentrer dans Gaza,
48:20 s'ils tuaient une équipe de CNN avec une bombe.
48:23 Et ça, ça passerait pas du tout de la même manière que de tuer une équipe d'Al Jazeera.
48:27 C'est horrible à dire.
48:28 Moi, je ne fais pas la différence entre les deux.
48:30 Je trouve que les journalistes, il n'y en a pas qui méritent de mourir et d'autres non.
48:34 Mais je pense que d'un point de vue aussi, la communication pour Israël, ils auraient
48:39 très peur de ça.
48:40 Je pense que c'est une raison pour arrêter ça.
48:41 Après, il y a effectivement le fait que ça permet aussi de discréditer.
48:45 Donc Israël aussi peut dire non, mais de toute façon, ce n'est pas des vrais journalistes.
48:48 Donc tout ce que vous voyez, ce n'est pas bien.
48:50 Et comme il n'y a pas d'autres sources, en fait, n'écoutez pas ces sources.
48:54 Ce qu'il faut quand même dire, et ce n'est pas pour relativiser ce que j'ai dit tout
48:58 à l'heure, ce que j'ai dit tout à l'heure sur l'écosystème médiatique à Gaza reste vrai.
49:01 Mais en attendant, par exemple, les vidéos d'un motaz à Zaïza qui ont énormément tourné
49:06 sur Instagram.
49:07 C'est qui ? C'est un journaliste palestinien ?
49:09 C'est un journaliste palestinien qui est devenu, qui a eu des millions d'abonnés sur Instagram,
49:13 qui a filmé les horreurs avec son téléphone sans quasiment de commentaires.
49:16 C'est vraiment juste un mec qui filmait au plus près des destructions.
49:19 Lui, de mémoire, il n'est pas affilié à une chaîne du Hamas, il n'est pas affilié
49:24 à quoi que ce soit.
49:25 Je ne sais plus ce qu'il faisait avant, mais il me semble en plus que lui, il était plutôt
49:28 dans le journalisme un peu lifestyle à Gaza.
49:30 Il essayait de filmer un peu la vie de tous les jours.
49:32 Il n'était pas quelqu'un qui était un reporter de guerre.
49:34 C'est un tout jeune mec.
49:35 Et lui, c'est vraiment un mec qui a juste mis son téléphone au pied des ruines et
49:39 au pied des bombardements.
49:40 Et ces images ne sont pas trafiquées.
49:42 Donc voilà, il ne faut pas non plus tomber dans l'excès inverse de dire de toute façon
49:47 à Gaza, ce sont tous des faux journalistes islamistes.
49:51 Non, non, il ne faut pas dire ça.
49:52 En fait, il y a une complexité et de la même manière que ça aussi, il faut quand même
49:56 le dire.
49:57 La presse israélienne est à la fois un journal comme Aretz et très courageux dans ses enquêtes
50:03 sur le fond Israël et tout.
50:05 Mais il ne faut pas oublier que Israël est un pays qui a une censure militaire extrêmement
50:09 puissante.
50:10 Donc, quand on a un journaliste israélien, qu'on a des infos qui concernent la sécurité
50:13 nationale, donc les actions de l'armée, on est obligé de les faire passer au censeur.
50:17 Et donc, en temps de guerre, notamment en temps de guerre.
50:20 Donc, en fait, l'information israélienne, elle est filtrée.
50:24 Elle aussi, elle est filtrée par rapport à des objectifs militaires.
50:27 Alors, tu as des journaux.
50:28 Moi, je suis tous les jours ébahi parce que Aretz arrive à sortir.
50:32 Mais il ne faut pas oublier que Israël est effectivement à des standards différents,
50:40 évidemment, du Hamas.
50:42 Mais en attendant, il y a aussi une censure militaire en Israël.
50:44 Donc, en fait, on est quand même dans un endroit où il y a besoin de journalistes
50:48 extérieurs, entre guillemets, pour pouvoir raconter ce qui s'y passe.
50:51 Est ce que ce blocage informationnel par Israël, c'est unique par rapport à d'autres conflits?
50:58 Alors, le manque d'information dans une zone de conflit ou la difficulté d'accès
51:04 à une zone de conflit ou l'interdiction d'accès n'est pas quelque chose qui est unique à Gaza.
51:11 On a eu ça au Yémen.
51:12 On a eu ça en partie en Syrie.
51:14 On a eu ça au Tigré, en Éthiopie.
51:19 On a eu ça.
51:20 Il y a eu régulièrement des moments où c'est compliqué d'accéder à des lieux,
51:25 à des zones de conflit.
51:27 Après, c'est ce que je disais un peu au début, de toute façon, parce que là, on parle aussi.
51:33 Voilà, on parlait de l'Ukraine.
51:34 Les zones de front sont très compliquées d'accès et racontées parce que ça fait
51:40 deux ans qu'il y a une guerre en Ukraine.
51:42 On essaie, on fait la même chose.
51:44 On essaye de raconter.
51:45 C'est difficile de...
51:47 Pendant qu'on se parle là, il y a des jeunes, les jeunes gens qui ont 20 ans, qui sont assis
51:53 dans la boue et dans la neige et dans le froid, dans des flousses qui sont des trucs qui rappellent
52:00 la Première Guerre mondiale et qui sont en train d'attendre soit la bombe qui va leur
52:04 tomber dessus, soit la saillant qui va la pousser en face, qui va arriver.
52:09 Donc ça, ce n'est pas unique.
52:11 Après, ce qui est peut-être plus unique, et c'est ce que je disais au début, c'est
52:14 que ce blocage de l'information, il est pratiqué totalement et assumé complètement par un
52:21 État démocratique qui ne fait même pas semblant de nous donner un minimum d'accès.
52:26 En fait, moi, c'est ce qui me frappe le plus, peut-être dans ce qui en fait un petit peu
52:32 le truc le plus unique, peut-être puisque le conflit se passe.
52:36 Ce blocage informationnel, est-ce qu'on pourrait arriver à un moment où il s'arrête ?
52:43 Et si oui, est-ce qu'on peut se demander quand ?
52:47 Quand est-ce qu'on pourra rentrer à Gaza ?
52:49 Il s'arrêtera, il s'arrêtera un jour.
52:52 Toutes les guerres s'arrêtent un jour.
52:54 Après, il y en a beaucoup qui reprennent et ce conflit là particulièrement, il reprend
52:59 régulièrement depuis très, très, très longtemps.
53:03 À un moment donné, il va y avoir un arrêt des hostilités.
53:06 On parle de plus en plus d'un accord qui pourrait intervenir un jour ou l'autre.
53:10 Mais bon, il y a clairement encore du boulot.
53:14 Est-ce qu'on aura accès tout de suite ?
53:16 Pas forcément. Ce qui est sûr, c'est que comme dans l'accord, il y aura des discussions
53:21 sur l'accord d'un échange entre des otages et des prisonniers.
53:25 Forcément, on aura des témoignages d'otages.
53:28 Si on a de l'aide humanitaire qui arrive, on aura forcément des humanitaires qui iront
53:32 sur place, avec un peu de chance, accompagnés par des journalistes.
53:36 Donc oui, à un moment donné, on aura sans doute plus d'accès.
53:40 C'est-à-dire que je pense que ça va être très, très long.
53:42 Parce que même si tu as une trêve, Israël ne va pas se retirer de Gaza.
53:47 Je pense que Gaza va être déstabilisé pour des années.
53:50 Concrètement, ce qu'il faut s'imaginer, c'est que ça va être une zone totalement sous contrôle
53:57 des Israéliens. Mais j'y crois pas trop.
53:58 Mais ils vont certainement faire face à une guérilla.
54:00 Donc ça va être une zone dangereuse.
54:02 Une zone qui probablement ne sera pas très stable.
54:04 Ce ne sera pas facile d'aller partout.
54:07 Peut-être parce qu'il y aura des militaires à certains endroits, parce qu'il y aura des
54:10 Hamas à d'autres endroits.
54:12 Je pense que ça va être un endroit très, très compliqué ou informé pour longtemps.
54:16 Mais évidemment, je pense que voilà.
54:20 Il faut voir combien de temps dure la guerre.
54:22 Pour le moment, ça aussi, on n'a pas beaucoup dit, mais c'est en train de devenir la guerre
54:24 la plus longue de l'histoire d'Israël.
54:26 Oui, tout à fait.
54:28 En fait, on est dans un truc aussi dont on n'a pas de référent.
54:32 C'est-à-dire qu'en fait, là, ce qui se passe en ce moment entre Gaza et dans cette étape
54:37 du conflit, ce nouveau chapitre du conflit est le plus violent qu'on ait connu et le plus meurtrier.
54:43 Il est le plus tout.
54:44 Donc, en fait, les références qu'on avait avant, elles ne servent à pas grand chose.
54:47 Donc là, tu vois, c'est très difficile de dire dans six mois, on sera à Gaza, on pourra
54:50 faire du reportage.
54:51 On n'en a aucune idée.
54:52 Donc, je pense que c'est beaucoup trop tôt pour s'avancer.
54:55 Et que voilà, c'est aussi ça qui fait que c'est très compliqué aujourd'hui parce qu'on
55:00 est démuni, parce qu'on n'a même pas de référent, même pas de référent antérieur.
55:04 Donc, c'est pas très satisfaisant comme réponse.
55:08 Ça représente la situation dans laquelle on est.
55:11 Pour terminer, j'avais juste une question qu'on avait reçue sur Insta.
55:15 Bézéder MH3 qui me demandait comment on peut apporter notre soutien à des journalistes
55:20 Gazaouis, hormis de leur écrire ou de partager ce qu'ils font.
55:24 C'est ça, c'est ça.
55:27 Et puis c'est lire.
55:28 En fait, c'est aussi nous lire parce que comme ils témoignent et comme ils sont, comme
55:33 ils essayent un maximum de, on est leur relais.
55:36 C'est la seule chose qu'on a en ce moment pour nous les aider aussi.
55:40 Donc, on est le relais de ces victimes là.
55:43 Donc, en fait, en nous lisant, c'est aussi un moyen de soutenir les journalistes de Gaza.
55:49 C'est un moyen de soutenir la presse en général et de permettre d'aller à un moment donné,
55:54 dès que les portes seront ouvertes de Gaza, d'aller raconter ce qui se passe ou ce qui
55:59 s'est passé là bas.
56:00 C'est vrai qu'en termes humanitaires, non, il n'y a pas, c'est triste à dire, mais en
56:03 ce moment, il n'y a pas grand chose à faire en termes humanitaires.
56:05 Après, évidemment, on peut toujours donner à des organisations internationales de journalistes
56:10 qui font aussi du travail là bas, voilà, comme RSF, etc.
56:14 Voilà, si cette personne veut s'engager là dedans et donner de l'argent à ce genre
56:19 d'organisation qui soutiennent les journalistes dans le monde.
56:21 Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, hélas, il n'y a pas grand chose à faire.
56:24 Nous-mêmes, on essaie de trouver un moyen, par exemple, par un ami dont on parlait, de
56:29 lui permettre aussi de s'exister.
56:30 C'est très compliqué.
56:31 Moi, on me disait, à Rafa, donc à la ville au centre, à Sujil et Palestin, il n'y a
56:35 plus que deux distributeurs de billets.
56:37 Il n'y a plus que deux.
56:38 Les gens font la queue pendant deux jours pour avoir leur place et des fois, il n'y a
56:40 plus de billets dedans.
56:41 Donc, tu vois, c'est assez difficile d'imaginer à quel point cet endroit-là est coupé du
56:46 monde aujourd'hui.
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