Les ravages du tourisme de masse

  • il y a 7 mois
Venise, Barcelone, Dubrovnik ..
Transcript
00:00 [Musique]
00:05 Dubrovnik s'éveille dans un silence trompeur.
00:08 À Venise, c'est le calme avant la tempête.
00:12 [Musique]
00:16 Barcelone se prépare à une nouvelle journée d'effervescence.
00:20 Trois villes européennes d'exception qui toutes connaissent le même problème.
00:24 Et ils s'aggravent.
00:26 [Musique]
00:38 Les touristes posent toutes sortes de questions.
00:41 Une fois on m'a demandé les horaires de fermeture de Venise.
00:44 Mais Venise est une vraie ville avec de vrais habitants.
00:47 C'est le troisième groupe de touristes en cinq minutes.
00:55 Des flots de touristes chaque jour, toute l'année durant.
00:58 En haute saison, certaines villes d'Europe vivent en état de siège.
01:02 Il y a une journée au printemps où Dubrovnik cesse tout à coup d'être notre ville.
01:08 D'un seul coup nous n'avons plus l'impression de vivre chez nous dans notre ville, mais de faire partie d'un décor.
01:14 Les habitants subissent les désagréments de ces invasions quotidiennes.
01:18 Exaspérés par le vacarme, submergés par la foule, ils se sentent dépossédés de leur ville.
01:24 [Cris de la foule]
01:26 [Voix de l'interprète]
01:30 [Voix de l'interprète]
01:35 Le tourisme dépasse les bornes du supportable.
01:37 A Venise comme ailleurs.
01:39 Et la résistance des habitants s'organise.
01:41 Cette photo a fait beaucoup de bruit, parce qu'elle a été publiée à un moment où la situation était déjà très tendue.
01:48 [Musique]
02:04 En Europe, le tourisme urbain connaît une croissance fulgurante,
02:08 dopée par des politiques de prise agressive, par les vols low cost,
02:12 et par l'allocation de logements entre particuliers via internet, qui permet de se loger partout et à bas prix.
02:18 Comment les autorités locales gèrent-elles cette évolution ?
02:21 Mon travail de maire s'apparente au travail d'un chef d'entreprise.
02:25 Je le dis souvent, je ne suis pas le maire, je suis le PDG d'une entreprise qui compte 15 000 actionnaires,
02:30 c'est-à-dire les 15 000 familles qui vivent à Dubrovnik.
02:32 La ville, une entreprise en pleine croissance, dont les clients sont les touristes.
02:39 Mais combien de visiteurs une destination peut-elle accueillir sans perdre son authenticité, son identité ?
02:45 Et l'entreprise-ville est-elle rentable ?
02:48 Le vrai problème de Venise, et ça ne date pas d'hier, c'est son bilan comptable.
02:53 Il est catastrophique.
02:55 À mon arrivée en fonction, la ville était endettée à hauteur de 800 millions d'euros.
02:59 Les touristes affluent, mais les caisses restent vides.
03:03 Où va l'argent dépensé par ces millions de visiteurs ?
03:08 Quand j'ai été élue maire, j'ai trouvé un secteur touristique totalement désorganisé,
03:13 sans contrôle public et sans réglementation.
03:16 Or, l'absence de réglementation favorise la spéculation, et la spéculation favorise la corruption.
03:23 Le tourisme européen génère 400 milliards d'euros par an.
03:27 Un marché très lucratif, exposé aux agissements les plus obscurs et à la convoitise des screws en tout genre.
03:35 À ce jeu, les gagnants sont rares et les perdants nombreux.
03:38 La Barceloneta était autrefois l'un des faubourgs les plus pauvres et les plus populaires de Barcelone.
03:44 3000 pêcheurs vivaient et travaillaient ici.
03:47 Vicenç Forner est photographe. Il a connu cette époque.
03:52 De tout temps, ce quartier ouvrier a attiré de nombreux désœuvrés en quête d'un travail.
04:01 En principe, les 15 000 habitants de la Barceloneta sont habitués aux étrangers.
04:05 Mais à présent, ils sont excédés.
04:08 Vicenç Forner partage les inquiétudes de ses voisins.
04:12 Parlez-moi un peu de tous ces touristes qui veulent chasser les gens du quartier.
04:17 Nous ne voulons pas autant de touristes. C'est bien qu'il y en ait.
04:21 Mais il faudrait qu'ils se comportent correctement,
04:24 et qu'ils ne passent pas leur nuit à s'enivrer sur les plages ou à faire du tapage dans les rues.
04:29 Autrefois, la vie était agréable dans ce quartier, n'est-ce pas ?
04:31 Oui. Je suis née ici. Elle est née en 1933, et moi en 1929. C'est ça.
04:38 De nombreux habitants ont toujours vécu ici. Ils craignent pour l'avenir de leur quartier.
04:44 La Barceloneta a longtemps été ignorée du tourisme de masse.
04:48 Mais ces 15 dernières années, sa situation avantageuse à la fois proche du centre et du bord de mer a totalement changé la donne.
04:57 Depuis le réaménagement des plages et de la promenade, la Barceloneta est un lieu très apprécié par les barcelonais.
05:03 Mais aussi par des touristes sans cesse plus nombreux, souvent jeunes, qui viennent ici le temps d'un week-end pour faire la fête.
05:09 Certaines compagnies aériennes desservent Barcelone pour moins de 20 euros.
05:18 Et des sites internet comme Airbnb permettent de se loger chez l'habitant à moindre frais.
05:23 Leur slogan ? Bienvenue chez vous.
05:27 Avec ces photos, Vicenz Forner témoigne de l'évolution de son quartier.
05:31 En 2014, il prend une photo qui fera grand bruit.
05:42 Un groupe de jeunes touristes fait les 400 coups dans le plus simple appareil.
05:46 La photo fait le tour du monde.
05:50 Jusqu'en Australie, elle a fait la première photo de la Barceloneta.
05:55 En Australie, elle attire de manière crue l'attention du grand public sur les conséquences du tourisme de masse dans la capitale catalane.
06:01 À la Barceloneta, elle provoque un tollé.
06:04 Et les habitants décident de réagir.
06:07 Notre quartier est plutôt populaire.
06:10 Les gens d'ici sont des ouvriers, des travailleurs, des employés.
06:13 Nous avons souvent du mal à extérioriser les choses.
06:16 Ici, quand on s'exprime, on le fait souvent en criant.
06:19 Quand la photo est parue dans les médias, les gens sont descendus dans la rue avec des pancartes.
06:24 Il y a eu des manifestations assez virulentes.
06:26 Ça a déclenché des réactions très fortes.
06:29 Maintenant, on voit des slogans peints à la bombe sur les trottoirs.
06:32 Tous les jours, on en voit de nouveau.
06:34 Depuis, les médias viennent beaucoup plus souvent ici pour voir ce qui se passe.
06:38 Les messages sont sans équivoque.
06:41 Ils accusent les touristes de détruire le cadre de vie local et les invitent fermement à respecter les lieux ou à ne pas y venir.
06:48 Autre griève des Barcelonais, de plus en plus de logements sont transformés en appartements de vacances, ce qui a pour effet de faire grimper les loyers.
07:03 De grands calicots demandent aux visiteurs de se loger à l'hôtel et de laisser les appartements aux habitants.
07:08 J'essaie de photographier des situations un peu insolites, mais je m'intéresse aussi aux choses plus banales.
07:17 Le tourisme est souvent banal.
07:18 Vous savez, moi aussi, il m'arrive de voyager et je comprends que les jeunes aient envie de faire la fête, mais ici, cela crée trop de problèmes.
07:26 Nous sommes malades de notre succès et à terme, nous risquons d'en mourir.
07:30 La plupart des habitants redoutent de ne bientôt plus pouvoir se permettre de vivre dans leur quartier.
07:37 Et cette crainte est fondée.
07:39 Un logement permet en effet de créer deux appartements pour touristes.
07:44 Le phénomène a été observé à plusieurs endroits, notamment dans le barri Gothic, l'un des quartiers de la vieille ville.
07:49 Une militante de gauche avait mené la révolte contre cette évolution, Ada Colao.
07:54 Elle est à présent maire de Barcelone.
07:56 En tant que municipalité, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des habitants à cause du tourisme de masse.
08:04 On le constate dans d'autres villes et tout particulièrement à Venise.
08:11 Si on ne contrôle pas la pression touristique, les prix augmentent, la ville se vide de ses habitants et elle se transforme en parc d'attraction.
08:19 Et à partir d'un moment, il n'y a plus que les touristes.
08:24 Venise, un parc d'attraction ? Le maire ne partage pas le point de vue de son homologue barcelonais.
08:39 Je comprends les réactions du maire de Barcelone, mais je pense qu'elle est mal informée.
08:49 Je crois qu'il est important de se renseigner et de comprendre la réalité des situations avant de les commenter.
08:54 Je ne sais pas quoi lui répondre, sinon, comme je l'ai déjà fait à d'autres occasions,
08:58 que je serais heureux de l'accueillir à Venise pour lui faire découvrir notre ville en toute sérénité.
09:04 A mon avis, elle a découvert Venise avec quelqu'un qui l'a emmené je ne sais où, mais elle ne connaît pas du tout notre ville.
09:10 Mais l'entrepreneur Luigi Brugnaro, élu maire en 2015, connaît-il vraiment sa ville ?
09:18 Il est le premier maire de Venise qui n'habite pas dans le centre historique, mais sur la terre ferme.
09:23 L'évolution que Barcelone connaît actuellement, Venise l'a entamée depuis plus d'un demi-siècle.
09:30 Depuis 1950, le nombre d'habitants du centre historique est passé de 175 000 à 55 000, et il ne cesse de baisser.
09:38 Inversement, le flot de visiteurs grossit de plus en plus.
09:42 Et personne n'est en mesure de le quantifier.
09:46 La municipalité tient le compte de ceux qui dorment sur place, mais pas des visiteurs journaliers.
09:56 Les autorités n'ont pas intérêt à ce que les vrais chiffres soient connus.
10:00 Si tout le monde savait que Venise accueille 30 millions de touristes par an, dont 29,9 millions vont sur la place Saint-Marc,
10:07 les gens normalement constitués n'auraient plus envie de venir.
10:10 C'est pour cela que ces chiffres ne sont pas rendus publics.
10:14 Ce chiffre de 30 millions est confirmé par l'organisation écologiste Italia Nostra.
10:20 Mais ces millions de visiteurs rapportent peu à la municipalité, car la plupart d'entre eux ne restent ici qu'une journée et ne paient pas la taxe de séjour.
10:27 Celle-ci n'est due que par ceux qui dorment à Venise.
10:30 Le secteur privé, en revanche, enregistre des bénéfices records.
10:34 1,8 milliard d'euros par an, chiffre officiel.
10:45 Venise a toujours été une destination très prisée, mais le tourisme de masse a modifié le visage de la ville.
10:51 A partir de 1993, le maire Massimo Cacciari lance une politique de privatisation pour renflouer les caisses.
10:58 Venise s'ouvre au capital international.
11:11 La journaliste et romancière allemande Petra Reschi vit à Venise depuis 25 ans.
11:16 Elle a été témoin de la vente de nombreux palais vénitiens à des sociétés comme Prada ou Benetton, et à des investisseurs chinois.
11:23 Actuellement, de nombreux endroits de Venise appartiennent à l'entreprise Benetton.
11:30 Des rues entières, la gare, le fond d'accos d'été des skis, ou un ancien théâtre Rococo qui a été transformé en hôtel-restaurant.
11:40 C'est une tendance que j'observe depuis plusieurs années et qui a rapporté beaucoup d'argent à de nombreuses entreprises.
11:45 Les romans de Petra Reschi s'inspirent du milieu de la mafia, ainsi que des méandres de la corruption et des intrigues politiques.
11:54 Elle connaît les ficelles utilisées par les investisseurs pour transformer les palais décrépits et classés monuments historiques en véritables mines d'or.
12:05 La formule magique s'appelle « changement d'affectation », mais elle nécessite la coopération des pouvoirs publics.
12:11 La valeur réelle de ces bâtiments ne réside pas dans leurs murs, mais dans les activités commerciales qu'on peut y créer.
12:21 Pour cela, il faut pouvoir faire des travaux de restructuration, et sans trop subir les contraintes liées au classement de ces bâtiments.
12:29 C'est là que le maire intervient. Il a le pouvoir de modifier l'affectation d'un édifice et de créer ainsi les conditions nécessaires à une activité commerciale.
12:37 Le plus souvent, l'arrêté de changement d'affectation annule le classement aux monuments historiques.
12:44 Mais il ne prescrit pas ce qui peut être vendu dans les palais. Résultat, Venise croule sous les articles de pacotille.
12:53 Je suis en poste depuis un an, et je suis bien obligé de composer avec la situation que j'ai trouvée en arrivant.
12:59 Ces commerçants ont des droits, et en tant que maire, je ne peux pas leur ordonner purement et simplement de fermer boutique.
13:06 Nous essayons actuellement de mieux réglementer ce genre de commerce.
13:10 Nous avons demandé à plusieurs reprises au gouvernement italien d'autoriser une réglementation spécifique pour la ville de Venise.
13:17 Mais pour le moment, comme vous le savez sans doute, cela ne nous a pas été accordé.
13:23 A Venise, ce n'est pas la mairie qui fixe le cap à suivre, malgré les remous dans la presse.
13:28 Tommaso Cacciari est militant écologiste et habite à Venise.
13:35 Depuis quelques années, il dénonce l'impact du tourisme de croisière sur la ville et sur la lagune.
13:41 Les navires de croisière provoquent d'énormes dégâts écologiques.
13:50 A l'école primaire, on nous apprend qu'un corps immergé déplace un volume d'eau égal à son propre volume.
13:56 Ici, en l'occurrence, ce sont de 30 à 35 000 mètres cubes d'eau, selon le tonnage des navires, qui sont projetés contre la ville, contre les rives, les bâtiments et les fondations de Venise.
14:16 A chaque passage de ces bateaux, et qui sont à nouveau aspirés vers la mer lorsque le bateau repart.
14:23 La houle gigantesque déplace les sédiments sous-marins, sape les fondations de la ville et fragilise les pilotis sur lesquels de nombreux édifices sont bâtis.
14:36 Financièrement, Venise profite peu de cette forme de tourisme de masse.
14:41 Les bénéfices vont à la société VTP, Venezia Terminal Passageri, une filiale privée des autorités portuaires publiques.
14:50 "Ca, c'est déjà très louche. Pourquoi une institution de l'Etat, qui appartient aux citoyens, qui s'appelle Port de Venise, et qui devrait servir la collectivité, pourquoi cette institution crée-t-elle une entreprise privée ?
15:09 Une société par action cotée en bourse, au service des compagnies de croisière qui ne sont rien d'autre que des multinationales financières.
15:16 Cette entreprise privée gagne des millions d'euros, uniquement parce qu'elle a le monopole de l'attribution des emplacements de mouillage."
15:30 Les bénéfices exacts de la VTP ne sont pas publiés. Comme nous, Tommaso Cacciari n'a obtenu aucune information à ce sujet de la part des autorités portuaires.
15:39 C'est pourquoi il a créé une association avec plusieurs autres Vénitiens.
15:43 Le mot d'ordre ? No Grandi Navi. Non au grand navire.
15:53 Aujourd'hui, l'association a organisé une action de sensibilisation sur les bords du canal de la Giudecca, que les bateaux de croisière empruntent une vingtaine de fois par jour.
16:02 Les manifestants exigent que les paquebots géants renoncent à traverser la lagune et aillent amarrer en dehors de la ville.
16:09 Ils ont également préparé une opération secrète qui ne sera pas sans risque.
16:19 "Voilà quatre ans que nous répétons la même chose. Ces navires sont trop grands pour Venise.
16:25 Ils déplacent trop d'eau lors de leur passage. Ils détruisent nos maisons, nos monuments et nos fondations.
16:33 Ils génèrent également trop de pollution.
16:38 Chacun de ces navires émet autant de particules fines et ultra fines que 14 000 voitures.
16:48 Plusieurs manifestants plongent dans le canal pour barrer la route à trois navires de croisière.
16:52 Le tourisme de croisière génère des dégâts considérables sur l'environnement, et pas uniquement à Venise.
17:03 L'association fédérale allemande pour la protection de la nature déplore l'absence de filtres à particules sur ces navires.
17:12 Les paquebots consomment du fioul lourd, un carburant cent fois plus polluant que le diesel des poids lourds.
17:18 "Nous continuerons à bloquer le canal.
17:22 Aujourd'hui, du moins pour quelques heures, le canal de la Giudecca ne sera plus la propriété des multinationales financières qui arment ces navires de croisière.
17:30 Il redeviendra un espace public qui appartient à la ville et à ses habitants."
17:38 Venise n'est pas le seul port à avoir opté pour une gestion privée.
17:42 Le port de Barcelone, plus grand port de croisière d'Europe, est lui aussi partiellement privatisé.
17:48 La ville n'a pas toujours été aussi séduisante pour les touristes.
17:53 Tout a changé avec les Jeux Olympiques de 1992.
17:56 Près de 2 milliards sont investis dans la construction d'hôtels et de routes, et dans l'aménagement des côtes.
18:03 Barcelone signe avec 12 groupes internationaux le plus important programme de commercialisation de son histoire.
18:08 Peu de temps après, les prix de l'immobilier grimpent en flèche.
18:13 Exemple, l'hôtel de luxe Arts, inauguré en 1994 par le groupe Ritz-Carlton.
18:20 Sa construction a coûté 138 millions d'euros.
18:25 12 ans plus tard, l'hôtel est revendu à un groupe international, avec siège à Singapour, pour 417 millions d'euros, soit plus de 3 fois plus.
18:33 Ici, la mondialisation des marchés s'est accompagnée d'une gestion politique peu démocratique,
18:45 qui a autorisé des fonds d'investissement internationaux à investir beaucoup d'argent à Barcelone,
18:50 et à se livrer à la spéculation foncière.
18:54 Nous ne savons pas qui dirige ces fonds d'investissement.
18:57 Certains endroits de notre ville sont contrôlés par des gens que nous ne connaissons pas,
19:02 qui ne vivent pas ici, et qui ne se soucient pas des effets négatifs de leurs activités spéculatives.
19:07 Dans d'autres quartiers, le prix de l'immobilier a également grimpé en flèche.
19:17 C'est aussi une conséquence de la gentrification, un phénomène observé dans toutes les grandes villes.
19:22 Les quartiers se transforment, de nouveaux restaurants apparaissent, l'endroit devient à la mode.
19:27 Dans une ville aussi courue que Barcelone, le tourisme amplifie considérablement cette tendance.
19:49 Toutes ces évolutions atteignent fortement l'identité de la ville, surtout dans les quartiers du centre.
19:53 Quand j'étais enfant, j'allais souvent sur les Ramblas.
19:57 C'était un endroit où les gens pouvaient prendre un café, où on pouvait discuter,
20:01 et où il y avait toutes sortes de manifestations culturelles.
20:04 Maintenant, les Ramblas ne sont plus qu'une promenade touristique,
20:08 où les prix sont tellement élevés que les habitants de la ville ne s'y rendent plus.
20:12 Elles ont totalement perdu leur identité et leur charme.
20:17 C'est pour cela que nous disons qu'il faut contrôler le tourisme.
20:19 Le tourisme est une bonne chose, mais il faut le contrôler pour éviter l'apparition de ghettos,
20:24 pour que la ville reste vivante et agréable, et pour que les touristes et les Barcelonais puissent y cohabiter.
20:30 L'architecte catalan David Bravo se promène régulièrement sur les Ramblas.
20:37 Les Ramblas sont une fonction très importante.
20:46 Elles mettent en évidence les problèmes de Barcelone en matière d'espace public.
20:50 L'un de ces problèmes, c'est le nombre de touristes.
20:56 Ce qui est intéressant quand on se promène ici,
20:59 c'est qu'on voit parfaitement à quel point le tourisme engorge la ville.
21:04 À quel point le tourisme a-t-il massifié la ville ?
21:07 A Barcelone, le nombre de touristes ne cesse d'augmenter.
21:19 En l'an 2000, ils étaient 3 millions.
21:22 En 2017, la ville s'attend à recevoir 10 millions de visiteurs.
21:29 L'un des problèmes est que la plupart d'entre eux se concentrent sur des zones relativement restreintes.
21:33 Ils déambulent dans le centre historique, et flânent sur les Ramblas,
21:37 ou entre les stands du célèbre marché de la Boqueria.
21:40 Pour les touristes, ce marché est un temple de l'art de vivre méditerranéen.
21:45 Mais rares sont ceux qui viennent ici pour s'approvisionner en légumes, viande ou poissons.
21:51 De nombreux commerçants ont adapté leurs étals aux exigences des touristes.
21:54 C'est la seule façon pour eux de survivre.
21:57 Les jambons entiers servent surtout de décoration ou de motif photographique.
22:06 Les jambons sont aussi des décorations, mais pas de motifs.
22:10 Les jambons sont aussi des décorations, mais pas de motifs.
22:14 Les jambons sont aussi des décorations, mais pas de motifs.
22:19 Les jambons sont aussi des décorations, mais pas de motifs.
22:21 Certains marchands tentent de résister, notamment ceux qui ont connu d'autres époques.
22:25 C'est comme ça depuis 10 à 15 ans.
22:28 Avant, on avait des clients normaux qui venaient ici faire leurs courses.
22:32 Maintenant, c'est... comment dire... c'est devenu un cirque.
22:39 Créée en 1840, la Boqueria a été jusqu'à ces dernières années le plus grand marché traditionnel de Barcelone.
22:48 David Bravo venait lui aussi faire ses achats.
22:52 Désormais, il vient surtout pour en observer la métamorphose.
22:56 Les produits proposés sur ce marché ont évolué en fonction de ce que veulent les touristes.
23:02 Pour les Barcelonais, cela devient de moins en moins intéressant de venir faire ses courses ici.
23:07 D'une part parce que les prix ont augmenté,
23:10 et d'autre part parce qu'on ne leur propose plus les produits dont ils ont besoin au quotidien.
23:16 Au lieu de transformer la Boqueria en épicerie fine ou en centre commercial,
23:20 il faudrait restituer aux citoyens l'espace public qui existait ici.
23:24 Adapter l'espace public aux impératifs du tourisme revient à restreindre l'espace vital des habitants,
23:31 et à terme, à sacrifier leur qualité de vie.
23:42 On se retrouve samedi matin à Dubrovnik. La vieille ville compte 1000 habitants en 2016.
23:46 Il y a 20 ans, ils étaient 5000.
23:49 La plupart de ceux qui trouvent du travail à l'étranger ne reviennent pas.
23:53 Anna Jouvela, elle, a choisi de retourner vivre dans sa ville natale.
23:57 Spécialiste des politiques culturelles, elle étudie les répercussions du tourisme de masse sur l'identité culturelle des villes.
24:04 Elle représente également Dubrovnik au Parlement européen de la culture.
24:09 Le week-end, elle aime aller sur les marchés. Et elle connaît très bien les vendeurs.
24:13 Nous, ils nous font des prix corrects. Par contre, je ne sais pas combien ils font payer aux touristes.
24:20 Qu'ils vendent ce qu'ils ont à vendre, ça ne me regarde pas. J'achète ma nourriture chez eux, je ne veux pas me fâcher avec eux.
24:25 Comme Venise et certains quartiers de Barcelone, la vieille ville de Dubrovnik et ses remparts sont inscrits au patrimoine mondial.
24:36 Avant 1990, la ville était déjà une destination très prisée.
24:40 Après la guerre de Croatie, elle est redevenue un aimant à touristes.
24:44 Entre avril et octobre, elle en accueille 1,7 million.
24:49 Certains jours, ils sont plus de 15 000. Et la plupart arrivent en paquebots.
24:54 Dubrovnik n'a pas les problèmes de pollution des grandes métropoles comme Tokyo, Séoul ou New York.
25:06 Mais comme dans ces grandes villes, il y a une densification artificielle qui génère une sensation de claustrophobie.
25:12 Cela crée aussi une forme de malaise.
25:21 Les habitants ont l'impression que leur ville leur devient étrangère, qu'ils n'en font plus réellement partie.
25:26 Comme la ville est petite, on se sent restreint dans notre liberté de mouvement.
25:34 Plus le lien entre la ville et les habitants se dégrade, plus ces restrictions affectent également le mental.
25:39 Ces cinq dernières années, la municipalité a énormément développé l'activité cinématographique à Dubrovnik.
25:48 Notre ville est actuellement le plus grand studio à ciel ouvert du monde.
25:52 Nous avons accueilli les tournages de Game of Thrones et de l'épisode 8 de Star Wars.
26:00 L'année prochaine, nous recevrons le tournage d'un remake de Robin des Bois, qui sera produit par Leonardo DiCaprio.
26:05 Notre ville servira de décor à Nottingham.
26:08 Nous commençons à être victimes de notre succès.
26:12 Depuis que Dubrovnik accueille des tournages de production hollywoodienne, le nombre de visiteurs a encore augmenté.
26:24 Et ceux-ci dépensent davantage que les touristes de croisière qui se contentent souvent d'acheter une glace, avant de retrouver leur paquebot et leur forfait all inclusive.
26:32 Face à ce genre de tourisme, les villes ont beaucoup de mal à développer des alternatives.
26:37 Anna Jouvela a étudié ce phénomène dans plusieurs villes européennes.
26:49 La plupart des villes inscrites au patrimoine mondial rencontrent des difficultés liées au tourisme de masse.
26:54 Et elles ont tout un point commun.
26:56 Elles ne s'administrent plus elles-mêmes.
26:58 C'est le cas ici.
27:00 Dubrovnik est gérée par des groupes financiers, qui représentent des intérêts économiques venus d'ailleurs.
27:06 Notre ville ne décide plus réellement de son destin.
27:09 Notre gestion est plus proche d'une forme de management que d'une réelle gouvernance politique.
27:18 Dubrovnik est gérée comme un outil de travail, et non plus administrée comme une collectivité vivante et publique au service de sa population.
27:24 A l'avenir, certaines villes risquent de ne plus exister qu'à travers leur potentiel touristique.
27:34 Elles ne seront alors plus un lieu de vie pour leurs habitants.
27:38 De quel genre de résidence ces villes auront-elles besoin ?
27:46 À partir du moment où une ville est administrée comme une destination touristique, ses besoins sont équivalents à ceux d'un hôtel.
27:52 Or, un hôtel n'a besoin ni de scientifiques, ni de jeunes entrepreneurs.
27:57 Un hôtel a besoin de prestataires de services, de cuisiniers, de femmes de chambre, de serveurs, etc.
28:03 Dubrovnik subit d'ores et déjà une fuite des cerveaux.
28:09 Les travailleurs qualifiés et les artistes quittent la ville.
28:14 Leurs compétences ne trouvent plus preneur.
28:16 Mais certains voient cette évolution d'un œil beaucoup plus positif.
28:22 Ce sont surtout les personnes âgées qui se plaignent de l'affluence touristique.
28:31 De leur temps, ces gens-là gagnaient leur vie en faisant toutes sortes de métiers.
28:35 Désormais, l'activité principale, c'est le tourisme.
28:39 Et les personnes âgées ont du mal à accepter ce changement.
28:43 En fait, elles aimeraient que tout reste comme avant.
28:45 Mais nous, les jeunes, nous trouvons ce changement très positif.
28:48 Nous sommes contents des occasions que la mondialisation nous donne.
28:51 Les jeunes sont contents quand ils peuvent travailler.
28:54 Diana Marlaïs a 26 ans et elle travaille à son compte.
29:00 Elle a créé un jeu d'évasion grandeur nature dans lequel les joueurs doivent s'échapper d'une pièce en résolvant des énigmes.
29:07 L'environnement s'améliore.
29:10 L'environnement s'inspire de la série Game of Thrones.
29:12 Tout est fait à la main.
29:19 Et toute la famille s'y est mise.
29:21 Les plus jeunes ont fabriqué les yeux et ça les a beaucoup amusés.
29:24 Ces yeux ont été réalisés avec de la pâte à modeler.
29:29 Tout comme ces doigts que vous voyez ici.
29:33 On s'est bien amusés à faire ça.
29:37 Diana espère bien rentabiliser son investissement grâce à l'afflux de touristes.
29:40 Pour moi, le tourisme est très positif.
29:47 Nous avons la chance de vivre dans une ville magnifique qui attire plus d'un million de touristes chaque année.
29:52 Cela nous offre plein d'opportunités professionnelles et avec un peu de créativité, il y a moyen de très bien s'en sortir.
29:58 De fait, à Dubrovnik, les jeunes sont les plus nombreux à se faire des activités.
30:04 De fait, à Dubrovnik, il y a du travail.
30:06 Dans le reste de la Croatie, un jeune sur trois est au chômage.
30:10 Le tourisme a également totalement bouleversé le tissu social.
30:14 Ici, un guide peut gagner davantage qu'un universitaire.
30:18 Et une aide ménagère plus qu'un enseignant.
30:21 Comment reprocher aux jeunes de vouloir tirer leur épingle du jeu ?
30:29 Regardez, ce qui se passe actuellement à Dubrovnik, c'est ça.
30:32 C'est ce qu'on appelle l'hyperbranding.
30:34 Le nom de Dubrovnik a été associé à des grandes marques, comme Coca-Cola.
30:38 Cette bouteille est une série limitée.
30:40 Coca-Cola en produit uniquement pour trois villes européennes.
30:43 Londres, Rome et Dubrovnik.
30:45 Parce que Coca-Cola a compris l'importance de ces trois villes.
30:49 Nous faisons partie d'un cercle fermé de villes qui comptent.
30:53 La manière dont nous allons régler la vie dans la ville dépend uniquement de nous.
30:58 De la mairie et des habitants.
31:00 Voilà comment Coca-Cola s'invite dans les boutiques de souvenirs.
31:07 Mais combien la marque a-t-elle payé pour cela ?
31:10 Je ne parlerai pas de chiffres.
31:14 Ce n'est pas une question de chiffres.
31:16 C'est une question de pouvoir.
31:19 Mais qui détient ce pouvoir ?
31:22 Une ville qui se vend peut-elle rester maîtresse de son destin ?
31:26 Ne risque-t-elle pas de tomber totalement sous le contrôle de groupes étrangers ?
31:32 Or, les citoyens d'une ville démocratiquement administrée ont pour habitude de défendre leurs intérêts.
31:39 Les Vénitiens qui restent n'ont pas l'intention de baisser les bras.
31:52 Deux heures durant, ils ont bloqué le canal de la Giudéca et empêché trois paquebots de quitter le port.
31:58 Depuis cinq ans, élus, scientifiques et associations de citoyens tentent de se mettre d'accord sur des alternatives au tourisme de croisière.
32:13 Jusqu'ici sans succès.
32:20 Parfait, tout s'est passé comme nous l'avions prévu.
32:22 Les gens sont venus nous soutenir.
32:24 Nous avons réussi à mener notre action.
32:27 Les navires sont restés bloqués pendant deux heures.
32:30 Donc tout s'est parfaitement déroulé.
32:33 Et là, les bateaux repartent.
32:45 C'est un combat entre David et Goliath, entre une poignée de militants et de puissantes multinationales qui ont leurs sièges sociaux à l'étranger
32:53 et qui transfèrent leurs bénéfices dans des paradis fiscaux comme le Panama.
32:56 Vous n'êtes pas les bienvenus.
33:02 Ça fait deux heures qu'on vous bloque parce que vous n'êtes pas les bienvenus à Venise.
33:09 Votre bateau est bien trop gros.
33:15 Vous détruisez nos maisons, vous détruisez notre lagune, notre ville.
33:19 Votre façon de faire du tourisme est stupide.
33:22 La traversée de la lagune est le temps fort de ces croisières.
33:29 Ces paquebots desserviraient-ils encore Venise s'ils ne pouvaient plus y jeter l'encre ?
33:34 Quelles seraient les conséquences pour la société privée VTP ?
33:37 Les autorités portuaires n'ont pas souhaité répondre à cette question.
33:42 Ni devant notre caméra, ni par écrit.
33:44 Le marché des croisières est dominé par le groupe americano-britannique Carnival Corporation.
33:54 Parmi ses 25 filiales, plusieurs ont des noms à consonance italienne.
33:59 Comme Costa Crociere ou Heidekruse, basé en Allemagne.
34:04 Peut-on réellement se défendre contre un groupe aussi puissant ?
34:10 Ça a été une journée très positive.
34:12 Il y avait énormément de monde et nous avons réussi à bloquer ces navires pendant plus de deux heures,
34:17 en envoyant des nageurs dans le canal de la Giudecca.
34:20 Nous nous sommes réappropriés cette partie de la ville pendant plus de deux heures,
34:24 avec nos seuls corps pour rempart.
34:27 Ce qui a parfaitement illustré la disproportion entre ces bateaux monstrueux et une ville à taille humaine.
34:33 Ces Vénissiens sont les plus nombreux à se défendre contre un groupe de croisières.
34:38 Ces Vénissiens comptent bien renouveler leurs actions.
34:41 Entre-temps, l'UNESCO a exigé des mesures de protection pour la lagune.
34:45 Faute de quoi, elle menace de retirer à Venise le statut de patrimoine mondial.
34:50 Mais l'UNESCO n'a aucun pouvoir d'intervention.
34:53 Elle ne peut qu'émettre des recommandations.
34:56 Et à Venise, les conseils de ce genre ne sont apparemment pas les bienvenus.
35:00 Je le dis très clairement, l'UNESCO ne fait rien.
35:06 Elle se sert de Venise pour faire parler d'elle.
35:08 Elle crée beaucoup d'agitation autour de notre ville et menace de nous retirer de la liste des sites classés.
35:14 En fait, elle se fait surtout de la publicité.
35:17 On ne sait pas ce que l'UNESCO a fait pour Venise à ce jour.
35:21 En revanche, on sait ce que Venise a fait pour l'UNESCO.
35:24 Je ne sais pas si l'UNESCO survivra.
35:27 Venise, elle, elle s'en sortira.
35:29 Cela fait des siècles et des siècles qu'elle s'en sort.
35:34 Nous n'accepterons aucun chantage.
35:36 Les villes classées au patrimoine mondial s'engagent à préserver leurs monuments.
35:42 Mais aussi leur aspect général.
35:44 Pour que la place Saint-Marc ne prenne pas des allures de camping, des vigiles rappellent aux touristes certaines règles de conduite.
35:51 Bonjour, vous parlez italien ?
35:54 Oui.
35:56 Je suis désolée, vous ne pouvez pas rester assis ici, c'est interdit.
35:59 La place Saint-Marc date du 9e siècle.
36:03 C'est un lieu historique, témoin des grandes heures de la cité des Doges.
36:06 Les visiteurs sont invités à se comporter en conséquence.
36:09 On m'a déjà demandé à quelle heure on remplissait d'eau la place Saint-Marc.
36:14 Peut-être que les touristes veulent se laver les pieds.
36:17 Mais c'est la lune qui influe sur les hautes eaux.
36:20 Venise n'est pas un parc d'attractions.
36:22 On m'a même dit, comment on sort ? Sortir d'où ?
36:25 Le touriste voulait retourner à l'entrée principale.
36:31 Sur la place, nourrir les pigeons est strictement interdit.
36:34 Leur fiante dégrade les monuments.
36:36 Ne donnez pas à manger aux pigeons, c'est interdit. Merci.
36:40 Ne nourrissez pas les pigeons, c'est interdit.
36:45 Vous risquez de recevoir une amende.
36:48 Ces rappels à l'ordre, inlassablement répétés, illustrent le cœur du problème.
36:54 Venise est proche du point de saturation.
36:57 Les touristes sont trop nombreux.
37:00 Et quand après quelques heures de visite, ils repartent, la ville fait face à un autre défi.
37:05 Chaque année, les visiteurs laissent derrière eux 53 000 tonnes de détritus.
37:14 L'étroitesse des ruelles et le nombre de ponts rendent leur collecte particulièrement difficile.
37:19 A Venise, ville sans voiture, les bateaux remplacent les camions poubelles.
37:25 Une logistique complexe qui coûte 80 millions d'euros par an.
37:29 Dont la plus grande part est payée par la municipalité.
37:32 L'enlèvement des ordures se fait tôt le matin, avant l'arrivée des premiers touristes.
37:39 Luca De Pieri travaille aux alentours de la place Saint-Marc.
37:47 Sans lui et ses collègues, Venise serait envahie par les rats.
37:51 Pour les habitants, cela implique des règles strictes.
37:58 Ils doivent déposer leurs ordures à des horaires précis.
38:00 Ces détritus ont été rajoutés.
38:09 A Venise, les habitants sont autorisés à déposer leurs ordures devant leur porte à partir de 6h du matin.
38:16 Malheureusement, il arrive que des passants ajoutent leurs propres déchets.
38:23 Ce qui crée ces accumulations.
38:27 Mais nous, de toute façon, on emporte tout.
38:30 Du verre, du plastique, du papier.
38:36 Chaque jour, Luca De Pieri traite de nombreux déchets non triés.
38:40 Les habitants de Venise sont pourtant tenus au tri sélectif.
38:43 Les détritus que vous voyez ici, sur le sol ou dans les coins, ont été déposés par des touristes.
38:51 Et ils ne sont pas triés.
38:56 Actuellement, nous ne sommes pas en mesure de proposer des poubelles séparées qui inciteraient les touristes à trier leurs déchets.
39:03 En plus, les touristes qui séjournent à Venise pour plusieurs jours sont mal informés sur le fonctionnement de la collecte sélective.
39:23 Nous avons des jours de ramassage différents.
39:26 Comme les touristes sont mal informés, ils jettent le papier ou le plastique le mauvais jour.
39:32 Ce n'est même pas de leur faute.
39:36 La faute, entre guillemets, en revient à ceux qui ne les informent pas correctement.
39:40 Les détritus s'entassent. Les arrivées succèdent au départ.
39:45 Les nuées de touristes suivent toujours les mêmes itinéraires.
39:50 Les visiteurs de Venise se fondent dans une masse anonyme, dont le seul rôle semble être de remplir les caisses.
39:56 Jan van der Borgh est professeur d'économie du tourisme à l'université de Venise.
40:08 Il s'est intéressé aux coulisses de l'industrie du tourisme et, plus particulièrement, au marché de l'emploi de ce secteur.
40:16 Si on s'intéresse à la structure de l'industrie du tourisme, on constate qu'il y a beaucoup d'emplois qui sont partiellement ou pas du tout déclarés.
40:24 Par exemple, le personnel en cuisine travaille souvent au noir.
40:29 Tous les employés du fisc le disent. Naples et Venise, c'est la même chose.
40:39 Tous les employés du fisc le disent. Naples et Venise sont les deux villes où l'évasion fiscale est la plus importante.
40:48 Dans une ville dont la mairie elle-même ignore le nombre exact de touristes, il est difficile de savoir combien d'argent le tourisme génère réellement.
41:00 Les gondoliers font partie de ceux à qui le tourisme rapporte le plus.
41:07 Ils peuvent gagner jusqu'à 200 euros de l'heure. Leur nombre est limité à 360.
41:12 Les licences de gondoliers sont par conséquent très convoitées. Elles sont détenues par quelques familles et ne sont pas propriétés de la ville.
41:20 Celles-ci collectent uniquement une taxe de 40 euros annuels pour l'usage des canaux.
41:31 Un gondolier qui débute dans le métier rachète sa licence à un autre gondolier pour une somme pouvant aller jusqu'à 500 000 euros payées sous la table.
41:38 Il met environ 5 ans à gagner cette somme. On peut donc dire que les revenus moyens d'un gondolier sont d'environ 100 000 euros par an.
41:46 Le plus étonnant c'est que cette transaction qui se fait au noir, donc sans papier officiel, est financée par les banques sans autre formalité.
41:59 La municipalité impose les gondoliers sur un revenu forfaitaire de 35 000 euros. Et ils sont dispensés de l'obligation de facturation. Le romantisme n'a pas de prix.
42:08 Vous savez, ils travaillent beaucoup. Et puis sans les bateaux, et je ne parle pas uniquement des gondoles, Venise ne serait pas Venise.
42:22 Et entre nous, il ne m'appartient pas de décider de ce que doit gagner quelqu'un qui travaille.
42:28 Je ne cherche pas à savoir combien gagne un scientifique, un musicien ou un chanteur, ni même un joueur de football.
42:36 Vous me parliez de Barcelone précédemment, pas vrai ? Quels sont les salaires des joueurs de Barcelone ? Est-ce qu'ils sont justifiés ?
42:44 S'ils remplissent les stades et s'ils divertissent le public, alors oui.
42:50 Un gondolier qui prend son travail à cœur contribue à la bonne image de Venise. Et je peux vous garantir que ce sont des gens qui ont un cœur gros comme ça.
42:57 Je trouve normal qu'ils soient bien payés. La question n'est pas de savoir combien gagnent les uns et les autres, la question est de bien vivre tous ensemble.
43:04 Mais dans de nombreuses villes, le tourisme de masse est un obstacle à ce bien vivre ensemble.
43:10 À Barcelone, la cosmopolite, le vent est en train de tourner.
43:14 Et l'hospitalité, vantée par des plateformes comme Airbnb, s'en ressent.
43:20 Comment savoir si une location touristique est légale ?
43:23 Airbnb compte-t-il mieux informer ses clients à l'avenir ?
43:26 L'entreprise n'a pas souhaité s'exprimer à ce sujet. Mais la mairie de Barcelone a déjà pris des mesures.
43:32 Airbnb propose des locations illégales, ce qui n'est évidemment pas acceptable.
43:40 C'est de la concurrence déloyale et cela a créé des tensions entre les habitants.
43:46 C'est pourquoi nous avons fait des contrôles qui ont conduit à la fermeture de centaines d'appartements illégaux.
43:50 Et nous sommes en droit d'infliger des amendes jusqu'à 600 000 euros aux plateformes qui proposent ce genre d'appartements.
43:56 Dans la vieille ville, la municipalité n'accorde plus de nouvelles licences hôtelières ou pour des locations saisonnières.
44:04 Mais les critiques actuelles discréditent également ceux qui louent leur appartement en toute légalité.
44:10 C'est le cas d'Elisabeth Casanias, 40 ans, auteure d'un blog sur la question.
44:15 Elle loue son appartement et celui d'un couple d'amis.
44:19 Sur notre site, nous rappelons que pratiquement 50% des personnes qui vivent de la location d'appartement pour touristes sont des femmes.
44:35 Pour toutes ces femmes, comme pour moi-même, cela représente une occasion de travailler en indépendant et de concilier notre activité professionnelle et notre vie de famille.
44:47 Elisabeth Casanias accueille elle-même ses hôtes.
44:56 Elle leur explique les règles à suivre dans la maison et la gestion des ordures ménagères.
45:00 Elle dispose d'une licence de location saisonnière depuis plusieurs années.
45:04 Actuellement, dans son quartier, cette même licence lui serait refusée.
45:08 Pour elle, les contrôles effectués par la mairie ne sont pas une bonne chose.
45:12 Nous travaillons comme une entreprise et c'est un travail qui nécessite beaucoup d'efforts.
45:20 Je ne crois pas qu'on puisse résoudre les problèmes des uns en mettant des bâtons dans les roues des autres.
45:26 A mon avis, la mairie ne résoudra rien avec ce genre de stratégie.
45:32 Au contraire, elle risque de renforcer non pas la tourismophobie, mais la xénophobie.
45:37 Barcelone est actuellement en plein paradoxe.
45:44 Les touristes suscitent une hostilité grandissante, mais de nombreuses banderoles souhaitent la bienvenue aux réfugiés.
45:50 Le tourisme de masse n'est pourtant pas apparu par hasard.
45:55 Il est le résultat d'une politique qui, des années durant, a cherché à attirer toujours plus de visiteurs,
46:00 sans investir dans des appartements accessibles ou des logements sociaux destinés aux habitants.
46:05 A Dubrovnik, la situation de la vieille ville suscite de plus en plus de remous.
46:23 Liubo Nikolic, membre d'un parti écologiste, s'oppose à l'agrandissement du port.
46:27 Celui-ci doit être loué pendant 40 ans à un consortium franco-turc.
46:31 Les clauses du contrat de concession sont secrètes.
46:36 C'est contre cela que nous protestons.
46:39 L'accord préliminaire a été signé sans que la collectivité ne soit informée des obligations que ce contrat implique pour la ville.
46:46 Nous ne savons pas, par exemple, quel type d'infrastructures nous nous sommes engagés à fournir.
46:53 Les investissements seront répartis en deux volets.
46:56 Un volet public, pris en charge par la ville, et un volet privé, financé par les entreprises.
47:01 La vérité, c'est que nous allons céder pour 40 ans la gestion de notre port,
47:05 qui représente une source importante de revenus, à quelqu'un dont nous ne connaissons ni les intentions ni les motivations économiques.
47:11 Mais il est évident que le concessionnaire va essayer d'augmenter le nombre de touristes.
47:16 Et si on ne tient pas compte de la capacité d'accueil de Dubrovnik,
47:21 la ville, en tant que communauté, mourra peu à peu.
47:24 L'architecture de la ville empêchera peut-être une telle évolution.
47:32 Un chercheur a calculé que la vieille ville de Dubrovnik pouvait recevoir un maximum de 7000 personnes.
47:38 Certains jours, elle en accueille le double.
47:41 Or, les murs de la ville datent du Moyen-Âge et ne disposent que de trois points de passage.
47:47 La sécurité constitue un problème très important à Dubrovnik.
47:50 Avec notre plan d'évacuation, nous sommes en mesure de faire sortir 3500 personnes de la vieille ville en toute sécurité.
47:57 Mais certains jours, les bateaux de croisière nous apportent à eux seuls plus de 8000 visiteurs.
48:03 En septembre dernier, nous avons eu un pic de plus de 20 000 visiteurs.
48:09 Un risque dont le maire est conscient depuis longtemps.
48:11 N'importe quelle salle de sport ou de concert accueille plus de monde dans des espaces beaucoup plus restreints.
48:18 Les stades de foot ont une capacité de 50 à 100 000 spectateurs.
48:22 Est-ce qu'on va interdire le football ou les concerts ?
48:25 Les spectateurs ne peuvent pas s'y attendre.
48:28 Les spectateurs ne peuvent pas s'y attendre.
48:31 Les spectateurs ne peuvent pas s'y attendre.
48:35 Les spectateurs ne peuvent pas s'y attendre.
48:39 Uniquement parce que cela génère de fortes concentrations de personnes, personne ne ferait une chose pareille.
48:44 Aucune mesure de sécurité n'a été prise.
48:51 Dubrovnik accueille pourtant de plus en plus de monde.
48:54 La vieille ville risque-t-elle de devenir un musée à ciel ouvert ?
49:04 Les clients des compagnies de croisière disposent de quatre heures pour visiter la ville.
49:07 Ensuite, ils regagnent leur bateau.
49:10 Pour les habitants, cette forme de tourisme est de plus en plus souvent perçue comme une invasion.
49:19 Le mécontentement va grandissant.
49:22 Les touristes sont eux aussi victimes du manque de réglementation du tourisme.
49:33 Il faut être conscient que ce que nous appelons le droit à la ville implique l'idée que l'espace public appartient à tout le monde, aux gens qui vivent sur place et aux étrangers.
49:43 Si nous oublions ce principe, nous risquons de nous engager sur un terrain extrêmement dangereux, celui de la xénophobie, du rejet des immigrants et de tout ce qui vient d'ailleurs.
49:57 Il est donc très important de comprendre cette idée.
49:59 L'ennemi, ce n'est pas le touriste.
50:02 Ce sont tous ceux qui soutiennent un système touristique qui concentre les profits sur un petit nombre de personnes et qui fait payer les pertes à l'ensemble de la ville.
50:10 Le tourisme génère des milliards d'euros.
50:17 À ce jeu, les perdants sont les habitants, les habitants sont les habitants.
50:22 Les touristes sont les habitants et les touristes réduits au rôle de figurants.
50:26 Les gagnants sont les investisseurs internationaux, les consortiums nébuleux qui entretiennent le mythe des grandes destinations touristiques.
50:34 Les villes, quant à elles, essaient désespérément de ne pas perdre pied.
50:43 Pour réguler l'affluence, il suffit d'augmenter les prix.
50:49 Dans un marché libre, les prix sont libres.
50:52 Beaucoup de restaurants font cela.
50:55 Ils augmentent leurs prix et les gens viennent moins souvent.
50:59 Nous avons l'intention de lancer un débat démocratique à ce sujet.
51:03 Le modèle touristique que nous choisirons déterminera le type de ville dans laquelle nous vivrons.
51:08 Nous voulons que tous les Barcelonais prennent conscience de la réalité du tourisme et qu'ils choisissent le modèle de tourisme qu'ils veulent, comme cela doit se faire dans une démocratie.
51:18 Si tout le monde veut voir Venise une fois dans sa vie, il y a bien une raison.
51:21 Essayons plutôt de voir tout ce qu'il y a comme trésor dans cette ville.
51:25 Les trésors existent encore, mais leur nombre est limité et de plus en plus de gens veulent les voir.
51:33 Comment pourrait-on leur en vouloir ?
51:37 [Musique]
51:59 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

Recommandée