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00:00 *Générique*
00:06 Quelle leçon tirée de la mobilisation inédite des agriculteurs, comment se sont déroulées les négociations
00:11 et quelle forme prendra le futur projet de loi ?
00:15 Bonjour Marc Fesneau.
00:16 Bonjour.
00:17 Vous êtes ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
00:22 Cette crise, vous l'aviez sentie.
00:25 Apparemment vous aviez alerté le gouvernement et on ne vous a pas écouté.
00:30 Marc Fesneau ?
00:32 Non mais dans une crise comme celle-là, de cette puissance-là,
00:35 il y a la sédimentation de plusieurs années et de plusieurs sujets qui n'ont pas pu être résolus.
00:41 La première ministre Elisabeth Borne avait commencé à apporter un certain nombre de réponses dès l'automne.
00:46 Simplement à un moment, une crise émerge parce qu'elle est la sédimentation d'une incompréhension,
00:51 il y a une grande incompréhension du monde agricole sur les politiques qui sont menées depuis des années,
00:55 politiques nationales et politiques européennes.
00:58 Et c'est le propre d'une crise, que je dis souvent cela, qu'être un cri qui n'a pas été entendu.
01:03 Mais la question n'est pas tant de savoir si ça aurait pu, dû être entendu avant.
01:08 C'est important pour votre poids politique.
01:10 Non mais c'est important d'avoir vu les choses et de discerner ce qui sont les demandes du monde agricole.
01:18 C'est important de l'avoir vu effectivement.
01:20 Est-ce que c'est important aussi, vous n'avez pas réussi à vous faire entendre ?
01:24 Non parce que ce n'est pas du tout ça je crois.
01:26 Dans le budget 2024, il y a 1,2 milliard de plus d'euros, de plus d'argent nouveau comme on dit,
01:34 à destination du monde agricole pour engager les transitions.
01:37 Cela veut dire qu'on a été écouté.
01:39 Cela veut dire que la question de la transition, elle est bien et elle était bien au cœur de la politique.
01:44 On avait déjà modifié la loi EGalim par la voie d'une proposition parlementaire.
01:50 Cela veut dire qu'on avait été écouté, etc.
01:53 Il y avait eu déjà des mesures sur la crise viticole.
01:56 Donc on est écouté, on pèse dans les décisions évidemment,
02:01 et en même temps il y a des choses qui se sédimentent.
02:03 On voit bien qu'on a une querelle qui est faite par le monde agricole,
02:06 peut-être d'ailleurs pour une part excessive sur la question de la politique agricole.
02:10 On va revenir là-dessus, mais le monde agricole,
02:13 on a l'impression que cette crise a fait émerger des mondes agricoles.
02:17 D'ailleurs, il y en a un qui est toujours mécontent.
02:20 Bien sûr, mais maintenant, le grand public le voit.
02:24 On voit que parmi ces mondes-là, il y en a un qui est toujours mécontent,
02:29 la Confédération paysanne.
02:30 Et puis on voit aussi que finalement, les intérêts de ces agriculteurs,
02:34 Marc Fesneau, ils ne sont pas tous convergents entre ceux qui font du bio,
02:38 les grandes exploitations, la FNSEAL, le reste du monde agricole.
02:41 Moi, je pense que l'erreur tragique serait de différencier le monde agricole.
02:46 Nous avons besoin d'une agriculture qui soit une agriculture de circuit court,
02:50 de proximité, et nous avons besoin d'une agriculture aussi puissante
02:55 pour aller sur les marchés export.
02:57 La puissance agricole française,
02:59 et quand vous regardez d'ailleurs dans les autres pays européens,
03:02 les agriculteurs en tout cas qui sont à l'aise avec leur perspective,
03:07 c'est des agriculteurs qui assument leur diversité.
03:09 Si on commence à opposer les modèles, à la fin, tous les modèles perdent.
03:14 Parce que vous voyez bien que ça commence par tel type d'agriculture
03:16 et à la fin, de toute façon, ça ne suffit pas.
03:18 C'est ce qui s'est passé depuis des années.
03:20 Et je proposerais assez volontiers d'être en rupture avec cette stratégie
03:23 qui était une stratégie d'opposition du monde agricole.
03:26 - Est-ce que ce n'est pas un vœu pieux ?
03:28 - Ce n'est pas du tout un vœu pieux.
03:30 - On voit bien qu'il y a des agriculteurs qui s'en sortent pas du tout.
03:33 - C'est un autre sujet.
03:34 - Mais dans ces modèles agricoles.
03:35 - Dans chacun de ces modèles, il y a des agriculteurs qui ne s'en sortent pas.
03:39 Dans le bio, il y a des agriculteurs qui s'en sortent aujourd'hui.
03:42 Dans les modèles plus conventionnels, il y a des agriculteurs qui s'en sortent aujourd'hui
03:46 et c'est palpable dans l'élevage.
03:47 Donc l'affaire de dire qu'il y a un modèle qui s'imposerait aux autres
03:52 et qui, au fond, serait celui à privilégier,
03:54 est une erreur tragique, y compris d'ailleurs parce que les consommateurs,
03:58 ils ont des demandes qui sont de nature diverse.
04:00 C'est aussi comme ça qu'il faut voir les choses.
04:02 - Marc Fesneau, j'ai la une de la Croix aujourd'hui.
04:04 Elle résume un sentiment qui prévaut aujourd'hui.
04:07 L'écologie en pause suite à cette crise agricole.
04:10 - Non, l'écologie n'est pas du tout en pause.
04:12 Je viens de dire ce que sont les moyens budgétaires.
04:14 Personne n'a mis en pause les moyens budgétaires
04:16 qui sont ceux du gouvernement sur ces questions.
04:19 Vous le dites sans doute parce qu'on a décidé de mettre en pause un dispositif,
04:23 qui est le plan éco-phyto.
04:24 Je rappelle que ça ne change rien.
04:26 - Il faut rappeler en quelques mots.
04:27 - Le plan éco-phyto étant un plan et une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires.
04:32 Mais le plan, c'est à la fois la trajectoire,
04:33 mais c'est surtout la façon dont on y parvient.
04:36 Aucune molécule ne va être réautorisée dans cette pause.
04:39 Aucun changement sur les molécules et les produits phytosanitaires.
04:42 Ne nous faisons pas, pardon de l'expression, une mousse sur des sujets qui sont sérieux,
04:47 qui nécessitent aussi de regarder comment on trouve cette trajectoire.
04:50 - Est-ce que c'était une mauvaise loi éco-phyto ?
04:53 - Ce n'est pas une loi éco-phyto.
04:55 C'est un process.
04:57 - Mais oui, c'est...
04:58 - Mais non, non, c'est pas la même chose.
04:59 - Est-ce que le process était mauvais ?
05:00 - Manifestement, on avait un sujet.
05:01 Parce que le process, ça avait été inventé en 2009.
05:05 Il n'a pas fonctionné.
05:07 Réinventé en 2015, il n'a pas fonctionné.
05:09 Et nous étions en train d'essayer de déployer ce que sera un nouveau programme éco-phyto
05:12 avec un certain nombre de sujets qui étaient pendants.
05:15 Quand ça a été en échec pendant 15 ans ?
05:18 Il faut peut-être s'interroger sur la façon dont les choses fonctionnent.
05:20 Sinon, on n'est pas lucides sur ce que sont les politiques...
05:24 - Je vais être plus précis pour que les auditeurs nous comprennent bien, Marc Fesneau.
05:28 Ce que disent les agriculteurs qui utilisent des produits phytosanitaires,
05:32 ils disent qu'ils ont réduit les pesticides les plus dangereux,
05:36 mais que dans le même temps, cela les a obligés à augmenter les pesticides les moins dangereux,
05:42 et que éco-phyto ne fait pas la distinction.
05:45 C'est vrai ou c'est faux ?
05:46 - C'est tout à fait vrai.
05:47 C'est-à-dire que éco-phyto, contrairement à l'autre indicateur qui est un indicateur européen,
05:52 il ne vient pas pondérer la réduction de la dangerosité du produit.
05:56 Or, si on est un peu rationnel et scientifique,
06:00 la priorité c'est de réduire les produits qui ont le plus d'impact sur la santé ou l'environnement.
06:04 Or, dans ce dispositif aujourd'hui, l'indicateur tel qu'il est construit,
06:08 si vous faites un passage avec un produit toxique,
06:10 c'est mieux valorisé que si vous faites deux ou trois passages avec un produit qui ne pose pas de point de toxicité.
06:14 - Alors, puisqu'on est d'accord là-dessus, pourquoi ne pas changer éco-phyto et faire une pondération ?
06:21 - Mais c'est exactement ce qu'on va faire dans les semaines qui...
06:23 Et c'est pour ça qu'on a besoin de cette pause.
06:26 - Pourquoi ? Ça sera fait en trois semaines ?
06:28 - Pour une raison simple, c'est qu'on a un indicateur européen qui ressemble un peu à ce que je viens de vous dire.
06:33 - Donc, en trois semaines, ça sera fait ?
06:34 - Laissez-moi juste dire deux choses.
06:36 La première, c'est que si on veut comparer en européen les trajectoires,
06:39 il vaut mieux qu'on ait le même indicateur.
06:41 Sinon, on va comparer des choux et des carottes.
06:43 Et donc, on va dire n'importe quoi, comme ça peut arriver parfois sur ces sujets-là.
06:46 Deuxième élément, il y avait quelque chose d'un peu totémique,
06:48 puisque l'indicateur français avait été inventé en France,
06:51 produit en 2009.
06:53 La question, c'est pas... C'est de ça dont il faut sortir.
06:55 C'est aussi des totèmes, y compris sur les questions écologiques.
06:57 La question, c'est est-ce qu'on est en capacité de trouver une trajectoire
07:00 et d'inciter à réduire les produits avec le plus de toxicité ou de risque,
07:04 qui restent autorisés par ailleurs, ou pas ?
07:08 Et moi, je pense qu'on a intérêt à réduire ces produits-là.
07:10 Et donc, c'est dans ce cadre-là qu'on doit pouvoir trouver un point d'accord
07:15 qui doit permettre de trouver cette trajectoire de réduction des produits phytosanitaires.
07:18 - Il y a une certaine agrédulité chez les agriculteurs qui disent
07:22 "ça fait 15 ans qu'on nous balade parce qu'il y a un rapport parlementaire
07:27 qui a été assez virulent sur l'impuissance publique depuis 15 ans
07:31 sur la diminution des produits pesticides,
07:34 et donc on dit "voilà, ça fait 15 ans que ça dure,
07:37 en 3 semaines on va trouver une solution" ?
07:39 - Non mais la trajectoire, c'est une autre chose.
07:40 Mais...
07:42 Pardon de dire, il faut qu'on sorte dans ce pays de l'incantation.
07:45 On dit -50%, on sait pas pourquoi on n'a pas dit -80,
07:48 on sait pas pourquoi on a dit -30,
07:49 on dit -50 parce que quelqu'un sans doute a dit -50,
07:51 ça va faire bien sur une feuille de papier.
07:54 La question c'est de trouver une trajectoire de réduction,
07:55 c'est comme si on disait sur l'automobile
07:58 "suppression des moteurs thermiques en 2025".
08:00 Autant dire qu'on n'a rien dit, vous voyez ce que je veux dire.
08:02 Et donc, sur les questions de transition écologique,
08:05 ne pas penser les transitions et ne pas crédibiliser les transitions.
08:08 Et pour crédibiliser les transitions,
08:11 ce qu'on a fait, c'est qu'on a mis des moyens.
08:12 Cette année, en 2024, c'est 250 millions d'euros.
08:15 Pourquoi ? Parce que la sortie d'un produit phytosanitaire,
08:18 ça doit s'accompagner d'une alternative.
08:21 Parce que sinon, ça sert à rien.
08:22 Sinon, les productions disparaissent.
08:25 Donc, on a besoin de trouver une trajectoire qui soit crédible,
08:28 des moyens qui soient crédibles et des alternatives qui soient crédibles.
08:31 Et donc, c'est ce qu'on a vu aussi, l'incrédulité des agriculteurs,
08:35 en disant "vous faites des incantations et ça marche pas".
08:38 Et justement, on veut sortir de ça.
08:40 Et c'est le temps qu'on a...
08:41 Il y a déjà du travail qui a été fait sur l'éco-phyto,
08:43 il y a un sujet sur l'indicateur,
08:44 et bon, travaillons sur l'indicateur dans les semaines qui viennent
08:47 pour résoudre cette question.
08:48 - Parmi les mécontentements du monde agricole,
08:51 il y a par exemple l'idée que le gouvernement,
08:54 les gouvernements, pas seulement celui-ci évidemment,
08:58 Marc Fesneau, n'a pas trouvé d'alternative aux produits pesticides.
09:02 L'INRAE a été financée pour développer ce type de recherche
09:07 et puis il n'y a rien qui sort.
09:09 - C'est inexact.
09:11 Pardon de vous dire que l'INRAE est un grand institut.
09:14 Alors, on a aussi un mal français,
09:16 c'est qu'à chaque fois qu'on a des champions,
09:17 c'est un champion du monde de la recherche.
09:19 Alors, peut-être qu'on est seul sur notre île à penser l'inverse,
09:21 mais enfin, dans le monde entier, l'INRAE nous est envié.
09:24 Deuxième élément, l'INRAE travaille à la fois sur l'appliqué,
09:26 mais aussi sur le fondamental.
09:28 Après, il s'agit de le décliner dans les instituts techniques.
09:30 - Ce que disent les agriculteurs, c'est trop de fondamentales.
09:33 - Oui, non mais la recherche fondamentale,
09:35 c'est valable en santé comme c'est valable en agriculture,
09:38 elle est nécessaire.
09:39 Vous ne croyez pas, hier c'était la journée mondiale contre le cancer,
09:41 vous ne croyez pas que ça participe aussi
09:43 aux travaux de recherche fondamentales ?
09:44 Ce n'est pas directement ce qu'ils voient,
09:46 mais c'est directement ce qu'ils vont voir au travers des instituts techniques.
09:49 Les pratiques agricoles, la question de l'agroécologie,
09:52 la question des rotations de culture,
09:54 la question des cycles du carbone,
09:56 tout ça, c'est porté par l'INRAE, pardon de vous le dire.
09:58 Ce qu'on a fait, le travail qui a été fait sur
10:01 l'alternative aux néonicotinoïdes sur les betteraves,
10:04 c'est porté par les instituts techniques de la betterave et par l'INRAE.
10:07 Donc, le travail qui est fait pour la réduction
10:09 des émissions de gaz à effet de serre des bovins,
10:11 c'est un travail qui est mené par l'INRAE avec les instituts techniques.
10:14 Donc, si on pouvait, ce n'est pas ce que vous avez fait,
10:16 mais ceux qui caricaturent ça, ils ne rendent pas service à leur camp.
10:19 - Non, sur France Culture, on ne critique pas...
10:21 - Je sais bien, c'est pour ça que je suis sur votre canotin aussi.
10:24 - La recherche fondamentale.
10:25 - Non, mais la recherche fondamentale,
10:27 la recherche d'appliquer, elle se nourrit de la recherche fondamentale.
10:29 Tous les scientifiques vous diront que l'un nourrit l'autre.
10:32 Alors, c'est moins visible aux yeux la recherche fondamentale,
10:35 mais on pourrait décliner, d'ailleurs,
10:36 ce serait intéressant de faire ce travail-là,
10:38 décliner tout ce que sont les applications du travail fait
10:41 par l'INRAE depuis des années.
10:42 - Marc Fesneau, où en êtes-vous de vos discussions
10:45 avec la Confédération paysanne,
10:47 qui, elle, est très mécontente de la solution trouvée ?
10:51 - J'ai toujours discuté avec la Confédération paysanne.
10:55 Ça n'empêche pas d'avoir des désaccords avec eux sur un certain nombre de sujets,
10:57 parce que, finalement,
10:59 ça n'empêche pas d'avoir des désaccords avec eux sur la question de l'eau.
11:01 J'ai trouvé que la position radicale qu'ils ont eue sur les questions de l'eau
11:04 n'a pas rendu service à la Véculture.
11:06 - Pourquoi ?
11:07 - Parce que cette idée qu'à un moment,
11:08 il ne fallait pas se poser la question de la gestion du cycle
11:11 et de l'arithmie de la pluviométrie,
11:12 et de s'arc-bouter contre tel ou tel ouvrage,
11:15 était une erreur tragique pour la Véculture.
11:17 - Les mégabassines, par exemple ?
11:18 - On appelle pour certains les mégabassines ou les réserves de substitution.
11:21 Pourquoi ? Parce que quand les études démontrent l'intérêt de ces affaires,
11:27 quand vous allez voir ce qui s'est passé en Vendée,
11:30 ça fait 15 ans de recul,
11:31 en Vendée, les associations environnementales locales reconnaissent
11:35 que ça a plutôt amélioré la situation des marais et des nappes
11:37 que dégradé la situation des marais et des nappes.
11:39 Pourquoi ? Parce que vous évitez des prélèvements en été,
11:42 là où il manque de l'eau,
11:44 pour y substituer des prélèvements en hiver,
11:46 là où ça déborde, il suffit d'aller en Vendée,
11:48 dans les jours précédents ou dans les jours qui viennent,
11:50 pour voir à quel point les nappes débordent,
11:52 pour ne pas employer un autre mot.
11:54 Donc voilà, on a des désaccords là-dessus,
11:56 on a des désaccords sur l'idée,
11:58 ils sont un peu dans un modèle,
11:59 mais je ne veux pas les caricaturer,
12:00 ce n'est pas mon genre,
12:02 plus autarcique, plus localiste.
12:05 Et on a besoin à la fois de couvrir nos besoins intérieurs,
12:08 mais on a besoin aussi de répondre à la demande extérieure,
12:10 dans un monde avec 2 milliards d'habitants bientôt de plus,
12:13 et un dérèglement climatique qui va perturber les échanges.
12:15 On va continuer d'évoquer ce modèle agricole,
12:19 celui qui est promu, ou la conséquence en tout cas,
12:22 des différentes règles qui ont été passées avant.
12:25 Et puis, pendant votre direction du ministère de l'Agriculture
12:30 et de la Souveraineté Alimentaire,
12:31 on se retrouve dans une vingtaine de minutes.
12:34 Marc Fesneau.
12:38 6h39, les Matins de France Culture.
12:41 Guillaume Erner.
12:42 Notre invité, c'est Marc Fesneau,
12:43 ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.
12:48 Mon camarade Jean Lemarie, dans son billet politique,
12:50 vient d'évoquer la popularité du Rassemblement National.
12:54 On l'a vu pendant la crise agricole,
12:56 Jordan Bardella semblait extrêmement populaire
12:59 parmi les agriculteurs.
13:01 Qu'est-ce que ça vous inspire, Marc Fesneau ?
13:04 Il venait essayer de capter la colère du monde agricole.
13:07 En toute occasion, le Rassemblement National
13:10 vient essayer de capter la colère.
13:12 Il semblait populaire, il semblait aussi perdu
13:14 des réponses qu'il avait apportées.
13:16 Parce qu'au-delà de "c'est la faute de l'Europe"
13:19 et "c'est la faute des normes",
13:21 je vois mal les réponses qu'apportait M. Bardella.
13:24 Il s'adressait parfois à des céréaliculteurs
13:29 pour qui la moitié de leur production
13:30 sort des frontières de la France
13:32 et à qui il disait dans le même temps
13:33 qu'il faut le repli sur soi et l'autonomie sur soi-même
13:38 et la voie et le chemin pour l'agriculture.
13:41 Savoir capter la colère, savoir la percevoir,
13:44 essayer parfois d'en jouer, c'est une chose.
13:47 À la vérité, les expériences, y compris historiques,
13:49 nous montrent que généralement, savoir capter la colère,
13:51 ce n'est pas résoudre les fondements de la colère.
13:53 Et c'est ça qui est le travail que nous avons à faire,
13:55 nous qui sommes en situation de responsabilité
13:57 et puis ceux qui appellent,
13:59 qui souhaitent aussi accéder à des responsabilités.
14:01 Il ne faut jamais se laisser aller
14:02 sur le terrain de la démagogie et de la facilité.
14:04 J'ai vu d'autres responsables publics le faire,
14:06 je pense à Mme Royal sur les questions de tomates espagnoles.
14:10 Je trouve que la facilité...
14:11 - Pourquoi vous trouvez qu'elles ont du goût, les tomates espagnoles ?
14:13 - Ce n'est pas la question du goût.
14:14 Elle a dit factuellement que les Espagnols
14:17 ne respectaient pas les normes bio.
14:21 Jetant la vindicte populaire, un partenaire important, éminent,
14:25 ce sont nos frères européens.
14:27 Quand vous commencez à vous mettre sur ce chemin-là,
14:29 vous vous mettez sur un drôle de chemin.
14:30 Après, la question du goût des tomates,
14:31 c'est la question de la saisonnalité des tomates.
14:33 Vous le savez comme moi.
14:35 Les tomates du mois de janvier
14:36 n'ont pas le goût des tomates du mois de juillet.
14:38 Mais ce n'est pas leur nationalité qui fait leur goût.
14:40 C'est leur saisonnalité qui fait leur goût.
14:42 Et donc, je trouve que cette façon
14:45 d'attaquer le projet européen dans ses fondements,
14:47 quand on fait ça et qu'on s'appelle Mme Royal,
14:50 il n'y a pas besoin de M. Bardella.
14:51 Elle rend service à cette théorie et cette thèse-là.
14:54 Et quand on sait l'histoire qu'on a avec les Espagnols,
14:56 y compris le commerce qu'on a avec les Espagnols,
14:59 ça a fait beaucoup d'émotions dans ce pays.
15:01 Je le comprends.
15:01 C'est comme si on avait dit la pomme française,
15:05 la betterave française.
15:05 Il y a quelque chose de très insultant, de très faux.
15:09 Et puis deux, c'est une espèce de truc
15:10 qui consiste à jeter l'eau propre sur le bio en disant
15:13 "Méfiez-vous, le bio espagnol n'est pas le bio français".
15:15 Et à la fin, vous verrez, ça sera "Méfiez-vous,
15:17 le bio français, ce n'est pas du bio".
15:18 Et donc, je trouve que ce poison-là
15:21 est un poison absolument toxique dans les opinions publiques.
15:23 Et Mme Royal, en boitant le pain de M. Bardella,
15:27 malheureusement, ne rend pas service à la cause.
15:31 - Marc Fesneau, pourquoi ne pas profiter de cette crise,
15:33 justement, pour ne pas aller dans le mieux-disant
15:36 à l'échelle européenne ?
15:37 Puisqu'on s'en prend à l'Europe, alors sur Ecofito, sur Egalim.
15:42 On a vu qu'Egalim était contourné également
15:45 par différents biais à l'échelle européenne.
15:49 Vous avez trois semaines pour agir.
15:51 Est-ce que, par exemple, pendant ces trois semaines,
15:53 vous pourriez essayer de relever les normes européennes
15:57 au niveau français ?
15:58 - Essayons de nous donner les temporalités raisonnables
16:01 et possibles, et puis celles qui sont un peu plus lointaines.
16:03 Un Egalim européen, ce n'est pas l'affaire de trois semaines.
16:06 Chacun le sait.
16:08 Les trois semaines qui nous amènent au salon,
16:10 parce qu'au fond, c'est ça l'objectif,
16:11 c'est de regarder tout ce qui peut être fait,
16:14 notamment en termes de simplification.
16:17 Et ça, c'est ce qui porte sur les questions françaises.
16:20 Y compris, on se donne une trajectoire,
16:21 parce qu'il y a des simplifications qui vont nécessiter
16:23 des modifications législatives.
16:25 Bon, donc ça, c'est un premier élément.
16:27 Deuxième élément, je vous réponds sur la question européenne.
16:30 Oui, on a besoin d'un mieux-disant
16:32 et d'un ensemble disant européen.
16:34 Ça veut dire quoi ?
16:34 Ça veut dire qu'il faut qu'on arrête en France
16:36 de prendre des décisions qui s'appliquent
16:39 qu'aux produits français et qu'à l'agriculture française.
16:42 Ça ne veut pas dire qu'on en rabat des ambitions.
16:43 Ça veut dire qu'il faut porter ces ambitions-là
16:45 au niveau européen.
16:45 Sinon, ça ne sert à rien.
16:46 Sinon, vous nourrissez la querelle à l'Europe
16:49 juste par votre décision.
16:50 Pas parce que c'est la faute de l'Europe,
16:52 mais parce que vous produisez une décision
16:54 qui va faire qu'à la fin,
16:55 vous ne supporterez plus le voisin allemand,
16:58 le voisin italien, le voisin espagnol ou autre.
17:01 Premier élément.
17:02 Deuxième élément, on voit bien que
17:04 sur les questions, par exemple,
17:06 de répartition de la valeur et de rémunération,
17:08 qui sont des sujets qui traversent l'ensemble des pays européens
17:10 touchés par la crise agricole,
17:12 on a besoin d'avoir un mécanisme européen qui permette.
17:16 Et donc, ça, c'est un travail qu'on doit pousser.
17:18 Il y aura un temps de campagne européenne
17:20 et il y aura un temps de mise en œuvre.
17:22 Et on sent que cette proposition portée
17:23 par le président de la République,
17:24 une forme d'égalime européen,
17:26 qui ne mettrait pas les agriculteurs européens
17:30 en situation de concurrence
17:31 avec les gros opérateurs de la distribution
17:33 ou les gros opérateurs de la transformation,
17:35 est un bon sujet.
17:36 Puis un troisième sujet européen,
17:38 c'est le sujet de la réciprocité des normes
17:40 et des clauses miroirs et des accords internationaux.
17:42 On a besoin, en Européens,
17:43 de penser nos accords internationaux
17:46 dans leur fondement,
17:48 en posant l'agriculture comme un élément stratégique,
17:50 ce qui a été peu le cas ces 10, 15, 20 ou 30 dernières années.
17:53 Et dans leur fondement, qui pose la question de la réciprocité.
17:55 C'est-à-dire d'avoir des règles minimums
17:58 sur lesquelles on puisse s'entendre
17:59 avec nos partenaires commerciaux extérieurs,
18:01 sur lesquelles on dise sur l'environnement,
18:03 sur le climat, sur tel ou tel sujet,
18:05 ça n'est pas acceptable que vos produits viennent.
18:06 Marc Fesneau, l'égalime a été fait
18:09 pour protéger les agriculteurs.
18:10 On s'est rendu compte, à la faveur de cette crise,
18:12 le grand public s'est rendu compte
18:14 que la loi était contournée, bafouée.
18:16 Et d'ailleurs, dans les dispositions
18:20 pour apaiser la colère des agriculteurs,
18:22 vous avez pris l'engagement
18:24 que désormais la loi serait respectée.
18:26 Mais ce n'est quand même pas le minimum syndical
18:28 que la loi soit respectée en France ?
18:30 D'abord, vous prenez toutes les lois en France,
18:32 il y a toujours des gens qui essaient de déroger.
18:33 Bien sûr, mais là apparemment il y en a beaucoup.
18:36 Non mais c'est la règle, malheureusement,
18:38 du Code de la route.
18:40 Maintenant il y a la loi et la peine.
18:43 Alors attendez, premier élément,
18:46 les 2-3 premières années de mise en œuvre d'égalime,
18:48 et d'ailleurs les acteurs y compris agricoles le disent,
18:51 jusqu'au moment inflationniste,
18:53 même pendant le moment inflationniste de 2022,
18:57 les opérateurs ont plutôt joué le jeu de la loi égalime.
19:01 Et on a vu d'ailleurs une inflexion très significative
19:04 de la rémunération et des prix payés aux producteurs.
19:06 On a rompu avec 10 années de déflation
19:08 qui était le produit de la loi de modernisation de l'économie.
19:10 Bon, la fameuse loi LME.
19:13 Donc quelque chose s'est inversé,
19:15 2019, 2020, 2021, 2022.
19:18 Et puis on a vu de nouveau à partir de 2023,
19:21 on penche toujours du côté où on pêche si je peux dire,
19:24 un certain nombre d'opérateurs
19:26 revenir à des pratiques qui visaient à contourner la loi.
19:29 D'où la nécessité d'appuyer les contrôles.
19:31 D'où la nécessité aussi, puisqu'ils contournent la loi
19:33 et qu'ils ont des batteries d'avocats pour le faire,
19:34 qu'ils sont payés pour ça,
19:36 de regarder s'il ne faut pas de nouveau amodier la loi
19:38 pour éviter en particulier ce qu'on voit maintenant,
19:41 qui n'existait pas en 23 ou 22-23,
19:43 qui est les centrales d'achat européennes qui viennent.
19:45 On achète à l'extérieur du territoire français
19:49 et ça permet de déroger,
19:51 ce qui vraiment ne devrait pas être le cas, la loi française.
19:53 On va acheter des produits français à l'extérieur des frontières françaises.
19:56 Ce qui est quand même assez curieux comme pratique.
19:57 Donc oui, on a besoin de travailler sur ces questions-là.
20:00 Et donc oui, la nécessité de faire appliquer la loi,
20:02 ça veut donc dire que d'ailleurs la loi est bonne
20:04 et que personne ne dit le contraire,
20:06 sauf évidemment ceux qui veulent retourner à la loi de modernisation
20:09 de l'économie au milieu des années 2000.
20:13 Deuxième élément, on a besoin de penser l'esprit de la loi.
20:15 L'esprit de la loi, c'est la rémunération
20:17 de l'ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire.
20:20 Et donc il faut qu'on s'en relâche, qu'on rappelle aux acteurs,
20:22 y compris ceux qui vont désormais, qu'on a peu vu dans la crise,
20:26 revenir sur les plateaux pour dire la main sur le cœur
20:28 à quel point ils aiment l'agriculture française,
20:30 que les déclarations d'amour c'est formidable,
20:32 mais il va falloir qu'ils passent aux actes.
20:33 Le troisième sujet, parce que c'est important,
20:36 il y a un certain nombre de secteurs qui ne sont pas rentrés dans l'égalisme.
20:38 C'était leur choix. Les fruits et légumes ne sont pas rentrés dans l'égalisme.
20:41 Le vin n'est pas rentré dans l'égalisme.
20:44 Donc il y a un certain nombre de...
20:45 Les céréales ne sont pas rentrées dans l'égalisme.
20:47 Ça ne veut pas dire que tout le monde doit rentrer,
20:49 parce que c'est très complexe.
20:50 On sait bien que sur les fruits et légumes, les marchés sont...
20:52 Mais la question de la contractualisation
20:55 et de l'extension des galimes à un certain nombre de secteurs
20:57 est une question largement devant nous.
20:58 Je le disais l'autre jour dans l'Hérault et dans le Gard.
21:01 Je n'ai pas de religion, en tout cas la porte est ouverte
21:03 côté gouvernement à se dire, après tout,
21:06 puisque ça a pu protéger un certain nombre de secteurs,
21:09 est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin ?
21:10 La viande bovine a peu contractualisé.
21:14 La contractualisation, c'est la condition pour rentrer dans l'égalisme.
21:17 Donc il faut que chacun fasse sa part, y compris côté agricole,
21:19 de réflexion sur est-ce que je n'ai pas intérêt à rentrer dans l'égalisme.
21:22 Marc Fesneau, un sujet sérieux, le picodon.
21:26 Le fromage de la Drôme.
21:28 J'ai mon voisin dans la Drôme
21:31 qui élève des chèvres pour faire du picodon.
21:33 S'il vendait son lait, il le vendrait à lait.
21:38 Mettons environ 50 centimes le litre.
21:41 Il le transforme en fromage et donc il valorise ce lait.
21:45 Il le vend environ 3 euros, 3,30 euros le litre.
21:51 Et c'est ainsi qu'il gagne sa vie.
21:52 Et mon camarade, s'il devait vivre de son lait,
21:57 il ne parviendrait pas à en vivre.
22:00 Est-ce que c'est normal dans une agriculture
22:05 aujourd'hui moderne de ne pas pouvoir vivre de son métier ?
22:10 Pire encore, s'il voulait en vivre, il faudrait qu'il augmente son troupeau,
22:13 qu'il double le nombre de ses chèvres.
22:15 Il en a 65, il en aurait 130 ans,
22:19 et il vivrait tout aussi mal.
22:22 Non, ce n'est pas logique.
22:24 Et d'ailleurs, il y a eu une course parfois à l'agrandissement,
22:26 simplement motivée par l'idée qu'avec une très petite marge,
22:30 on aurait une marge plus importante.
22:32 C'est exactement là où je voulais vous emmener.
22:35 Vous connaissez mieux votre voisin que moi, je le connais.
22:38 Même 130 chèvres, ce n'est pas non plus...
22:40 Entendons-nous sur l'idée que 130 chèvres,
22:42 ça reste un troupeau relativement raisonnable.
22:46 Mais la vérité m'oblige à dire qu'on a besoin de trouver un équilibre.
22:49 Alors, soit en circuit court, c'est ce que vous décrivez.
22:52 Il n'est pas normal qu'en circuit plus long,
22:54 parce qu'en circuit court, par nature,
22:56 vous touchez plutôt la proximité grande,
23:00 vous parliez de la Drôme, autour du territoire.
23:04 Il y a beaucoup de gens qui sont concentrés dans les villes.
23:06 Donc, on a besoin aussi de circuits longs
23:08 et donc de passer par la grande distribution.
23:10 Et donc, la rémunération, elle doit être la rémunération du circuit court.
23:13 Alors, l'intérêt du circuit court,
23:15 c'est que vous intégrer l'ensemble de la valeur ajoutée.
23:17 Vous transformez vous-même.
23:18 Encore que vous écouteriez les éleveurs qui font de la transformation,
23:22 ils vous expliqueraient que les règles et les normes
23:24 qui leur sont imposées sont très lourdes.
23:26 Bien sûr, mais tout le monde ne peut pas transformer.
23:29 Et que tout le monde, de ce fait, ne peut pas transformer.
23:31 Et que quand vous faites des normes très raides, très lourdes,
23:35 très contraignantes, ça favorise plutôt les gros que les petits.
23:38 La vérité, c'est ça.
23:39 On voit bien la difficulté qu'on a à tenir les abattoirs,
23:42 y compris les abattoirs de proximité.
23:43 Alors qu'on nous dit, il faut manger de la viande de proximité.
23:45 Vous avez de la viande qui circule partout. Pourquoi ?
23:47 Parce que il faut que chacun assume aussi les contraintes des règles
23:50 que nous nous sommes fixés, parce que les règles,
23:51 elles favorisent plutôt les gros que les petits.
23:53 Mais on a besoin aussi de trouver la rémunération sur le circuit long.
23:56 Parce que si on n'a pas la rémunération sur le circuit long,
23:59 une grande partie de notre agriculture va disparaître.
24:01 Donc, votre éleveur de chèvres,
24:03 il a besoin, selon le choix qu'il fait,
24:06 soit de pouvoir aller en transformation et en vente directe,
24:10 mais sur un volume qui sera plus modeste et c'est utile.
24:13 Et puis, pour ceux qui sont sur d'autres filières plus longues,
24:15 on a besoin aussi de rémunération.
24:17 C'est ça la difficulté, c'est de penser notre système
24:21 à la fois en circuit court, en circuit long.
24:22 Et le sujet qui est posé sur la table,
24:24 c'est plutôt le sujet du circuit long aujourd'hui.
24:26 Mais oui, et vous savez bien qu'aujourd'hui,
24:28 lorsqu'on est producteur de lait,
24:30 producteur de lait m'a dit en substance,
24:34 je perds un peu sur chaque litre que je vends,
24:36 mais je me rattrape sur la quantité.
24:39 On est dans des situations qui sont complètement ubuesses
24:41 parce que vous avez deux acteurs principaux,
24:44 Lactalis et Sodial, qui rachètent le lait
24:46 et ils le rachètent trop peu cher,
24:48 pratiquement en deçà des coûts de production.
24:52 C'est tout l'enjeu pour moi de ce qui se passe sur Egalim
24:55 et de faire respecter Egalim,
24:57 y compris quand il y aura des contentieux,
24:59 parce qu'il y aura sans doute des contentieux
25:00 dans la négociation qui a pu se terminer ces derniers jours.
25:05 La responsabilité du groupe Sodial, de Lactalis,
25:09 qui sont des formats différents en termes de structure capitalistique,
25:13 qui sont des grands groupes français,
25:15 la responsabilité c'est de rémunérer la matière.
25:17 Et la question c'est qu'ils respectent d'abord la loi,
25:22 et deuxième élément, qu'ils pensent leur stratégie
25:25 en stratégie moyen-long terme.
25:26 J'entends beaucoup de ces acteurs-là m'expliquer
25:29 qu'ils ont la crainte qu'à terme, si la tendance se poursuit,
25:32 il n'y ait plus assez de lait collecté en France.
25:34 Mais s'il n'y a plus assez de lait collecté en France,
25:36 ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de gens qui voudraient faire du lait,
25:39 c'est parce que les gens ne trouvent plus leur rémunération.
25:41 Et donc ils ne peuvent pas appliquer la même stratégie de très faible marge
25:45 sur des éleveurs, des producteurs primaires, si je peux dire,
25:48 par rapport à eux, parce que sinon le système ne tiendra pas.
25:50 Il faut qu'on évoque un sujet tout simple,
25:53 parce que camarades auditeurs doivent se dire
25:56 "C'est tout simple, il suffirait que Marc Fesneau fixe le prix du lait,
25:59 je ne sais pas, par exemple à 60 centimes au lieu de 50 centimes,
26:04 mais apparemment il y a un droit de la concurrence qui l'enfreint,
26:08 pourquoi ne pas revoir ce droit de la concurrence ?
26:11 Puisque vous êtes ministre de la Souveraineté Alimentaire."
26:13 "Pardon, je veux dire que la loi Egalim, c'est un prix planché.
26:17 La question c'est son application et la façon dont elle est vue,
26:19 c'est un prix planché payé."
26:20 "50 centimes, c'est trop peu."
26:21 "Je connais des gens dans ma région à 50 centimes,
26:25 c'est-à-dire à 500 euros la tonne, ils prendraient, vraiment.
26:31 Les prix qui leur sont proposés aujourd'hui, c'est plutôt 400 euros la tonne, 40 centimes."
26:36 "Oui, c'est là qu'on est dans une difficulté.
26:39 Je ne suis pas sûr que les producteurs de croûter seraient contents."
26:42 "On rentre ensuite dans les complexités du fait que les aides de la PAC
26:45 favorisent les éleveurs qui ont..."
26:47 "Non, non, pas forcément."
26:48 "Parce que vous ne gagnez pas seulement de l'argent avec le lait,
26:50 vous avez aussi d'autres aides."
26:53 "Vous avez des aides parfois sur le troupeau,
26:55 vous avez des aides pour maintenir les prairies, ce qui n'est pas mauvais."
26:57 "C'était à ça que je pensais."
26:58 "Donc ça vient compléter les choses."
27:00 "Mais il faut avoir des prairies pour avoir ces aides-là."
27:03 "Absolument, mais un producteur de comté,
27:05 il ne peut pas attendre la même rémunération qu'un producteur de picodons
27:08 et qu'un producteur de lait classique."
27:09 "Un producteur de comté, il est en quelque sorte favorisé,
27:13 il a un fromage qui valorise bien."
27:16 "Il est protégé par une appellation."
27:17 "Tant mieux."
27:18 "Tant mieux, comme le producteur de picodons."
27:21 "Mais on ne prend pas du comté tous les jours, ni du picodon."
27:24 "Je ne veux pas opposer le comté au picodon."
27:26 "On va rentrer sinon on va se faire beaucoup d'adversaires
27:28 si on ne fait pas le tour des fromages de France."
27:31 "Mais dire j'ai un prix minimum comme ça, ça paraît commode."
27:36 "La question c'est de, et ça paraîtrait au fond de bon sens,
27:40 la question c'est que les prix ne sont pas de même nature et que je leur répète,
27:44 Egalim, c'est un prix minimum garanti,
27:48 divers selon les types de production,
27:51 puisque la logique de la loi c'est qu'on ne peut pas rémunérer
27:54 en deçà des coûts de production."
27:55 "J'entends bien, mais je vais revenir à la charge."
27:58 "Alors bon, on ne va pas se battre sur les chiffres,
28:00 et puis de toute façon par nature ces chiffres fluctuent,
28:02 mais pourquoi ne pas aller au-delà ?
28:05 Parce que finalement, si on veut prendre la philosophie de cette histoire,
28:11 il y a quelque chose de clair, Marc Fesneau,
28:14 on privilégie la quantité de la production,
28:18 on privilégie une agriculture intensive qui ne fait pas assez de marge,
28:22 et donc dès qu'il y a un grain de sable pour l'agriculteur,
28:26 celui-ci boit la tasse, c'est ça le problème."
28:30 "D'abord j'ai du mal avec la notion d'agriculture intensive,
28:33 nous sommes un pays qui produit,
28:36 qui a un niveau de compétitivité et de productivité qui est très élevé,
28:40 d'abord nous sommes un pays de petites surfaces,
28:42 contrairement à ce qu'on peut croire,
28:44 et donc on a besoin de produire un peu plus à l'hectare
28:48 que le font nos amis canadiens ou américains,
28:50 parce qu'ils ont des surfaces qui sont immenses,
28:52 quand bien même ils ont des sujets,
28:53 y compris d'érosion des sols et d'ésure des sols,
28:55 qui est moins grande chez nous.
28:58 Deuxième élément, le sujet que vous posez,
28:59 c'est aussi un sujet qui nous est posé à nous consommateurs,
29:02 la valeur qu'on donne aux choses,
29:05 on donne plus de valeur symbolique à nos smartphones,
29:08 et en deux ans d'inflation,
29:11 personne n'est capable de dire l'inflation qu'il y a eu sur les smartphones,
29:14 par contre tout le monde n'est plus capable de vous dire ce qu'est l'inflation sur les pattes,
29:16 donc on a besoin, dans l'opinion publique,
29:20 de mener un combat idéologique,
29:22 qui est si vous voulez de l'alimentation de qualité,
29:24 elle a un coût, et si elle a un coût, elle va avoir un prix.
29:27 Et je reprends votre exemple de 500 euros,
29:30 pardon moi je suis au mille litres, mais 50 centimes,
29:34 si vous changez de 100 euros, c'est 10 centimes.
29:38 Vous voyez ce que je veux dire, la différence,
29:40 et même 10 euros parfois ça fait l'équilibre d'une filière et d'une capacité,
29:45 donc on a besoin de mener un combat idéologique,
29:47 et le combat de la grande distribution et d'un certain nombre de ses acteurs,
29:50 ça a été le combat du meilleur prix, c'est le prix le plus bas.
29:53 Et on s'est acharné sur les produits agricoles,
29:55 et donc on a besoin de s'acharner et de dire...
29:58 - Marc Fesneau voyait bien le problème,
29:59 c'est-à-dire qu'on se dit que finalement,
30:01 si le prix est plus cher, c'est la marge du distributeur qui sera augmentée,
30:06 pas celle du producteur.
30:07 - Mais c'est pour ça qu'on doit s'assurer que dans Egalim,
30:11 on rémunère bien le producteur,
30:14 et il y a des initiatives dans un certain nombre d'unités de transformation
30:18 qui visent à garantir aux consommateurs que le producteur est rémunéré.
30:24 - Mais d'un autre côté, vous dites que les exploitations françaises
30:29 mériteraient pour certaines d'entre elles d'être plus intensives,
30:31 mais il y a de plus en plus de transformations d'exploitation en exploitation industrielle,
30:37 les seuils sont abaissés, ce qu'on appelle les IED,
30:40 notamment pour le porc, pour la volaille,
30:42 c'est-à-dire que vous, vous personnellement Marc Fesneau,
30:46 le système fait entrer de plus en plus d'agriculteurs dans un système industriel
30:51 avec l'intégration des filières, où ils sont pieds et poings liés
30:55 par des entreprises de grosse taille qui leur imposent des coûts très bas.
31:02 - Mais pardon de vous dire, j'ai du mal avec ce débat de l'agriculture française,
31:06 et c'est aussi ce que nous ont dit les agriculteurs, donc il faut qu'on l'entende.
31:10 L'agriculture industrielle, la moyenne d'un élevage d'étiers en France, c'est 70 vaches.
31:16 70 vaches.
31:18 Vous allez à l'extérieur des frontières européennes,
31:22 et même parfois à l'intérieur des frontières, c'est plutôt 200, 300, 400 vaches.
31:26 Donc cette propension qu'on a en France à mettre le mot...
31:29 D'abord le mot industrie n'est pas un gros mot.
31:31 - Le Premier ministre a parlé d'exception agricole française.
31:35 - Mais l'exception agricole française, ça n'a rien à voir avec ça,
31:38 c'est de dire le caractère exceptionnel du potentiel agricole français.
31:43 Oui, ça existe. Nous avons des gens extrêmement bien formés.
31:46 Nous avons plutôt un potentiel agronomique qui s'est mieux préservé que dans d'autres,
31:51 même s'il y a des tas de choses à faire pour restaurer, y compris la matière organique dans les sols.
31:54 Enfin bref, je ne vais pas rentrer dans le détail.
31:57 Mais cette idée que l'agriculture française serait une agriculture industrielle,
32:02 c'est-à-dire qu'on refuserait même la notion de production.
32:06 Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a quelque chose qui est toxique dans nos esprits.
32:10 Vous ne l'avez pas formulé comme ça, mais je vois bien le fil qu'on tire.
32:13 Vous avez aujourd'hui des seuils qui vont être abaissés en volailles à 21 000 volailles.
32:17 Je ne sais pas si vous avez déjà vu un élevage de 21 000.
32:20 Franchement, ce n'est pas effrayant.
32:22 Moi, j'ai été faire la vaccination des canards.
32:24 Il y avait dans un bâtiment 3 000. Ça fait des grands chiffres.
32:27 Je vous assure qu'ils avaient l'air...
32:28 - Moi, j'ai surtout vu les élevages de volailles se multiplier avec une série de problèmes.
32:34 Parce que vous savez bien, les auditeurs le savent peut-être peu,
32:37 mais les élevages de volailles, ça a été une véritable opportunité.
32:41 Ils se sont multipliés avec...
32:43 - Mais pardon de vous dire que non.
32:45 Nous sommes un portateur net.
32:46 - Peut-être pas assez pour le ministre.
32:49 - Non, mais ce n'est pas ça. Il va juste falloir qu'on se mette en équation avec ce que nous sommes nous-mêmes.
32:53 50 % de la volaille française, elle vient de l'extérieur des frontières françaises.
32:57 50 %.
32:59 Et elle vient d'élevages où ce n'est pas 21 000 le seuil.
33:01 C'est 200 000, c'est 2 millions.
33:03 C'est parfois même plus.
33:05 Donc, à force d'avoir dit "on ne veut pas d'élevages, c'est industriel, ça pollue",
33:09 si toute chose inexacte, c'est quand même des études d'impact.
33:12 On a réussi à faire en sorte qu'on ne peut plus faire sortir un bâtiment d'élevage en France.
33:17 Et qu'est-ce qu'on y gagne quand on continue à manger de la volaille ?
33:20 On gagne à faire venir de la volaille, parfois du Brésil.
33:23 Et donc, on vient critiquer des conséquences sans regarder les causes.
33:27 - Est-ce que vous revenez finalement sur le coût
33:30 et sur la manière dont le consommateur, vous moins, nous sommes prêts à payer pour la volaille ?
33:34 - Et puis, reconnaissons aussi que le poulet du dimanche,
33:37 pour s'en faire de caricature, il est plus rare que le nuggets du chaque jour de la semaine.
33:41 Et donc, ce n'est pas tout à fait la même nature de volaille.
33:43 Et donc, ce n'est pas tout à fait les mêmes produits qu'on demande.
33:47 Dans la transformation, il y a beaucoup de...
33:49 Notamment sur la viande, mais pas que sur la viande, aussi sur les végétaux.
33:53 Il y a beaucoup de produits qui sont maintenant dans la transformation,
33:57 ce qu'on appelle le "snacking".
33:58 La façon de consommer est très différente de celle dont on consommait il y a 30 ans.
34:02 Et donc, ça aussi, ça a des conséquences sur le modèle agricole.
34:05 - Mais justement, parce que dans les prévisions de modèle agricole,
34:08 on parlait des différentes prévisions,
34:10 il y avait un chiffre qui était de 21% de surface de bio en 2030, Marc Fesneau.
34:17 Aujourd'hui, on est environ à 10%.
34:19 Et ces 10% sont parfois des agriculteurs qui ont du mal à vivre.
34:25 Comment imaginer qu'on soit à 21% en 2030 en bio ?
34:28 - Pardon d'être un peu besogneux, si vous me permettez cette expression.
34:33 D'abord, tenir les 10% qui sont...
34:36 - Je suis d'accord avec vous, dans la situation actuelle.
34:38 - Ceux-là sont en risque et il y a des risques de reconversion.
34:40 Et puis après, on a besoin de retrouver une trajectoire.
34:42 Ça veut dire qu'avec la grande distribution,
34:44 ça veut dire qu'avec la restauration à domicile,
34:45 ça veut dire que dans nos cantines, on doit faire...
34:48 C'est ce que fait l'État dès 2024,
34:50 c'est 100 millions d'euros de plus de dépenses
34:52 qui seront liées à l'intégration de produits bio
34:55 dans les cantines, dans la restauration État.
34:58 Mais il y a les cantines des lycées, il y a les cantines des collèges.
35:01 Et je suis sûr que les collectivités territoriales
35:03 auront envie aussi de s'engager dans cette démarche-là.
35:06 Et donc, il faut qu'on retrouve une trajectoire de consommation.
35:09 On ne réaugmentera pas les surfaces
35:10 s'il n'y a pas la perspective que c'est un marché qui...
35:13 Comment dirais-je ?
35:14 Qui rémunère ses agriculteurs et ses producteurs, en l'occurrence bio.
35:18 Il y a 50 000 exploitations en bio en France quand même.
35:21 Ce n'est pas complètement rien.
35:22 Et donc, on a besoin, dans le premier temps qui est le nôtre,
35:25 c'est de les consolider, d'où les mesures d'urgence qu'on prend
35:28 en complément des mesures de 2023,
35:30 et deux, de leur donner une trajectoire qui leur dise
35:32 "continuez à le faire parce qu'il y aura des consommateurs en face".
35:35 Et on a un travail aussi, même chose avec la grande distribution
35:38 d'un point de vue culturel, à expliquer que
35:40 on a accrédité la thèse que bio, c'était
35:43 exclu pour une partie de la population.
35:44 En gros, c'est un produit de riche.
35:47 Il faut qu'on sorte ça et il faut aussi que la grande distribution
35:49 fasse sa part d'effort sur la communication, sur le bio.
35:52 - Merci beaucoup, Marc Fesneau, d'avoir été avec nous.
35:56 Je rappelle que vous êtes ministre de l'Agriculture
35:59 et de la Souveraineté Alimentaire.
36:02 Je vais vous permettre d'entendre la suite de nos programmes
36:06 avec nos deux camarades qui viennent d'entrer dans ce studio.