Le monde agricole européen s'embrase et la question de la responsabilité de l'Union européenne dans la situation actuelle des agriculteurs se pose. Vous trouverez des éléments de réponse dans le débat Ici l'Europe sur France 24 et Public Sénat. Année de Production : 2023
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00:00 (Générique)
00:25 Bonjour à tous, merci de nous rejoindre pour "Ici l'Europe". Nous sommes ensemble sur France 24 et Radio France Internationale.
00:32 À l'issue d'un sommet européen consacré à l'aide en Ukraine et perturbée par la crise agricole,
00:38 nous avons le plaisir d'être en compagnie de Paolo Giantiloni, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires et à la fiscalité.
00:46 D'ailleurs, en Italie, il a été président du Conseil des ministres de 2016 à 2018.
00:52 Issu d'ailleurs du Parti démocrate, les sociodémocrates. Et je rappelle que le pays est aujourd'hui dirigé par une coalition à droite toute,
00:59 avec à sa tête Giorgia Meloni. Alors bonjour, M. Giantiloni. Merci d'être avec nous en duplex de la Commission à Bruxelles.
01:06 Est-ce que vous trouvez que cette semaine se termine bien ?
01:10 – Moi, je dirais aussi très bien. On avait beaucoup de préoccupations pour le sommet de jeudi. Et les conclusions montrent qu'à la fin,
01:24 l'Union européenne est plus forte de ses propres divisions. Le fait qu'on a décidé une aide pour 4 ans de 50 milliards à l'Ukraine est très important,
01:39 naturellement pour l'Ukraine. C'est un message aussi pour les États-Unis, qui aborderont ce sujet dans les prochains jours dans le Congrès.
01:49 Et c'est un message aussi pour nous, pour nous de l'Union européenne, parce que le combat que l'Ukraine est en train de mener contre l'invasion
01:59 est un combat aussi pour nos valeurs. Et je pense que c'est une bonne démonstration de toutes nos difficultés, mais qu'à la fin,
02:06 on réussit fréquemment à prendre les bonnes décisions.
02:09 – L'argent versé à Kiev, 33 milliards de prêts, 17 milliards de dons, sera utilisé pour payer les salaires des fonctionnaires,
02:16 maintenir l'acheminement des armes européennes vers l'Ukraine, alors que la Russie reconstitue ses stocks,
02:23 notamment à travers des pays comme la Corée du Nord. C'est indispensable pour que les Ukrainiens tiennent ?
02:29 – C'est absolument indispensable. L'Union européenne était déjà, sur le plan économique, le premier contribuant de l'Ukraine.
02:42 Et ça sera encore plus important dans les mois qui viennent, parce qu'on n'est pas complètement sûrs que nos partenaires dans le monde
02:57 seront dans la condition de faire le même. Moi, je suis assez optimiste sur le fait que les États-Unis pourront trouver une voie
03:07 dans leur congrès pour continuer quelque forme de soutien, mais sans le soutien européen, et sans ce soutien européen,
03:16 qui est moyen terme, qui permet aux autorités ukrainiennes aussi une certaine programmation,
03:24 qui va aussi se transformer si on réussit à avoir une paix juste, rapidement, dans un soutien à la reconstruction de l'Ukraine.
03:35 Sans l'UE, ça serait impossible pour les Ukrainiens de continuer leur combat, qui est un combat pour nos valeurs.
03:44 – Alors lors du sommet de jeudi, les Européens n'ont fait que deux concessions minimes.
03:48 Ils ont accepté que l'aide soit débattue chaque année, mais sans possibilité de vote, donc de veto,
03:53 et que le Conseil puisse exiger dans les deux ans une révision de ce soutien à l'unanimité.
04:01 Pourquoi est-ce que le Hongrois Viktor Orbán, qui semblait si réticent, a changé d'avis, selon vous ?
04:07 – À mon avis, parce qu'il a compris qu'une alternative, le soi-disant plan B, d'une Union européenne
04:17 qui prenne les décisions avant 6 et pas avant 7, aurait été beaucoup plus compliquée et plus lente pour l'aide à l'Ukraine,
04:29 mais aurait été surtout un grand problème pour Orbán.
04:35 Et à la fin, il a perçu son isolement et je pense qu'il a pris la bonne décision.
04:43 D'autre côté, les pays de l'Union européenne ont décidé de faire tous les efforts pour rester à 27,
04:53 pour ne pas prendre la voie "facile" d'aller à 26.
04:59 C'était bien d'aller à 27 et Orbán, à la fin, a accepté parce qu'il a perçu son isolement.
05:07 – Mais beaucoup craignaient que justement Viktor Orbán n'accepte de céder qu'en échange du déblocage
05:12 des 20 milliards d'euros de fonds européens destinés à la Hongrie,
05:16 gelés par Bruxelles en raison des manquements à l'État de droit.
05:20 Ce n'est pas le cas, Paolo Gentiloni, vous nous l'assurez,
05:23 la Commission européenne n'est pas en train de faire des cadeaux à Orbán sur ses dérives autoritaires ?
05:29 – Comme l'a dit la présidente von der Leyen, ces deux dossiers sont complètement séparés.
05:36 Et je crois que c'est très clair dans les conclusions du Conseil,
05:41 la discussion sur l'État de droit, sur les financements, sur le plan de relance en Groix
05:47 est une discussion qui est en train de se développer depuis des mois,
05:51 elle va continuer à se développer.
05:54 Comme on dit toujours, on va s'engager dans cette discussion dans une manière constructive,
06:00 mais aucune décision n'a été prise dans le sommet de jeudi, aucune.
06:05 – 1000 tracteurs à Bruxelles jeudi, les protestations du secteur agricole
06:10 se sont d'ailleurs glissées dans les conclusions du Conseil européen,
06:14 les dirigeants reconnaissant des préoccupations exprimées par les agriculteurs.
06:18 Vous aviez anticipé une telle crise et pensiez pouvoir la maîtriser ?
06:22 – Bon, la crise est là et je pense que la première chose
06:27 que les institutions européennes doivent faire,
06:29 c'est de comprendre les raisons de cette crise.
06:35 Et les raisons sont des raisons générales, entre elles,
06:42 naturellement l'agriculture souffre en particulier des conséquences
06:47 des prix plus élevés de l'énergie, elle souffre des difficultés de relations
06:54 entre les agriculteurs et la grande distribution,
06:58 mais elle a aussi des préoccupations qui sont liées à les politiques du Green Deal
07:05 ou à les politiques commerciales avec l'Ukraine.
07:08 On a essayé d'adresser certaines de ces préoccupations
07:13 en prenant des décisions sur certains produits alimentaires qui viennent de l'Ukraine
07:19 et en prenant des décisions sur les mesures qui obligent
07:23 à ne pas cultiver des portions du terrain aux agriculteurs.
07:31 Mais je pense qu'on doit rester à l'écoute parce que ce secteur
07:38 qui prend une portion si importante du budget européen
07:44 est essentiel pour nos communautés, pour nos familles,
07:49 et pas seulement pour notre économie.
07:52 Et c'est la raison pour laquelle rester à l'écoute
07:56 et comprendre les raisons est très important,
07:59 naturellement pourvu que ces protestations ne prennent pas une forme de violence
08:04 qu'on ne peut complètement pas accepter.
08:06 – Il y a un dossier aussi qui inquiète les agriculteurs et la France un peu,
08:10 qui a indiqué que la Commission européenne avait interrompu les négociations
08:14 avec les pays du Mercosur, donc l'Amérique latine,
08:19 pour un accord de libre-échange pas encore ratifié
08:22 qui prévoyait des droits de douane réduits pour l'importation vers l'Europe
08:26 de viande et de maïs, donc d'Amérique latine.
08:29 À l'heure où on cherche à réduire notre empreinte carbone,
08:33 est-ce que ça a du sens ?
08:35 – Bon, écoutez, cette négociation avec les pays Mercosur
08:43 est là depuis quelques années,
08:47 et honnêtement ce n'est pas la première fois
08:50 qu'on a des négociations sur le commerce qui prend beaucoup de temps.
08:55 On pourrait par exemple mentionner ce qui s'est passé avec l'accord avec le Canada,
09:03 où dans certaines situations, le temps ne porte pas à une conclusion positive.
09:11 Alors, il y a une négociation qui est là depuis beaucoup de temps,
09:17 et je pense que dans la conclusion de cette négociation,
09:21 il faut tenir très clair deux principes.
09:24 Le premier, on ne peut pas conclure des négociations
09:29 en apportant des dommages à des secteurs très importants de nos économies,
09:34 y compris l'agriculture.
09:36 Et deuxièmement, que l'expérience des dizaines d'années maintenant
09:42 nous montre que normalement tous nos accords commerciaux
09:47 ont porté des avantages à nos économies.
09:51 Je pense que l'ouverture aux accords commerciaux
09:56 a porté du bien à l'économie européenne,
10:00 qui est surtout une économie projectée dans le monde,
10:05 qui exporte dans le monde.
10:08 Et ça nous a aidé beaucoup dans les années du passé.
10:12 Alors on va voir cette négociation,
10:14 en tenant compte naturellement des préoccupations
10:19 qui viennent du monde de l'agriculture.
10:22 Vous êtes le commissaire européen en charge de l'économie.
10:24 Les perspectives sont moroses dans ce secteur.
10:27 L'Union européenne affiche une croissance faible de 0,5% pour 2023.
10:34 Avec une Allemagne en récession, c'est beaucoup moins que les États-Unis.
10:37 Quel est notre problème ?
10:39 Notre problème, et je pense qu'on a eu une succession de crises
10:49 qui a été très difficile à aborder.
10:53 Une crise, naturellement, était une crise globale
10:55 qui a affecté tous les pays du monde, le Covid, la pandémie.
11:03 Puis on a eu la crise de la guerre en Ukraine,
11:06 qui a affecté tout le monde du point de vue géopolitique,
11:10 mais pas tout le monde dans la même manière,
11:12 du point de vue économique.
11:14 Elle a affecté l'Europe,
11:18 particulièrement en termes de hausse des prix de l'énergie,
11:23 d'une manière extrêmement lourde.
11:27 Si on pense à ce qu'on attendait dans l'automne de 2022,
11:34 il y a un an et demi, un an un peu moins,
11:39 on attendait une récession en Europe,
11:42 on attendait des blackouts,
11:44 on attendait des énormes problèmes sur le plan énergétique.
11:49 En fait, on n'a pas une bonne situation,
11:51 on est dans une croissance très très très faible,
11:56 et on a réussi à éviter la récession.
11:58 On est en récession dans une dizaine de pays européens.
12:01 – Dont l'Allemagne, le principal pays européen,
12:04 ce qui est très préoccupant.
12:07 – Y compris l'Allemagne.
12:09 Y compris l'Allemagne, et en Allemagne,
12:13 le problème de combien le coût de l'énergie est augmenté
12:17 est particulièrement fort et évident.
12:21 Qu'est-ce qu'on doit faire maintenant ?
12:24 En sachant qu'on a une croissance trop faible,
12:27 on ne peut pas rester pour des années avec une croissance si faible.
12:31 On doit pousser notre économie avec des investissements.
12:36 On a la chance d'avoir aussi des programmes en commun
12:40 de l'Union européenne, Next Generation EU,
12:44 qui pour les années qui viennent
12:46 seront capables de soutenir nos économies
12:49 avec des investissements publics financés par l'Union européenne.
12:54 On doit aussi favoriser ces investissements.
12:57 On doit en tout cas éviter les erreurs qu'on a faites
13:01 peut-être il y a 10 ou 12 ans
13:04 dans la crise financière internationale.
13:08 Quand on a répondu à cette crise avec des politiques d'austérité,
13:12 ça serait une erreur.
13:13 – Justement Paolo Gentiloni,
13:15 c'est ce qui se joue avec la réforme du pacte de stabilité
13:19 qui a des normes particulièrement rigides.
13:21 Cette réforme suscite des polémiques,
13:23 malgré l'idée que la Commission va tenir compte
13:26 des particularités de chaque État
13:28 et donner des flexibilités pour favoriser l'investissement.
13:31 Eh bien, la proposition de la Commission consiste aussi
13:34 à réduire l'endettement des États, ce qui fâche les syndicats,
13:38 et beaucoup disent qu'on est en train de retourner
13:40 en fait à la rigueur, d'ailleurs sous l'impulsion de l'Allemagne.
13:46 – Bon, il n'y a rien dans ces propositions
13:49 qui constraint les États membres à retourner
13:52 à une politique de rigueur et d'austérité.
13:55 Je ne dis pas que c'est le compromis
13:58 qui a été trouvé entre les pays européens
14:01 et je ne dis pas qu'il s'agit des règles de Mereve.
14:07 La proposition que la Commission avait avancée
14:10 était à mon avis plus avancée,
14:13 mais à la fin, dans le compromis qui était nécessaire
14:18 et qui a été trouvé, on a gardé des aspects qui sont très importants.
14:24 Une optique de moyen terme dans les plans des pays,
14:28 une différenciation entre les pays,
14:32 parce que les situations sont très différentes
14:34 entre les différents pays,
14:36 un parcours beaucoup plus graduel
14:39 en relation aux règles qui existent de réduction de la dette
14:45 et une place pour favoriser les investissements.
14:49 Tout ça a été beaucoup compliqué
14:52 avec l'introduction de paramètres numériques
14:58 qui ont été nécessaires pour aboutir à un compromis
15:03 avec l'Allemagne et avec d'autres pays.
15:06 Mais à la fin, je pense que
15:09 beaucoup des principes fondamentaux de la proposition sont encore là.
15:15 Votre pays, l'Italie, est dirigé, je le disais, par Giorgia Meloni.
15:19 Ça prête un grand plan de privatisation de la poste,
15:22 des chemins de fer, des hydrocarbures et nie,
15:26 pour justement réduire sa dette qui a explosé 140 %,
15:31 on est loin des 60 % préconisés par le pacte.
15:35 Est-ce que ça vous paraît important de réduire cette dette,
15:39 une bonne trajectoire pour l'Italie ?
15:43 Je pense que dans les nouvelles règles,
15:46 on a la possibilité d'avoir une trajectoire de réduction de la dette
15:51 qui est nécessaire, importante, en particulier pour l'Italie,
15:56 mais aussi pour d'autres pays.
15:58 Il y inclut la France,
16:01 mais il faut le faire dans une manière graduelle.
16:06 En ce qui concerne la décision du gouvernement italien
16:10 d'avoir un objectif de 20 milliards à travers des privatisations,
16:20 en fait, il s'agit de ce qu'on connaît à la Commission,
16:25 de mettre sur le marché financier des portions du secteur
16:31 que vous avez mentionné,
16:33 mais sans perdre le contrôle public de ces secteurs.
16:38 C'est une décision du gouvernement,
16:41 et je pense qu'ici à Bruxelles, on la respecte.
16:46 Il fait partie des plans que l'Italie nous a présentés.
16:51 Merci à vous, Paolo Giazziloni, d'avoir été en notre compagnie.
16:54 Merci à vous de nous avoir suivis.
16:56 Restez avec nous.
16:57 Tout de suite, le débat en compagnie de Public Sénat
17:00 qui va porter sur l'agriculteur,
17:03 la colère des agriculteurs à travers l'Europe,
17:08 et quelles solutions apporter écolos versus défenseurs des agriculteurs.
17:14 Merci de nous rejoindre au Parlement européen.
17:22 Il nous faut cultiver notre jardin.
17:25 Nous allons parler en effet agriculture,
17:27 car des protestations ont embrasé le monde rural en Europe
17:31 avec divers motifs, trop d'exigences écologiques,
17:33 de concurrence déloyale.
17:35 Et puis, c'est vrai que déjà en 2019,
17:39 elle secouait les Pays-Bas, la Belgique,
17:41 où les éleveurs étaient vent debout
17:43 contre les plans de réduction du cheptel
17:45 pour diminuer de moitié les émissions polluantes d'azote d'ici 2030.
17:49 Des normes environnementales jugées trop lourdes en France, en Allemagne actuellement.
17:53 Une crise agricole qui a aussi gagné le sud de l'Europe
17:56 où les agriculteurs sont en proie aux effets du réchauffement climatique
17:59 et s'estiment insuffisamment aidés.
18:02 Les pays d'Europe de l'Est ont aussi de leur côté bloqué les importations de céréales
18:07 et volailles ukrainiennes, facilitées depuis la guerre en Ukraine
18:10 et qui font chuter les prix.
18:12 Sans oublier les critiques contre les grands accords de libre-échange
18:15 noués par l'Union européenne
18:17 et qui favorisent une concurrence déloyale pour nos agriculteurs.
18:20 Dans ce contexte, nous verrons s'il faut réviser la politique agricole commune
18:24 qui représente quand même un tiers du budget européen
18:27 et s'il faut ralentir l'application du pacte vert impulsé par la Commission européenne.
18:32 Pour en débattre aujourd'hui, deux bons connaisseurs de ce monde rural.
18:35 Jérémy de Serles, bonjour.
18:37 Vous êtes eurodéputé français du groupe Renew au Parlement européen.
18:41 C'est la majorité présidentielle en France.
18:43 Éleveur de profession, ancien président d'ailleurs des jeunes agriculteurs.
18:47 Et puis face à vous aujourd'hui, une luxembourgeoise.
18:49 Thielly Metz, bonjour.
18:51 Vous êtes membre du groupe des Verts au Parlement européen.
18:54 Alors on va regarder un tout petit peu les chiffres.
18:57 En effet, entre 2023 et 2027, les pays membres de l'Union européenne
19:03 ont disposé d'un budget annuel total de 53 milliards d'euros par an
19:09 au titre de la politique agricole commune.
19:12 Et les agriculteurs français reçoivent 9 à 10 milliards d'euros d'aides directes chaque année.
19:18 Un cinquième pour ce seul pays agricole et pas les 26 autres.
19:22 Donc la France est la première bénéficiaire et c'est celle qui râle le plus, j'ai envie de dire, non ?
19:27 Je ne sais pas s'il faut trouver automatiquement une relation
19:31 entre la colère et la protestation paysanne et les subventions européennes
19:36 qui sont aussi conditionnées à tout un travail que réalise très proprement
19:41 pour le coup les agricultrices et les agriculteurs français.
19:44 Aujourd'hui, s'il n'y avait pas la PAC, pour bon nombre d'agriculteurs,
19:48 il n'y aurait tout simplement aucun revenu.
19:50 Il n'y en a déjà pas beaucoup, mais il n'y en aurait aucun
19:53 sans l'accompagnement de la politique agricole commune.
19:56 Alors on peut effectivement et on doit l'améliorer,
20:00 faire en sorte qu'elle soit encore plus en adéquation
20:03 à la fois avec nos ambitions environnementales,
20:06 mais aussi avec la dimension économique qui pèse sur nos agricultrices et nos agriculteurs.
20:11 Mais aujourd'hui, la PAC, si elle doit être changée,
20:15 elle doit malgré tout rester et son budget doit rester le plus conséquent possible.
20:19 Par rapport au budget, en effet, c'est un tiers quasi du budget européen
20:24 qui va vers la politique agricole commune.
20:26 Donc c'est un instrument d'orientation, ce serait en fait un instrument d'orientation idéal,
20:32 mais quand on regarde où va effectivement cet argent,
20:36 80% de cet argent va à 20% des paysans, donc à une minorité.
20:44 Et justement, le problème, c'est que la marge qu'ont les paysans,
20:50 leur revenu en fait, il est beaucoup trop faible par rapport à leur travail.
20:55 Donc il faudrait vraiment permettre aux paysans et aux paysannes
20:59 de vivre de leur travail, de leurs produits.
21:02 Il ne s'agit pas de ne plus avoir de politique agricole commune, je ne dis pas ça,
21:07 mais il faut un changement de paradigme, il faut un changement de système
21:11 et ne plus fonctionner selon le système qu'on donne de l'argent
21:15 par rapport à la grandeur de la surface,
21:18 ce qui forcément privilégie les méga grandes entreprises agricoles
21:24 et au défaveur des petits paysans et paysannes, des petites entreprises paysannes.
21:28 Une réaction sur ce point, Jérémy de Serles ?
21:31 C'est vrai, sur la France, 20% des agriculteurs français
21:34 possèdent 52% des terres agricoles et touchent 35% des aides européennes.
21:39 Il y a quand même effectivement des éléments de distorsion
21:43 à la faveur d'une grande agriculture productiviste.
21:46 Mais justement, beaucoup veulent parler d'agriculture industrielle.
21:51 Quand on donne des chiffres, il faut donner effectivement les vrais chiffres
21:54 et ce n'est pas vrai aujourd'hui que 80% des aides PAC vont qu'à 20% des agriculteurs.
22:00 C'était vrai dans la PAC avant, la réforme que nous avons votée dernièrement,
22:06 justement par plusieurs mécanismes, notamment la question autour de l'actif agricole
22:11 pour donner des aides plutôt aux hommes et aux femmes,
22:14 plutôt qu'à des structures ou pour le coup à ce qu'on pourrait appeler des oligarques.
22:19 Ça, ça a été, avec la réforme de la PAC, changé.
22:24 Et donc, bien sûr qu'il faut trouver des rééquilibrages,
22:27 mais aujourd'hui, en France, vous avez dit, la moyenne des exploitations,
22:31 c'est 60 hectares environ.
22:33 Donc on ne peut pas dire que ce soit des grosses exploitations.
22:37 Il n'y a pas de fermes industrielles en France, comme on peut connaître dans d'autres pays.
22:41 Et donc arrêtons d'opposer les modèles, les petites, les grosses exploitations.
22:45 La bonne taille, c'est là où une exploitation est en adéquation,
22:50 sa taille est en adéquation avec le nombre d'unités de main d'oeuvre.
22:53 Et donc à chaque fois qu'il y a autant d'agriculteurs,
22:56 que c'est en lien avec le nombre d'hectares,
23:00 eh bien, voilà, on se rapproche de l'actif agricole,
23:03 et donc ce n'est pas une grande exploitation automatiquement.
23:06 Mais comme le système n'a pas véritablement changé,
23:09 donc les chiffres que j'ai énoncé, ce sont les chiffres de la commission,
23:14 ce ne sont pas des chiffres.
23:15 Et aujourd'hui, on a la réalité qu'il y a carrément 1000 entreprises,
23:21 petites et moyennes entreprises agricoles,
23:23 qui disparaissent chaque jour au sein de l'Union européenne.
23:26 Donc c'est un ras-le-bol fort compréhensible des paysans et des paysannes qui vont sur la rue.
23:32 C'est la fameuse goutte qui fait déborder le vase quand on sait à peine vivre,
23:38 et quand on vit à travers des subsides européens.
23:42 Ce n'est pas ça qui compte.
23:44 Dans ce ras-le-bol des agriculteurs, comme vous dites,
23:46 il y a dans les motifs de revendication, les normes environnementales qui seraient trop lourdes,
23:50 avec notamment la question des achats obligatoires.
23:53 Est-ce que vous entendez ces arguments, Thilémès ?
23:55 Moi j'entends très bien qu'il y a, pour beaucoup de gens,
23:58 quand vous avez dit qu'il y a deux jours par semaine qui sont accordés
24:03 à du travail administratif, c'est clair.
24:05 Les paysans et les paysannes, ce n'est pas ça qu'ils veulent faire.
24:07 Ils ne sont pas des gens qui veulent être dans l'administration,
24:10 et ça c'est fort compréhensible.
24:12 Mais là, l'histoire des 4% de jachères, il faut mesurer l'impact.
24:19 Et on a des études, mesurer l'impact que ça aurait,
24:22 parce qu'on prend toujours l'argument qu'il faut cultiver là-dessus
24:26 pour la sécurité alimentaire.
24:28 Alors que des études d'impact montrent bien que ça ne change rien.
24:32 Au contraire, ces jachères, elles contribuent à la biodiversité,
24:36 elles contribuent à ce qu'on ait des abeilles, des insectes.
24:39 Donc la biodiversité qui est indispensable au futur de l'agriculture.
24:45 Et aussi aux situations actuelles.
24:48 - Précisément, dans l'ensemble des textes qui sont en train d'être votés,
24:53 qui ont été votés dans cette mandature de votre Parlement européen,
24:57 on a beaucoup parlé du pacte vert comme l'une des causes du malaise agricole.
25:02 30 textes qui ont déjà été votés, qui ne sont pas encore appliqués,
25:05 en précisons-le. Est-ce que c'est un épouvantail, c'est une contrainte réelle ?
25:10 En tout cas, ça suscite énormément d'ébullition dans ce Parlement.
25:14 - Les agriculteurs, ils sortent en ce moment par manque de considération
25:20 et par manque de revenus.
25:22 Et ce qu'ils voient avec le pacte vert, qui est effectivement pour l'instant,
25:26 qui n'a aucun impact, parce que les textes ne sont effectivement pas en application,
25:31 ils se rendent compte, et les agriculteurs jugent, analysent et anticipent aussi
25:37 pour leurs exploitations agricoles, ils se rendent compte que l'Europe a envie
25:41 de mettre un certain nombre de contraintes supplémentaires,
25:44 qui peuvent être des fois justifiées, même très souvent,
25:47 sur les agriculteurs, mais sans moyens.
25:49 Ce que demandent les agriculteurs, c'est "donnez-nous des moyens techniques,
25:53 des moyens financiers, une feuille de route, des études de faisabilité".
25:58 On a souvent parlé, il faut des études d'impact.
26:00 On sait ce que ça va donner si on suit à la lettre ce que la Commission nous proposait.
26:07 Effectivement, c'est un désastre en termes de production.
26:10 Le Parlement a pris ses précautions, il y a beaucoup de textes qui ont été débattus
26:14 avec beaucoup de violence.
26:16 - Votre groupe RIDOU a voté un coup contre...
26:21 - Oui, il faisait plus confréquent.
26:23 - Il y a eu une grosse alliance de la droite traditionnelle,
26:25 donc Parti Populaire Européen de l'extrême droite,
26:27 pour contrer un certain nombre de grands textes,
26:29 loi de restauration de la nature, emballage,
26:32 diminuer de moitié l'usage des pesticides qui a été rejeté finalement.
26:36 Il y a une certaine ambiguïté.
26:39 Vous êtes à droite ou à gauche dans ce débat qui est très droite-gauche ?
26:42 - C'est bien le problème, c'est que la gauche, et surtout l'écologiste et la droite,
26:46 ont voulu polariser les débats.
26:48 Et en gros, c'était soit toute écologie, soit rien du tout.
26:54 En gros, c'est pas de pesticides, pas de NGT.
26:56 En fait, ils font un peu de tout à un moment donné.
26:59 Et nous, ce qu'on a essayé de faire, c'est d'avoir des positions équilibrées,
27:02 où à la fois on apportait des moyens aux agriculteurs,
27:08 et puis on essayait quand même d'aller chercher les ambitions environnementales.
27:13 La polarisation a tué finalement les ambitions qui étaient les nôtres.
27:18 - Thilimes, je voudrais vous entendre sur cette question des moyens,
27:21 car le pacte vert, ça va apporter des nouvelles normes, des nouvelles règles
27:24 qui vont s'imposer aux agriculteurs.
27:26 Mais est-ce qu'il y a les moyens suffisants pour que cette transition écologique
27:29 soit acceptée par nos exploitants agricoles ?
27:31 - Mais c'est là justement, c'est très bien que Mme von der Leyen récemment a dit
27:36 qu'il faut un dialogue constructif avec les paysans et les paysannes.
27:40 Ce dialogue constructif, on aurait dû le lancer beaucoup plus tôt.
27:45 Mais laissez-moi juste dire qu'en fait, l'écologie et les paysans,
27:50 ou les écologistes et les paysans et les paysannes,
27:52 on a les mêmes combats.
27:54 Ce sont les combats contre le changement climatique,
27:56 contre la sécheresse des sols, contre les sols qui ne sont plus sains,
28:01 qui ne permettent plus de récolte à l'avenir.
28:05 Ce sont aussi des combats contre les accords de libre-achange.
28:08 Par contre, ce sont des combats pour des clauses miroirs aux frontières.
28:13 Donc on a en fait, les écologistes et les paysans et les paysannes,
28:16 on est du même côté.
28:18 On a les mêmes combats pour un futur de l'agriculture
28:22 et pour une vie digne et des revenus dignes pour les paysans et les paysannes.
28:27 En même temps, vous avez au Luxembourg, à leur particularité quand même,
28:30 interdit le glyphosate.
28:32 Donc cet intrant entre 2021-2023, seul dans l'Union à l'avoir fait.
28:38 La justice vous a obligé un peu à rétropédaler,
28:41 notamment sous la pression des lobbys chimiques.
28:44 Tout ça, ça a démontré qu'un autre modèle d'agriculture était possible ?
28:49 On sait très bien qu'un autre modèle d'agriculture est possible
28:53 si on soutient les paysans et les paysannes pendant cette transition.
28:58 Il faut des moyens financiers, c'est clair,
29:00 et c'est justement l'argent de la politique agricole commune,
29:04 c'est vers là qu'elle devrait aller.
29:06 Alors ça a aidé à réaliser cette transition écologique.
29:10 Il faudrait du conseil sur le terrain.
29:13 Je vais finir sur ça pour cette intervention.
29:17 Je vois ces mouvements des paysans et des paysannes partout dans l'Europe
29:22 qui ont des mouvements de libération,
29:24 de libération d'un certain féodalisme,
29:27 d'une dépendance par rapport à l'agrochimie,
29:30 par rapport aux pesticides,
29:31 par rapport aussi à tout ce qui est les grandes industries,
29:37 la distribution.
29:38 Mais le monsieur De Serbes va vous dire qu'il ne veut pas s'en libérer.
29:42 Est-ce que c'est le moment d'arrêter les pesticides
29:43 dans ce contexte de crise agricole ?
29:45 Nous avons en France et en Europe la chance d'avoir l'agriculture
29:50 la plus réglementée du monde, la plus sécurisée du monde,
29:53 qui repose sur les standards de production les plus élevés au monde
29:57 en matière d'environnement et en matière de bien-être animal.
30:00 Je ne dis pas qu'il ne faut pas progresser,
30:02 et les agriculteurs n'ont jamais refusé de progresser,
30:05 sauf que nous sommes déjà les meilleurs du monde.
30:08 Arrêtons de toujours taper sur les agriculteurs.
30:10 C'est la pose environnementale d'Emmanuel Macron ?
30:12 Je ne sais pas si c'est la pose environnementale.
30:14 Ce qu'on veut, c'est des moyens.
30:15 Ce que les agriculteurs attendent et veulent,
30:17 c'est de la considération et des moyens.
30:19 Pourquoi ne pas toucher dans le budget de la PAC ?
30:21 Parce que le budget de la PAC, il aide déjà à ça.
30:24 Il y a 25 % du budget du premier pilier
30:29 qui est dédié aux écoregimes, à des mesures environnementales.
30:34 35 % du budget du second pilier de la PAC
30:38 est dédié aussi aux investissements
30:41 qui contribuent à lutter contre le changement climatique.
30:44 Donc dans la politique agricole commune,
30:46 il y a déjà de nombreuses mesures qui vont vers l'environnement.
30:50 Et ce que je veux dire, c'est que si nous voulons
30:52 accompagner les agriculteurs, il faut que dans Farm to Fork,
30:55 dans le Green Deal en tout cas,
30:57 il y ait des moyens supplémentaires
30:59 qui viennent compléter ceux de la PAC.
31:01 Je ne dis pas qu'il ne faut pas que la PAC continue
31:03 à accompagner les transitions,
31:05 mais il faut que Farm to Fork,
31:07 la stratégie de la fourchette à l'assiette,
31:10 il faut aussi qu'elle mette de la monnaie sur la table.
31:13 Dernière question, peut-être sur ces accords de libre-échange
31:16 que vous avez évoqués, Thilimes.
31:18 Jérémie de Serles le disait, l'agriculture européenne
31:20 est déjà très réglementée.
31:21 La Commission européenne a noué des accords de libre-échange
31:24 avec d'autres régions du monde qui ont moins de normes.
31:26 Est-ce qu'il faut sortir de ces accords de libre-échange
31:28 ou alors les revoir ?
31:30 Si on veut réaliser une transition écologique,
31:34 il faut vraiment questionner toute cette globalisation
31:38 dans le secteur de l'agriculture.
31:40 Ce qui est clair, c'est qu'il faut soutenir
31:44 les chaînes de production locale,
31:46 où le paysan et la paysanne ont aussi beaucoup plus à dire
31:49 par rapport à la détermination des prix, par exemple.
31:52 Maintenant, ce sont les grandes chaînes agroalimentaires
31:56 et les grands distributeurs qui décident sur les prix
31:58 et qui mettent alors énormément de pression sur les paysans
32:01 pour baisser au maximum le prix,
32:04 qui en sortent très peu de son travail.
32:06 Donc, c'est clair, soutenir les chaînes de production locale,
32:10 favoriser le contact aussi direct du consommateur
32:13 avec les agriculteurs, les agricultrices,
32:15 pour moi c'est vraiment une histoire de dignité.
32:18 Donc, vous ne dites pas qu'on ne va pas faire voler du bœuf
32:21 depuis l'Argentine ?
32:23 Il faut se demander pourquoi on fait ça.
32:25 On n'a pas besoin de ça.
32:27 On a une production européenne très bonne, avec des normes,
32:30 qui n'est pas seulement d'avoir sur le papier,
32:32 mais qu'il faut appliquer.
32:33 On a des normes très élevées en Europe.
32:35 Pourquoi importer des produits
32:39 où forcément les agriculteurs et agricultrices européens
32:42 ne peuvent pas concurrencer ?
32:44 Où il y a des pesticides, où il y a encore moins de respect
32:47 du bien-être animal ?
32:48 Pour conclure, Jérémy de Serles,
32:50 l'accord qui est en train d'être négocié par la Commission
32:52 avec le Mercosur, avec l'Amérique du Sud,
32:54 c'est une grosse erreur ?
32:55 Moi déjà, j'espère que ça n'a échappé à personne,
32:57 mais la France et les parlementaires français
32:59 ici au Parlement européen,
33:00 associés avec d'autres parlementaires d'autres pays,
33:02 se sont opposés depuis 2019, mais même avant,
33:05 à la signature de cet accord,
33:07 pour des raisons environnementales, certes,
33:09 mais pour des raisons aussi en termes d'agriculture
33:12 et d'alimentation,
33:13 parce qu'il n'y a pas le même respect des normes.
33:17 En tout cas, ce ne sont pas les mêmes normes.
33:18 C'est scandaleux aujourd'hui, je vous le dis.
33:20 C'est scandaleux.
33:21 C'est même provocateur de la part de la Commission,
33:24 pendant que les agriculteurs sont sur la route
33:27 et se plaignent justement de distorsion de concurrence.
33:30 C'est scandaleux et provocateur de la part de Dombrovski,
33:34 du commissaire Dombrovski,
33:35 de dire "on va continuer à avancer".
33:37 C'est scandaleux, c'est inadmissible pour les paysans.
33:40 On a réussi à vous mettre d'accord au finish finalement.
33:42 Merci à vous d'avoir très bien illustré ce débat
33:45 sur écologie, économie.
33:48 Et très bonne suite des programmes sur nos antennes.
33:51 [Musique]