Les conclusions du rapport sur la commission d'enquête sur les dérives sexistes et sexuelles dans le sport sont dévoilées ce mardi 23 janvier 2024. Marie Portolano reçoit l'ancienne championne du lancer de marteau et présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport au CNOSF Catherine Moyon de Baecque.
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00:00 trop longtemps à accompagner ses dérives.
00:02 Ce matin, Marie, vous recevez donc Catherine Moyon de Bac,
00:05 ancienne championne du lancé de marteau
00:08 et qui a été victime d'agressions sexuelles.
00:10 Bonjour et bienvenue à vous.
00:11 – Bonjour Catherine Moyon de Bac, merci beaucoup d'avoir été avec nous.
00:14 Donc Thomas le disait, c'est un rapport qui sort aujourd'hui,
00:16 un rapport à cas blancs, concrètement, dans lequel vous avez témoigné.
00:20 – Oui, d'abord je vous remercie pour votre invitation.
00:23 Je voudrais vous dire que pour ce rapport de la commission d'enquête
00:26 de l'Assemblée nationale sur les violences sexuelles
00:29 et autres violences et les défaillances des fédérations et des institutions,
00:33 il y a deux manières d'aborder ce rapport en réalité.
00:36 Soit sur un plan individuel, en niant le travail considérable
00:40 qui a été effectué et la réalité, donc une forme de discrédit
00:44 qui je crois n'est pas entendable aujourd'hui.
00:46 Et une autre façon de se dire, ce rapport a été un travail considérable
00:51 pendant des mois mais qui est attendu depuis des années,
00:55 en étant la première athlète de haut niveau à avoir brisé la loi du silence
00:58 et dénoncé cette violence et ouvert la voie à travers un combat historique
01:02 pour les autres, je considère qu'au contraire,
01:06 ce rapport de l'Assemblée nationale est une chance historique
01:10 pour que nous nous en servions tous ensemble comme un levier.
01:13 – Une vraie avancée, enfin.
01:14 – Oui mais ce n'est même pas une avancée, il faut changer ce paradigme,
01:18 il faut absolument faire en sorte que les violences s'arrêtent,
01:21 ce n'est pas hier, ce n'est pas demain, c'est ici et maintenant.
01:24 – Justement, vous avez témoigné dans ce rapport
01:26 puisque vous avez vous-même une histoire,
01:29 vous avez été championne d'athlétisme,
01:30 unique femme de votre fédération, d'équipe de France,
01:33 et en 91 vous subissez une agression sexuelle par plusieurs de vos coéquipiers,
01:37 racontez-nous votre histoire et on parlera ensuite de ce rapport.
01:41 – Oui effectivement, en 1991, lors d'un stage national,
01:44 j'ai été victime d'agressions sexuelles aggravées
01:46 de la part de plusieurs membres de l'équipe de France,
01:49 encouragés par l'entraîneur national,
01:51 et ma vie évidemment a volé en éclats à tous les niveaux,
01:54 mais en fait j'ai refusé de mourir, j'ai parlé pour ne pas mourir,
01:57 j'ai parlé pour que la vérité soit connue,
01:59 j'ai parlé pour que ces crimes et ces déris n'arrivent pas à d'autres,
02:02 et en fait ce qui s'est passé, c'est que malgré des décisions de justice,
02:05 parce que mes agresseurs ont été condamnés…
02:07 – Oui alors c'est ça qui est complètement…
02:08 parce que ce qui a suivi votre parole est complètement incroyable,
02:11 alors déjà on vous a dit "ma petite fille, vous êtes jeune, vous allez oublier",
02:15 concrètement ça c'est votre… – Vous êtes jeune et jolie, vous oublierez.
02:17 – C'est le président de votre fédération qui vous dit ça à ce moment-là ?
02:19 – Oui, et le directeur de l'INSEP également.
02:21 – Et malgré la condamnation de trois de vos agresseurs,
02:25 qui ont été condamnés, et je crois que ça fait jurisprudence,
02:27 c'est la première fois, vous êtes totalement rejeté par la fédération,
02:32 il y a même l'accès de l'INSEP qui vous est interdit.
02:34 – Oui absolument, en fait pour avoir dit la vérité et résisté,
02:37 j'ai été mis pendant 20 ans à l'écart,
02:39 mes agresseurs ont continué à participer aux Jeux Olympiques,
02:43 aux championnats du monde, aux championnats d'Europe,
02:45 comme si de rien n'était, alors que les victimes étaient priées de se taire,
02:48 or moi j'ai refusé de me taire parce que c'était trop grave en fait,
02:51 et j'ai subi pendant 20 ans, et encore aujourd'hui indiscrédible,
02:55 donc je vous remercie de m'inviter et de parler de mon histoire, de ce combat,
03:00 mais derrière moi il y a une armée d'athlètes, de victimes, de dirigeants,
03:04 d'hommes et de femmes, parce que nous sommes tous et toutes concernés
03:07 au sein de la société, pas simplement du sport,
03:09 et si vous voulez, c'est quand même difficile,
03:12 des pressions, des menaces de mort…
03:14 – Qu'est-ce qu'on vous disait par exemple ?
03:15 On vous disait "non, vous n'avez plus le droit d'entraîner,
03:18 comment ça s'est passé concrètement ?
03:19 – Si je résume, d'abord il m'a été reproché,
03:21 on m'a accusé d'avoir terni l'image du sport français
03:24 pour avoir dit la vérité et résisté, et puis c'est surtout dans les actes,
03:29 des pressions, des menaces, dont des menaces de mort,
03:31 je peux vous dire que les menaces de mort,
03:33 quand vous n'avez pas de garde du corps, ça fait très peur,
03:36 et quand vous êtes perdu déjà avec ce qui vous est arrivé,
03:38 parce que non seulement j'ai été victime d'agressions sexuelles aggravées
03:41 par les membres de l'équipe de France, mais ensuite j'ai subi un harcèlement moral
03:46 et des maltraitances institutionnalisées indiscrédibles
03:49 qui perdurent encore aujourd'hui, parce qu'au-delà de qui je suis aujourd'hui,
03:52 à travers tout ce que j'incarne, de mon histoire,
03:54 du combat historique que j'ai mené, mais c'est pour les autres,
03:57 c'est pour que ces crimes et ces délits n'arrivent pas à d'autres.
03:59 Je parle pour les athlètes, je parle pour les victimes.
04:02 – Vous n'avez jamais regretté d'avoir parlé ?
04:04 – Non, parce que j'étais authentique, j'étais pure,
04:08 et je pense que je le suis encore, et que c'était trop grave,
04:11 et que ce n'est pas possible.
04:13 Les principes éthiques, éducatifs, humanistes et environnementaux
04:19 de la charte olympique, du comité international olympique,
04:22 ces principes m'ont porté les valeurs de l'olympisme,
04:24 ça signifie quelque chose, et à l'aune des Jeux olympiques et paralympiques
04:28 d'été en France en 2024, c'est une chance incroyable,
04:32 c'est une possibilité de nous rassembler, de célébrer,
04:37 de contribuer à faire gagner les athlètes,
04:39 d'affirmer le rayonnement international de la France,
04:41 mais aussi de montrer que nous sommes là pour prévenir,
04:45 pour protéger, pour agir ensemble, et pas en opposition, mais en union.
04:52 – Comment vous expliquez encore aujourd'hui,
04:54 parce que votre histoire c'était en 1991,
04:56 en 2024 il y a encore une omerta énorme dans le monde du sport,
05:00 comment vous l'expliquez ça ? Pourquoi on ne parle pas dans le monde du sport ?
05:03 – D'abord je précise que ce n'est pas que le monde du sport,
05:06 parce que je pense que à tous les niveaux de la société, dans tous les domaines…
05:09 – Principalement le sport est quand même un bastion de silence,
05:15 comment on explique ça ?
05:16 – Oui, de silence je précise, de silence, de violence et d'indifférence,
05:20 oui parce qu'il y a de tels enjeux, il faut préserver l'image des champions,
05:24 mais encore une fois, un champion qui…
05:26 – Mais pas des championnes.
05:27 – Moins des championnes, même si nous espérons une évolution,
05:30 et que quand je vois tous les efforts qui sont faits pour faire avancer la situation,
05:34 pour mettre en valeur les femmes sportives, pour un certain nombre d'avancées,
05:39 c'est hallucinant qu'il faille tous ces efforts,
05:42 moi dans ce que je fais aujourd'hui, je suis confrontée…
05:44 – Oui parce qu'aujourd'hui vous êtes présidente de la commission de lutte
05:46 contre la violence sexuelle et la discrimination dans le sport
05:48 au Comité national olympique.
05:49 – Et sportif français, absolument, et par ailleurs ambassadrice
05:52 des valeurs de l'olympisme pour la France,
05:54 mais en fait je suis confrontée sans arrêt à des freins,
05:58 alors que tout le monde devrait me tendre la main
05:59 et me donner des moyens pour pouvoir mettre en action…
06:03 – Quels freins ? Qu'est-ce qu'on vous dit ?
06:05 – Les freins c'est un manque de moyens financiers,
06:10 c'est le fait que je n'ai toujours pas été reçu par le président du CNOSF,
06:14 le nouveau président depuis 7 mois, que finalement,
06:18 on fait des sourires, on veut bien que je sois là mais sans trop parler…
06:23 – Oui mais en fait la cause n'est pas importante, finalement,
06:26 c'est ce que vous ressentez vous.
06:27 – Oui c'est ce que je ressens, mais pas simplement moi,
06:29 tout le monde l'observe, et en même temps ce n'est pas une critique,
06:32 parce que je veux toujours être un plus, je veux être constructive,
06:35 je pense qu'il faut nous rassembler, que le sport français mérite mieux,
06:38 mais en même temps, je vais vous dire quelque chose,
06:41 à titre personnel, franchement,
06:44 cette commission d'enquête est une libération pour moi,
06:47 Dieu sait si cette audition a été éprouvante, mais elle était nécessaire,
06:52 et je pense que les membres de la commission,
06:54 la présidente et la rapporteure notamment, ont bien compris ce qui se passait,
06:58 mais franchement, j'ai eu le sentiment que pour la première fois
07:02 depuis toutes ces années, et je l'attendais avec une telle espérance,
07:05 je n'imagine même pas qu'elle pouvait arriver,
07:08 j'ai eu le sentiment que enfin, et ça n'est que le début,
07:12 tous ces gens malveillants qui ont voulu me faire disparaître,
07:14 parce que c'est la réalité et beaucoup sont encore au pouvoir aujourd'hui,
07:18 en fait, j'ai le sentiment que maintenant,
07:21 on ne peut plus occulter mon histoire, on ne peut plus minimiser ce que je suis,
07:26 et je veux affirmer justement l'incarnation de ce symbole dont tout le monde parle,
07:30 de cette résilience dont tout le monde parle, pas pour moi,
07:33 pour les autres, pour ensemble, les athlètes, les enfants, les adolescents,
07:36 les jeunes adultes, c'est sacré, nous devons les protéger,
07:39 nous devons prévenir, nous devons agir,
07:41 nous devons célébrer les valeurs de l'olapisme, c'est très important.
07:44 Merci beaucoup, merci pour votre message,
07:46 j'ai passé un message très fort,
07:48 merci beaucoup d'être venue Catherine Moyon de Bac,
07:51 et d'avoir témoigné ce matin, merci.
07:52 Voilà, merci beaucoup à vous.